Édouard Munch – Vampire, 1895, musée Munch, Oslo
« Dans mon art, j’ai cherché à m’expliquer la vie et son sens – j’ai aussi eu l’intention d’aider les autres à comprendre leur propre vie. »
« Le Cri », tableau d’Édouard Munch peint en 1893, a fait le tour du monde. Pourtant, peu de personnes connaissent ce peintre, en dehors des passionnés ou spécialistes de peinture symboliste et expressionniste. Le superbe catalogue de Claire Bernardi publié pour l’exposition actuelle du musée d’Orsay m’a été offert.
J’ai voulu en savoir plus.
L’imaginaire du peintre est vaste. Ce qu’il veut exprimer dans ses toiles, plus particulièrement dans un tableau nommé « Métabolisme » faisant écho au motif biblique d’Adam et Eve, est une continuité vitale entre humains et nature qui prend corps dans la relation amoureuse entre un homme et une femme. Ce thème de l’amour est développé dans sa naissance, son développement et sa fin, envisagé de manière cyclique. Selon Munch, la nature serait un corps traversé par des humeurs et des énergies, forces d’animation universelles, image de la vie dans un perpétuel recommencement.
Édouard Munch – Métabolisme, 1898, musée Munch, Oslo
La première exposition de Munch à Berlin en 1892 provoque un tollé devant une peinture totalement incomprise. Il devient le pionnier de l’expressionnisme dans la peinture moderne, s’inscrivant dans la lignée de ces artistes qui inventent une nouvelle esthétique faite de couleurs vives, de lumière, marquant l’évolution de l’art du début du 20e siècle.
« La Frise de la vie » comme il la nomme est son grand projet artistique. Une continuité entre les œuvres est le fondement de sa conception cyclique de l’art. « La frise doit être considérée comme une suite de peintures décoratives qui, prises ensemble, entendent donner une impression de vie. ». Les différents âges de la vie sont exprimés à travers les émotions liant les compositions comme la longue chevelure féminine de la couverture du catalogue évoquant les liens de l’homme à la nature. « Ses cheveux s’étaient enroulés autour de moi comme des serpents rouge sang. »
Nous retrouvons dans « La frise de la vie » les toiles les plus importantes de l’œuvre : le Cri, la puberté, le baiser, anxiété, désespoir, vampire, mélancolie, jalousie, séparation.
Édouard Munch – Le Cri, 1893, musée nationale de Norvège, Oslo
« Le Cri »
Dans un carnet de notes, Munch écrit plusieurs textes expliquant la création de ce célèbre tableau qui prit forme à la vue d’un paysage qui l’entourait : « … Le soleil était en train de se coucher - le ciel est soudain devenu rouge sang - j’ai éprouvé comme une bouffée de mélancolie… j’ai regardé les nuages qui flamboyaient comme sang et épée – j’étais là, tremblant d’épouvante - et j’ai ressenti comme un grand cri infini à travers la nature. »
Ce visage épouvanté, déformé et asexué serait un cri existentiel face au caractère transitoire de la vie, face à l’amour, face au monde et à sa complexité.
En parallèle avec la peinture, tout au long de sa vie, Munch poursuit une activité littéraire : journal, correspondances, essais, poésie en prose. Les thèmes essentiels de sa peinture tirés de sa propre existence, se retrouvent dans ses écrits : maladie, amour, famille, peur, mort.
Édouard Munch – Madone, 1894, musée nationale de Norvège, Oslo
Le magnifique tableau « Madone », sacre de la beauté féminine, femme source de vie, me paraît correspondre parfaitement au texte de l’artiste écrit ci-dessous :
« Le clair de lune glisse sur ton visage
Empli de toute la beauté – et la douleur – du monde
Tes lèvres sont tels deux serpents rubis
Et pleines de sang comme le fruit cramoisi
Elles s’écartent comme sous l’effet de la douleur
Le sourire d’un cadavre. »
Édouard Munch – Le soleil, 1911, Université d'Oslo
Dans les années 1910, « Le Soleil » occupe la place centrale du mur du fond d’un travail décoratif monumental dans la salle de réception de l’université royale Frederik à Kristiana. Cette peinture symboliste donne une vision de la puissance régénératrice de la lumière.
Munch m’a subjugué par son talent, même s’il a parfois un côté désespérant qui peut ne pas plaire.
Il peint des personnes vivantes qui respirent, s’émeuvent, souffrent, aiment et meurt. Au-delà de la forme stylisée, ses œuvres explorent les sentiments intérieurs et les expériences de la vie. J’ai repensé à Vincent Van Gogh : « J’ai compris qu’il ne fallait pas dessiner une main, mais un geste, pas une tête parfaitement exacte, mais l’expression profonde qui s’en dégage, comme celle d’un bêcheur reniflant le vent quand il se redresse, fatigué. »
Édouard Munch – Cupid et Psyché, 1907, musée Munch, Oslo
Commentaires
je me rends compte que je ne sais rien de Munch. Je me suis arrêtée à son cri qui m'a paralysée et désespérée.
Je ne savais pas grand-chose non plus sur Munch, Geneviève, avant que l’on m’offre ce très beau catalogue. J’ai découvert un peintre de talent qui m’a étonné dans certains de ses tableaux. Je ne me déplacerai pas pour le voir car ce n’est pas la peinture que j’aime. Cela valait la peine de tenter de comprendre et analyser son style de peinture.
Merci de votre passage, Geneviève.
Merci pour cet envoi, riche et bien documenté comme toujours. Le poème de Munch à propos de son tableau la Madone est magnifique à l'exception du dernier vers sur les lèvres du cadavre. Au contraire, le sourire de ces lèvres est à la fois nostalgique et plein de sensualité...
R.PONTIER
Munch accompagnait souvent certains tableaux d’excellents poèmes. La Madone est effectivement superbe et n’est pas comparable à un cadavre.
Ce peintre triste et anxieux m’a étonné et ce catalogue montre l’étendue de son talent.
Merci pour votre passage.
le tableau la madone et son poème me fait penser au poème de Baudelaire la charogne morbide mais magnifique. !
Je ne rappelais plus de ce poème de Baudelaire. Terrible, mais effectivement très beau.
Merci.
Bonsoir Alain ou Bonjour,
Cela dépend de l'hémisphère de créativité, entre veille et sommeil, dans lequel nous nous trouvons...
Que de plaisir ai-je pris à lire votre article!
J'adore Munch! Je ne peux que le dire ainsi.
Le Cri s'est emparé de moi un jour, comme ça, comme une étincelle...
le Cri est entré dans mon coeur et j'ai ressenti la force désespérée et pourtant riche de possibilités qui hante cette oeuvre si spéciale.
Munch, un écorché de coeur, de corps et d'âme... Je me sens en résonance avec cette manière de peindre et d'exprimer et je vous remercie ardemment pour votre présentation si riche et pertinente.
J'adore l'oeuvre intitulée Madone, elle vibre de flammes rubis et noires! Le poème est superbe et je suis envoûtée par Vampire que j'ai eu la chance de contempler il y a quelques années lors de l'exposition consacrée au Romantisme Noir: L'Ange du Bizarre. Bref, vous comprendrez que je suis très sensible à l'oeuvre de Munch, à sa folie ardente, à sa complexité qui prend les tripes, à sa fougue viscérale.
Merci donc pour cette publication.
Je vous souhaite une belle santé en cet automne compliqué... mais cependant qui nous donne ses couleurs.
Je suis peu sur le net mais je n'oublie pas mes aminautes et je continue mon chemin dans les Arts Martiaux...
Belle fin de semaine Alain, Amitiés
Cendrine
Cela me fait toujours plaisir, Cendrine, de lire vos rares commentaires éclairés que j’apprécie car vous êtes compétente en matière d’art.
Je me suis intéressé à Munch un peu par hasard, ma fille m’ayant offert le catalogue. Il ne faisait pas partie de mes peintres préférés, mais il a sérieusement remonté dans mon estime.
Évidemment le Cri reste le tableau emblématique de cet étrange peintre qui ressentit un jour une sorte de cri existentiel face à la vie et sa complexité, comme il l’explique. Cela m’étonne toujours de voir que ce genre de peinture exprime une émotion aussi forte. Je pense à Guernica de Picasso.
Le poème de Munch colle parfaitement à ce beau tableau qui est Madone et fait aussi penser, comme me le dit un commentaire, au Baudelaire sombre et horrible.
J’ai souffert cette semaine en voyant un homme au Mauritshuis se coller le visage sur ma « Jeune fille à la perle » de Vermeer. Pourvu qu’ils ne s’en prennent pas à des toiles non protégées.
Cet automne-été n’en finit pas. Cela n’est pas réjouissant pour l’avenir même si cela est bien agréable.
Je vais aller voir votre article récent. Les arts martiaux semblent vous convenir. Nous cherchons, tous, pauvres humains, un chemin vers ce qui nous correspond le mieux. Mais vous resterez toujours une artiste.
Mes amitiés, Cendrine.
Très beau dimanche.
De Vangh Gogh, Gauguin, Munch tu nous sculptes aux dons
Des maîtres, ceignant l'arc qui fait des rigodons*
Sur leur génie et tel un graveur de mémoire...
Bonsoir .Alain,
J'ai déjà remanié et publié et le sonnet final mais je te livre la version personnalisée que j'ai composée pour toi.Merci pour ces bons moments de culture que tu nous fais partager.
Bises
C'est un sonnet en quatre parties. Tu laisse planer le suspens. Superbe !
Merci de partager ces moments de culture. La peinture n'attire plus les foules de nos jours, sauf dans les musées et chez les curieuses comme toi.
Oui Alain je sais et je le constate dans ma propre famille où l'écho de mes poèmes se fait dans le plus grand silence !
Ici c'est un sonnet classique toujours composé de 2 quatrains et 2 tercets soit 14 vers. Le plus couru est le sonnet français dont les rimes symbolisées en lettre se répartissent ainsi en formule ABBA ABBA CCD EDE avec une alternance de rimes féminines et masculines à chaque strophe. La poésie classique a ma préférence mais j''essaie d'y mettre un peu de modernité.
Bonne journée
Merci Alain pour vos articles passionnants et merci à tous vos lecteurs fidèles qui ajoutent des commentaires de qualité et très instructifs.
Les lecteurs fondent au fil des années, mais je garde ma ligne d’origine. La peinture reste mon plaisir principal, complétée depuis quelques années par la poésie dont je me suis aperçu que beaucoup de nouveaux poètes de qualité, surtout des femmes, apparaissent de nos jours. La peinture et la poésie se marient bien.
Merci, Geneviève, pour votre fidélité.