Ma visite estivale au musée des impressionnismes à Giverny
J’ai failli rater l’exposition de Giverny. Il restait trois jours avant la clôture le 19 juillet dernier…
Installé au milieu d’un jardin découpé à l’ancienne en carrés fleuris éclatants de couleurs, ce Musée des Impressionnismes a un charme suranné. La petite route accédant au musée mène, si on la poursuit sur quelques centaines de mètres, vers la maison rose, les jardins et le bassin au nymphéas du peintre Claude Monet. L’artiste y habita durant 43 années.
Le ciel normand, comme souvent, était d’un bleu délavé encombré de nuages moutonneux laissant échapper quelques maigres rayons de soleil.
Dès l’entrée de l’exposition le visiteur sait de quoi il retourne. L’interrogation écrite en gros sur les murs : Degas, un peintre impressionniste ? était suffisamment explicite.
Avant de venir, j’avais bien ma petite idée en tête sur Edgar Degas. Je comptais sur la vision des œuvres exposées pour finir de me convaincre.
Que fut l’impressionnisme ?
Au début des années 1870, ils étaient toute une bande de jeunes peintres avant-gardistes régulièrement boutés du Salon officiel. Découragés, en 1874, ils décidèrent de réunir leurs talents et d’exposer ensemble pour la première fois dans les locaux du photographe Nadar à Paris. Ils voulaient simplement exister. Leurs noms allaient rester dans l’histoire de l’art : Monet, Renoir, Pissarro, Sisley, Morisot, de nombreux autres. Puis Degas…
Dans les derniers jours de cette première exposition de 1874, un critique du journal Charivari se moqua d’une petite toile de Claude Monet appelée « Impression, soleil levant ». Le nom d’impressionnisme allait naître ainsi par le plus grand des hasards. Ce mouvement artistique sera, sans doute, la plus grande révolution artistique de l’histoire de la peinture.
Ensuite, les expositions impressionnistes allaient s’enchaîner régulièrement. Huit, de 1874 à 1886. Seul le patriarche Pissarro, comme l’appelaient ses amis, participa à toutes. Edgar Degas, fidèle, ne s’absenta qu’une seule fois, en 1882.
Le critique d’art Théodore Duret, en 1878, tenta d’énumérer les caractéristiques qui rapprochaient ces peintres : « Touche libre, peinture claire, étude en plein air, recherche des rapports entre l’état de l’atmosphère qui éclaire le tableau, et la tonalité générale des objets qui s’y trouvent peints ». La plupart des artistes étaient des adeptes de peinture sur le motif. Leurs tableaux apparaissaient comme un espace composé de pigments, où les couleurs juxtaposées, libérées de toute servitude au dessin, s’exaltaient mutuellement.
Les personnalités de ces peintres étaient fort différentes. Les deux toiles ci-dessous figuraient ensemble lors de cette première exposition impressionniste.
Edgar Degas – Répétition d’un ballet sur la scène, 1874, musée d’Orsay, Paris
Camille Pissarro – Gelée blanche, 1873, musée d'Orsay, Paris
« Faites des lignes… Beaucoup de lignes, soit d’après le souvenir, soit d’après nature » - Jean-Auguste-Dominique Ingres
Le dessin… pour Degas, il primait sur la couleur. Grand admirateur d’Ingres, Degas avait fait des études classiques et passé de longues heures à copier les maîtres anciens au Louvre, et en Italie.
L’artiste restait solidaire de ses amis impressionnistes, mais sa démarche était tout autre. Son aspiration unique : exprimer un mouvement qui n’efface pas la ligne.
Contrairement à ses confrères, il se distinguait essentiellement par la précision et la science de son dessin. Pour lui, être moderne ne revenait pas à abandonner la forme et la dissoudre comme le faisaient Monet, Pissarro ou Sisley.
A ses débuts, la moitié de la production du peintre était consacrée aux portraits lui permettant de s’emparer de la vie de ses contemporains. Il trouvait ses modèles dans son milieu familial et amical, comme sa sœur Marguerite, ou la sœur ainée de Berthe Morisot, madame Théodore Gobillard.
Edgar Degas – Marguerite de Gas, 1860, musée d’Orsay, Paris
Edgar Degas – Madame Théodore Gobillard, 1869, The Metropolitan Museum of Art, New York
« Il vous faut la vie naturelle, à moi la vie factice ». « On devrait fusiller les peintres qui plantent leur chevalet en plein air » - Edgar Degas
Il faut bien reconnaître que, pour Degas, le paysage n’était vraiment pas son truc ! Notre homme ne supportait pas la peinture en plein air. Il s’essaya bien à faire quelques paysages dans les années 1869-1870. A l’observation de la nature, il opposait l’exercice de la mémoire et l’imagination uniquement en atelier. Comme les maîtres anciens, chacune de ses compositions était soigneusement préparée par une succession d’études.
Edgar Degas – Au bord de la mer, sur une plage, trois voiliers au loin, 1869, musée d’Orsay, Paris
« On m’appelle le peintre des Danseuses. On ne comprend pas que la danse a été pour moi un prétexte à peindre de jolies étoffes et à rendre des mouvements »
« Pionnier des impressionnistes de la nuit » qualifiait-on Degas. A cette époque, l’éclairage se faisait au gaz, accentuant l’intensité des couleurs. Ce qu’il aimait le plus : les rampes artificielles éclairées des théâtres, des cafés-concerts, des beuglants, du cirque, des boudoirs discrets des maisons closes.
Edgar Degas – Femmes à la terrasse d’un café, 1877, musée d’Orsay, Paris
Les danseuses… Elles furent certainement le grand amour de sa vie. Il ne cessait de les croquer en mouvement dans des scènes de ballets parisiens : s’élançant en fulgurantes arabesques colorées, saluant les spectateurs, ou surprises dans les coulisses en train de s’habiller, de répéter les exercices quotidiens qu’on exigeait des ballerines pour en faire des créatures de rêves. Il les traquait, les capturait partout dans leurs mouvements.
Son souhait : réaliser la synthèse entre l’héritage de Giotto et le courant contemporain : « Ah ! Giotto ! Laisse-moi voir Paris, et toi, Paris, laisse-moi voir Giotto !
Edgar Degas – Ballet dit aussi L’étoile, 1876, musée d’Orsay, Paris
Edgar Degas – Danseuses au repos, 1898, Fondation de l’Hermitage, Lausanne
Les pastels de Degas, des feux d’artifice !
Ce procédé, par sa texture lumineuse, son velouté, son onctuosité, ses couleurs chatoyantes, une accroche exceptionnelle sur le support, comblait ses besoins d’émotion et de rapidité. Il expérimentait les meilleurs effets possibles : hachures pour l’harmonie chromatique, pâtes obtenues avec de l’eau qu’il travaillait avec les doigts ou la brosse. Toutes les ressources étaient exploitées dans une orgie de couleurs. Autre possibilité inégalée du pastel : « dessiner en peignant, peindre en dessinant ».
Le peintre raffolait de la représentation des filles du peuple et leurs petits métiers : blanchisseuses, repasseuses, modistes, femmes nues couchées ou se baignant. La pudeur bourgeoise était choquée : « Je les montre sans leur coquetterie, à l’état de bêtes qui se nettoient ». Il débusquait les corps féminins dans leur intimité. « Il a eu de la chance, ce Rembrandt ! Il peignait des Suzanne au bain ; moi, je peins des femmes au tub ».
Edgar Degas – Repasseuses, 1886, musée d’Orsay, Paris
Dans le groupe des impressionnistes, Degas était certainement l’artiste, avec Renoir, pour lequel la personne humaine comptait le plus dans son œuvre : « Mes femmes sont des gens simples, honnêtes, qui ne s’occupent de rien d’autre que de leur occupation physique. C’est comme si vous regardiez par le trou de la serrure ».
Misogyne Degas ?
On le disait misogyne. On ne connaissait pas de liaisons attitrées à ce célibataire endurci. Il vivait avec sa bonne, Zoé, la seule femme admise sans son intimité. Les femmes qui lui étaient proches l’appréciaient. Il avait pris sous son aile la femme peintre américaine Mary Cassatt et avait réussi à l’imposer, seule femme avec Berthe Morisot, dans le groupe des impressionnistes. Il disait d’elle : « Voilà quelqu’un qui sent comme moi ».
Edgar Degas – Femmes vue de dos, 1880, National Gallery of Art, Washington
« Le cheval marche sur les pointes, quatre ongles le portent. Nul animal ne tient de la première danseuse, de l’étoile du corps de ballet comme un pur sang en parfait équilibre, que la main de celui qui le monte semble tenir suspendu, et qui s’avance au petit pas en plein soleil » - Paul Valery
Edgar Degas – Le Champ de courses, jockeys amateurs près d’une voiture, 1880, musée d’Orsay, Paris
Tout au long de la vie du peintre, le thème du cheval va revenir constamment. Il ne montrait pas le grand galop de la course, mais l’attente fiévreuse des instants précédant le départ. Les mouvements des chevaux apportaient une spontanéité aux toiles dont le style pouvait s’approcher parfois de la touche impressionniste malgré le fait que les chevaux étaient peints en atelier.
« Plus j’ai vieilli, plus je me suis rendu compte que pour arriver à une exactitude si parfaite qu’elle donne la sensation de vie, il faut recourir aux trois dimensions, et cela non seulement parce que le travail du modelage exige de la part de l’artiste une observation prolongée, une faculté d’attention plus soutenue, mais parce que l’à-peu-près n’y est pas de mise » - Edgar Degas
Un peintre qui modèle ou un sculpteur qui peint ? L’artiste n’exposa qu’une fois, lors de la sixième exposition impressionniste de 1881, la Petite danseuse de quatorze ans. Beaucoup ne comprirent pas. Il ne cherchait pas à séduire mais à représenter une jeune danseuse dans sa vérité quotidienne. Après sa mort, en septembre 1917, ses héritiers retrouvèrent dans son atelier un ensemble considérable de sculptures modelées à la cire. Elles lui servaient d’études pour ses pastels de danseuses et baigneuses.