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Gustave Courbet, le maître d'Ornans : 7. Avril/juin 1855

 

CORRESPONDANCE - EXTRAITS CHOISIS

 

 

 

     « Tout le monde a vu, placardée aux murs de Paris en compagnie de saltimbanques et de tous les marchands d’orviétan et écrite en caractères gigantesques, l’affiche de M. Courbet, apôtre du réalisme, invitant le public à aller déposer la somme de 1 franc à l’exhibition de quarante tableaux de son oeuvre. » 

 

Charles Perrier, « Du Réalisme, Lettre à M. le Directeur de l’Artiste »,

L’Artiste, 14 octobre 1855

   

 

 

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Gustave Courbet – Les cribleuses de blé, 1854, Musée des Beaux-Arts, Nantes

 

 

 

      

     En cette année 1855, Paris organise l’Exposition Universelle dans un bâtiment « le Palais de l’Industrie » construit pour cette occasion le long des Champs-Elysées. Celui-ci accueillera également le Salon officiel de peinture de cette année. 

  

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Palais de l'Industrie à Paris, construit en 1853 pour l'Exposition Universelle de 1855 

 

 

       Une fois de plus, Gustave Courbet va trouver une bonne occasion pour faire parler de lui. 

 

  

 

Lettre à Alfred Bruyas – Paris, vers le 5 avril 1855

 

Je suis aux cent coups ! Il m’arrive des choses terribles.

On vient de me refuser mon Enterrement et mon dernier tableau L’Atelier. Ils ont déclaré qu’il fallait à tout prix arrêter mes tendances en art qui étaient désastreuses pour l’art français. J’ai 11 tableaux de reçus. La rencontre est reçue à peine. On trouve cela trop personnel et trop prétentieux.

Chacun me pousse à faire une exposition particulière, j’y ai cédé. Je vais faire une autre exposition de 27 tableaux nouveaux et anciens de moi. […] Paris est exaspéré de ce qu’on m’a refusé. Je suis en course depuis le matin jusqu’à la nuit.

 

 

    Courbet crie au complot. Courroucé que ses grands tableaux aient été refusés, l’artiste décide, aidé financièrement par son mécène montpelliérain Alfred Bruyas, la construction d’un pavillon indépendant en briques et bois, en marge de l’Exposition Universelle.

     Cette exposition privée se tiendra avenue Montaigne, proche de l’exposition du gouvernement où le peintre expose également. « L’exhibition » est monographique, temporaire et payante. Sévère coup de poing pour le Salon officiel qui est gratuit, il s’agit de la première formule de ce type dans l’histoire de l'art français.

 

 

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Gustave Courbet - Portrait d'une dame espagnole, 1855, Museum of Art, Philadelphie

 

 

 

Lettre à Alfred Bruyas – Paris, vers le 11 mai 1855

 

 

Après un mois de démarche dans les ministères de toutes sortes, deux audiences du ministre, M. Fould, je viens d’obtenir définitivement la permission de faire une exposition payante. Elle sera faite dans des conditions extraordinaires d’indépendance.

Dans ce moment-ci, je suis occupé à faire construire. J’aurai 30 tableaux dans cette exposition particulière. J’ai 11 tableaux dans leur exposition. Je suis couvert de toute protestation par ce fait et de tout blâme. 

Mon cher, il y avait un coup monté contre moi épouvantable. Heureusement que je m’en suis aperçu à temps. Les tableaux que j’ai à l’exposition sont horriblementpeinture,courbet,exposition universelle placés et je ne puis obtenir même à les faire placer ensemble comme le règlement le comporte. En un mot, on voulait en finir avec moi, on voulait me tuer. Depuis un mois, je suis désespéré. Ils m’ont refusé systématiquement mes grands tableaux, en déclarant que ce n’était pas la peinture qu’ils refusaient, mais l’homme. Mes ennemis feront ma fortune. Cela m’a donné le courage de mon idée, idée que je vous communiquais déjà depuis longtemps. Je conquiers ma liberté, je sauve l’indépendance de l’art. Ils ont senti le coup que je leur portais, mais mes batteries étaient si bien montées, qu’ils n’ont pu reculer.

[…] C’est curieux. De toutes parts on fait des démarches chez moi, on m’écrit des lettres pour m’encourager dans mon entreprise et le public attend cela de moi. 

Je vais faire appel à toutes les personnes qui ont des tableaux de moi, pour qu’ils veuillent bien me les prêter. J’aurai mon Enterrement, mon nouveau L’atelier du peintre, mes Lutteurs, mon Retour de la foire, mes Baigneuses sur lesquels on compte beaucoup. 

Champfleury me fera un livret annoté que l’on vendra. On me marchande le bureau de cannes et de parapluies et je vendrai des photographies de mes tableaux.

  

 

Lettre à ses parents – Paris, début mai 1855

  

Je suis dans des tourments abominables depuis que je suis revenu à Paris. Je viens d’entreprendre mon exposition. Le ministre veut me commander un tableau. M. de Nieuwerke voulait que je fasse le portrait de l’impératrice.* 1 J’ai refusé ce dernier. La question n’est pas là, ce sont des bagatelles. J’ai loué un terrain qui touche le bâtiment de l’Exposition. J’ai fait marché avec un entrepreneur et un architecte. Mon bâtiment est placé au milieu d’un jardin emplanté de lilas, cela sera charmant.

Je fais faire des photographies de mes tableaux que l’on vendra dans mon palais de l’industrie. * 2

  

* 1 Aucun document ne confirme cette déclaration… 

* 2 Ironiquement, Courbet compare son exposition privée au gigantesque « Palais de l’industrie » de l’Exposition universelle… 

 

 

Lettre à Alfred Bruyas – Paris, vers le 4 juin 1855

 

Le temple (le pavillon de l’exposition privée du peintre…) est fini et n’attend plus que les tableaux. De toute part dans Paris, on me demande à quand l’ouverture. Enfin cela va si bien que cela m’effraie. Je m’en vais bientôt faire placer les affiches. Cela enchante chacun ; moi, quand je considère le bâtiment, je tombe en extase.

 

 

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 Gustave Courbet - Bouquet de fleurs, 1855, Kunsthalle, Hambourg

 

 

     L’ouverture de l’exposition Courbet a lieu le 28 juin 1855.

  Champfleury a fait imprimer un ambitieux catalogue dont peinture,courbet,ornans,voici, ci-dessous, la préface-manifeste :

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Gustave Courbet - Portrait de Champfleury, 1855, Musée d'Orsay, Paris

  

 

Manifeste du réalisme

 

  

     Le titre de réaliste m’a été imposé comme on a imposé aux hommes de 1830 le titre de romantiques. Les titres en aucun temps n’ont donné une idée juste des choses ; s’il en était autrement, les œuvres seraient superflues. 

     Sans m’expliquer sur la justesse plus ou moins grande d’une qualification que nul, il faut l’espérer, n’est tenu de bien comprendre, je me bornerai à quelques mots de développement pour couper court aux malentendus.

     J’ai étudié, en dehors de tout esprit de système et sans parti pris, l’art des anciens et l’art des modernes. Je n’ai pas plus voulu imiter les uns que copier les autres ; ma pensée n’a pas été d’avantage d’arriver au but oiseux de l’art pour l’art. Non ! J’ai voulu tout simplement puiser dans l’entière connaissance de la tradition le sentiment raisonné et indépendant de ma propre individualité. 

     Savoir pour pouvoir, telle fut ma pensée. Etre à même de traduite les moeurs, les idées, l’aspect de mon époque, selon mon appréciation, en un mot, faire de l’art vivant, tel est mon but.

 

« Manifeste du réalisme » 

Préface du catalogue de l’exposition Courbet de 1855 : Exhibition de vente de 40 tableaux et de 4 dessins de l’œuvre de M. Gustave Courbet. 

 

 

 

     Contrairement aux prévisions de Courbet, l’exhibition ne rencontrera pas le succès populaire et financier escompté. Elle se terminera en fin d'année. Néanmoins, l’on parlera plus dans Paris de son exposition personnelle que de celle se tenant au Palais de l’Industrie pour l’Exposition Universelle.  

    L’artiste se montre fidèle à lui-même. Il provoque, défie. Il cherche les coups et laisse croire qu’il est le vainqueur. Il avance droit sur ses ennemis et, comme d’habitude, les caricaturistes et critiques s’en donnent à cœur joie. 

    En évoquant Courbet, je ne peux m'empêcher de penser au peintre James Mac Neill Whistler qui publiera quelques années plus tard, en 1890, un recueil de ses écrits dont le titre définira assez bien son action : « L’art de se faire des ennemis ». Ces deux là auraient certainement été amis. 

     Je terminerai cet article par un extrait d’une lettre de Champfleury à George Sand sur « Le Réalisme » :

 

     « S’il est une qualité que M. Courbet possède au plus haut degré, c’est la « conviction ». On ne saurait pas plus la lui dénier que la chaleur au soleil. Il marche d’un pas assuré dans l’art, il montre avec orgueil d’où il est parti, où il est arrivé, ressemblant en ceci à ce riche manufacturier qui avait accroché à son plafond les sabots qui l’avaient amené à Paris. » 

 

 

 

Commentaires

  • Il était temps de revenir, Courbet commençait à me manquer. Il était un homme de caractère et savait s'opposer à ses détracteurs.
    Merci de votre passage.
    Bonne journée.

  • Voici donc l'article qui vient judicieusement compléter nos échanges à la suite de celui du 8 février dernier, quand tu nous présentas brillamment "L'Atelier du peintre".

    "Néanmoins, l’on parlera plus dans Paris de son exposition personnelle que de celle se tenant au Palais de l’Industrie pour l’Exposition Universelle.", écris-tu.
    C'est exactement ce qu'il souhaitait, non ?

    J'aime cette pugnacité : peu lui chaut l'opinion des autres, il avance tel qu'il le conçoit !
    Et cela me plaît ...

    Ceci posé, je ne sais trop si cette attitude est viscérale - et donc eût été la sienne quelles que soient ses conditions d'existence - ou s'il l'adopte sans crainte aucune, sachant que son mécène le suivra dans ses prises de position ...

  • Cette expo personnelle s’est imposée à Courbet car il ne supportait pas de voir les refus de ses dernières toiles au Salon. Il faut dire que leur taille immense en était la raison principale car il fallait laisser de la place pour les étrangers qui venaient exposer à l’Exposition Universelle de cette année.
    Star médiatique, il avançait et tout était bon pour faire parler de lui, son caractère Franc-Comtois faisant le reste. Orgueilleux, il n’était pas insensible à tous les appuis politique, financier, juridique et intellectuel. Son attitude aurait peut-être été différente s’il avait eu besoin de se plier à la dure réalité des artistes devant en rabattre afin de vendre leurs toiles pour vivre.
    Un pragmatique…

  • Merci Smaragdine, j’ai enfin résolu mon problème informatique ce qui m’a pris du temps. J’espère rester à la hauteur de vos attentes.
    Bon week-end.

  • Ravie de retrouver ton blog et tes posts! Ce Courbet était vraiment un personnage "haut en couleurs" !sic! Je me demande tout de même comment a t-il pu faire bâtir un pavillon pour son expo personnelle?? Grâce à son mécène collectionneur Alfred Bruyas, soit, mais s'il n'avait pas été un élu de la commune?? Hormis ces questions, je ne connaissais pas le bouquet de fleurs que je trouve magnifique!! On l'a dit "Réaliste", je le vois plutôt comme un expressionniste moderne! il n'en est rien à côté des "hyper réalistes"!! BISOUS FAN

  • Pour le pavillon, Fan, Courbet dit dans ses courriers qu’il avait obtenu l’autorisation du gouvernement. Il a donc loué un terrain, proche de l’Expo Universelle, et a fait construire, avec l’aide de Bruyas, un bâtiment qui sera détruit à la fin de l’expo.
    J’ai voulu montrer ce bouquet de fleurs que j’ai trouvé superbe. Il n’en peignait pas souvent.
    On dit de Courbet qu’il était un « réaliste ». En fait, il souhaitait surtout se démarquer et se singulariser de ses confrères.
    Bonne fin de journée.

  • Bonjour Alain,

    Cela fait plaisir de te relire à nouveau à travers ce nouveau billet. Décidément, ce Courbet a un caractère bien trempé ! Je ressens un mélange d'admiration et d'exaspération pour le personnage, et j'arrive presque à m'imaginer ce qu'on peut-être ressenti ses contemporains... Je ne vibre pas devant chaque peinture de ce peintre, mais "les cribleuses de blé" produisent en moi des émotions agréables.

    Très belle fin de semaine.
    Amitiés

  • Bonjour Esperiidae

    J’ai eu des problèmes mais la vie va reprendre avec l’arrivée du printemps.
    Courbet est parfois exaspérant, mais son tempérament le porte vers le combat. C’est un bouillant. Je le dis précédemment, il était devenu une star médiatique, comme certaines personnes aujourd’hui, et en profitait.
    Les « Cribleuses de blé » font partie de ces toiles, comme les toutes dernières, qui permettait au peintre de faire entrer la « démocratie » dans l’art. Le petit peuple était représenté ce qui n’était pas courant auparavant. Il envoyait un message politique fort envers le gouvernement de Napoléon III avec lequel il était en conflit.
    Merci de ta visite.
    Excellent week-end à toi.

  • Il faut sans doute être ainsi pour avoir la volonté d'avancer dans une oeuvre aussi immense et novatrice.
    Se pousser soi-même à être grand en annonçant d'abord qu'on l'est.
    Merci de nous donner cette correspondance si intéressante, et de la commenter et l'illustrer si bien

  • Il avançait droit, le bougre. Il aurait certainement fait un excellent militaire marchant sur l'ennemi sous la mitraille.
    Courbet n'a que 35 ans, son oeuvre se construit petit à petit. Il vient d'accrocher la plupart de ses toiles dans deux expositions. Tout Paris l'aime ou le déteste. Il n'en a cure. Il est lui-même.
    Excellent dimanche, Carole.

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