Un centenaire…
Déjà 100 ans sont passés depuis la fin des combats de la Grande Guerre… Les célébrations du jour de l’armistice le 11 novembre 1918 ont duré toute la semaine dernière et m’ont imbibé d’images, paroles patriotiques, musiques militaires, chants, défilés, hommages.
Un sentiment trouble envahit mes pensées… Tous disparus. Les derniers « poilus » de cette époque sont devenus des fantômes.
Seul le souvenir reste : En ce samedi 1er août 1914 le tocsin avertit la population de la mobilisation générale. La veille Jean Jaurès a été assassiné au café du Croissant à Paris. Le 3 août c’est la guerre. Les français sont confiants, on leur a tellement dit que nous étions les plus forts. « A Berlin ! Il faut reprendre l’Alsace et la Lorraine ! Ce ne sera pas long… Quelques jours seulement… » En ce début d’été ensoleillé, dans un climat d’optimisme les jeunes hommes quittent leurs familles, femmes et enfants, et, « la fleur au fusil », partent, superbes dans leurs casaques bleues et leurs pantalons garance datant de la guerre de 70. Pouvaient-ils se douter…
Dimanche soir j’ai vu partiellement à la télé le film « Apocalypse » : des archives de la Grande Guerre montraient l’atrocité des combats d’un réalisme effrayant. Le même jour, l’Arc de Triomphe parisien avait réuni autour du Président de la République une soixantaine de chefs d’Etat pour commémorer l’héroïsme, le sacrifice des soldats français morts pour la patrie. La France avait gagné la guerre après quatre années de douleur… L’écrivain académicien Maurice Genevoix allait entrer au Panthéon…
Pour me changer les idées, j’allume l’ordinateur et décide de faire une recherche dans internet. Je voulais connaître la vision des artistes ayant peint cette guerre. De nombreux tableaux m’apparaissent, mais l'un d'entre eux m’attire l’œil tout particulièrement car je connais bien ce peintre : John Singer Sargent, un artiste essentiellement connu pour ses portraits d’hommes et de femmes, d’une grande virtuosité.
Le tableau que j’ai devant les yeux est affreux : l’horreur de la guerre dans ce qu’elle a de plus terrible. Des hommes gazés, aux yeux bandés, aveugles, guidés par des soignants, marchent sur une file au milieu d’hommes souffrant atrocement, agonisants ou morts, étendus sur l’herbe.
John Singer Sargent – Gazés, 1918, Imperial War Museum, Londres
Chargé par le Comité britannique des monuments aux morts de peindre un tableau sur la guerre, John Singer Sargent s’était rendu sur le front de l’Ouest en juillet 1918 et avait peint cette scène poignante à laquelle il assista : les allemands avaient utilisé du gaz moutarde contre une division d’infanterie du Royaume-Uni pendant la bataille d’Arras.
On était loin des portraits raffinés habituels de ce peintre.
Je repensais à son superbe portrait de Lady Agnew de Lochnaw.
John Singer Sargent – Lady Agnew de Lochnaw, 1892,Galerie nationale écossaise, Edinbourg
Un ancien souvenir me revenait en mémoire. Il y a quelques années je voulais voir le site de Verdun, lieu de terribles affrontements en 1916, faisant plus de 700.000 victimes, morts et blessés, françaises ou allemandes. Un enfer… j’étais arrivé à la tombée de la nuit, seul dans cet immense cimetière silencieux. Les multiples croix blanches étaient illuminées par les derniers rayons du soleil couchant. Longtemps, j’étais resté sur place, ému, tellement impressionné.
https://www.youtube.com/watch?v=iwrc8yV6MJ8
La chanson de Craonne - 1917
Cette chanson m’interrogeait...
Ces hommes partis pour défendre leur pays, ceux dont les noms s’afficheront éternellement sur les monuments aux morts dans les villes et villages de France, ceux dont les commémorations toute cette semaine ont célébré le patriotisme, ces héros… Ces jeunes hommes qui espéraient vivre un futur, possédaient-ils cet esprit de sacrifice lorsqu’ils montaient, vaillants, à l’assaut des mitrailleuses ? Comprenaient-ils quelque chose à tout cela : la boue, leurs compagnons massacrés à leur côté, bientôt ce serait leur tour... Ils partaient faire la guerre au nom de la France ce beau pays dans lequel ils étaient nés ; ils participaient à une boucherie… Où étaient les responsables de ce drame dans lequel l’humain n’était plus que chair à canon ? : Gouvernements, hiérarchie militaire, industriels…
Je ne savais plus… J’étais mal…
Perturbé, j’éteins l’ordinateur.