Les impressionnistes en privé à Marmottan
Claude Monet - Impression, soleil levant, 1873, musée Marmottan, Paris
Le musée Marmottan fête ses 80 ans cette année ! Si vous n’avez rien à faire de spécial, si vous aimez la peinture impressionniste et passez dans la région parisienne, ne foncez surtout pas aux Galeries Lafayette dépenser votre argent. Il y a mieux à faire…
Courez à Marmottan voir la toute nouvelle exposition temporaire : « Les impressionnistes en privé ». J’en reviens… Un bonheur vous attend ! Celui de ressentir, en fin de journée, cette sensation d’éblouissement que vous réservera la visite de ce charmant ancien hôtel particulier proche du bois de Boulogne.
Après la magnifique exposition Berthe Morisot de 2012, j’ai été heureux de retrouver à nouveau ce haut lieu de l’impressionnisme. Avec le musée d’Orsay, Marmottan renferme ce que l’on peut trouver de mieux comme chefs-d’œuvre de cette peinture de lumière qui chamboula l’art académique à la fin du 19e siècle. Autour du célèbre « Impression, soleil levant », œuvre de Claude Monet qui donna son nom au mouvement impressionniste, le musée possède le premier fonds mondial de toiles de cet artiste, ainsi que la première collection publique des œuvres de Berthe Morisot.
A l’occasion de l’anniversaire du musée, cent chefs-d’œuvre provenant uniquement de collections particulières nous sont présentés : œuvres possédées par des propriétaires du monde entier qui ont accepté de s’en séparer, le temps d’une exposition parisienne, pour nous offrir un panorama complet de l’impressionnisme.
La plupart des tableaux présentés dans cette nouvelle exposition, dignes des plus grands musées, sont des œuvres inédites. Personnellement, je ne les avais jamais vus, même en reproduction.
Je souhaitais vous montrer une petite douzaine d’œuvres, simplement un court aperçu de l’expo. J’ai craqué... tout était tellement beau, et vous en montre, ci-dessous, deux fois plus. Les amoureux de cette peinture ne s’en plaindront pas...
Les amis les plus proches, Claude Monet et Auguste Renoir, les habitués des anciennes soirées du jeudi de la rue de Villejust chez Berthe Morisot, sont les artistes qui reviennent le plus souvent dans ma sélection, ainsi que, évidemment, ma petite préférée, Berthe elle-même.
Camille Corot - Ville-d'Avray, le grand étang et ses villas, 1853, collection privée
Combien de fois, Camille Corot peignit cet étang de Ville-d’Avray du second étage de la chambre où il résidait régulièrement dans la propriété de son père ? Cette version a été peinte de l’autre extrémité du lac, avec le village au centre. Le charme de ce paysage à la douceur vaporeuse opère toujours.
Camille Corot - La Vachère au bord de l'eau, 1867, collection privée
« J’ai vu en rêve des paysages avec des ciels tout roses » Corot, sur son lit de mort, devait penser à ce paysage en prononçant cette phrase.
Mary Cassatt excellait dans les portraits. Le velouté et les couleurs vives du pastel, technique qu’elle utilisait le plus souvent, expriment parfaitement la fraîcheur de l’enfance.
Mary Cassatt - Portrait d'Anne-Marie Durand-Ruel, 1908, collection privée
Que dire devant la finesse d'une énième version, fondue en bronze, de cette petite danseuse inoubliable...
Degas se donna tout entier dans ce travail : « Retracez une figure de danseuse, vous pourrez avec un peu d’adresse, faire illusion un instant, mais vous n’aboutirez, quelque scrupule que vous ayez apporté à votre traduction, qu’à une silhouette sans épaisseur, sans effet de masse, sans volume, et qui manquera de justesse. La vérité, vous ne l’obtiendrez qu’à l’aide du modelage, parce qu’il exerce sur l’artiste une contrainte qui le force à ne rien négliger de ce qui compte ».
Edgar Degas, La Petite Danseuse de quatorze ans, 1880, collection privée
L’expression du visage de ce monotype rehaussé au pastel donne une forte impression de mouvement à la chanteuse.
Edgar Degas, Chanteuse, 1880, collection privée
Eva Gonzalès, cette élève et modèle d’Edouard Manet, décéda trop jeune. Elle possédait le même talent que ses amies Berthe Morisot et Mary Cassatt. Cette technique du pastel, beaucoup utilisée par les impressionnistes, permettait de transmettre des émotions spontanées.
Eva Gonzalès - Le moineau, 1867, collection privée
Claude Monet - Sur les planches de Trouville, hôtel des Roches noires, 1870, collection privée
En cette année 1870, Claude Monet est heureux. Il ne cesse de peindre sa petite femme Camille avec laquelle il vient de s’unir. Trouville l’inspire. Il aime "sa" côte normande. Alors, il peint tout ce qu’il voit : mer, voilier, port, et puis le luxueux hôtel des Roches noires, face à la mer calme en cette belle journée.
Claude Monet - Voilier au Petit-Gennevilliers, 1874, collection privée
1874 est l’année de la première exposition du groupe des futurs impressionnistes. Cette période des années 70 est celle que je préfère dans le travail de Monet : légèreté, vibration des touches fragmentées dans l’eau. Et puis ce ciel où quelques nuages sont suggérés de simples traits vigoureux.
Avec son ami Renoir, Claude Monet découvre la côte d’azur. Le contraste en clair-obscur partage le tableau en deux parties, les ombres du premier plan ne faisant que mieux ressortir la lumière intense de l’arrière plan.
Claude Monet - Monte-Carlo vu de Roquebrune, 1884, collection privée
Ces hémérocalles ont été peintes par un Monet vieillissant dans la même période où il travaillait sur ses Grandes Décorations des Nymphéas, aujourd’hui exposées au musée de l’Orangerie à Paris. Chatoiements de couleurs bleues, rouges, jaunes, vertes…
Claude Monet - Hémérocalles au bord de l'eau, 1916, collection privée
Je m’arrête un instant sur l’artiste que je considère comme la plus impressionniste des impressionnistes : « Fixer quelque chose de ce qui passe » ambition simple qui éclairera toute l’œuvre de Berthe Morisot.
« Elle est l’impressionnisme par excellence … disaient des critiques. Son ami Stéphane Mallarmé lui fit ce beau compliment : « C’est peut-être la plus délicate des peintres impressionnistes ».
Berthe amène une sensibilité féminine, une touche de charme, de distinction, d’élégance, parmi tous ses amis peintres masculins qui la respectent énormément. Les cinq œuvres ci-dessous, présentes dans l’exposition, se veulent comme un florilège de la remarquable et variée technique de Berthe :
Berthe Morisot - Les lilas à Maurecourt, 1874, collection privée
Cela pourrait ressembler à une esquisse… Faux, Berthe est jeune, elle peint avec vivacité les variations de la lumière. La toile est fraîche, légère comme une aquarelle.
Esquisse d’une jeune femme profitant du lac du bois de Boulogne aménagé en patinoire durant ce dur hiver de 1879-1880. La toile est parcourue de vibrations colorées et de touches nerveuses multiples qui lui donnent toute son harmonie.
Berthe Morisot - Jeune femme remettant son patin, 1880, collection privée
Berthe Morisot - La Fable, 1883, collection privée
Julie, la fille de Berthe, face à sa nourrice Pasie. Ce tableau est très représentatif de la palette impressionniste totale de Berthe des années 1880. Des nuances lumineuses unissent Pasie et l'enfant de la même manière, toute en délicatesse colorée.
Berthe Morisot - Jeune fille à la potiche, 1889, collection privée
Cette œuvre est restée inachevée. « La seule femme peintre qui ait su garder la saveur de l’incomplet et du joliment inachevé » dira Jacques Emile Blanche.
La toile est entraînée dans un mouvement coloré subtil, proche de l’abstraction.
Berthe Morisot - La piano, 1888, collection privée
Le pastel permet à Berthe de mieux exprimer sa touche d’une grande liberté d’expression. Dans cette toile elle cherche un juste équilibre entre la vibration des traits et le rendu des formes.
Le petit village d’Auvers-sur-Oise à l’époque où Pissarro peignait avec Cézanne, non loin de la demeure de son ami le docteur Paul Gachet.
Camille Pissarro - Chaumières à Auvers-sur-Oise, 1873, collection privée
Vite… Le soleil ne va pas tarder à disloquer cette brume du matin. Les tonalités bleu gris traversées de mauve et d’argent vont s’éclaircir pour laisser apparaître les détails du jour naissant.
Camille Pissarro - Le Pont Corneille à Rouen, brume du matin, 1896, collection privée
« Regardez Vollard, n’est-ce pas que c’est aussi brillant qu’une bataille de
Delacroix ? […] Je crois bien, que cette fois, je tiens le secret de la peinture ! »
Auguste Renoir - Roses et pivoines dans un vase, 1876, collection privée
Renoir s’est inspiré d’Ingres pour ce portrait de jeune fille au visage ovale encadré d’une soyeuse chevelure ambrée.
Auguste Renoir - Portrait de Lucie Bérard au tablier blanc,1884, collection privée
Quel portraitiste ce Renoir ! Certainement le plus grand parmi les impressionnistes.
Auguste Renoir - Enfant assis en robe bleue,1889, collection privée
« Dès que je me suis mis à peindre, la peinture a débordé de partout ; j’ai compris alors que mon destin était d’être coloriste et non dessinateur ».
Dans ce magnifique petit tableau, mon préféré de l'exposition, Renoir est revenu aux lignes évanescentes des années 80. Les coloris du paysage, des figures, et les robes des jeunes filles, se fondent dans un même accord intime.
Auguste Renoir - Jeunes filles au bord de la mer,1894, collection privée
Alfred Sisley - Pommiers en fleur à Louveciennes, 1873, collection privée
Alfred Sisley est un très grand paysagiste. Sur cette toile, la nature sort de l’hiver, la lumière éclate sous ce grand ciel bleu envahi de légers filaments rosâtres.
Vous avez jusqu’au 6 juillet. Avant de quitter l’exposition, n’oubliez pas de faire une halte devant les nombreux Nymphéas de Claude Monet accrochés toute l'année à Marmottan. Ils transforment la grande salle qui les accueille, comme au musée de l’Orangerie, en aquarium géant.
Je viens d’assister à une belle leçon d’impressionnisme. Nul besoin d’éducation pour comprendre cette peinture ! Plébiscité par les amateurs d’art du monde entier, elle parle directement aux personnes qui retrouvent dans ces toiles leur vie quotidienne, les personnes qu'ils côtoient et les paysages qu’ils traversent.
La vision de ces tableaux, expression d'une nouvelle liberté de peindre pour ce groupe de jeunes artistes talentueux, rend heureux. Il suffit d’examiner le visage des visiteurs en sortant de l’exposition…
Alain
Commentaires
Quel cadeau !
Mais quel cadeau !!
Que de merveilles dans ces collections privées !!!
J'oserais même ajouter : quelle honte de conserver ces trésors par devers soi, rien que pour son plaisir esthétique personnel !!!!
Sont-ils Français ou Américains, ces richissimes collectionneurs ?
Merci Alain, au nom probablement de tous ceux qui n'auront pas l'opportunité de se rendre à Paris dans les deux mois à venir ; en mon nom personnel, - moi qui, honteux, ose avouer que je ne me suis même jamais rendu dans ce musée -, d'avoir pris et partagé ces photos. Autorisées, apparemment ?
Cette exposition mériterait vraiment à elle seule que je fasse le déplacement ... même avec ma canne.
J’ai fait le maximum, Richard, pour vous offrir ce cadeau, un aperçu succinct de ma visite.
Il y a une telle richesse dans ce musée proche du bois de Boulogne. L’exposition permanente est exceptionnelle et vaut, à elle seule, le déplacement. Surtout pour Claude Monet et Berthe Morisot dont la qualité et la quantité des œuvres sont uniques au monde, avec celles d’Orsay.
Le musée fête ses 80 ans en fanfare. Les toiles envoyées par ces collectionneurs privés sont impressionnantes. Ceux-ci viennent du monde entier et peu de noms sont indiqués, en dehors d’un collectionneur de Mexico présentant de nombreuses toiles. Celles-ci ont certainement été achetées à l’époque, fin 19e début 20e, où elles étaient encore accessibles sur le marché de l’art. Les marchands Durand-Ruel et Vollard ont beaucoup aidés les impressionnistes.
Les peintures des ces peintres sont maintenant dans le domaine public. On peut en trouver sur le net mais de qualité moyenne. Les meilleures sont celles du catalogue de l’expo. Après quelques retouches dans un logiciel, elles sont parfaites à l’écran. De toute façon, je n’ai aucun but commercial.
J’ai pris autant de plaisir à les partager qu’à les voir sur place malgré le nombre de visiteurs. Quand on aime. Avec ta canne, tu pourrais fendre la foule…
A propos, je ne sais si tu as vu les enregistrements audio des trois nouvelles que m’a fait Esperiidae sur Litterature audio ? J’ai publié des notes spéciales à ce sujet. Elle aussi m’a fait un beau cadeau que je garde précieusement. Ces enregistrements me paraissent, malgré le genre nouveau de ces lectures, avoir été plutôt bien reçus.
Cet article ne pouvait pas mieux tomber, nous avons prévu de visiter cette exposition cette semaine et réservé nos places. Nous avons hâte d'admirer tous ces chefs d'oeuvre habituellement non visibles par le public.
Je pense que tu ne seras pas déçu. Attention au monde l’après-midi, il vaut mieux avoir ses billets pour éviter l’attente.
Et puis ce musée est toujours aussi agréable à revoir pour son exposition permanente.
Merci pour le partage de tous ces trésors...C'est superbe :)
Il y a encore beaucoup de toiles impressionnistes chez des collectionneurs privés. Mais ce n’est pas tous les jours que l’on a l’occasion de les voir.
J'aime beaucoup le musée Marmottan, et j'espère pouvoir visiter cette exposition. Merci pour ce beau parcours.
Un grand-père de mon mari était jardinier chez Mary Cassatt. J'y ai repensé en vous lisant.
En dehors du Louvre et d’Orsay, Marmottan reste pour moi, avec Jacquemard-André, l’un des plus beaux et des plus riches musées parisiens. Que de chefs-d’œuvre l’on peut croiser en quelques heures !
J’espère, Carole, que le grand-père de votre mari s’inspirait de Mary Cassatt pour penser ses massifs de fleurs. Cette femme peintre, encore peu nombreuses à cette époque, possédait un immense talent de portraitiste et coloriste. Si vous allez voir l’expo, vous verrez une petite gravure d’Edgar Degas montrant son amie « Mary Cassatt au Louvre ».
Bonjour Alain,
Me voici de retour sur le net et, pour mon plus grand plaisir, en visite sur ton blog :-). Je découvre avec plaisir toutes ces toiles. Chacune d'entre elles mériterait de longues minutes de contemplation. J'aime beaucoup l'inachevé de "La jeune fille à la potiche", qui diffuse dans l'âme comme des vapeurs de rêves.
Merci pour ce beau partage Alain.
Amitiés
J’ai beaucoup aimé les toiles présentées dans cette exposition et me suis fait violence pour en sélectionner une vingtaine.
« Elle diffuse dans l’âme comme des vapeurs de rêves ». Belle poésie pour commenter la toile inachevée de Berthe Morisot ! Un commentateur des années 1880 disait : « Madame Morisot est l’ange de l’inachevé ; son dessin n’est qu’une ébauche dans une débauche d’indéfini ». C’était pas mal aussi… Les nombreux tableaux inachevés de Berthe inspiraient les écrivains. Je ne manque jamais lorsque je vais à Marmottan de rendre une visite admirative à ses superbes pastels que l’on peut voir dans l’expo permanente.
En parlant d’inachevé, il y avait, dans cette expo provenant de collections particulières, une petite esquisse de Claude Monet montrant sa belle-fille Blanche, jeune, peignant au bord de l’eau. Cela m’a rappelé la jeune fille qui courait la campagne à Giverny et plantait son chevalet à côté de Monet. A cette époque, les « Nymphéas » n’existaient pas encore.
Bonne journée
merci
oui les échos sur cette expo sont bons
pas vu, dommage
JA
Il est encore temps, l'expo dure jusqu'au 6 juillet prochain.