12. Auguste Renoir – Ma période impressionniste : 5. Le Déjeuner des Canotiers
J’étais à Chatou et l’automne débutait. Le balcon du restaurant Fournaise n’attendait plus que ses invités.
Balcon du restaurant de la maison Fournaise à Chatou – photo Alain Yvars
Mes nombreuses esquisses ne m’avaient pas satisfaisait… Pouvais-je retarder plus longtemps le grand projet qui m’obsédait depuis que je fréquentais la maison Fournaise ?
Je me faisais vieux pour un travail de cette importance… En serais-je encore capable plus tard ?
La toile représentant Alphonsine Fournaise, peinte l’année dernière sur la terrasse du restaurant, n’avait fait que me conforter dans l’idée de cette grande composition que je souhaitais réaliser sur cette même terrasse. Je voulais reprendre le thème joyeux de mon Bal au Moulin de la Galette réalisé à Montmartre quatre années auparavant. Le plaisir de peindre ces danseurs dans un décor et une ambiance de fête avait été si intense... j’en tremblais encore en y pensant.
« Renoir, vous devriez cesser d’exposer avec vos amis impressionnistes… Les critiques sont acerbes… On se moque de vous… ».
Émile Zola, critique d’art influent, m’avait conseillé d’aller au Salon officiel : « On peut garder son indépendance dans ses œuvres, on n’atténue rien de son tempérament, mais ensuite on livre bataille en plein soleil, dans des conditions plus favorables à la victoire. », m’avait-il dit. « Les artistes impressionnistes ne devraient plus se contenter d’exposer seulement des esquisses peintes en plein air mais des toiles ambitieuses, réfléchies, tirées de la vie moderne » avait-il ajouté.
J’avais gambergé longtemps avant de suivre les conseils de l’écrivain, puis je m'étais décidé. Dans ma technique et mes sentiments je me sentais toujours pleinement « impressionniste » mais, n’obtenant aucun succès, je ne participais plus depuis trois ans aux expositions de mes amis, préférant envoyer une ou deux toiles chaque année au Salon.
Cette fois, j’étais sûr du succès…
J’étais persuadé que la grande composition que j’allais entreprendre, sorte d’adieu à mes tableaux de canotiers et de canotières, m’obtiendrait enfin la reconnaissance de la profession. Le succès obtenu au Salon de l’année passée avec le portrait de Madame Charpentier et de ses enfants, ne pouvait que m’encourager à utiliser un autre style de peinture à la touche nouvelle et assagie, aux contours affinés.
Auguste Renoir – Madame Charpentier et ses enfants, 1878, Metropolitan Museum of Art, New York