Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Gustave Courbet, le maître d'Ornans : 4. Janv. 1852/13 mai 1853

 

CORRESPONDANCE - EXTRAITS CHOISIS

 

 

peinture,courbet,ornans,réalisme

Gustave Courbet – La fileuse endormie (sa sœur Zélie), 1853, Musée Fabre, Montpellier

 

 

« Assise, la fileuse au bleu de la croisée

Où le jardin mélodieux se dodeline ;

Le rouet ancien qui ronfle l’a grisée.

Lasse, ayant bu l’azur, de filer la câline

Chevelure, à ses doigts si faible évasive,

Elle songe, et sa tête petite s’incline. […]

Mais la dormeuse file une laine isolée ;

Mystérieusement, l’ombre frêle se tresse

Au fil de ses doigts longs et qui dorment, filée.

Le songe se dévide avec une paresse

Angélique, et sans cesse, au doux fuseau crédule,

La chevelure ondule au gré de la caresse... »

 

                                     Paul Valéry – « La fileuse » dans "La Conque", 1891

 

     Le tableau "La fileuse endormie" de Gustave Courbet a inspiré ce magnifique poème à Paul Valéry.

 

 

Lettre à Champfleury – Ornans, vers janvier 1852

 

[…]

Il m’est difficile de vous dire ce que j’ai fait cette année pour l’exposition, j’ai peur de mal m’exprimer. Vous jugeriez mieux que moi si vous voyiez mon tableau. D’abord, j’ai dévoyé mes juges, je les mets sur un terrain nouveau : j’ai fait du gracieux. Tout ce qu’ils ont pu dire jusqu’ici ne sert à rien.

 

* Le tableau « Les demoiselles de village » sont ce que Courbet appelle du « gracieux ». Il reprend le motif de ses 3 sœurs qu’il représente allant à la peinture,courbet,ornans,réalismerencontre d’une jeune vachère dans un décor de plein air.

Comme toujours les "Demoiselles" font l’objet de railleries. Les caricaturistes s’en donnent à cœur joie.  Théophile Gautier, dans La presse, remarque : « L’auteur de « L’enterrement à Ornans » […] semble, cette année, avoir reculé devant les conséquences de ses principes ; la toile qu’il a exposée sous le titre des « Demoiselles de village » est presque une idylle à côté des monstrueuses trognes et des caricatures sérieuses de « L’enterrement ». Il y a comme une intention de grâce dans ses trois figures, et si monsieur Courbet eût osé, il les aurait faites complètement jolies. »

 

  

Lettre à ses parents– Paris, vers le 15 juin 1852

 

     Dans cette lettre à ses parents, Courbet laisse parler un ego que son récent succès a largement développé.

 

Si je ne vous ai pas écrit plus tôt c'est que je fais dans ce moment un tableau des lutteurs qui étaient cet hiver à Paris. C'est un tableau grand comme les Demoiselles de village, mais en hauteur. C'est pour faire du nu que j'ai fait cela, et aussi les apaiser de ce coté-là. On a bien des maux pour contenter chacun. C'est impossible de dire tout ce que m'a valu d'insultes mon tableau de cette année, mais je m’en moque car quand je ne serai plus contesté je ne serai plus important.

 

* Au Salon de l’année suivante, l’artiste va exposer un nu féminin, sur lequel il travaille, qui va faire un immense scandale.

  

peinture,courbet,ornans,réalisme

 Gustave Courbet – Les lutteurs, 1853, Musée des Beaux-Arts, Budapest

[…]

Je suis allé rendre une visite à M. de Morny (demi-frère de l’Empereur Napoléon III et son fidèle conseiller) qui m’a très bien reçu. Nous avons parlé peinture. II n'y connaît rien, c’est égal, il croît très bien s'y connaître. Je lui ai dit qu'on exigeait trop de choses de moi ; que je n’avais pas le moyen de répondre à toutes ces exigences ; que j’avais fait mon devoir puisque je savais peindre mieux que quiconque dans notre société ; que c'était à lui maintenant, ainsi qu'a tous ceux qui comprenaient ce que je faisais, à me commander des tableaux. II m'a répondu qu'il parlerait de cela au gouvernement. II m'a promis qu'on me ferait des commandes. D'autre part M. Romieu, qui est directeur des Beaux-Arts, a déclaré qu'il ne m'en ferait point du tout ; que le gouvernement ne pouvait pas soutenir un homme comme moi ; que, quand je ferais de l’autre peinture, il verrait ce qu'il a à faire ; que du reste j’étais posé en puissance politique et qu'on me ferait voir qu'on ne me craignait pas.

[…] Enfin je ne sais vraiment pas dans ce moment ce qu’il en adviendra. Je ne les crains toujours pas, mon affaire va bien, ma réputation s'agrandit et un jour j’aurai raison : ils avaleront tous le réalisme.

Le tableau de cette année (Les demoiselles de village)  m’a conquis toute une classe de monde qui n'était pas pour moi l'an passé. Les peintres sont furieux. […] Ils ne viennent plus me voir comme l’an passé, ils se trouvent dupés et enfoncés et il n'y a pas jusqu’à Delacroix qui va au ministère pour détruire ma peinture. Cet homme se trouve étonné qu’on parle moins de lui. *

 

* Dans son Journal, Delacroix admire la manière vigoureuse de Courbet, mais trouve ses sujets vulgaires et ses types hideux.

 

 

Lettre à Adolphe Marlet (ami d’enfance) – Paris, vers janvier 1853

 

     Courbet commence à exposer régulièrement à Francfort : « Il paraît que les journaux allemands ont beaucoup parlé de moi. Il y avait dans ceux de Berlin que, depuis le Titien, on n’avait jamais vu un coloriste de ma force. »

[…]

Il paraît qu’à Francfort comme à Paris j’ai des détracteurs et des partisans terribles. Les discussions étaient si violentes qu’au Casino on s’est vu forcé de placer un écriteau ainsi conçu : « Dans ce cercle il est défendu de parler des tableaux de M. Courbet. » Chez un banquier fort riche, qui avait réuni à dîner une société nombreuse, chaque invité trouva dans le pli de sa serviette un petit billet où il était écrit : « Ce soir, on ne parlera pas de M. Courbet. »

 

 

Lettre à ses parents – Paris, vers le 13 mai 1853

 

     En cette année 1853, le Salon va ouvrir ses portes le 15 mai.

 

Mes tableaux ont été reçus ces jours passés par le jury sans aucune espèce d’objection. J’ai été considéré comme admis par le public et hors de jugement. Ils m’ont enfin laissé la responsabilité de mes œuvres. J’empiète tous les jours. Tout Paris s’apprête pour les voir et entendre le bruit qu’ils feront. Pour Les baigneuses, çà épouvante un peu, quoique depuis vous j’y aie ajouté un linge sur les fesses. Le paysage de ce tableau a un succès général.

  

peinture,courbet,ornans,réalisme

Gustave Courbet – Les baigneuses, 1853, musée Fabre, Montpellier

 

 

     On est très loin de la tradition néoclassique pour laquelle le nu était l’incarnation de la pureté morale.

     Une nouvelle escalade dans la provocation ? Courbet ou le goût du laid ? Il peint le nu comme il fait ses autoportraits : sans psychologie particulière. Il met en pièce l’idée même de sujet, pour mieux affirmer la présence brute, crue, du corps exhibé. Avec Courbet, le corps ne raconte rien, il montre.

     La  réprobation est générale :

     Dans son Journal du 15 avril 1853, Eugène Delacroix explose : « La vulgarité des formes ne ferait rien ; c’est la vulgarité et l’inutilité de la pensée qui sont abominables. »

     L’Impératrice Eugénie vient au Salon. Elle admire, comme il convient, le « Marché aux chevaux » de Rosa Bonheur, et on lui fait observer la fidélité avec laquelle l’artiste a su rendre la plus belle de nos races, la race percheronne. Arrivée devant les «  Baigneuses », l’Impératrice ne peut retenir un cri de surprise.

- Est-ce aussi une Percheronne, fait-elle ?

     Théophile Gautier parle dans « La Presse » le 21 juillet 1853 : « Rompre violemment avec l’antique et les traditions du beau, peindre dans toute leur disgrâce les laideurs les plus rebutantes avec une grossièreté volontaire de touche, tel est le programme que s’est imposé M. Courbet, et il le suit fidèlement. A propos des « Baigneuses » il écrit : « Figurez-vous une sorte de Vénus hottentote sortant de l’eau, et tournant vers le spectateur une croupe monstrueuse et capitonnée de fossettes au fond desquelles il ne manque que le macaron de passementerie.

 

     Aux yeux de Courbet, outre le rôle des « Baigneuses » dans son processus d’émancipation artistique, le tableau lui apparaît comme un jalon essentiel dans son œuvre. Le scandale est son plaisir et sa façon d’avancer. Notre homme s’amuse, il rigole...

 

 

 

Commentaires

  • Tres intéressant de penetrer a la fois dans la connaissance de l' oeuvre et de son auteur. Merci

  • C’est le but de ce blog : faire connaître un auteur et son œuvre de la façon la plus vivante possible.
    Excellent dimanche.

  • J'ai aimé le "gracieux" de Courbet, j'ai aimé aussi sa "Fileuse" bien différente. J'arrive par hasard et je trouve profondément intéressante cette confrontation des tableaux et des lettres. J'ai peu de temps, je reviendrai bientôt, en promenade, en découverte.
    Merci pour l'Art.

    Lorraine

  • Courbet avait un sens de la grâce qui lui était propre. Certaines « Baigneuses » avaient aussi de la grâce, mais il cherchait surtout à s’amuser et, beaucoup, à provoquer.
    Merci pour votre visite Lorraine. Excellentes fêtes de fin d’année.

  • L’admiration est un bien grand mot, mais je l’accepte, c’est les fêtes…
    Excellent Noël à vous et votre famille.

  • Cette correspondance est décidément passionnante. En vous lisant, on comprend à quel point il faut être un "lutteur" pour vaincre les préjugés, mais aussi la jalousie, ces deux adversaires invisibles et sournois de l'artiste vraiment novateur.
    Et l'orgueil naïf du peintre a la fraîcheur de son coup de pinceau, mais aussi la vigueur nécessaire pour répondre à tous les coups reçus.

  • Il est exact, Carole, que Courbet était orgueilleux. Cela transparaît dans toutes ses phrases. Certainement l’orgueil du provincial qui voulait démontrer aux parisiens qu’il était le meilleur. Il en faisait souvent un peu trop, mais quel plaisir il se donnait, et quelles aigreurs il procurait aux grincheux.
    Excellente fin d’année pour vous et vos proches.

  • Décidément, Julien Courbet ne fait pas dans la demi mesure tant par ses avis et propos égotiques en ce qui concerne son art, tant dans le sujet de ses tableaux!!Je le trouve insensément avant-gardiste!Je me souviens d'avoir réalisé une copie de "l'origine du monde" à l'aquarelle lorsque mon fils me demandait de lui peindre une femme nue!! Hélas, il n'a pas compris!!DOMMAGE!! Julien Courbet est pour moi, un peintre qui eut un caractère fort où l'on ressent une vraie détermination dans la réalisation de ses sujets! le "Réalisme" prend là toute sa dimension! BISOUS FAN

  • Chère Fan
    Il y a tellement de très beau nus dans l'histoire de la peinture que je n'aurais pas choisi ce tableau si mon enfant me demandait de lui en peindre un. Cela a peut-être choqué ton fils comme il choque toujours des adultes...
    On aime ou on n'aime pas Courbet. Au vue des critiques, il ne laissait jamais indifférent. Mais il le cherchait.
    Pour Courbet, le terme de "réaliste" semble avoir été essentiellement une opération de marketing. Malgré tout, nous sommes dans un siècle ou la peinture devient plus fidèle à la réalité, plus naturaliste.
    J'espère que Noël t'a apporté de nombreux cadeaux. A bientôt.

  • Mais quelle bonne idée tu as eue, Alain, de choisir ce poème de Valéry en guise d'exergue à ton article, non seulement parce qu'il est superbe, mais aussi parce qu'il va, j'espère, inviter tes lecteurs à retrouver le chemin de l'oeuvre un peu oubliée - qui n'est d'ailleurs pas que poétique -, de cet homme qui mériterait qu'on ressorte des arrière-salles dans lesquelles, les critiques littéraires, ont trop tendance à le cantonner.


    Combien est excellent, je ne me lasserai jamais de te l'écrire, ce point de vue que tu as adopté de nous emmener sur le chemin de grands peintres au travers de leur correspondance, méconnue le plus souvent, que ces mêmes critiques ont voulu considérer comme accessoire, voire mineure !


    "L'Origine du Monde" se profilant à ton horizon, j'attends avec une certaine impatience de lire dans une prochaine intervention ce que Courbet écrivit à son sujet ...


    Que s'ouvre pour toi et les tiens une belle année 2015 !

    Amitiés,
    Richard

  • Inspiré du tableau de Courbet, le poème de Paul Valéry est effectivement exceptionnel de qualité et rappelle beaucoup le style de Mallarmé que Valéry considérait comme son maître.
    En préparant chaque article j’apprécie, comme je l’avais ressenti pour Vincent Van Gogh, la complémentarité qui se dégage entre la correspondance d'un peintre et son œuvre. Les écrits de l’artiste donnent vie à l'œuvre, et l’explique. En passant, cela me fait penser à l’excellente émission de France Culture, le samedi à 16 H : Une vie Une œuvre.
    Pour « L’origine du monde », je crains que tu ne sois déçu car Courbet n’évoque jamais ce tableau dans la correspondance parvenue jusqu’à nous. J’aurais certainement l’occasion d’en parler.
    Merci pour tes vœux 2015. Puisse cette nouvelle année te satisfaire dans tous les domaines qui donnent un sens à ta vie.

Écrire un commentaire

Optionnel