« Pour moi, un tableau doit être une chose aimable, joyeuse et jolie, oui : jolie. » - Auguste Renoir
Le mot « jolie » dans la citation de Renoir correspond parfaitement au livre de Patrick Godfard publié dans une édition d’art richement illustrée. L’auteur nous présente une dizaine de récits sur quelques-uns des peintres les plus représentatifs de la peinture impressionniste et néo-impressionniste qui révolutionna la peinture académique ambiante à la fin du 19e siècle : Manet, Degas, Cézanne, Monet, Renoir, le Douanier Rousseau, Gauguin, Caillebotte, Van Gogh, Sérusier. Ces courts récits, basés sur des faits véridiques de vie et de travail du peintre, sont étayés de tableaux, citations de l’artiste et commentaires de contemporains.
La critique était féroce pour tous ces artistes avant-gardistes qui étaient régulièrement rejetés du Salon officiel. Leur crédo : touche libre, peinture claire, étude en plein air, tons purs appliqués par petites touches d’un jet sur la toile, observation de la lumière changeante modifiant les couleurs, sensations fugitives et éphémère des choses. Les couleurs, juxtaposées, libérées de toute servitude au dessin, s’exaltaient mutuellement.
Édouard Manet – Portrait d’Émile Zola, 1868, Musée d’Orsay, Paris
Émile Zola, avec Baudelaire, sera l’un des rares à défendre la nouvelle peinture. En 1867, jeune critique d’art, il publiera sur Edouard Manet une longue étude biographique. Il le considérait « comme l’un des maîtres de demain dont la place est au Louvre ». En remerciement, Manet lui offrira son portrait : « Portrait d’Émile Zola ».
Paul Gauguin – D'où venons-nous ? qui sommes-nous ? où allons-nous ? 1897, Museum of fine arts, Boston
PAUL GAUGUIN : « La couleur devient reine. Elle peut défaire la réalité, n’être plus que symbole ». Son long combat contre l’existence et la tyrannie de la couleur se terminera aux Marquises, fatigué et rongé par la syphilis. Avant de mourir, il écrira : « La peinture est comme l’homme, mortel mais vivant toujours en lutte avec la matière. ». Ce jour-là, son voisin s’écriera : « Koké est mort, il n’y a plus d’hommes. »
Vincent Van Gogh – L’Église d’Auvers, 1890, musée d’Orsay, Paris
VINCENT VAN GOGH : Vincent vit son dernier été à Auvers-sur-Oise. Il se sent comme un oiseau en cage dans sa vie et peint désespérément. « Il entend un cri, un cri qui lui semble déchirer la toile. Ce cri des corbeaux s’envolant vers l’horizon ? Ou bien, ce cri, est-ce lui-même ? Le cri de la douleur, le cri de la douleur du monde. » Avant l’acte fatal, Vincent gardera sur lui un brouillon de lettre écrite à Théo : « Mon travail à moi, j’y risque ma vie, et ma raison y a sombré à moitié. »
Claude Monet – Cathédrale de Rouen, 1894, façade ouest, lumière du soleil, National Gallery of Art, Washington
CLAUDE MONET : seul dans une chambre face à la cathédrale de Rouen, l’artiste tente de défier la lumière en peignant une série de toiles de l’église. Au fur et à mesure de l’avancement de la journée, il change de toile afin de capter les variations atmosphériques. Il fait des cauchemars : « La cathédrale me tombe dessus : elle me semble ou bleue ou rose ou jaune… ». À sa mort, en 1926, son ami Georges Clémenceau se serait écrié : « Pas de noir pour Monet ! ».
Auguste Renoir - La Balançoire, 1876, musée d'Orsay, Paris
AUGUSTE RENOIR : Sa peinture est un chatoiement de lumières colorées déposées en flocons par petites touches sur la toile. La lumière se disperse partout animant les objets et les personnages de « La balançoire », qui aurait pu être peinte dans une des allées du Moulin de la Galette et son fameux bal, à Montmartre. Un monde en apesanteur.
Henri Rousseau - La Charmeuse de serpents, 1907, musée d’Orsay, Paris
DOUANIER ROUSSEAU : Un naïf autodidacte qui n’a jamais appris à peindre. Il émeut par ses toiles. Il révèle la primitivité de l’être à travers cette « Charmeuse de serpents » qui charme la nature, annonçant le surréalisme.
Paul Cézanne - Nature morte aux pommes et pêches, 1906, National Gallery of Art, Washington
PAUL CÉZANNE : « Sentir pour mieux savoir, savoir pour mieux sentir ». En ce mois d’octobre 1906, Cézanne est sorti peindre lorsqu’un orage le surprend. Il est mal. Il repense à son ami d’école, Émile Zola, à Aix-en-Provence. Il regrette leur amitié flétrie. Comme une pomme… Il se souvient lui avoir dit autrefois : « Avec une pomme, je veux étonner Paris. »
Edgar Degas - Danseuses en bleu, 1899, musée Pouchkine, Moscou
EDGAR DEGAS : Pour Degas, le dessin primait sur la couleur. Son aspiration unique : exprimer un mouvement qui n’efface pas la ligne. Photographe, avec quatre clichés de ses « Danseuses en bleu », il les réunit dans un cercle laissant penser qu’elles ne sont plus qu’une.
Paul Sérusier - Le Talisman, 1888, musée d'orsay, Paris
PAUL SÉRUSIER : À Pont-Aven, Gauguin, qu’il considère comme un prophète (ou nabi en hébreu), lui dicte la réalisation du « Talisman », son célèbre tableau : « Comment voyez-vous ces arbres ? Ils sont jaunes. Eh bien, mettez du jaune ! Cette ombre, plutôt bleue, peignez-la avec de l’outremer pur ! Ces feuilles rouges ? Mettez du vermillon ! »
J’ai lu une excellente introduction, sensible, trop courte à mon goût, à l’histoire de l’art. J’avais déjà beaucoup apprécié en début d’année le livre de Patrick Godfard : « Les fêtes galantes ou les rêveries de Watteau et Verlaine ». J’ai retrouvé avec plaisir ce passionné de peinture : « Enfant, j’adorais faire les puzzles de tableaux célèbres. C’était comme une ivresse : un éparpillement de couleurs sans formes, un magma de pensées, d’émotions. Je devenais Renoir, je devenais Monet, je devenais Gauguin. »
Commentaires
Hello Alain, je ne m'étonnes pas que tu puisses aimer Patrick Godfard, un auteur très talentueux dans sa diversité de sujets et dans ce livre, on peux penser que vous vous êtes retrouver pour expliquer la peinture et les auteurs de celle-ci , sur un ton qui se ressemble!!! Bravo et merci à vous deux Bisous Fan
Comme tu l’as constaté, Fan, cet auteur est un historien. Il a déjà écrit plusieurs livres historiques et fait des traductions.
Il se trouve que j’avais beaucoup apprécié à Noël dernier son livre qui m’avait été offert : Les Fêtes Galantes ou les rêveries de Watteau et Verlaine. Un livre très érudit que j’avais chroniqué sur le blog.
Tu viens de lire mon opinion sur le dernier livre de cet historien, également passionné d’art. C’est vrai qu’il parle de peinture, un peu comme je le fais, par des récits et une iconographie qui leur correspond. La seule différence entre nous est qu’il est un peu plus pédagogique que moi dans son approche. Mes récits sont souvent eux aussi pédagogiques, mais écrits sur un ton romanesque. La recherche est la même : présenter l’art en intéressant et permettant d’avancer dans la connaissance.
Merci Fan.
Belle journée.
Marlène m'a offert ce beau quatrain su FB. Je me devais de le mettre sur le blog car il correspond très bien aux intolérances rencontrées par les impressionnistes dans leur début :
"Souvent le génie est zone de turbulences
Car ses changements sont courants d'adversités
D'intolérance en plus d'autres perversités
Le privant au début des cieux de succulences..."
Merci Marlène pour ce quatrain de haute volée.
Riches de ce passé aux multiples nuances
Nous pouvons admirer dans leurs diversités
Ces œuvres sans juger des universités
Car le bon goût de l'art dépend des influences !
Souvent le génie est zone de turbulences
Car ses changements sont courants d'adversités
D'intolérance en plus d'autres perversités
Le privant au début des cieux de succulences...
Bonsoir cher Alain,
Tu m'as devancée je pensais te poster mes quatrains ce week-end. Il me manque 2 tercets et j'aurai mon sonnet pour illustrer tes posts passionnants sur ces grands peintres qui furent des précurseurs chacun d'un mouvement enrichissant cet art de si belle manière.
Bises et bon week-end
Je te fais grâce des deux tercets manquants. C’est vraiment passionnant de pouvoir ainsi s’exprimer avec des vers. Le talent…
Cela me fait penser à Cyrano de Bergerac : " lorsque j’ai fait un vers, et que je l’aime, je me le paye, en me le chantant à moi-même ".
Merci Marlène.