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2/2 - Elisabeth Vigée Le Brun : Souvenirs

 

J’ai toujours vécu fort modestement. Je dépensais extrêmement peu pour ma toilette : on me reprochait même trop de négligence, car je ne portais que des robes blanches, de mousseline ou de linon. 

 

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 Elisabeth Vigée Le Brun – Portrait dit “aux rubans cerise”, 1782, Kimbell Art Museum, Fort Worth

 

 

 

Si l’on doit peindre une gorge, éclairez-là de façon qu’elle reçoive bien la lumière ; les plus belles gorges sont celles dont la lumière n’est point interceptée, jusqu’au bouton qui se colore peu à peu à l’extrémité ; les demi-teintes qui font tourner le sein doivent être du ton le plus fin et le plus frais ; l’ombre qui dérive de la saillie de la gorge doit être chaude et transparente.

  

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Elisabeth Vigée Le Brun – Bacchante, 1785, The Sterling and Francine Clark Art Institute, Williamstown

 

 

C’est en 1786 que j’allai, pour la première fois à Louveciennes, où j’avais promis de peindre madame Dubarry, et j’étais extrêmement curieuse de voir cette favorite, dont j’avais si souvent entendu parler. * Madame Dubarry pouvait avoir alors quarante-cinq ans environ. Elle était grande sans l’être trop ; elle avait de l’embonpoint ; la gorge un peu forte, mais fort belle ; son visage était encore charmant, ses traits réguliers et gracieux ; ses cheveux était cendrés et bouclés comme ceux d’un enfant ; son teint seulement commençait à se gâter.

* Madame Dubarry, ancienne favorite de Louis XV, terminera sa vie sur l’échafaud

 

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Elisabeth Vigée Le Brun – Jeanne Bécu, contesse Du Barry avec un chapeau de paille, 1781, collection privée

 

 

 Madame Dugazon avait un de ces talents de nature qui semblent ne rien devoir à l’étude. On n’apercevait plus l’actrice […]. Noble, naïve, gracieuse, piquante, elle avait vingt physionomies, de même qu’elle faisait toujours entendre l’accent propre au personnage, et son chant n’annonçait aucune autre prétention. Elle avait même la voix assez faible, mais cette voix suffisait au rire, aux larmes, à toutes les situations, à tous les rôles. […] J’en étais folle. […] Je crois avoir vu Nina vingt fois au moins, et chaque fois mon attendrissement a été le même. J’étais trop enthousiaste de madame Dugazon pour ne pas l’engager souvent à venir souper chez moi. Si elle venait de jouer Nina, elle conservait encore les yeux un peu hagards, en un mot elle restait Nina toute la soirée. C’était bien certainement à cette faculté de se pénétrer aussi profondément de son rôle qu’elle devait l’étonnante perfection de son talent.

  

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Elisabeth Vigée Le Brun – Louise Rosalie Dugazon dans le rôle de Nina, 1787, collection privée

 

 

Robert, peintre en paysage, excella surtout à représenter des ruines.

De tous les artistes que j’ai connus, Robert était le plus répandu dans le monde, que du reste il aimait beaucoup. Amateur de tous les plaisirs, sans excepter celui de la table, il était généralement recherché, et je ne crois pas qu’il dinât chez lui trois fois dans l’année. Spectacles, bals, repas, concerts, parties de campagne, rien n’était refusé par lui ; car tout le temps qu’il n’employait point au travail, il le passait à s’amuser.

Le bonheur dont fut accompagnée toute la vie de Robert semble avoir présidé aussi à sa mort. Le bon, le joyeux artiste n’a point prévu sa fin, n’a point enduré les angoisses de l’agonie. Madame Robert […] le trouva mort, frappé d’un coup d’apoplexie foudroyante. 

 

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Elisabeth Vigée Le Brun – Hubert Robert, 1788, musée du Louvre, Paris

 

 

Voici, ma chère amie, le récit exact, du souper le plus brillant que j’aie donné, à l’époque où l’on parlait sans cesse de mon luxe et de ma magnificence. […] Comme j’attendais de fort jolies femmes, peinture,élisabeth vigée le brun,grand palais,portraitsj’imaginai de nous costumer tous à la grecque. […] Enfin tout était préparé, jusqu’à mes costumes, lorsque la fille de Joseph Vernet, la charmante madame Chalgrin *, arriva la première. Aussitôt je la coiffe, je l’habille. Puis vint madame de Bonneuil, si remarquable par sa beauté, madame Vigée ma belle-sœur, qui, sans être aussi jolie, avait les plus beaux yeux du monde, et les voilà toutes trois métamorphosées en véritables Athéniennes.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Elisabeth Vigée Le Brun – madame Chalgrin, 1789, collection privée

 

 * Madame Chalgrin, fille du peintre Joseph Vernet dont Elisabeth Vigée Le Brun fit le portrait en 1778, fut guillotinée en 1794 au motif d’avoir « brûlé les bougies de la nation »

 

 

Ma coiffure ne me coûtait rien, j’arrangeais mes cheveux moi-même, et le plus souvent je tortillais sur ma tête un fichu de mousseline.

 

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Elisabeth Vigée Le Brun – Portrait de l’artiste avec sa fille dit “La tendresse maternelle”, 1786, musée du Louvre, Paris

 

 

Enfin, j’entrai dans Lyon ; je me fis conduire chez M. Artaut, négociant, que j’avais quelquefois reçu chez moi, à Paris, ainsi que sa femme. […] Ils eurent d’abord quelque peine à me peinture,élisabeth vigée le brun,grand palais,portraitsreconnaître, non-seulement parce que j’étais changée à un point inimaginable, mais aussi parce que je portais le costume d’une ouvrière mal habillée, avec un gros fichu me tombant sur les yeux. J’avais eu lieu, sur ma route, de m’applaudir d’avoir pris cette précaution : je venais d’exposer au salon le portrait qui me représente avec ma fille dans mes bras.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Elisabeth Vigée Le Brun – Autoportrait avec sa fille Julie, dit à l’antique (ne figure pas dans l’exposition du Grand Palais), 1789, musée du Louvre, Paris

 

 

 

     J’aimerais présenter trois portraits d’enfants d’une grande délicatesse pour lesquels Elisabeth Vigée Le Brun n'a pas laissé de "souvenirs" :

Deux pastels des enfants de l’acteur et chanteur Joseph Caillot :

 

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 Elisabeth Vigée Le Brun – Jeune garçon de la famille Caillot en veste bleue, 1787, collection particulière

 

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Elisabeth Vigée Le Brun – Augustine Catherine Caillot en robe rouge et

tablier bleu, 1787, collection particulière

 

Un charmant tableau d’une fillette surnommée « Ziguette », fille des Brongniart, couple d’amis de l’artiste.

 

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Elisabeth Vigée Le Brun – Alexandrine Emilie Brongniart, 1788, National Gallery, Londres

 

 

Je montais le mont Cenis, comme plusieurs étrangers le montaient aussi ; un postillon s’approcha de moi : - Madame devrait prendre un mulet, me dit-il, car monter à pied, c’est trop fatigant pour une dame comme elle. Je lui répondis que j’étais une ouvrière, bien accoutumée à marcher. – Ah ! reprit-il en riant, madame n’est pas une ouvrière, on sait qui elle est. – Ah bien, qui suis-je donc ? demandai-je. – Vous êtes madame Lebrun, qui peint dans la perfection, et nous sommes très contents de vous savoir loin des méchants. […] Heureusement je ne les craignais plus ; j’allais habiter des lieux où fleurissaient les arts, où régnait l’urbanité ; j’allais visiter Rome, Naples, Berlin, Vienne, Pétersbourg.

Aussitôt après mon arrivée à Rome, je fis mon portrait pour la galerie de Florence. Je me peignis la palette à la main, devant une toile sur laquelle je trace la reine avec du crayon blanc. 

 

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Elisabeth Vigée Le Brun – L’artiste exécutant un portrait de la reine marie-Antoinette, 1790, Galliera Degli Uffizi, Florence

 

 

J’espère terminer doucement une vie errante mais calme, laborieuse mais honorable.

 

 

Commentaires

  • Merci Alain pour ces beaux souvenirs!! Cette artiste était aussi belle que talentueuse et d'une générosité hors pair car un désintéressement des choses matérielles qui lui valu au début de sa carrière (comme Colette)un mari qui savait gérer le talent de sa femme! On ne peut qu'être admiratif devant la personnalité de cette femme peintre d'une époque difficile mais le peuple n'a pas su la comprendre!! BISOUS FAN

  • Le mari de l’artiste, peintre et marchand d’art, l’aidait effectivement beaucoup dans l’organisation de sa carrière. Par contre, comme toujours à ces époques, les maris prenaient l’argent de leurs femmes, et cet homme savait parfaitement s’occuper de dilapider les sommes importantes qu’elle gagnait.
    Pendant la période révolutionnaire, la noblesse et leur entourage étaient pourchassés. Elisabeth Vigée Le Brun, comme peintre officielle de la reine était bonne pour l’échafaud. Heureusement pour l’histoire de l’art elle vécut longtemps, ce qui nous permet dans cette belle exposition d’apprécier son talent.

  • Merci pour ce très bel article sur une artiste connue de nom mais dont sa vie l'était moins . Elle a du "galèrer" à l'époque pour s'imposer dans un monde très masculin ....

  • On connaît la vie de l’artiste grâce aux « Souvenirs » qu’elle écrivit dans les douze dernières années de sa vie. Ceux-ci sont une vraie source d’informations sur les différentes périodes de l’histoire traversées par cette femme peintre.
    La peinture était effectivement un monde d’homme même si d’autres femmes commençaient à s’affirmer. Madame Vigée Le Brun n’eut pas à galérer car elle devint vite, avec l’aide de son mari, célèbre, son talent de portraitiste étant très apprécié. Le fait d’être portraitiste de la reine et membre de l’Académie Royale de Peinture lui ouvrit également beaucoup de portes.
    A bientôt Christel. Je ne vous connais pas mais je suis heureux que vous ayez apprécié l’article.

  • Quel remarquable diptyque, Alain, que ces deux évocations de Madame Vigée Le Brun dans lesquelles tu nous donnes à lire des extraits de ses "Souvenirs" accompagnant certaines de ses toiles exposées à Paris.
    Je ne sais pas comment se présente le catalogue officiel de l'exposition.
    En revanche, ce que je sais après avoir découvert tes deux contributions, c'est comment il devrait se présenter aux fins de nous captiver grâce à la délicatesse et des portraits et des écrits de cette grande artiste ...

  • Merci Richard pour ton appréciation. J’ai fait le maximum pour tenter de montrer Elisabeth Vigée Le Brun sous son meilleur jour, et la faire découvrir autrement qu’en partageant des images.
    Les catalogues d’expos, comme toujours, sont très bien faits et peuvent, pour les passionnés, justifier les prix élevés. Quand on aime…
    Bonne journée.

  • Merci beaucoup. C'est toujours passionnant, cet éclairage des textes par les images - et inversement d'ailleurs.

  • Planté devant un tableau d’Elisabeth Vigée Le Brun, sur place, au Grand Palais, j’ai ressenti un instant la chaleur, hésitante, vacillante, mais encore vivante d’une petite flamme qui s’était endormie il y a 175 ans et que la simple acuité admirative de mon regard éveillait à nouveau et me pénétrait. Je ne rêvais pas…

    Le superbe récit publié sur votre blog m'a inspiré, Carole. https://cheminderonde.wordpress.com/2015/10/22/la-petite-flamme/

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