CORRESPONDANCE - EXTRAITS CHOISIS
« Courbet est avant tout le peintre, par la puissance tactile de son œil, et par son instinct presque animal de jouissance sensuelle, tant de la chair que de la terre.
Louis Jondot, Catalogue de l’exposition présentée au Petit Palais à Paris : « Un siècle d’art français : 1850 –1950 »
Les Presses Artistiques, 1953
Gustave Courbet – Baigneuses dit Deux femmes nues, 1858, musée d’Orsay, Paris
Avec la toile « Les demoiselles des bords de Seine », Courbet amorce le thème, nouveau pour lui, des loisirs et plaisirs des bords de Seine, qui sera souvent utilisé quelques années plus tard par les jeunes artistes : Manet et les peintres impressionnistes.
Gustave Courbet – Les demoiselles des bords de Seine, 1857, musée du Petit Palais, Paris
Le critique Jules Castagnary rapprochait ce tableau d’un tableau précédent, peint en 1852, de Courbet : « Il faut voir les « Demoiselles de la Seine » par opposition aux « Demoiselles de village ». Celles-ci sont vertueuses. Celles-là sont vouées au vice… ».
Les jeunes femmes nous apparaissent alanguies au bord de l’eau dans la chaleur d’un été parisien incitant au canotage… Une homosexualité apparente les uniraient-elles ? Viennent-elles s’offrir à une clientèle masculine ?
Que voit-on ? Une œuvre moderne et singulière par son grand format inhabituel pour une scène de genre. Une simple partie de campagne ? Tous les détails de la toile évoque l’érotisme : ombrages des arbres, bouquets de fleurs, corset desserré, jupe relevée sur le jupon, abandon et regard mi-clos pour la demoiselle brune.
Au Salon de 1857, le tableau déclenche un scandale auprès de la critique.
Courbet aurait-il songé à la « Lélia » de George Sand de 1854, à moins qu’il ne se soit inspiré du poème de Baudelaire « Femmes damnées » dans les « Fleurs du mal » :
« Comme un bétail pensif sur le sable couchées,
Elles tournent leurs yeux vers l’horizon des mers,
Et leurs pieds se cherchant et leurs mains rapprochées
Ont de douces langueurs et des frissons amers."
Une caricature présente les jeunes femmes dans une pose de mannequin articulé et renversé.
Félix Tournachon dit Nadar, Jury du Salon de 1857
Lettre à Francis Wey – Ornans, le 20 avril 1861
[…] Ce Rut du Printemps ou Combat de Cerfs est une chose que je suis allé étudier en Allemagne. J’ai vu ces combats dans les parcs réservés de Hombourg et de Wiesbaden. J’ai suivi les chasses allemandes à Francfort, six mois, tout un hiver, jusqu’à ce que j’ai tué un cerf qui m’a servi pour ce tableau.
[…]
Le second tableau, Cerf forcé, est un cerf qui va se faire noyer (chasse à courre). J’ai suivi cette chasse à Rambouillet, à cheval.
Le paysage des trois cerfs est un paysage du commencement du printemps. C’est le moment où ce qui est près de terre est déjà vert, quand la sève monte au-dessus des grands arbres, et que les chênes seuls, qui sont les plus retardés, ont encore leurs feuilles d’hiver. L’action de ce tableau commandait ce moment-là de l’année, mais pour ne pas mettre tous les arbres dénudés qui sont à cette saison, j’ai préféré prendre notre pays du Jura, qui est exactement le même. J’ai introduit une forêt moitié bois blanc, moitié bois vert persistant.
Gustave Courbet – Le rut du printemps, 1861, musée d’Orsay, Paris
Quant au paysage du Cerf forcé, […] c’est le soir, car ce n’est qu’au bout de six heures de chasse qu’on peut forcer un cerf. Le jour est à son déclin, les derniers rayons du soleil rasent la campagne et les moindres objets projettent une ombre très étendue. La manière dont ce cerf est éclairé augmente sa vitesse et l’impression du tableau. Son corps est entièrement dans l’ombre et modelé pourtant. Le rayon de lumière qui le frappe suffit pour déterminer sa forme. Il semble passer comme un trait, comme un rêve.
Gustave Courbet – Le cerf à l’eau, 1861, musée des Beaux-Arts, Marseille
[…]
Mais il y a des lois de la naissance qu’il est difficile d’enfreindre. Mon grand-père, qui était un républicain de 1793, avait trouvé une maxime qu’il me répétait toujours, c’est celle-ci : Crie fort et marche droit. Mon père l’a toujours suivie, et moi j’ai fait de même.
Lettre à ses parents – Paris, juillet 1861
Malgré son orgueil, Courbet ne détesterait pas les honneurs et récompenses. Mais il a toujours autant de problèmes avec l’administration impériale qui devait le placer sur la liste des promotions à la Légion d’honneur.
J’ai été décoré pendant une dizaine de jours avant la distribution des récompenses, puis deux jours avant, l’Empereur, conseillé par je ne sais qui, ou par lui-même, je ne sais, de sa main a rayé mon nom de la liste et j’en suis très heureux, car j’étais dans une fausse position. Cela m’embêtait de porter cette croix, je ne l’aurais pas portée par dignité, parce que mes opinions ne me le permettent pas, et ne la portant pas elle m’aurait fait cent fois plus de mal que de bien.
Maintenant les personnes ne sachant pas mon opinion sont scandalisées de ce que le Gouvernement ne m’a pas décoré et ça fait pour le moment un train du diable dans Paris, par conséquent ça réussit admirablement pour moi.
Ils ont eu la maladresse de me donner un rappel de 2e médaille que j’ai eue il y a 10 ou 11 ans, ce qui est de la plus haute bouffonnerie, moi qui ai été proclamé par tout le monde sans exception le Roi du Salon de cette année. Le public est exaspéré, ça donne un démenti à chacun et les artistes indignés cherchent à faire eux-mêmes à l’avenir leur exposition.
Malgré tout cela mon tableau sera acheté quand même pour le Luxembourg * et c’est tout ce que je désirais parce que j’ai toute la jeunesse de l’Art qui se réclame de moi de plus en plus, et dans ce moment-ci je suis leur général en chef, ne sachant plus du tout à quoi se rattacher en dehors de moi.
* Le directeur des Beaux-Arts était favorable à l’acquisition du « Rut du printemps », exposé au Salon, pour le musée du Luxembourg. Comme pour la liste des promotions à la Légion d’honneur d’où le nom de Courbet avait été retiré, l’achat de la toile ne se fit pas…
Gustave Courbet – La femme au miroir, 1860, Kunstmuseum, bâle
Lettre à son père – Paris, septembre 1861
L’exposition d’Anvers… Courbet ne peux s’empêcher d’en conter les péripéties à son père et, évidemment, de se montrer comme la vedette de la manifestation.
J’ai envoyé à Anvers mon grand tableau où il y a une Exposition universelle, il a un aussi grand succès qu’à Paris. (Le peintre envoie son « Rut du printemps » à cette exposition faisant partie de manifestations et fêtes en l’honneur de la cité d’Anvers et de sa glorieuse histoire. Un congrès sur l’art était organisé auquel étaient invités des artistes, des critiques et des philosophes).
J’ai dû partir il y a 15 jours pour cette ville sur son invitation. […] J’étais chez M. Gossi, armateur de navires, où devaient être logés Proudhon et Victor Hugo. Ils n’ont pu venir ni l’un ni l’autre. Nous avons beaucoup regretté.
La ville d’Anvers s’est conduite vis-à-vis de nous magnifiquement. La fête était splendide. Si nous avions dû rester là deux jours de plus nous étions tous morts. Elle a duré 8 jours. Nous étions 1500 artistes peintres et littérateurs. Le but de cette réunion était un congrès artistique pour traiter des intérêts matériels de l’art et de la philosophie, et quel serait le monde spirituel en rapport avec les besoins de notre époque.
C’était divisé en trois sections préparatoires. Dans ces trois sections il m’est à l’instant même tombé sur la tête une grêle de discours, discutant ma manière de voir en art (le réalisme), des professeurs, des philosophes, des curés, des peintres. On entendait de toutes parts M. Courbet par ci, M. courbet le réalisme par là, etc.
J’entre dans la salle de la philosophie de l’art, plusieurs peintres s’empressent de me dire : on vient déjà de faire deux discours contre vous et celui qui parle dans ce moment est encore contre vous. Entendez et demandez la parole pour y répondre. Je demande la parole, quoique n’étant pas apprêté. C’est alors que j’ai dit ce que je t’envoie dans le Courrier du dimanche. Alors les bravos n’ont plus fini. J’ai eu un succès tel que j’ai dû donner plus de 300 autographes à toutes les personnes de la salle ainsi que dans la ville. De là nous avons été invités par la ville de Gand à un déjeuner. Nous étions encore 500. J’ai dû à ce déjeuner porter encore un toast à la ville de Gand. Ensuite nous sommes allés à Ostende et à Bruges.
Jules Castagnary organisa le 28 septembre 1861 une réunion d’étudiants en art à la brasserie Andler à Paris. Il y fut décidé de demander à Courbet de diriger un atelier d’enseignement de la peinture. Les cours commencèrent le 9 décembre avec 31 étudiants inscrits, dont Castagnary lui-même.
Le 29 décembre 1861, Le « Courrier du Dimanche » publia la lettre ci-dessous. Sous le contrôle de Courbet, il semble être admis que Castagnary rédigea cette lettre.
Trop long pour que je le reproduise entièrement, ce courrier est l’un des exposés considéré comme essentiel des théories de Courbet sur l’art et son enseignement. Je donne une synthèse approfondie de la pensée de l’artiste :
AUX JEUNES ARTISTES DE PARIS
Paris, le 25 décembre 1861
Messieurs et chers confrères,
Vous avez voulu ouvrir un atelier de peinture, où vous puissiez librement continuer votre éducation d’artistes, et vous avez bien voulu m’offrir de le placer sous ma direction.
Avant toute réponse, il faut que je m’explique avec vous sur ce mot « direction ». Je ne puis m’exposer à ce qu’il soit question entre nous de professeur et d’élèves. Je dois vous rappeler ce que j’ai eu récemment l’occasion de dire au congrès d’Anvers. Je n’ai pas, je ne puis avoir d’élèves. Moi, qui crois que tout artiste doit être son propre maître, je ne puis songer à me constituer professeur.
Je ne puis pas enseigner mon art, ni l’art d’une école quelconque, puisque je nie l’enseignement de l’art, ou que je prétends, en d’autres termes, que l’art est tout individuel et n’est pour chaque artiste que le talent résultant de sa propre inspiration et de ses propres études sur la tradition. J’ajoute que l’art, ou le talent, selon moi, ne saurait être, pour un artiste, que le moyen d’appliquer ses facultés personnelles aux idées et aux choses de l’époque dans laquelle on vit. Spécialement l’art en peinture ne saurait consister que dans la représentation des objets visibles et tangibles pour l’artiste.
Aucune époque ne saurait être reproduite que par ses propres artistes, je veux dire que par les artistes qui ont vécu avec elle. […] L’histoire d’une époque finit avec cette époque même et avec ceux de ses représentants qui l’ont exprimée. Il n’est pas donné aux temps nouveaux d’ajouter quelque chose à l’expression des temps anciens, d’agrandir ou d’embellir le passé. Ce qui a été a été. L’esprit humain a le devoir de travailler toujours à nouveau, toujours dans le présent, en partant des résultats acquis. Il ne faut jamais rien recommencer, mais marcher toujours de synthèse en synthèse, de conclusion en conclusion.
[…]
Je tiens aussi que la peinture est un art essentiellement concret et ne peut consister que dans la représentation des choses réelles et existantes. C’est une langue toute physique, qui se compose, pour mots, de tous les objets visibles. Un objet abstrait, non visible, non existant, n’est pas du domaine de la peinture. L’imagination dans l’art consiste à savoir trouver l’expression la plus complète d’une chose existante, mais jamais à supposer ou à créer cette chose même.
Le beau est dans la nature, et se rencontre dans la réalité sous les formes les plus diverses. Dès qu’on l’y trouve, il appartient à l’art, ou plutôt à l’artiste qui sait l’y voir. Dès que le beau est réel et visible, il a en lui-même son expression artistique. Mais l’artiste n’a pas le droit d’amplifier cette expression. Il ne peut y toucher qu’en risquant de la dénaturer, et par suite de l’affaiblir. Le beau donné par la nature est supérieur à toutes les conventions de l’artiste. Le beau, comme la vérité, est une chose relative au temps où l’on vit et à l’individu apte à le concevoir. L’expression du beau est en raison directe de la puissance de perception acquise par l’artiste.
Voilà le fond de mes idées en art.
[…] Il ne peut pas y avoir d’écoles, il n’y a que des peintres. La peinture ne peut sans tomber dans l’abstraction laisser dominer un côté partiel de l’art, soit le dessin, soit la couleur, soit la composition, soit tout autre des moyens si multiples dont l’ensemble seul constitue cet art.
Je ne puis qu’expliquer à des artistes, qui seraient mes collaborateurs et non mes élèves, la méthode pour laquelle, selon moi, on devient peintre, en laissant à chacun l’entière direction de son individualité, la pleine liberté de son expression propre. […] Je me prêterai avec empressement à tout ce que vous désirez de moi pour l’atteindre.
Tout à vous de cœur.
Gustave Courbet
Commentaires
Bonjour.
Petite faute de frappe dans la poésie de Baudelaire :
« Comme un bétail pensif sur le sable couchées"
(il faut accorder 'couchées')
Bravo pour ce site.
JS
Merci
C'est toujours avec plaisir que je viens lire les écrits de Courbet et admirer ses oeuvres! C'est terrible ce que le puritanisme faisait dire et écrire!! le tableau des jeunes femmes se reposant sur le bord de la Seine n'a rien de choquant en soi mais les fantasmes vont bon train!! G.Courbet est vraiment un grand Monsieur moderne mais son discours aux jeunes artistes est quelque peu égocentrique (c'est mon avis et je le partage) pas très pédagogique mais s'il en paraît!! BISOUS FAN
Ce tableau de demoiselles sur les bords de Seine n’a effectivement rien de choquant. Mais, dans le contexte de l’époque, cette peinture dérangeait par une atteinte à la préséance visuelle. Castagnary faisait un rapprochement entre deux toiles du peintre : les « Demoiselles de village » élégantes et vertueuses et ces « Demoiselles des bords de Seine » élégantes également mais moins vertueuses. Ces tableaux pourraient être une sorte de diptyque : réponse urbaine et dépravée à la vertu rurale. C’est surtout cette discordance morale qui choqua la critique.
Pour le discours aux jeunes artistes, il est certain qu’il est très égocentrique, comme était le peintre. Bien évidemment les « modernes » auraient du mal à se reconnaître dans ces phrases.
Bonne soirée, Fan.
Que j'aime ce "Crie fort et marche droit" !!!
Personnellement, je n'apprécie pas ce tableau des jeunes filles au bord de Seine, nullement choquant à mes yeux. Je préfère, et de loin, ce que les impressionnistes feront de cette thématique : cette toile me semble lourde, trop empreinte d'une végétation sombre et abusant de sa présence.
Il n'y a là aucune invitation à apprécier le charme éventuel de ces demoiselles, bien au contraire : car sans entériner une quelconque connotation de saphisme, je trouve que toute la scène est traitée en vue d'éloigner l'homme le plus entreprenant : vêtements marqués par une abondance de tissus, énormité d'un bouquet de fleurs posé comme un bouclier protecteur d'une virginité qui est loin de s'offrir ; et je ne parle pas des gants ni du chapeau !
Seuls peut-être, les yeux mi-ouverts de la demoiselle en blanc pourraient me paraître une invite ... mais à cause de l'absence d'un sourire, je crains plutôt que mon approche la dérangerait ...
Alors, tu comprends, Alain, que quand est évoqué l'érotisme de cette toile, je m'étonne !
Venons-en maintenant au manifeste écrit par Courbet et dont tu ne nous proposes que des extraits : un paragraphe m'interpelle vraiment parce qu'à mon sens, le peintre a tout faux : c'est celui dans lequel il explique que la peinture est un art essentiellement concret.
Je me demande ce qu'il aurait écrit s'il avait vécu au XXème siècle des cubistes, tels Braque et Picasso, par exemple, ou des surréalistes comme Dali et Magritte ...
Dois-je ajouter que j'ai beaucoup apprécié ce huitième volet de ta présentation de Courbet ?
Non seulement parce qu'il m'apprit l'épisode d'Anvers mais, surtout, parce qu'il permet, une fois de plus, - tu l'auras remarqué à la longueur de mon propos -, d'ouvrir la réflexion grâce à cette adresse aux jeunes artistes de Paris de 1861.
Courbet ne passe jamais inaperçu. Sous ces apparences anodines, ce tableau de demoiselles alanguies étendues au bord de l’eau, fit, une nouvelle fois, beaucoup jaser. J’ai vu la toile au Petit Palais à Paris, elle ne choque évidemment pas.
Mais nous sommes au Second Empire. Les artistes ont l’habitude de peindre l’impératrice entourée de ses demoiselles de compagnie habillées avec les raffinements de la mode féminine. Les demoiselles de Courbet sont habillées de la même façon, sauf que celles-ci déploient malicieusement leurs atours vestimentaires dans une attitude lascive qui donne au tableau sa touche d’érotisme. Je pense qu’il s’agit encore d’une provocation du peintre par opposition aux jolies représentations peintes de la cour impériale.
J’ai fait exprès de publier une grande partie de la lettre destinée aux jeunes artistes. Elle paraît effectivement très ringarde aujourd’hui. Les peintres modernes qui ont pu lire ces phrases ont certainement été très surpris du côté rigide des opinions de Courbet sur l’art.
La lettre de l’artiste à son père sur l’exposition à Anvers m’a amusé. Courbet laisse croire qu’il était la vedette de la manifestation, alors que de nombreux intellectuels (15OO, dont Victor Hugo) y étaient invités.
Concernant l'explication que tu proposes sur le plan historique, - l'impératrice et sa cour de belles -, je te suis complètement, Alain.
Mais là où je ne suis plus du tout convaincu, c'est quand tu accrédites l'interprétation lascive et la connotation érotique du tableau.
Personnellement, je ne vois strictement rien de lascif, strictement rien d'érotique dans l'attitude de la demoiselle au chapeau qui soutient son visage de sa main gantée et dissimule ses formes derrière un bouquet pratiquement aux couleurs de sa robe.
Elle donne l'impression de s'emm ... que c'est pas croyable !
Si c'est cela l'érotisme que voulait Courbet, ce tableau est à mon sens raté !
Je sais, j'y vais fort. Mais voilà, c'est mon opinion !
Et comme je l'écrivais déjà tout à l'heure, la seule éventuelle touche de lascivité que je pourrais ressentir réside dans l'interprétation - et encore n'est-elle pas franchement avérée - du regard que laissent entrevoir les yeux mi-ouverts de la demoiselle de l'avant-plan ...
Mais cela mis à part, vraiment, rien dans cette toile ne m'émeut sur un plan érotique ... ni n'inviterait le jeune homme que je fus à tenter une approche de séduction vis-à-vis d'aucune de ces deux jeunes femmes ...
Je ne pensais pas que ces demoiselles de Seine nous feraient autant parler. ce tableau peut d’ailleurs avoir diverses interprétations suivant le regardeur.
Erotisme ou pas ?
Lorsque j’ai vu la toile à Paris, je n’y voyais aucune connotation érotique. Ces demoiselles n’incitaient pas vraiment à la débauche. A part peut-être, comme tu le penses un peu toi aussi, la jeune femme brune avec ses yeux mi-clos nous fixant bizarrement et le relâchement de sa robe.
Que veux-tu les contemporains de Courbet y voyaient de la provocation. Des soutiens du peintre, comme Théophile Gautier, critiquaient l’œuvre. Champfleury : « Notre ami a perdu la piste. Il a trop tâté le pouls de l’esprit public ». Castagnary parlait de femmes « vouées au vice ». Proudhon développait une exégèse du tableau en faisant une dénonciation de la société impériale.
Même le public du Salon ne se reconnaissait guère dans cette partie de campagne. Puis l’on parlait d’homosexualité entre les demoiselles.
Restons sérieux, Richard, nous sommes sur une page consacrée à l’art.
Que cette toile, Alain, nous incite à échanger nos impressions me sied parfaitement. J'ajouterais même, conscient de reprendre là ta pensée parfois exprimée ici, que Courbet, ne laissant personne indifférent, nous y invite indirectement.
Ce à quoi, maintenant, je souhaiterais réagir, c'est à ta dernière phrase qui présente deux sens possibles : "Restons sérieux", il est ridicule de vouloir ajouter une connotation homosexuelle à l'interprétation de ce tableau, ce en quoi je serais entièrement d'accord ; ou "Restons sérieux", il est inconvenant d'évoquer l'homosexualité sur une page consacrée à l'art, ce en quoi je m'insurgerais ...
Je plaisantais, Richard, dans ma dernière phrase. Je ne faisais pas référence à l’homosexualité. On peut évidemment parler de tout en matière d’art. Courbet, nous y incitait suffisamment.
A cette époque beaucoup voyaient dans la toile des Demoiselles des bords de Seine soit des prostituées, soit des homosexuelles. Les critiques sur les mœurs allaient bon train au Salon et dans les journaux. Sans parler des caricatures. Les peintres comme Courbet, ou Manet peu de temps plus tard avec son Déjeuner sur l’herbe, se délectaient du puritanisme ambiant.
Il y avait effectivement de quoi se délecter du puritanisme ambiant de cette époque !
Ceci posé, je ne suis pas certain qu'il n'existe plus à la nôtre.
Mais c'est un autre débat ...
Aujourd’hui, l’Olympia de Manet ne feraient plus hurler et injurier les critiques. Personne ne se déplacerait pour aller s’amuser devant la toile.
Nos puritanismes ne sont plus les mêmes. C’est effectivement un autre débat.
Bonsoir Alain,
Je partage l'opinion de LEJEUNE concernant le tableau des jeunes filles; lorsque je l'ai vu la première fois dans ton article il y a quelques jours, j'ai été étonnée de lire qu'elles pouvaient évoquer une quelconque tension érotique. J'avais plutôt ressenti, au contraire, quelque chose comme du relâchement et de la lassitude, comme si enfin elle pouvait, loin d'un regard masculin, s'abandonner à elle-même, se "laisser aller", sans jeu de séduction, sans à avoir à réfléchir à leur tenue. Je me suis dit "en tout cas, si un jour un homme aveuglé par ses désirs venait à me déranger dans un tel instant de repos, il risque, je crois bien, ce que l'on appelle un sacré râteau... ;-).
Courbet écrit "Le beau est dans la nature, et se rencontre dans la réalité sous les formes les plus diverses. Dès qu’on l’y trouve, il appartient à l’art, ou plutôt à l’artiste qui sait l’y voir". Pourrait-on dire que celui qui sait apprécier l'art et voire le beau est autant artiste que celui qui crée ?
Merci pour ce (à nouveau) bel article. Très belle fin de semaine.
Amicalement,
Mince, un râteau. Pauvres hommes… Moi aussi, si j’étais une femme, je penserais que si des types aveuglés de désirs venaient me déranger, je le prendrais assez mal. Mais, va-t-on savoir…
Finalement, tu as raison, je ne sais pourquoi cette toile a été aussi mal perçue à cette époque. Ces jeunes femmes pourraient effectivement se reposer par une belle journée d’été. Ce sont les « regardeurs » (toujours des hommes : critiques, caricaturistes, écrivains) qui ont vu un aspect lubrique dans la représentation des deux femmes.
Pour ta dernière question au sujet de la phrase de Courbet, je pense que celui qui perçoit le beau et le ressent en lui, y trouve un plaisir qui peut le transporter dans un monde autre. Cela peut même être, parfois, plus fort que pour l’artiste dont les pensées sont entièrement tendues vers l’atteinte de son objectif de création. Je me souviens de ma première rencontre avec Vermeer au Louvre qui m’avait complètement retourné. Tu dois le ressentir également lorsque tu lis un texte que tu aimes.
Cela me fait penser à une émission audio que j’écoute régulièrement sur France Culture « Les regardeurs ». Au début de l’émission l’animateur dit avec raison, pour lancer l’émission : « Le tableau est autant fait par le regardeur que par l’artiste. »
Excellente journée à toi.
Et si vous passez à Ornans, prenez le temps de vous y arrêter, le village est charmant - LA REGION EST BELLE ET IGNORÉE - et le musée est un petit bijou.
Je ne doute guère de l'intérêt de cette région.
Bon dimanche.