En pleine période estivale, je me suis offert une visite au Louvre. La clim était la bienvenue ! Il faut dire que l’affiche était alléchante : PASTELS du Musée du Louvre 17e et 18e siècles.
Le musée a la chance de posséder la plus importante collection mondiale de pastels des 17e et 18e siècles : 156 pastels du siècle des lumières, uniquement des portraits de nobles et bourgeois fortunés, étaient présents dans cette exposition qui s’est terminée le 10 septembre dernier.
Un imposant compte-rendu de ma visite montre un aperçu de quelques-uns des chefs-d’œuvre qui ont retenu mon attention. Le choix était particulièrement ardu car la collection du Louvre est exceptionnelle.
Je me suis vu contraint de laisser de côté les pastels du 17e, moins importants et peu nombreux, pour concentrer mes articles sur le 18e siècle, le siècle d’or du pastel en France. Je vous donne ci-dessous le programme des cinq articles que je vous propose de partager avec moi, tous entièrement consacrés à cette merveilleuse technique du pastel que j'ai beaucoup utilisée à une certaine époque lorsque je peignais pour le plaisir :
1. À tout seigneur, tout honneur, je parlerai en premier d’une femme, Rosalba Carriera, une vénitienne, à qui l’on doit la mode du pastel au 18e siècle en France. Lors de son passage à Paris en 1720, elle enthousiasma les peintres français par son talent et inspira le grand Quentin de La Tour.
2. Maurice Quentin de La Tour, le plus célèbre des pastellistes français mérite par la quantité et la qualité de sa production un article pour lui seul.
3. et 4. Il me faudra deux articles pour montrer les meilleurs à mes yeux parmi les autres pastellistes exposés. Et ils sont nombreux…
4. Je garderai Jean-Baptiste Siméon Chardin pour le final. Spécialiste de peinture à l’huile, il laissera, sur la fin de sa vie, des pastels parmi les plus beaux de l’exposition. A cette occasion, je rééditerai, avec quelques modifications, un de mes anciens récits dont le thème était consacré au pastel et à Chardin.
Cinq articles consacrés au pastel vont donc se suivre. Vive le pastel !
Rosalba Carriera – Autoportrait en hiver, 1730, Gemäldegalerie, Dresde
« Le tableau présenté à l’Académie est composé d’une demi-figure grande comme nature représentant une muse ; c’est un précis de toutes les parties de la peinture, tant pour les coloris et pour la finesse des touches, il contient toutes les grâces et les ornements dont une demi-figure est susceptible ; on peut dire en général que la Rosalba donne à tous ses sujets le caractère de son esprit, la vivacité de ses pensées et les grâces de ses expressions. Il faut convenir que cette Damoiselle a trouvé l’art de traiter ce genre de Peinture d’une manière où personne n’était arrivé avant elle, ce qui a fait dire aux plus habiles que cette sorte de pastel, avec la force et la vérité des couleurs, conserve de certaines fraîcheurs et légèretés dans les transparents qui sont au-dessus de la peinture à l’huile. »
Rosalba Carriera – Nymphe de la suite d’Apollon, 1721, musée du Louvre, Paris
L’éloge à Rosalba Carriera écrit dans le Mercure de France de février 1722 est à la hauteur du talent de la Rosalba et de son morceau de réception Nymphe de la suite d’Apollon lors de son admission à l’Académie royale de peinture et sculpture à Paris le 26 octobre 1720.
Invitée par un financier amateur d’art, Pierre Crozat, le séjour à Paris de l’artiste de mars 1720 à avril 1721 est un énorme succès. Le tout Paris veut connaître cette femme pastelliste dont la réputation a franchi les frontières. A cette occasion, elle peint le jeune dauphin Louis XV. Cet enfant de 10 ans paraît déjà fier et conscient de son destin.
Rosalba Carriera – Portrait du dauphin de France Louis XV, 1720, Gemäldegalerie, Dresde
Durant plusieurs mois, les parisiens font le siège de son lieu de résidence où elle rencontre des artistes comme Watteau, qu’elle peint également, et François Boucher. La qualité de son travail va devenir un modèle pour de nombreux pastellistes. Maurice Quentin de La Tour, admiratif, abandonne la peinture à l’huile pour le pastel.
La mode du pastel est lancée en France. Cette technique chatoyante, colorée, spontanée et fragile sera très recherchée tout au long du 18e siècle.
Née en 1675 à Venise, cette jeune femme d’un milieu modeste avait débuté comme dentellière, métier de sa mère, puis peintre de miniatures pour lesquelles elle obtint rapidement une grande renommée. Ses boîtes à tabac ornées de miniatures sur ivoire ont un grand succès auprès de la clientèle étrangère. Le pastel, peu répandu à cette époque, devient ensuite sa spécialité. Elle faisait merveille dans cette technique au rendu vaporeux et lumineux, très apprécié par une clientèle élégante.
Rosalba Carriera – Buste de jeune fille, 1708, musée du Louvre, Paris
La réputation internationale étant au rendez-vous parisien, les nobles des cours européennes l’assiègent de commandes qu’elle a bien du mal à honorer.
Rosalba Carriera – Antoinette Barbonne Thérèse Languet de Gergy, 1726, musée du Louvre, Paris
Dans les années 1730, déjà âgée, invitée à Vienne à la cour d’Autriche, elle peint plusieurs membres de la famille impériale.
Puis la très belle vénitienne Caterina Sagredo Barbarigo qu’elle portraiture plusieurs fois.
Rosalba Carriera – Une dame vénitienne de la maison Barbarigo, 1735, Gemäldegalerie, Dresde
Progressivement, à partir de 1745, sa vision va s’affaiblir. Malgré une opération de la cataracte, cette reine de la couleur finit sa vie dans le noir complet et meurt dans sa ville natale de Venise à l’âge de 82 ans.
La principale qualité de cette artiste était son style spontané qui lui permettait de saisir la dominante de l’apparence de ses modèles directement sur le support, sans dessin préalable. Son œuvre importante de pastelliste inspirera le travail de toute une génération de jeunes peintres en France qui n’auraient certainement jamais osé faire leur art de cette technique, un moyen d’expression égal à la peinture à l’huile et le dépassant souvent.
Le pastel français du 18e doit beaucoup à cette femme de très grand talent.
Commentaires
J'aime énormément les pastels que tu nous présentes aujourd'hui.
Et j'attends la suite, car ton programme me plaît infiniment.
Merci pour ce partage.
Passe une douce journée.
Je suis heureux que mon programme te convienne.
Il est vrai que c’était particulièrement jouissif pour moi car le pastel a toujours été une technique qui me passionne et que j’ai pratiquée. J’ai arrêté pour cause de problèmes visuels que la poussière du pastel (principal inconvénient) n’arrangeait pas.
L’exposition du Louvre est remarquable en qualité et si tu aimes le pastel tu vas te régaler car je vais montrer les plus belles toiles, qui étaient nombreuses.
Très belle journée.
une belle artiste , merci pour la découverte - de même qu'à mon avis l'aquarelle est incomparable pour "poétiser" les paysages, le pastel est la technique reine pour le portrait, tant elle permet de modeler à l'infini. Mais quid de la conservation de ces œuvres fragiles ? celles ci ont superbement traversé les années, comment cela se peut il ?
Le pastel, comme l’aquarelle, ont beaucoup été utilisés par les peintres, le plus souvent pour la réalisation d’esquisses rapides permettant ensuite de faire un travail définitif en atelier, à l’huile, technique considérée comme la moins inaltérable dans le temps.
Tu connais bien cela, Emma, toi qui peint beaucoup.
Etonnement cette poudre de pastel, qui possède un velouté sans pareil, voyage bien dans le temps si on la protège. Les pastels du Louvre le démontrent en passant les 17e et 18e siècles sans grand dégât.
Les peintres, la plupart du temps, utilisaient des fixatifs pour accrocher la poudre au papier, ce qui permettait de retoucher certaines parties sans problème car l’on peut difficilement surcharger le pastel sec comme on le fait pour l’huile. Si les toiles sont protégées de la grande lumière et des éléments extérieurs, grâce à sa pureté la texture du pastel jaunie peu, ni ne fonce avec le temps. Cela donne, des siècles plus tard, des toiles qui sont souvent mieux conservées que les peintures classiques.
Vive le pastel !
Belle journée Emma
Merci Alain pour cette découverte!! Une artiste qui a débuté comme dentellière (on le remarque dans la finesse de son trait pour le maniérisme de la mode de son époque!! il est certain que le ressenti du pastel est très sensuel!!, je préfère peindre à l'huile !!chacun son choix!! Le dernier tableau présenté est magnifique!! je pense que tu vas nous faire un grand plaisir à te suivre dans ta visite au Louvre!! Bisous Fan
La Rosalba avait un grand talent et fut beaucoup copiée par les peintres français au 18e qui découvraient cette technique.
Je comprends que tu préfères l’huile, Fan, plus malléable, solide et facile à travailler.
Mais la suavité, le rendu du pastel, et cette luminosité inégalable, quel plaisir !
Comme je l’explique à Emma, tu verras dans les prochains articles la qualité exceptionnelle des toiles exposées au Louvre.
Belle journée ensoleillée Fan.
Très intéressante mise en bouche, évidemment, cher Alain, que ce premier article dédié à "La Rosalba", incontestablement la "Reine du Pastel".
Xavier Salmon, Directeur du Département des Arts graphiques du Louvre, indique à la page 52 d'un article du dossier que proposa cet été le magazine "Grande Galerie. Le Journal du Louvre" (n° 44), qu'en vue de cette exposition, tous les pastels du musée "ont été décadrés, certains pour la première fois", au sein d'une importante campagne de restauration et d'étude.
Je te fais grâce des détails passionnants que j'ai appris grâce à son intervention quant à la technique que tu connais évidemment beaucoup mieux que moi, qui n'ai aucune érudition en ce domaine, pour ne retenir qu'un point qui, je pense, pourra s'ajouter à ta réponse à Madame Emma : "Avant la campagne de restauration, environ cinquante pour cent des pastels étaient encore dans leur état du XVIIIème siècle !"
Impressionnant !
Le musée du Louvre a fait un très gros travail sur les œuvres de l’exposition qui devaient être traitées avec soin compte tenu de leur fragilité. Toutes ont été décadrées, dépoussiérées, et restaurées. Elles sont maintenant magnifiques de beauté.
Effectivement, et cela ne m’étonne pas, de nombreuses œuvres avaient gardé leur éclat du 18e. Comme je l’ai dit à Emma, le pigment du pastel s’il est bien conservé ne bouge pratiquement pas. Tu as dû voir à Orsay ceux qui sont dans une petite salle ombragée. L’on y voit des Manet resplendissants ou des Danseuses de l'Opéra de Degas donnant une sensation de vie et de fraicheur comme si le maître venait de les croquer (pas les danseuses !).
Contrairement à ce que beaucoup pense, la grande qualité du pastel est justement sa conservation dans le temps. Tu verras dans le prochain article l’état de fraicheur étonnant des pastels du grand Maurice Quentin de La Tour.
Beau week-end Richard.
Merci Alain pour cette belle découverte. Je suis toujours émerveillée en lisant vos articles et les échanges avec vos fidèles tout aussi érudits. J'attends la suite avec impatience.
Bon week-end ensoleillé.
Le seul intérêt de ce blog est, d’une part de me faire plaisir, d’autre part de proposer des articles de qualité qui retiennent l’attention dans ce monde touffu de l’art.
J’écris également pour le plaisir de partager et de commenter avec des lecteurs qui eux aussi m’apportent leurs connaissances.
Qu’avez-vous retenu de ce premier article sur cette merveilleuse technique du pastel et cette femme, Rosalba Carriera, qui le fit connaître en France au 18e ?
Merci de votre passage.
Excellent dimanche Geneviève.
Bonjour Alain,
Je suis du Sud, de l'Occitanie, le mot "pastel" évoquait pour moi les "coques", le "bleu" qui a fait la richesse du "pays de Cocagne".... Je n'ai pas cherché plus loin jusqu'à ce que je m'intéresse à l'art. J'aime les "pastels" des plus simples, très doux, proches des "dessins aux 3 crayons" à ceux qui m' enchantent par la luminosité des couleurs.
Mais ma "culture artistique" est un peu "en lasagne" faite d'empilements successifs et désordonnés, emmagasinés au fur et à mesure de coups de cœur. Je n'avais jamais eu l'occasion de "rencontrer" Rosalba Carriera mais je sais que je ne l'oublierai pas..... Pas plus que les tendres maternités de Mary Cassatt dont j'ai vu l'expo, cet été à Paris.
Bonne journée Alain
PS : je suis des conférences d'histoire de l'art et le cycle de ce trimestre est "l'art du pastel." ; après 2 séances sur les pastels impressionnistes français, ce soir ce sera le tour des Américains
C’est une excellente idée des cours sur l’histoire de l’art. Et, cela tombe bien, sur l’art du pastel. J’aime beaucoup cette technique qui donne, comme vous le savez, au travail de la couleur un velouté et une luminosité uniques.
Demain je publierai la 2e partie de ma série d’articles qui sera consacrée au grand Maurice Quentin de La Tour dont les pastels sont somptueux. A mes yeux, ses pastels dépassent en qualité la peinture à l’huile. Les pastellistes du 18e avaient un talent incomparable.
J’aime bien votre expression de culture artistique « en lasagne ». De toute façon, dans tous les domaines, la culture est toujours un empilement qui s’organise avec le temps. Alors, il n’y a pas à avoir de complexes car le retard peut se rattraper.
Belle journée Geneviève.
Bonjour Alain,
Hier j'ai bravé les intempéries pour assister à ma conférence du mercredi.
Je ne l'ai pas regretté ! thème du jour : les pastels symbolistes. J'ai particulièrement apprécié ceux de Lucien Lévy-Dhurmer. Le connaissez-vous ?
Merci Geneviève.
Je n’avais jamais entendu parler de Lucien Lévy-Dhurmer. J’ai donc fait une recherche. Je vois que de nombreux portraits de lui sont à Orsay. Cet artiste est très intéressant par la qualité des couleurs et la finesse de son travail au pastel. Je connaissais plus ses amis Emile Bernard, Gustave Moreau ou Odilon Redon. Un beau peintre, artiste de grand talent.
Belle journée.
Surprise (et heureuse) de vous avoir "appris" quelque chose ! Vous en savez tellement ! Je ne connaissais pas le nom de cet artiste. J'ai été surprise de reconnaître certains de ses pastels qui s'étaient "accrochés" je ne sais comment à ma mémoire, en particulier Méduse, Eve, le portrait de Loti, le Silence... Je vais y ajouter Bourrasque. C'est certain je n'oublierai pas son nom : Lucien Lévy-Dhurmer.
Belle journée à vous aussi . La nôtre sera, enfin, ensoleillée ! nous en avons vraiment besoin !
Excellente journée ensoleillée Geneviève. Votre si belle région, endeuillée, en a, pour une fois, bien besoin pour réchauffer les coeurs.