MONET Claude - La femme à la robe verte, 1866, Kunsthalle, Brême
Il ne restait que peu de temps avant la fin des délais d’inscription au Salon de 1866. Monet voulait présenter une toile qui accompagnerait son Pavé de Chailly. « Il me faut quelque chose de solide qui plaira au jury ». Il ne décolérait pas de n’avoir pu terminer à temps son Déjeuner sur l’herbe, son « énorme tartine » comme son ami Eugène Boudin avait surnommé l’immense toile. Pour le moment, elle restait dans un coin de l’atelier. On verrait plus tard…
Le peintre avait beaucoup apprécié Camille, la jeune femme qui était venue vers lui l’été dernier alors qu’il peignait tranquillement en forêt de Fontainebleau. Les divers rôles de modèle tenus par celle-ci dans le Déjeuner l’avaient comblé. A nouveau, il avait souhaité la mettre à contribution. « J’accepte monsieur Monet » lui avait-elle dit de la même petite voix d’adolescente de dix-huit ans qui l’avait ému le jour de leur première rencontre. Il fallait faire vite, le Salon ouvrant ses portes au printemps.
L’hiver finissant est froid. Camille pose en intérieur. Monet veut la peindre dans un format spectaculaire, grandeur réelle. Qui se voit… Pour ne pas brusquer le jury et le public du Salon, il adopte un style restant académique, la lumière venant de l’arrière du personnage dans un effet de clair-obscur.
Bourgeoise parisienne, la jeune femme porte une élégante veste bordée de fourrure. Le noir de la veste semble se fondre dans le fond sombre d’où émerge, lumineux, le beau visage régulier. La pose est théâtrale : les yeux baissés, elle se retourne à demi, une expression coquette se dessinant sur son profil, sa main tient la bride de son petit chapeau orné de plumes.
La fourrure blonde garnissant le bas de la veste repose sur une longue jupe traînante à bandes noires et vertes qui s’étale en larges plis souples satinés. Ce vert … Monet ne voit que lui. Fougueusement, son pinceau attrape l’émeraude pure de sa palette et la dépose sur la jupe dans un méthodique jeu de rayures. Vert… Noir… Noir… vert.
Emporté par sa fièvre créatrice, quatre jours suffisent à l’artiste pour terminer le portrait. Il ne restera que quelques retouches à faire au dernier moment. La jeune fille est superbe. Une touche d’amour a été posée sur la toile.
Dès l’ouverture du Salon, le tableau suscite un concert de louanges. Un critique écrit : « La jeune femme traîne une magnifique robe de soie verte, éclatante comme les étoffes de Paul Véronèse ». C’est un nouveau succès pour Monet qui vient après celui de l’année précédente où il présentait deux marines peintes sur sa chère côte normande.
Emile Zola est le plus élogieux. Dans le journal l’Evénement, il commente le Salon pour la première fois, et ne mesure pas son enthousiasme :
« J’avoue que la toile qui m’a le plus arrêté est la Camille de M. Monet. C’est là une peinture énergique et vivante. Je venais de parcourir ces salles si froides et si vides, las de ne rencontrer aucun talent nouveau, lorsque j’ai aperçu cette jeune femme traînant sa longue robe et s’enfonçant dans le mur, comme s’il y avait eu un trou. Vous ne sauriez croire combien il est bon d’admirer un peu, lorsqu’on est fatigué de rire et de hausser les épaules.
Je ne connais pas Monsieur Monet. Je crois même que jamais auparavant je n’avais regardé attentivement une de ses toiles. Il me semble cependant que je suis un de ses vieux amis. Et cela parce que son tableau me conte toute une histoire d’énergie et de vérité.
Eh oui ! voilà un tempérament, voilà un homme dans la foule de ces eunuques. Regardez les toiles voisines et voyez quelle piteuse mine elles font à côté de cette fenêtre ouverte sur la nature. Ici, il y a plus qu’un réaliste, il y a un interprète délicat et fort qui a su rendre chaque détail sans tomber dans la sécheresse. Voyez la robe. Elle est souple et solide. Elle traîne mollement, elle vit, elle dit tout haut qui est cette femme… »
Une réussite… Comment qualifier la prestation de la jolie Camille ? Elle vient de faire une entrée remarquée dans l’histoire de la peinture. En l’espace de quelques mois, elle est devenue le modèle de Claude Monet, mais aussi sa nouvelle compagne.
L’artiste songe déjà à en faire son modèle favori pour ses travaux à venir.
Commentaires
"Ce vert ... Monet ne voit que lui", écris-tu, Alain.
Je puis t'assurer qu'il n'y a certes pas que lui !!
J'oserais même avancer qu'avant de dévisager Camille, c'est immédiatement en direction de cette robe resplendissante de vert que mon regard fut attiré, un long temps.
Excellente idée, Alain, d'avoir rendu vie aujourd'hui à ces mètres d'un tissus éclatant ... et d'y avoir associé les propos forts de Zola.
Oups !!!
Lire évidemment : "d'un tissu éclatant ...", car même malgré les nombreuses rayures vertes, il ne nécessite nullement le pluriel dont je l'ai malencontreusement affublé dans mon commentaire déposé il y a quelques instants ...
Elle est superbe cette robe verte. Je vois que toi aussi, comme moi, Zola, et beaucoup d’autres, tu t’es laissé emporter par la qualité du travail de Monet. Il en est au début de ses amours avec la jeune fille et cela se sent dans la représentation qu’il en fait.
Ce tableau n’est pas véritablement impressionniste, mais qu’il est beau.
Pas de problème pour l’orthographe, Richard. Je dois en faire souvent malgré mes nombreuses relectures. L’essentiel est que le texte montre ce que l’on veut exprimer, même si les fautes dont je m’aperçois plus tard m’énervent souvent.
Ce vert… matinal m’a fait du bien pour la journée.
Bonne journée à toi.
en effet ce vert est éclatant et magnifique ....mais je trouve que le visage, malgré sa belle expression, est un peu "vieillot" si Camille avait 18 ans à cette époque ....qu'en pensez-vous ? Merci pour vos articles toujours passionnants bonne journée
Un peu "vieillot"... Peut-être que dans ce tableau Camille paraît plus que son âge réel. Elle avait 18 ans dans mon précédent article pour l'année 1865. Née en janvier 1847, elle en avait donc 19 au moment du tableau.
Dans mon article suivant, la semaine prochaine, elle figurera plusieurs fois dans la même toile qui sera peinte la même année 1866, après le Salon dont je parle. Vous pourrez vous en faire une autre idée.
Je ne vous connais pas. Vous semblez être une passionnée de peinture. J'espère ne pas vous décevoir.
Excellente journée.
Comme Monet, je te sens transporté par la beauté et la grâce de Camille!! Perso, j'entends le doux bruissement du tissu de la robe se froisser sensuellement sous les doigts de Monet rectifiant un pli ou deux!! Au regard, le reflet de ce tissu rayonne satinée est magnifique!!Même la bordure en fourrure du bas de la veste nous renvoie la chaleur qui habille élégamment la robe de Camille!! Sans être autant passionnée que toi, j'avoue être admirative de cette toile!! Bisous Fan
Tu as la ligne lyrique aujourd’hui, Fan : « J’entends le doux bruissement du tissu de la robe se froisser sensuellement sous les doigts de Monet rectifiant un pli ou deux ». On croirait entendre le froissement. Sûr que ce tissu te ferait envie, Fan !
Monet a certainement éprouvé de grands plaisirs avec ce tableau et cette robe : achat ou location, essayage et sensualité de la soie au toucher, peinture de ce vert éclatant, joie de Camille devant sa représentation. Et, suprême plaisir, délectation devant les louanges des critiques et surtout les superbes commentaires d’Emile Zola : « Voyez la robe. Elle est souple et solide. Elle traîne mollement, elle vit, elle dit tout haut qui est cette femme… ».
Etre artiste entraîne de bien belles joies.
Bonne journée, Fan. Vivement que le printemps arrive car le jardin a besoin de moi pour l'aider à nous montrer bientôt, lui aussi, ses plus beaux atours.