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Van Gogh, l'étincellement

 

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     L’écrivain Frédéric Pajak a publié en 2016 une biographie sur Vincent Van Gogh. Une de plus me direz-vous, mais celle-ci présente de l’intérêt comme le mentionne Richard Lejeune – Blog ÉGYPTOMUSÉE qui l'a lue. Comme moi, il a également vu récemment l’émission sur ARTE « La Grande Librairie » dans laquelle l’écrivain était invité.

   Voici le message que j’ai reçu de Richard :

 

 

Comme je te l'avais signalé, je me suis offert le dernier opus de Frédéric Pajak, « Manifeste incertain », volume 5, intitulé « Van Gogh, l'étincellement ». Parce que c'était Van Gogh, évidemment, mais aussi parce que c'était Pajak dont j'aime le concept d'associer le mot au dessin, tout en n'étant nullement une BD dans laquelle phylactères et images sont consubstantiels, les unes illustrant les autres. Ici, tout au contraire, concept totalement novateur au sein de ses 5 ouvrages, il y a volonté de mettre en parallèle deux langages artistiques différents qui ne se soutiennent pas mais s'accompagnent. En outre, son dessin monochrome constitué parfois de non négligeables plages de noir intensif me plaît beaucoup.

 

En revanche, à la différence d'un précédent volume dédié au philosophe Walter Benjamin, ici, avec Van Gogh, je n'ai rien appris de neuf par rapport à ce que je connaissais déjà grâce à mes études, mes lectures et aussi à toi, bien évidemment, qui as remis beaucoup de choses en place dans mon esprit vieillissant.

 

Sur Auvers, il consacre seulement une vingtaine de pages des 253 que comporte le livre ; sur la fin tragique de Vincent, il résume le texte d'Adeline Ravoux que tu nous as présenté tout dernièrement et sur la thèse de Steven Naifeh  et Gregory White Smith qu'aussi tu nous as proposée assortie de tes réfutations personnelles, seulement 16 lignes.

Il ne prend pas parti : il cite, simplement. 

 

Ce qui m'a paru très intéressant dans ce cinquième "Manifeste incertain", c'est dans le dernier chapitre intitulé "Vincent", (pp. 251-2), chapitre de seulement deux pages qu'il aurait pu nommer "conclusion", dans lequel il donne son propre ressenti, ce passage qu'il m'eût plu de te voir commenter si tu avais été invité l'autre jeudi pour ton Van Gogh à toi, « Que les blés sont beaux »,  à La Grande Librairie, de François Busnel : 

 

"Vincent n'a pas peint des tableaux : il a peint des "études". Études, c'est-à-dire essais, tentatives de voir l'invisible. Car Vincent croyait en une réalité cachée dont le peintre serait le révélateur. Il se moquait d'être malhabile, d'être indigne des canons académiques que pourtant il admirait. Il ne savait pas dessiner, et peindre encore moins. Qu'importe : il fit de ses déficiences une arme, une arme qu'il a eu à cœur de toujours brandir. Malgré l'indifférence. Malgré l'animosité." 

 

 

 

 

     Une ligne, une seule, dans la conclusion de Frédéric Pajak m’a totalement interloqué :

     « Il se moquait d'être malhabile, d'être indigne des canons académiques que pourtant il admirait. Il ne savait pas dessiner, et peindre encore moins. »

     Comment pouvait-on dire cela ?

   Je repensais à ma dernière visite, il a quelques années, au Van Gogh Museum à Amsterdam.

   Ma première rencontre avec Van Gogh au musée d’Orsay n’avait pas été un franc succès. Etonnante Eglise d’Auvers difforme et grimaçante sous un ciel plombé ! Je ne détestais pas… ce style me déroutait. Trop de couleurs. Des touches hachurées posées en pâte épaisse. Une peinture directe, sans fioritures. Je ne percevais pas sa singularité. Moi, j’aimais les impressionnistes qui étaient finesse, subtilité, lumière. Lui était force et couleur.

     Ce jour là, j’étais venu au Van Gogh Museum pour tenter de trouver une explication car l’essentiel de l'œuvre de l'artiste se trouvait dans ce musée : à peine dix années de peinture de 1880 à 1890 et un nombre étonnant de toiles peintes par ce forçat de travail…

    Van Gogh m’avait bluffé ! Je n’avais rien compris à Paris… Assis sur la balustrade faisant face au dernier tableau de la collection : Champ de blé aux corbeaux, j’avais fixé, incrédule, les blés torturés de hachures orangées et ocres, verticales au premier plan, horizontales à l’horizon. Un chemin tortueux s’éclatait en trois branches agressives. Le ciel sombre, orageux, terrifiant, écrasait les blés. Un vol de corbeaux noirs donnait un aspect hallucinant à ce paysage de désolation.

     Les mains crispées sur la balustrade où j’étais assis, un visiteur, les yeux écarquillés rivés sur les blés, semblait atteint du même mal que moi.

- C’est d’une tristesse ! dis-je à voix basse.

- It’s wonderful… Isn’t it ?

- Je n’ai jamais aimé les corbeaux. Ce sont des oiseaux de malheur…

- What a worrying sky !

     Noyés dans notre rêve personnel, nous conversions inconsciemment dans deux langues différentes et nous nous comprenions… Le langage de l’art n’a pas de frontières…

     Je quittai la balustrade. Mon voisin continuait de parler… seul… Ses doigts crispés sur la balustrade tremblaient légèrement.

    Mon opinion était faite… Plus de doute, ce peintre était de la race des meilleurs ! Deux siècles après l’âge d’or hollandais, avec une technique complètement différente, son œuvre était du niveau d’un Rembrandt et même… pourquoi pas… de Vermeer ?

     Je saisissais à présent pourquoi les toiles de Van Gogh me dérangeaient autant à Paris. Cette technique toute en force maîtrisée donnait l’impression qu’un fauve s’était jeté sur la toile pour y planter ses griffes ? Ce Champ de blé aux corbeaux peint en juillet 1890 à Auvers-sur-Oise, sur une toile d’un format de 100 centimètres sur 50 centimètres, était un des derniers tableaux de l’artiste avant son geste désespéré.

     Tout au long du parcours dans le musée, j’avais vu des toiles étonnantes de fraîcheur (Branches d’amandier en fleurs, Le verger rose, Poirier en fleurs), des coloris somptueux (La mer près des Saintes-Marie-de-la-Mer, Bateaux de pêche sur la plage des Saintes-Maries, La moisson), de la poésie naïve (Promenade au bord de la seine, près d’Asnières), et puis des autoportraits étonnants (… en chapeau de paille, … en chapeau de feutre, … au chevalet), des vases de fleurs aux vives tonalités (Glaïeuls, Iris, Les tournesols).

     Une explosion de couleurs… En Arles, sous le soleil de Provence, le style si personnel de l’artiste s’était définitivement installé. Le passage éclair de Gauguin et la fameuse scène de l’oreille coupée, l’avaient perturbés, mais il avait continué sa route, seul, critiqué, incompris, mais… lui-même… unique.

     Un très grand peintre… Un génie…

     En quittant le musée, j’arborais le même regard ébloui que les autres visiteurs s’en allant à regret.

     Je crois que si Frédéric Pajak avait été avec moi ce jour là, il aurait changé la fin de sa biographie…

 

« Je voudrais, tu vois, je suis loin de dire que je puisse faire tout cela mais enfin j'y tends, je voudrais faire des portraits qui un siècle plus tard aux gens d'alors apparussent comme des apparitions. » 

 

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Vincent Van Gogh - Bateaux de pêche sur la plage des Saintes-Maries, 1888, Van Gogh Museum, Amsterdam

 

« Je cherche maintenant à exagérer l’essentiel, à laisser dans le vague exprès le banal…

J’ai compris qu’il ne fallait pas dessiner une main, mais un geste, pas une tête parfaitement exacte mais l’expression profonde qui s’en dégage, comme celle d’un bêcheur reniflant le vent quand il se redresse fatigué… »

 

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Vincent Van Gogh – Le semeur, 1888, Van Gogh Museum, Amsterdam

 

 

Commentaires

  • Flamboyant article ; flamboyante réponse à "fleur de peau", tout empreinte de ta propre sensibilité - mais est-ce étonnant ? -, à cette phrase de Pajak qui moi aussi m'a interpellée, voire choquée ...

  • Je pense que c'est une bonne réponse à la conclusion invraisemblable de l'écrivain.
    Il n'est pas possible qu'il soit déjà allé au Van Gogh Museum ?

  • Merci à vous deux, j'ai encore des frissons d'avoir lu ce joli post! Je suis tellement heureuse de vous connaître et de vous suivre dans mon émotions!! Merci encore pour VAN GOGH,qui serait tellement heureux lui aussi de vous lire!!! Bisous Fan

  • Nous aussi sommes heureux de te connaître, Fan. Depuis le temps...
    Je suis personnellement heureux que cela t'ai plu. Décidément, je n'arrête pas de parler de Van Gogh ces temps-ci. Mais c'est un plaisir continuel.
    On ne pouvait, Richard et moi, laisser passer un tel contresens laissant penser que Vincent était un petit peintre sans envergure qui ne faisait que des "études" et que ce combat avec lui-même serait devenu une arme pour devenir ce qu'il est aujourd'hui. Incroyable !
    Effectivement Vincent serait heureux lui aussi car on en fait beaucoup pour lui. Il le mérite.
    Bon dimanche

  • En effet, cette phrase crée un sentiment très particulier... J'ai du mal à penser que l'auteur ait pu l'écrire et pourtant...
    Van Gogh est pour moi un alchimiste, un poète qui mêle ses émotions écorchées vives dans un creuset de talent. Il y verse les ombres et la lumière et concocte des encres fabuleuses, des contrastes flamboyants, des mondes au creux du monde qui enchantent littéralement nos yeux!
    Je comprends votre passion pour cet immense artiste, on se sent transporté par la qualité de ses oeuvres, par ce qu'elles nous crient dans une explosion de couleurs.
    Superbe rencontre entre les pensées de Richard et les vôtres, un vrai plaisir de lecture, je vous remercie!
    Amicalement vôtre
    Cendrine

  • Je ne comprends pas qu’un écrivain faisant une biographie de Van Gogh puisse la terminer en laissant penser que celui-ci n’était pas un peintre…
    Après relecture de cette conclusion de Frédéric Pajak, je me prends à penser que celui-ci s’est mal exprimé : Vincent croyait effectivement en une réalité cachée dont il serait le révélateur, et tentait de voir l’invisible. Cette phrase de l’artiste l’exprime : « Je voudrais faire des portraits qui un siècle plus tard aux gens d’alors apparussent comme des apparitions » – Il y est arrivé -. Mais dire que Van Gogh n’était pas un peintre ?
    Ce n’est pas par hasard si ce peintre fait aujourd’hui, dans tous les musées du monde, l’unanimité dans l’éloge. Pourquoi ? Parce-que cette peinture touche le cœur des gens (des apparitions).
    Tout le monde écrit des biographies sur Vincent. Facile, sa vie fut si intense. Il traversa le monde de l’art comme une météorite. Je publierai cette semaine la fin de mon enquête se rapportant à une autre biographie nous annonçant que le peintre fut assassiné en jouant au cow-boys…
    Ne sont-ils pas beaux les deux tableaux dans mon article ? Ils ont été peints en 1888 lorsque Vincent arrivait en Provence. Il étais si heureux de partir pour le Midi.
    C’est Richard qui a lancé cet article et je l’ai terminé. Frédéric Pajak aurait dû, je pense, aller au Van Gogh Museum.
    Amitiés.

  • Il n'est pas question de dire que Van Gogh n'était pas un peintre génial. Toutefois certaines toiles montrent en effet une maladresse très nette dans le dessin. Par exemple, Portrait d'Agostina Segatori - 1887, avec un desaxement des yeux. Le Moulin de la Galette 1886 où les verticales sont incorrectes. Le pont sous la pluie 1887 où les kangis sont grossièrement copiés.

  • J’ai compris qu’il ne fallait pas dessiner une main, mais un geste, pas une tête parfaitement exacte mais l’expression profonde qui s’en dégage, comme celle d’un bêcheur reniflant le vent quand il se redresse, fatigué. - Vincent Van Gogh

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