CORRESPONDANCE - EXTRAITS CHOISIS
Vincent Van Gogh – Saules au coucher de soleil, automne 1888, Kröller-Müller Museum, Amsterdam
L’influence du mistral fut certaine sur Vincent Van Gogh. Sa violence se décupla quand il se vit aux prises avec le fougueux vent de Provence. Pas de temps à perdre, peindre vite, en touches brutales, heurtées, mais sûres ; impossibilité de « peloter » le motif, comme disent tous les peintres, à la manière de Renoir. Pas de caresses ; des coups de brosse sautant sur les courtes accalmies. Et défendre encore son chevalet, sa toile, tout cela qui gémit et menace à toute seconde de s'abattre sous les cinglantes lanières de la tempête ! Il écrit à son frère Théo : « Je t'ai déjà dit que j'ai toujours à lutter contre le mistral, qui empêche absolument d'être le maître de sa touche. De là le « hagard » des études. »
Gustave Coquiot
L’été se termine à Arles. Vincent Van Gogh peint, peint passionnément. Il y a tant à peindre : les arlésiennes, des paysages empourprés, les tournesols… Son style est maintenant bien en place. Il est au sommet de son art. « Je marche comme une locomotive à peindre ».
Vincent semble anxieux quand à la venue de son ami peintre Paul Gauguin qui hésite à entreprendre le voyage : « je suis bien chagrin d’être retenu à Pont Aven ; chaque jour la dette augmente et rend mon voyage de plus en plus improbable. » Pourtant, Vincent est en plein préparatif d’aménagement et de décoration de « la maison jaune » de la place Lamartine. Il veut que son ami la trouve agréable.
Ce mois de septembre allait être pour Vincent d’une richesse exceptionnelle en peintures de nuit qui le préoccupent depuis son arrivée à Arles. La douceur du climat incite enfin l’artiste à la rêverie et au travail nocturne.
Lettre à sa sœur Willemien – vers le 14 septembre 1888
Je viens de terminer une toile qui représente un intérieur de café la nuit éclairé par des lampes. Quelques pauvres rôdeurs de nuit dorment dans un coin. La salle est peinte en rouge et là-dedans, sous le gaz, le billard vert qui projette une immense ombre sur le plancher. Dans cette toile il y a 6 ou 7 rouges différents, depuis le rouge sang jusqu’au rose tendre, faisant opposition à autant de verts pâles ou foncés.
Vincent Van Gogh – Le café de nuit de la Place Lamartine à Arles, sept. 1888, Yale University Art Gallery, New Haven
[…]
Lorsque tu y feras attention tu verras que certaines étoiles sont citronnées, d’autres ont des feux roses, verts, bleus myosotis. Et sans insister davantage il est évident que pour peindre un ciel étoilé il ne suffise point du tout de mettre des points blancs sur du noir bleu.
Vincent Van Gogh – La maison jaune, sept. 1888, Van Gogh Museum, Amsterdam
Ma maison ici est peinte en dehors en jaune beurre frais à volets verts cru, et elle est en plein soleil sur la place où il y a un jardin vert, de platanes, de lauriers roses, d’acacias. En dedans elle est toute blanchie à la chaux et le sol est en briques rouges. Et le ciel bleu intense dessus. Là-dedans je peux vivre et respirer, moi, et réfléchir et peindre. Et il me semble que j’irais plus loin dans le Sud plutôt que de remonter vers le nord puisque j’ai trop grand besoin de la forte chaleur pour que mon sang circule normalement. Ici je me porte bien mieux qu’à Paris.
[…]
J’ai été interrompu justement par le travail que m’a donné de ces jours ci un nouveau tableau représentant l’extérieur d’un café le soir. Sur la terrasse il y a de petites figurines de buveurs. Une immense lanterne jaune éclaire la terrasse, la devanture, le trottoir, et projette même une lumière sur les pavés de la rue qui prennent une teinte de violet rose. Les pignons des maisons, d’une rue qui file sous le ciel bleu constellé d’étoiles, sont bleus foncés ou violets avec un arbre vert. Voila un tableau de nuit sans noir, rien qu’avec du beau bleu et du violet et du vert, et dans cet entourage la place illuminée se colore de souffre pâle, de citron vert. Cela m’amuse énormément de peindre la nuit sur place. Autrefois on dessinait et peignait le tableau le jour d’après le dessin. Mais moi je m’en trouve bien de peindre la chose immédiatement.
Il est bien vrai que dans l’obscurité je peux prendre un bleu pour un vert, un lilas bleu pour un lilas rose, puisqu’on ne distingue pas bien la qualité du ton. Mais c’est le seul moyen de sortir de la nuit noire conventionnelle avec une pauvre lumière blafarde et blanchâtre, alors que pourtant une simple bougie déjà nous donne les jaunes, les orangés les plus riches. Tu ne m’as jamais dit si tu avais lu Bel-Ami de Guy de Maupassant, et ce que tu penses maintenant en général de son talent. Je dis cela parce que le commencement de Bel-Ami est justement la description d’une nuit étoilée à Paris avec les cafés illuminés du Boulevard, et c’est à peu près ce même sujet que je viens de peindre maintenant.
Vincent Van Gogh – Le café terrasse sur la place du forum, Arles, la nuit, sept. 1888, Kröller-Müller Museum, Otterlo
[…]
Ma chère soeur je crois qu’actuellement il faut peindre les aspects riches et magnifiques de la nature. Nous avons besoin de gaîté et de bonheur, d’espérance et d’amour.
Plus je me fais laid, vieux, méchant, malade, pauvre, plus je veux me venger en faisant de la couleur brillante, bien arrangée, resplendissante.
Lettre à Théo – vers le 30 septembre 1888
J’ai écrit à Gauguin en réponse à sa lettre, que s’il m’était permis à moi aussi d’agrandir ma personnalité dans un portrait, j’avais en tant que cherchant à rendre dans mon portrait non seulement moi mais en général un impressionniste, j’avais conçu ce portrait comme celui d’un bonze, simple adorateur du Bouddha éternel.
[...]
C’est tout cendré contre du véronèse pâle (pas de jaune). Le vêtement est ce veston brun bordé de bleu, mais dont j’ai exagéré le brun jusqu’au pourpre et la largeur des bordures bleues.
La tête est modelée en pleine pâte claire contre le fond clair sans ombres presque. Seulement j’ai obliqué un peu les yeux à la japonaise.
Vincent Van Gogh – Autoportrait (dédicacé à Gauguin), sept. 1888, Fogg Art Museum, Cambridge
Lettre à Théo – vers le 30 septembre 1888
La représentation « d’effets de nuit » préoccupe Vincent. Les nuits étoilées de ce mois de septembre sont favorables à son projet : « Souvent il me semble que la nuit est encore plus richement colorée que le jour ».
Ci inclus petit croquis d’une toile de 30 carrée, enfin le ciel étoilé peint la nuit même sous un bec de gaz. Le ciel est bleu vert, l’eau est bleue de roi, les terrains sont mauves. La ville est bleue et violette, le gaz est jaune et ses reflets sont or roux et descendent jusqu’au bronze vert. Sur le champ bleu vert du ciel, la Grande Ourse a un scintillement vert et rose, dont la pâleur discrète contraste avec l’or brutal du gaz.
Deux figurines colorées d’amoureux à l’avant plan.
Vincent Van Gogh – La nuit étoilée sur le Rhône, sept. 1888, Musée d’Orsay, Paris
Commentaires
Bonsoir Alain
quel feu d'artifice !
ces toiles comptent parmi les plus célèbres de notre ami VVG.
J'ai eu l'impression de me promener dans un jardin d'émotions diurnes et nocturnes.
ces tableaux sont pour moi comme des souvenirs.
Oui ! ce sont les souvenirs personnels de mes premères émotions artistiques.
Je n'ai rien oublié ! Jadore !
Jacky
Effectivement, ce mois de septembre a été un véritable feu d’artifice pour Vincent. Les toiles peintes dans ce mois, surtout les effets de nuit, comptent parmi les plus belles du peintre et de l’histoire de la peinture. Dire que ce garçon doutait toujours de la qualité de son travail !
Vincent était tellement imprégné de peinture japonaise, comme beaucoup d’impressionnistes à cette époque, qu’il s’amuse à se représenter les yeux bridés. Original ce bonze barbu au crâne dégarni !
Je suis heureux de t’avoir remémoré tes premières émotions artistiques.
"...Voila un tableau de nuit sans noir, rien qu’avec du beau bleu et du violet et du vert..." Il a par ces mots vraiment une très belle façon de sentir la nuit, et par sa peinture une très belle façon de nous partager ce ressenti. Ce café éclairé sur cette place assombrie est vraiment magnifique.
Il a bien raison "Souvent il me semble que la nuit est encore plus richement colorée que le jour". J'aime la nuit pour les sons qu'on y entend aussi, voilés le jour par les activités humaines. La nuit parle un bien joli langage :-).
Très beau dimanche
Les visions nocturnes de Vincent en ce mois de septembre comptent parmi les plus belles de son œuvre. En particulier, le « Café terrasse sur la place du forum à Arles » qui, à mes yeux, est le plus important tableau de nuit du peintre avec « La nuit étoilée » peinte en 1889 dont je parlerai plus tard.
Dans un film sur Van Gogh, on le montrait peignant avec des bougies sur son chapeau. J’en doute… Cette toile du café est exceptionnelle par la diversité des tons et le contraste des couleurs complémentaires jaune orangé et bleu violet.
C’est vrai que la nuit parle un joli langage. Vincent exprimait ce langage en couleur.
J'ai revu "La nuit étoilée sur le Rhône" au musée d'Orsay après la visite de l'exposition "les impressionnistes et la mode". Ton article qui la met à la suite de la toile "Le café terrasse sur la place du forum, Arles, la nuit" permet d'apprécier sa façon de rendre les étoiles, ces pointes de jaune qui leur donnent de l'éclat.
Il faut que j’aille voir cette expo « Les impressionnistes et la mode » du musée d’Orsay qui doit être superbe, les impressionnistes, surtout Renoir, peignant souvent les femmes et leurs toilettes.
Cette « Nuit étoilée sur le Rhône » permet à Vincent, comme pour le café, d’opposer le sombre violacé de la nuit aux lueurs orangées de la ville et des étoiles. L’artiste peint les étoiles comme ses grands soleils qu’il nous montre sur d’autres toiles. Des petits soleils scintillants emplissent la voûte céleste qui recouvre les amoureux du premier plan d’un manteau lumineux révélant leur intimité.
Ces lettres de Van Gogh sont merveilleuses à lire : c'est comme une réflexion toujours reprise sur la couleur, sur la lumière, sur le regard en somme. Je ne connais personne au monde qui soit allé aussi loin que lui dans ce domaine.
La lumière, l’atmosphère, et leur rendu sur la couleur, étaient le thème d’inspiration favori des peintres avant-gardistes de l’époque.
Vincent allait effectivement plus loin encore : des traits, des points, des courbes, découpaient la couleur en tons purs jetés fiévreusement sur la toile. Une explosion colorée ! Incompris et en souffrant, pouvait-il savoir qu’il était trop en avance ? Ses courriers expriment ses doutes. Néanmoins, comme tous les grands peintres, il continuait son chemin, seul, avec Théo qui le soutenait. Egalement un bien bel écrivain, rude, nature, cultivé.
J’apprécie votre blog original, empreint d’une grande finesse poétique.
Après les appréciations de tes lecteurs qui, pour certains, ont découvert ton présent article quasiment "en direct", j'arrive bien tard pour ajouter quoi que ce soit, notamment sur les splendides "nuits étoilées" ...
Aussi, me contenterai-je d'épingler quelques phrases dans sa correspondance, qui mériteraient bien des commentaires :
* "Je marche comme une locomotive à peindre."
* "Et il me semble que j’irais plus loin dans le Sud plutôt que de remonter vers le nord puisque j’ai trop grand besoin de la forte chaleur pour que mon sang circule normalement. Ici je me porte bien mieux qu’à Paris."
(Là, en remplaçant "Paris" par Belgique, tu comprendras les raisons personnelles qui me font pleinement accréditer les propos de Vincent !)
* "Plus je me fais laid, vieux, méchant, malade, pauvre, plus je veux me venger en faisant de la couleur brillante, bien arrangée, resplendissante."
Merci Alain de nous permettre d'ainsi entrer de plain pied et avec tant d'acuité dans la vie de ce grand artiste.
« Je marche comme une locomotive à peindre » Vincent voudrait tout peindre, vite, tellement ce midi lui inspire de motif. La richesse picturale de cette région est parfaitement adaptée à son style si coloré.
Il se sent mieux. Il se donne à fond. Il respire.
Quel bonheur ce climat ! Comme je comprends Vincent ! Le soleil, la chaleur… Ce hollandais, proche de la Belgique, revivait, loin de la grisaille et du froid des climats nordiques. J’ai certaines ascendances du Sud et, comme toi et Vincent, le manque de lumière et de chaleur, surtout en automne, me pèse souvent.
La mélancolie de Vincent, ses soucis financiers insolubles, la non-reconnaissance de sa peinture, le font se sentir comme il dit : « vieux, méchant, malade, pauvre ». Alors, il se venge dans ses tableaux qui lui permettent, par la force des couleurs, d’exprimer autrement ce que la vie lui refuse.
Tu as certainement apprécié les tableaux de nuit qui sont parmi les plus originaux de son œuvre.
Merci de m'aider à comprendre en quoi les lignes de forces du tableau de Vincent Van Gogh contribuent elles à l'impression de paix?
quelle est la comparaison entre la vision de la nuit chez Guy de Maupassant et chez Van Gogh? quelles sont les ressemblances et les différences entre le texte la nuit et le tableau Nuit étoilée sur le Rhône?
Je ne suis pas historien d’art. Je tente de vous donner une vision personnelle au vu de mes connaissances sur le peintre.
Vincent cherchait à peindre la nuit. Il trouvait que la nuit n’avait pas des couleurs blafardes mais était plus richement colorée que le jour.
Ce qui est étonnant dans cette toile est que la lueur des étoiles est en symétrie parfaite avec celle des réverbères. L’alignement des lumières des étoiles dans l’eau correspond au reflet de la lumière de la ville. Par contre les deux amoureux en bas ne sont pas dans cet alignement. Le peintre ne peint pas le réel, il rêve. Ce tableau par la poésie exprimée par ces couleurs, ces reflets, le couple, a un côté apaisant.
Pour le texte sur La Nuit de Maupassant j’ai noté essentiellement un passage
« Je la regarde s’épaissir, la grande ombre douce tombée du ciel : elle noie la ville, comme une onde insaisissable et impénétrable, elle cache, efface, détruit les couleurs, les formes, étreint les maisons, les êtres, les monuments de son imperceptible toucher. »
Il est facile de comprendre que la vision de l’écrivain sur les couleurs de la nuit n’est pas du tout la même que celle de Van Gogh.
Belle journée.