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Quel scandale en 1865 !

 

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Edouard Manet – Olympia, 1863, musée d’Orsay, Paris

 

     Le samedi 16 janvier 2016, une jeune femme s’est allongée nue devant l’Olympia du musée d’Orsay à Paris en prenant la pose de la femme étendue sur un lit peinte par Edouard Manet en 1863. 150 ans plus tard, les passions semblent ne s’être pas totalement éteintes…

     Après son « Déjeuner sur l’herbe », beaucoup critiqué, présentée en 1863 au Salon des Refusés, Manet double la mise au même Salon de 1865. Cette fois le scandale est énorme. Manet se plaint à Baudelaire : « Les injures pleuvent sur moi comme grêle, je ne m’étais pas encore trouvé à pareille fête. » Les critiques se surpassent : « qu’est-ce que cette odalisque au ventre jaune, ignoble modèle ramassé je ne sais où ». « Un chétif modèle […] Le ton des chairs est sale […] ». « Une ignorance presque enfantine des premiers éléments du dessin, […] un parti-pris de vulgarité inconcevable ». « Cette brune rousse est d’une laideur accomplie ».

     Comble de la provocation ! Manet présente au Salon, associé à l’Olympia, un « Christ insulté par les romains » ce qui choqua encore plus les visiteurs.

     Qu’a voulu faire Edouard Manet ? Se confronter au passé ?

     Deux références picturales paraissent certaines :

     Titien et sa « Vénus d’Urbin » dont la pose est ressemblante.

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Titien – La Vénus d’Urbin, 1538, musée des Offices, Florence

 

     Goya et sa « Maja nue » de 1800 pour l’arrogance du modèle.

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Goya – La Maja nue, 1800, musée du Prado, Madrid

 

     Manet a fait de son modèle préféré, Victorine Meurant, un nu moderne, réaliste. Geffroy en 1890 dira : « libre fille de bohème, modèle de peintre, coureuse de brasserie, amante d’un jour […] avec sa face d’enfant vicieuse aux yeux de mystère. ».

     Pour les contemporains la scène était explicite : Manet avait peint une prostituée allongée, offerte, attendant le client, l’ambiance exotique et érotique étant accentuée par le bouquet de fleurs, hommage d’un client, et une servante noire entremetteuse.

 

     Au milieu de toutes les critiques, je retiendrai l’article élogieux écrit par Emile Zola :

 

L’Olympia d’Edouard Manet - Salon de 1865 – Emile Zola

 

« En 1865, Edouard Manet est encore reçu au Salon ; il expose un Christ insulté par les soldats et son chef d'œuvre, son Olympia. J'ai dit chef-d'œuvre, et je ne retire pas le mot. Je prétends que cette toile est véritablement la chair et le sang du peintre. Elle le contient tout entier et ne contient que lui. Elle restera comme l'œuvre caractéristique de son talent, comme la marque la plus haute de sa puissance. J'ai lu en elle la personnalité d'Édouard Manet, et lorsque j'ai analysé le tempérament de l'artiste, j'avais uniquement devant les yeux cette toile qui renferme toutes les autres. Nous avons ici, comme disent les amuseurs publics, une gravure d'Epinal. Olympia, couchée sur des linges blancs, fait une grande tache pâle sur le fond noir ; dans ce fond noir se trouve la tête de la négresse qui apporte un bouquet et ce fameux chat qui a tant égayé le public. Au premier regard, on ne distingue ainsi que deux teintes dans le tableau, deux teintes violentes, s'enlevant l'une sur l'autre. D'ailleurs, les détails ont disparu. Regardez la tête de la jeune fille : les lèvres sont deux minces lignes roses, les yeux se réduisent à quelques traits noirs. Voyez maintenant le bouquet, et de près, je vous prie : des plaques roses, des plaques bleues, des plaques vertes. Tout se simplifie, et si vous voulez reconstruire la réalité, il faut que vous reculiez de quelques pas. Alors il arrive une étrange histoire : chaque objet se met à son plan, la tête d'Olympia se détache du fond avec un relief saisissant, le bouquet devient une merveille d'éclat et de fraîcheur. La justesse de l'œil et la simplicité de la main ont fait ce miracle ; le peintre a procédé comme la nature procède elle-même, par masses claires, par larges pans de lumière, et son oeuvre a l'aspect un peu rude et austère de la nature. Il y a d'ailleurs des partis pris ; l'art ne vit que de fanatisme. Et ces partis pris sont justement cette sécheresse élégante, cette violence des transitions que j'ai signalées. C'est l'accent personnel, la saveur particulière de l'œuvre. Rien n'est d'une finesse plus exquise que les tons pâles des linges blancs différents sur lesquels Olympia est couchée. Il y a, dans la juxtaposition de ces blancs, une immense difficulté vaincue. Le corps lui-même de l'enfant a des pâleurs charmantes ; c'est une jeune fille de seize ans, sans doute un modèle qu'Édouard Manet a tranquillement copié tel qu'il était. Et tout le monde a crié : on a trouvé ce corps nu indécent; cela devait être, puisque c'est là de la chair, une fille que l'artiste a jetée sur la toile dans sa nudité jeune et déjà fanée. Lorsque nos artistes nous donnent des Vénus, ils corrigent la nature, ils mentent. Edouard Manet s'est demandé pourquoi mentir, pourquoi ne pas dire la vérité ; il nous a fait connaître Olympia, cette fille de nos jours, que vous rencontrez sur les trottoirs et qui serre ses maigres épaules dans un mince châle de laine déteinte. Le public, comme toujours, s'est bien gardé de comprendre ce que voulait le peintre ; il y a eu des gens qui ont cherché un sens philosophique dans le tableau ; d'autres, plus égrillards, n'auraient pas été fâchés d'y découvrir une intention obscène. Eh ! dites-leur donc tout haut, cher maître, que vous n'êtes point ce qu'ils pensent, qu'un tableau pour vous est un simple prétexte à analyse. Il vous fallait une femme nue, et vous avez choisi Olympia, la première venue ; il vous fallait des taches claires et lumineuses, et vous avez mis un bouquet ; il vous fallait des taches noires, et vous avez placé dans un coin une négresse et un chat. Qu'est-ce que tout cela veut dire ? Vous ne le savez guère, ni moi non plus. Mais je sais, moi, que vous avez admirablement réussi à faire une oeuvre de peintre, de grand peintre, je veux dire à traduire énergiquement et dans un langage particulier les vérités de la lumière et de l'ombre, les réalités des objets et des créatures. »

 

     Edouard Manet était un visionnaire puisque, de nos jours, son tableau fait encore la une de l'actualité...

 

 

 

Commentaires

  • Que tu as bien fait, Alain, de préférer ce superbe texte qui s'élève bien au-dessus des papiers des plumitifs de l'époque !

    Dans quel ouvrage est-il publié ?
    Pourrais-tu m'en donner la référence ?

    Comme d'autres avant lui ou même de son époque, - je pense respectivement à Diderot et à Baudelaire -, Zola a-t-il écrit sur ces "Salons" ? Car honnêtement, les Rougon-Macquart et son "J'accuse" mis à part, je ne connais pas grand-chose d'autre ...

  • J’ai trouvé ce texte, comme souvent, en partie en cherchant sur le net et aussi dans un catalogue d’une expo ancienne sur Manet que j’avais visitée.
    A partir de 1866, je crois, Zola publiait régulièrement des critiques de salons comme de nombreux écrivains à cette époque : Baudelaire, Gautier, Mirbeau, les frères Goncourt…
    Il existe aussi des bouquins comme Emile Zola, Ecrits sur l’art, Gallimard 1991, et d’autres.

  • Ce nu paraissait osé à cause de ce ruban noir qui était souvent porté par les "femmes légères" mais Zola l'a décrite comme une jeune fille sage dénudée simplement en oubliant la symbolique! C'est drôle car c'est cette jeune femme peintre Victorine Meurent qui a aussi posé pour "le Déjeuner sur l'herbe" ne possède pas ce fameux ruban noir! Je me souviens que maman me disait qu'il pouvait être synonyme de (excuse moi) "Je ne baise plus"!! Bref, c'est ce fameux ruban qui à crée un scandale dans cette société hypocrite!! Bisous Fan

  • Pour la symbolique, je ne savais pas que ce ruban était porté par les femmes légères.
    Victorine Meurant a 19ans dans le tableau. J’ai montré sur FB un portrait de cette jeune fille fait par Manet l’année précédente alors qu’il vient de la rencontrer. Elle portait déjà à 18 ans ce ruban noir que l’on retrouve dans Olympia. Tu as peut-être raison, et ta maman semblait bien connaître cette symbolique. De toute façon, à cette époque, ces jeunes modèles qui posaient nues pour les peintres étaient souvent des femmes faciles, la plupart du temps maîtresses du peintre.
    Victorine était un modèle professionnel, amusante et bavarde, avec un parler de « titi parisien ». Elle jouait de la guitare et se mit à peindre elle-même. Elle glissera, comme souvent, peu à peu, de la bohème, vers l’alcoolisme et la misère. Epoque difficile pour ces femmes…

  • Finalement, je l'ai commandé en poche à la FNAC avec les écrits sur l'art de Baudelaire publiés en 1999 Flammarion.

  • Moi aussi ! Ce matin en collection TEL, chez Gallimard.

    J'avais déjà les différents écrits de Baudelaire consacrés à l'art (Delacroix, Salon de 1845 et celui de 1846, notamment) au sein de "Œuvres complètes", gros ouvrage publié en 1968 aux éditions du Seuil.

  • On se rejoint. J'ai vu qu'il y avait aussi un Ecrits sur l'art de Marcel Proust chez Flammarion.

  • OK c'était pour le cas où...

  • Merci pour ce rappel. Nous nous sommes habitués à ces oeuvres et ne percevons plus leur modernité insoldent. Désormais, pour créer le scandale, il faut qu'une femme se déshabille devant le tableau. Peut-être était-ce une historienne, nous restituant l'atmosphère d'un moment passé, finalement ?

  • C’est ce que l’on appelle faire le buzz aujourd'hui. Pour une historienne, cela serait drôle. En fait, cette jeune femme est une habituée du musée d’Orsay et se fait virer pour la deuxième fois en s’exhibant nue. La première fois, elle montrait son sexe devant « L’origine du monde » de Courbet. Les visiteurs étaient stupéfaits, certains appréciaient…
    Cette toile était d’une incroyable modernité à cette époque. Le plus étonnant est que Manet provoquait sans cesse dans sa peinture, alors qu’il ne souhaitait qu’une seule chose, au point de bouder les expositions de ses amis impressionnistes, exposer au Salon officiel. Etrange peintre.
    Bon après-midi, Carole.

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