VERMEER Johannes - La Dentellière, 1670, musée du Louvre, Paris
Je la devine… Elle est là…
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VERMEER Johannes - La Dentellière, 1670, musée du Louvre, Paris
Je la devine… Elle est là…
VERMEER Johannes - La jeune fille au collier de perles, 1664, Gemäldegalerie, Berlin
- Non, monsieur, ce n’est pas La jeune fille à la perle de Johannes Vermeer !
- Pourtant j’ai entendu à la radio qu’elle serait dans l’exposition…
- Puisque je vous dis que ce n’est pas elle ! Vous confondez, monsieur. Le tableau qui est accroché devant nous se nomme La jeune fille au collier de perles. Cela n’a rien à voir…
Plantés à mes côtés, un homme moustachu et une dame, affublée d’énormes montures de lunettes en écaille, se disputent sur le titre de la toile. J’interviens.
- Madame a raison, monsieur. Malheureusement, la fameuse « Joconde du Nord » ou Jeune fille à la perle est restée chez elle à La Haye. Le Mauritshuis n’a pas voulu se séparer, avec la Vue de Delft, de ses deux chefs-d’œuvre de l’artiste qui font la renommée du musée. Dommage pour l’exposition du Louvre qui aurait atteint des sommets… Mais vous ne perdez pas trop au change, cette toile-ci est superbe.
Déçu, l’homme me dévisagea, regarda une dernière fois le tableau, puis s’éloigna. La dame le suivit en me souriant. Elle me lança d’un air moqueur : « La jeune fille à la perle ? Il n’a pas dû voir le film… ».
Introduction
Une exposition exceptionnelle « Vermeer et les maîtres de la peinture de genre » vient d’ouvrir ses portes au musée du Louvre à Paris.
80 peintures des maitres hollandais de la peinture de genre du 17ème siècle, siècle d’or hollandais qui va voir s’épanouir quelques-uns des peintres les plus importants de l’histoire de la peinture, sont réunies. Pour la première fois à Paris depuis 1966, douze chefs-d’œuvre de Johannes Vermeer, soit le tiers de ses tableaux connus, ont pu être rassemblés dans le musée. Un exploit…
L’exposition est conçue afin de permettre une confrontation directe entre la peinture de Johannes Vermeer et celle de ses contemporains. A cette époque, la plupart des grands peintres de genre se connaissaient, s’appréciaient, et s’inspiraient les uns des autres : leur rivalité leur permettait de se surpasser pour aboutir à une remarquable richesse dans la qualité.
Passionné d’art hollandais de cette période, je place Vermeer en premier dans ma hiérarchie personnelle de l’histoire de l’art. J’ai eu la chance, en 1996, d’assister à la spectaculaire exposition, qui se tint à La Haye, dans laquelle 23 œuvres du maître sur 35 connues étaient présentées.
Je ne pense pas pouvoir, à mon grand regret, pour cause de troubles oculaires, me rendre à l’exposition. Toutefois, je viens de recevoir la lettre mensuelle des "Amis du Louvre", dont je fais partie, m'informant, d'une part de l'affluence record de l'exposition, ce qui ne m'étonne guère : compte tenu de la petite taille des toiles il va être difficile de les voir confortablement, d'autre part que quelques dates spéciales sont dédiées aux adhérents, surtout celles du matin, les moins encombrées. Alors... je vais voir, car Vermeer est unique.
Pour en avoir vues la plupart en Hollande ou à Paris, pour certaines plusieurs fois, je connais chacune des peintures de l'artiste exposées au Louvre. J’ai donc l’intention, dans les semaines à venir, de proposer des visites, ou pérégrinations virtuelles, dans l’exposition. Ainsi, je vous montrerai les toiles du « Sphinx de Delft », celles que j'aime, qui sont exposées et les rapprocherai de toiles d’autres artistes hollandais présentes également. Les mêmes thèmes reviennent régulièrement dans la peinture de genre : correspondances amoureuses, la musique, la broderie, la toilette, les métiers...
Puissent ces visites virtuelles permettre à ceux qui ne pourront voir l’exposition de découvrir la beauté intemporelles des œuvres de Johannes Vermeer « le maître de la lumière ». Peut-être serez-vous incités, malgré le nombre des visiteurs qui vont venir nombreux, à venir les contempler au Louvre…
Avant de commencer la semaine prochaine la visite de mes toiles préférées du maître présentes dans l’exposition, je souhaite vous montrer un des plus beaux tableaux de l’artiste, appartenant à la collection de la Reine d’Angleterre, qui sera malheureusement absent : La leçon de musique.
VERMEER Johannes – La leçon de musique, 1663, Collection Royale, Palais de Buckingham, Londres
La signature est dans le miroir
LES MOTS PARLENT …
Vincent Van Gogh – Autoportrait au chapeau de paille, 1887, Van Gogh Museum, Amsterdam
J’en arrive aujourd’hui à la quatrième et dernière partie de mon enquête consacrée au décès du peintre Vincent Van Gogh le 27 juillet 1890 à Auvers-sur-Oise.
En décembre 2016, lorsque j'ai publié mon roman "QUE LES BLES SONT BEAUX" (en lecture libre comme je l'ai indiqué dans mon blog) qui contait les deux derniers mois de Vincent Van Gogh à Auvers-sur-Oise, je ne connaissais pas de livres d'auteurs américains sur le peintre et de thèse nouvelle sur son assassinat. Pas un seul instant, je ne pensais me lancer dans ce long dossier-enquête qui m’a passionné et m'a permis de conforter ma conviction personnelle, que je vais exposer, qui est celle du suicide.
Auparavant, je voudrais revenir un instant sur cette troisième partie, publiée le 28 janvier dernier, qui présentait la thèse de l’assassinat de Van Gogh proposée dans un livre publié en 2011 « VAN GOGH : The Life » par deux journalistes américains Steven Naifeh et Gregory White Smith. Dans mon article, j’avais bien spécifié que j’avais repris les différents points se rapportant à cette thèse publiés dans le magazine Vanity Fair de mars 2015 que les auteurs du livre avaient signés en fin d’article.
Depuis, j’ai reçu leur livre que j'avais commandé qui a été traduit en 2013 sous le titre « VAN GOGH ». Il s’agit d’une volumineuse biographie de 1230 pages de belle qualité. Une très courte annexe, d’une quinzaine de pages seulement à la fin du livre, s’intitule : « Note sur la blessure mortelle de Vincent ». Cette note a pour but, selon les auteurs, de « proposer un récit des événements du 27 juillet 1890 qui cadre mieux avec ce que nous savons de cet incident et de l’homme, d’examiner les origines de la version communément admise, et d’expliquer pourquoi, à notre sens, cette version ne tient pas ».
Dans cette biographie, l’explication du décès est présentée différemment dans la forme par rapport à celle du magazine, mais les points argumentés sont, évidemment, exactement les mêmes : ils se sont constitués au cours d’une période qui s’étire sur plus de 70 ans… Je rappelle brièvement, ci-dessous, les points essentiels de cette argumentation que j’avais déjà largement commentée dans la troisième partie de l’enquête :
Mon ressenti personnel au sujet de l’argumentation des auteurs du livre rajoutée en toute fin de celui-ci dans une courte annexe, et cela n’engage que moi, n’a pas changé. Le point essentiel de l’argumentation : l’assassinat par des adolescents, est uniquement fondé sur des rumeurs, on-dit, et témoignages décousus de René Secrétan 66 ans après le drame. Cette thèse d’un assassinat présumé reste d’ailleurs largement contestée par de nombreux spécialistes dont le Van Gogh Museum à Amsterdam.
J’en viens enfin à ma conviction personnelle sur la mort de Vincent Van Gogh qui clôturera définitivement cette enquête. Cela va encore être long. Désolé…
L’écrivain Frédéric Pajak a publié en 2016 une biographie sur Vincent Van Gogh. Une de plus me direz-vous, mais celle-ci présente de l’intérêt comme le mentionne Richard Lejeune – Blog ÉGYPTOMUSÉE qui l'a lue. Comme moi, il a également vu récemment l’émission sur ARTE « La Grande Librairie » dans laquelle l’écrivain était invité.
Voici le message que j’ai reçu de Richard :
Mon amie, Quichottine, m’a fait le grand plaisir de lire mon récent roman que j’ai publié sur Calaméo en décembre dernier. Elle a présenté celui-ci sur son blog qui est celui d’une femme de cœur, généreuse, d’une maman émouvante, mais également celui d’une conteuse, poétesse et amatrice d’art que je vous conseille fortement de visiter.
Je me permets de reprendre intégralement son article que l’on peut également retrouver directement sur : QUICHOTTINE… de la bibliothèque au jardin, les moments partagés.
Un très grand merci, Quichottine.
Amitiés.
Alain
Alain Yvars, Que les blés sont beaux, décembre 2016
(à lire sur Calaméo d’un clic sur l’image de couverture)
Vincent Van Gogh – Paysage avec le château d’Auvers au coucher de soleil – juin 1890, Van Gogh Museum, Amsterdam
Troisième partie
THÈSE DE L’ASSASSINAT
J’ai publié le 15 janvier dernier la première partie de mon dossier enquête sur le décès du peintre Vincent Van Gogh à Auvers-sur-Oise. Celle-ci se nommait : « Thèse officielle : Celle du Van Gogh Museum ». Après la deuxième partie : « Souvenirs d’Adeline Ravoux », publiée le 21 janvier, j’en arrive aujourd’hui à la troisième partie du dossier : La thèse de l’assassinat.
Cette thèse récente de l’assassinat repose essentiellement sur le livre publié en 2011 « VAN GOGH : The Life » de deux journalistes américains à succès Steven Naifeh et Gregory White Smith pour lesquels la version officielle du suicide de Vincent Van Gogh n’est pas crédible.
Le livre de ces journalistes est une volumineuse biographie sur le peintre qui expose leur version de l’assassinat, résultat d’une longue enquête découvrant des incohérences dans ce que l’histoire a reconnu comme étant un suicide. D’autres biographies et romans sont apparus ensuite reprenant cette même thèse de l’assassinat.
Simple passionné du peintre, je me suis beaucoup documenté sur l’homme et sa vie pour écrire récemment le roman QUE LES BLÉS SONT BEAUX – L’ultime voyage de Vincent Van Gogh : Vincent raconte au jour le jour les deux derniers mois de sa vie à Auvers-sur-Oise.
J’ai toujours été étonné des nombreuses polémiques engendrées par l’œuvre, la vie et, maintenant, la mort de Vincent. Il n’en aurait pas demandé autant, le pauvre !
Paul van Ryssel (Paul Gachet) – dessin de Vincent Van Gogh sur son lit de mort, 29 juillet 1890
Deuxième partie
LES CAHIERS DE VAN GOGH
Souvenirs d’Adeline Ravoux « La jeune fille en bleu » sur le séjour de Vincent van Gogh à Auvers-sur-Oise - 1953
La première partie de mon dossier-enquête sur le décès de Van Gogh, publiée le 15 janvier dernier, concernait la thèse officielle : celle du Van Gogh Museum.
Aujourd’hui, pour la deuxième partie de l’enquête, de la longue interview d’Adeline Carrié, née Ravoux, agée de 76 ans, je publie, ci-dessous, uniquement la partie de ses propos se rapportant au décès de l’artiste :
Madame Carrié née Adeline Ravoux m’a dressé ses Souvenirs sur Vincent Van Gogh avec l’autorisation de les publier.
Les lecteurs des Cahiers de Van Gogh y trouveront l’atmosphère de l’après-midi du 1er mai 1953 au cours duquel, à Mesnières-en-Bray, elle évoqua devant moi un Vincent Van Gogh qui n’était pas celui qu’une légende torturée m’avait exposé. Ceux qui mettent la vérité au-dessus de toute préoccupation secondaire apprécieront le souffle d’air pur que Madame Carrié fait passer sur la mémoire de Vincent. Elle a droit, à ce titre, à l’expression de la reconnaissance des amis de Van Gogh.
Pistolet qui aurait servi au suicide de Vincent Van Gogh
Depuis quelques années, après plus d’un siècle de quasi-certitude, la thèse officielle du suicide de Vincent Van Gogh le 27 juillet 1890 est remise en doute. En 2011, des écrivains américains et, à leur suite, plusieurs auteurs, dans des biographies ou romans, ont émis une nouvelle hypothèse sur l’assassinat du peintre à Auvers-sur-Oise.
Ces parutions m’ont intrigué et interrogé car il ne me semblait pas que le suicide de Van Gogh pouvait être remis en doute.
J’invite donc les lecteurs qui ont lu totalement ou partiellement mon récent roman : QUE LES BLES SONT BEAUX – L’ultime voyage de Vincent Van Gogh, qui couvre les deux derniers mois de vie de l’artiste à Auvers, ainsi que les personnes que le sujet intéresse, de participer avec moi à un dossier-enquête sur la mort du peintre.
Cette enquête pourrait se faire en 4 parties : thèse officielle ; Souvenirs d’Adeline Ravoux, la fille de l’aubergiste Ravoux ; thèse de l’assassinat ; ma conviction personnelle sur le décès de l’artiste.
Je pense que ce dossier-enquête pourrait être enrichissant pour tous.
VAN GOGH Vincent – Le semeur (d’après Jean-François Millet, 1850), 1889, collection privée
En cette fin du mois d’août 1889, Vincent Van Gogh ne va pas bien…
Depuis de nombreux mois, il est enfermé à l’hospice de Saint-Rémy-de-Provence, dans ce Midi où il est arrivé il y a seulement un et demi. Il veut repartir vers le Nord. Le soleil ne lui réussit pas… Il ne le sait pas encore, dans huit mois, en mai 1890, il reprendra le train pour Auvers-sur-Oise, une commune de la région parisienne, où il retrouvera le docteur Gachet qui sera chargé par son frère Théo de s’occuper de lui.
Vincent manque de confiance dans ses capacités physiques pour entreprendre un voyage : « Je suis étonné qu’avec les idées modernes que j’ai, moi si ardent admirateur de Zola, de Goncourt et des choses artistiques que je sens tellement, j’aie des crises comme en aurait un superstitieux et qu’il me vient des idées religieuses embrouillées et atroces telles que jamais je n’en ai eu dans ma tête dans le nord. »
Pour le moment, l’artiste vient de sortir d’une longue et violente crise. Ne pouvant sortir, il travaille d’arrache-pied dans sa chambre : « Je laboure comme un vrai possédé. J’ai une fureur sourde de travail plus que jamais. Et je crois que ça contribuera à me guérir. Peut-être m’arrivera-t-il une chose comme celle dont parle Eugène Delacroix : « J’ai trouvé la peinture lorsque je n’avais plus ni dents ni souffle ».
N’ayant pas de modèles, il demande à son frère Théo de lui envoyer des gravures de ses peintres préférés. Parmi ces gravures, il entreprend de copier les travaux des champs, dont « Le semeur », de Jean-François Millet. Il ne veut pas faire de simple copie des toiles du peintre mais souhaite en faire une interprétation personnelle : sa propre musique…
Lettre à Théo – vers le 20 septembre 1889
« J’ai à présent 7 copies sur les dix des « travaux des champs » de Millet.
Je peux t’assurer que cela m’intéresse énormément de faire des copies et que n’ayant pour le moment pas de modèles cela fera que pourtant je ne perdrai pas de vue la figure.
En outre cela me fera une décoration d’atelier pour moi ou un autre.
Ce que je cherche là-dedans et pourquoi il me semble bon de les copier, je vais tâcher de te le dire. On nous demande à nous autres peintres toujours de composer nous-mêmes et de n’être que compositeurs.
Soit – mais dans la musique il n’en est pas ainsi et si telle personne jouera du Beethoven elle y ajoutera son interprétation personnelle – en musique et alors surtout pour le chant l’interprétation d’un compositeur est quelque chose, et il n’est pas de rigueur qu’il n’y a que le compositeur qui joue ses propres compositions.
Bon – moi, surtout à présent étant malade, je cherche à faire quelque chose pour me consoler, pour mon propre plaisir.
Je pose le blanc et noir de Delacroix ou de Millet, ou d’après eux, devant moi comme motif.
Et puis j’improvise de la couleur là-dessus, mais bien entendu pas tout à fait étant moi, mais cherchant des souvenirs de leurs tableaux - mais le souvenir, la vague consonance de couleurs qui sont dans le sentiment sinon justes - ça c’est une interprétation à moi.
Un tas de gens ne copient pas, un tas d’autres copient – moi je m’y suis mis par hasard et je trouve que cela apprend et surtout parfois console.
Aussi alors mon pinceau va entre mes doigts comme serait un archet sur le violon et absolument pour mon plaisir. »
Jean-François Millet – Le semeur, 1850, Museum of Fine Arts, Boston
Vincent Van Gogh – Le semeur (d’après Jean-François Millet 1850), 1889, Collection privée
En 1891, l’écrivain Octave Mirbeau, dans « L’écho de Paris », ne pouvait faire une plus belle analyse du travail de l’artiste :
Octave Mirbeau – L’écho de Paris, 31 mars 1891
« Dans « Le semeur », de Millet, rendu si surhumainement beau par Van Gogh, le mouvement s'accentue, la vision s'élargit, la ligne s'amplifie jusqu'à la signification du symbole. Ce qu'il y a de Millet demeure dans la copie ; mais Vincent Van Gogh y a introduit quelque chose à lui, et le tableau prend bientôt un aspect de grandeur nouvelle. Il est bien certain qu’il apportait devant la nature, les mêmes habitudes mentales, les mêmes dons supérieurs de création que devant les chefs-d’œuvre de l’art. Il ne pouvait pas oublier sa personnalité, ni la contenir devant n’importe quel spectacle et n’importe quel rêve extérieur. Elle débordait de lui en illuminations ardentes sur tout ce qu’il voyait, tout ce qu’il, touchait, tout ce qu’il sentait. Aussi ne s’était-il pas absorbé dans la nature. Il avait absorbé la nature en lui ; il l’avait forcée à s’assouplir, à se mouler aux formes de sa pensée, à le suivre dans ses envolées, à subir même ses déformations si caractéristiques. Van Gogh a eu, à un degré rare, ce par quoi un homme se différencie d’un autre : le style. Dans une foule de tableaux, mêlés les uns aux autres, l’œil, d’un seul clin, sûrement, reconnaît ceux de Vincent Van Gogh, comme il reconnaît ceux de Corot, de Manet, de Degas, de Monet, de Monticelli, parce qu’ils ont un génie propre qui ne peut être autre, et qui est le style, c’est-à-dire l’affirmation de la personnalité. Et tout, sous le pinceau de ce créateur étrange et puissant, s’anime d’une vie étrange, indépendante de celle des choses, qu’il peint, et qui est en lui et qui est lui. »
Colis de Noël
Extrait de l’« Introduction » du roman :
« Auvers-sur-Oise…
Au printemps de l’année 1890, l’itinéraire tourmenté du peintre mène ses pas dans ce petit village situé au nord de la région parisienne. Il revenait du Midi où il avait connu de longues périodes de souffrance et un séjour d’une année, à sa demande, dans l’hospice Saint-Paul-de-Mausole à Saint-Rémy-de-Provence. A Auvers, la prescription médicale du docteur Gachet qui le soigne est simple : « jetez-vous hardiment dans le travail, distrayez-vous, pensez à autre chose. »
Vincent va suivre les préceptes du docteur à la lettre. Au sommet de son art, il peint dans une débauche d’énergie, parfois plus d’un tableau par jour. Nombre des toiles de cette période sont des chefs-d’œuvre.
Plusieurs fois, je me suis rendu dans cette petite commune longeant les berges de l’Oise où la présence de l’artiste est encore perceptible. Je l’ai rencontré. Il est devenu un ami.
Cette rencontre s’est transformée en un récit écrit par Vincent lui-même. Tour à tour joyeux, mélancolique, parfois sombre, il conte, au jour le jour, son ultime pérégrination de deux mois dans Auvers. Il nous fait partager ses goûts, ses désirs, sa curiosité, ses rencontres, décrit son activité quotidienne, explique sa peinture, et, surtout, exprime son amour de l’art qui le fait répéter souvent : « Il y a du bon de travailler pour les gens qui ne savent pas ce que c'est qu'un tableau ».
Vincent Van Gogh, le solitaire, l'incompris, aurait aimé cette histoire qui est la sienne. »
A l’approche de Noël, Vincent et moi sommes heureux de vous faire partager ce livre numérique commencé il y a une dizaine d’années. Il est librement consultable en cliquant sur sa couverture. Les fonctions interactives permettent d’adapter la vision la plus confortable pour chacun : par exemple, pour moi, le mode de lecture le plus agréable à l’écran me paraît être la « Vue défilante », en grossissant légèrement les caractères. Pour les personnes qui préfèrent utiliser des liseuses ou tablettes, je peux leur envoyer un fichier PDF ou DOC.
Vincent m’a soufflé qu’il aimerait connaître les commentaires des lecteurs qui seront intéressés par son histoire afin que nous puissions leur retourner une réponse amicale personnalisée.
Bonne lecture et JOYEUX NOEL à tous.
Vincent Alain
VAN GOGH Vincent - Marguerite Gachet au piano, 1890, Kunstmuseum Basel, Suisse
- Mettez-vous en place, Marguerite !
La jeune fille ne semblait guère pressée de reprendre la pose. Elle avait enfin tenu sa promesse. Depuis mon arrivée dans la région, je la relançais régulièrement pour qu’elle me permette de faire son portrait devant son piano. Le soir, dans ma chambre, j’imaginais la pose, les couleurs, la forme.
Paul m’aida à déménager la table au centre de la pièce. Le piano fut installé près de la fenêtre, en pleine lumière. J’avais besoin d’espace autour du chevalet pour travailler.
Hier, après un premier croquis préparatoire à la pierre noire, j’avais attaqué la peinture. Le mur blanchâtre et le parquet en chêne de la pièce étaient trop ternes pour être repris à l’identique. J’avais recréé le fond du décor en étalant une première couche de peinture très diluée : une laque de géranium sur le sol et un vert Véronèse mixé de jaune sur le mur. Au soir, la toile était déjà bien avancée, surtout dans les teintes claires : la blondeur des cheveux, la robe blanche, les mains.
J’installai la toile étroite encore fraîche de la veille sur le chevalet. Cette semaine j’avais utilisé pour les paysages un nouveau format de 1 mètre de haut sur 50 cm de large. Il m’avait été inspiré par les estampes japonaises. Ce format allongeait les formes du modèle, ainsi je l’avais gardé pour le portrait tout en hauteur.
Marguerite s’assit devant le piano. Je ne lui avais guère laissé le choix pour sa tenue vestimentaire. Je tenais à ce qu’elle revête sa robe blanche serrée à la taille, avec cette ceinture rouge qui lui moulait les hanches à ravir. Sa chevelure claire relevée en chignon très haut placé dégageait son fin profil.
Les teintes posées la veille sur la toile s’étaient raffermies en séchant. Je voulais terminer le fond du décor, les autres éléments se mettraient en place d’eux-mêmes. De la pointe du pinceau, je piquai le mur verdâtre de petits points orangés très fins, puis, avec un pinceau plat, le tapis rouge fut couvert de bâtonnets vert olive placés dans le sens de la hauteur. Les couleurs complémentaires vertes et rouges posées près l’une de l’autre s’exprimaient pleinement. La relation qui existait entre les couleurs me surprenait toujours.
La tension habituelle montait en moi. Je savais que le résultat de mon travail dépendait des minutes à venir.
Ma brosse trempée dans le bleu de Prusse enroula délicatement le bas de la robe pour ne pas la salir. Avec la même couleur, je fignolai le dessin du piano, la bougie, le cahier de musique et le tabouret sur lequel Marguerite, assise, pianotait, rêveuse, la tête légèrement penchée sur le clavier. Furtivement, elle se tourna vers moi. Ses yeux azurs pétillèrent un instant. Elle m’offrit à nouveau son profil.
Je changeai de brosse pour accentuer la pâleur du visage. Avec le même ton, les mains furent allongées. Esquissées à peine, elles paraissaient plus légères sur le clavier. La qualité des mains dans mes portraits était essentielle. « Elles sont aussi importantes que l’ovale du visage ou l’expression d’un regard, elles causent, disais-je souvent à Théo ».
Mon travail avançait. Je peignais avec l’entrain d’un marseillais mangeant de la bouillabaisse. Goulûment…
Le pinceau imbibé de laque géranium borda le haut du vêtement, puis rosit ensuite les plis de la robe dans le frais de la couleur blanche. La laque déposée pure accentua le rouge de la ceinture.
Je voulais vérifier chaque détail et ne cessait de tourner autour de Marguerite. « Arrêtez Vincent, cria-t-elle en riant, vous me donnez mal au cœur ! » Le tableau me satisfaisait. Les contrastes étaient puissants, les couleurs s’équilibraient. Mes bâtonnets répartis fermement sur l’ensemble de la toile remplaçaient le modelé et suggéraient le mouvement. Quelques touches finales achevèrent mon travail.
En mouchetant le mur de points orangés, j’avais pensé à mon vieux copain Paul Signac, adepte de cette technique. Elle était déjà loin l’époque où je le suivais dans la campagne proche de Paris, vers Asnières et Clichy, en bord de Seine. Je tentais de pratiquer son style fait de petites touches accolées. Trop rigoureux pour moi ! Mon art avait besoin de respirer, sans contrainte.
- Vous pouvez quitter la pose Marguerite, dis-je joyeusement !
La jeune fille se leva pour voir mon œuvre. Son image sur la toile lui plut instantanément.
- Merci Vincent. Vous savez faire chanter les couleurs.
- Vous aimez ?
Dans le « oui » étouffé de sa réponse, je sentis de l’émotion.
- Les japonais m’ont tout appris, Marguerite. A l’étude de leurs toiles, j’ai compris que l’utilisation des couleurs pures pouvait donner un résultat harmonieux. Il suffit simplement de les mettre en musique comme vous le faites si bien avec les notes sur votre piano.
Je me disais que cette toile aux tonalités roses ferait très bien avec une autre, de blés, peinte en largeur récemment dans des tons vert pâle. J’avais encore en mémoire des paroles anciennes écrites à Théo : « Nous sommes encore loin avant que les gens comprennent les curieux rapports qui existent entre un morceau de la nature et un autre, qui pourtant s’expliquent et se font valoir l’un l’autre ».
- Cette toile est à vous, Marguerite ! Je vous l’offre en remerciement de ces deux jours de plaisir ! Accrochez-là au mur pour le séchage. N’oubliez pas que vous m’avez promis de poser à nouveau ces jours prochains, avec un petit orgue…
« Promis, Vincent, dit-elle tout bas en s’approchant de moi. » Elle refoula sa timidité habituelle et me déposa un baiser rapide sur la joue.
Texte extrait du roman qui sera publié et offert le 15 décembre prochain : QUE LES BLES SONT BEAUX - L'ultime voyage de Vincent Van Gogh