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Rechercher : un pastelliste heureux

  • Le temps qui passe

     

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    Berthe Morisot – Le Berceau, 1872, musée d’Orsay

     

         Puisque cette période est celle de la naissance d’une nouvelle année, cela m’a rappelé un poème pour une autre naissance, ancienne aujourd’hui, que j’ai eu envie de publier à nouveau.

         Je suis certain que cette année 2022 va nous permettre, dans ce monde chamboulé, de tous nous retrouver.

     

    LE TEMPS QUI PASSE

     

    Je me souviens encore de ce premier jour de décembre

    Où j’entrai anxieux dans la chambre.

    Tu étais là, petit être fragile,

    Dans un lit douillet, tu reposais tranquille.

     

    Intimidé, presque ridicule,

    Je m'approchai et frôlai tes mains minuscules.

    Tu le sentis et tes doigts agiles

    Agrippèrent mon pouce d'un geste déjà habile.

     

    Ta maman dormait dans une pièce voisine ;

    Ravi, je contemplai ton expression mutine.

    Devant toi ce jour-là je compris,

    Pour la première fois, l'importance de la vie.

     

    La plus belle œuvre d'art

    Est éclipsée par le premier regard

    D’un nouveau-né qui ne demande rien

    Hormis un tendre câlin.

     

    Nous avons vieilli toi et moi,

    Le temps nous a imposé sa loi,

    Mais j’ai encore en mémoire ce jour de ta naissance

    Où je fis ta connaissance.

     

     

    HEUREUSE ANNÉE À TOUS

     

  • Femme au jardin

     

     monet

    Claude Monet – Femme au jardin, 1867, musée de l'Érmitage, Saint-Pétersbourg

     

         Ne trouvez-vous pas que cette toile « Femme au jardin » de Claude Monet dégage une luminosité exceptionnelle ?

         Camille, sa compagne et modèle favori, vient d’accoucher d’un petit Jean.

        À la demande de son père, le peintre s’est installé chez sa tante Lecadre, la sœur de celui-ci, à Sainte-Adresse, près du Havre. Le jardin présente une végétation exubérante et très fleurie qui inspire l’artiste.

         Placée devant un écran de verdure, sa jeune et jolie cousine Jeanne-Marguerite Lecadre, paraît petite, de dos sur la gauche, seul personnage de la toile, se promenant devant un grand rosier blanc placé au centre d’un massif de géraniums rouge vif. Vêtue d’une robe et d’un mantelet d’une blancheur éclatante, traversée de mauve dans la partie ombrée, sa tête se détache superbement sur l’écran blanc traversé de soleil d’une ombrelle.

        Monet reprend le thème des « Femmes au jardin » qu’il a peint l’année précédente dans la maison louée à Sèvres où il vivait avec Camille. Dans cette toile, Camille se démultipliait, changeait de robe comme de personnage. Elle était trois des quatre femmes du tableau, dont la femme assise au centre, éclatante de lumière, vêtue d’une robe et d’une veste blanches ornées d’élégantes broderies en arabesques noires.

     

     monet, Camille

    Claude Monet – Femmes au jardin, 1866, musée d’Orsay, Paris

     

          Quelle est la toile que vous préférez ?

     

     

  • Van Gogh écrivain : St-Rémy - 2. 6 juil./10 sept. 1889

     CORRESPONDANCE - EXTRAITS CHOISIS

     

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    Vincent Van Gogh –  Champ de blés avec cyprès, sept. 1889, National Gallery, Londres

     

                A l’hospice de Saint-Rémy où Vincent a demandé à séjourner, il reçoit de sa belle-sœur Jo une lettre qui lui apporte un grand réconfort : « Cet hiver, vers février probablement, nous espérons avoir un bébé, un joli petit garçon que nous appellerons Vincent si vous voulez bien être son parrain. Je sais bien que nous ne devons pas trop y compter et que cela peut aussi bien être une petite fille mais Theo et moi nous le nous figurons toujours comme un garçon. […] Quand je pense que ni Theo ni moi nous ne sommes en très bonne santé, j’ai grand-peur que nous ne ferons un enfant faible. […] Vous rappelez-vous le portrait du bébé Roulin que vous avez envoyé à Théo ? Tout le monde l’admire beaucoup et bien des fois déjà on a demandé : « Mais pourquoi avez vous mis ce portrait dans ce coin perdu ? ». C’est que de ma place à table je vois justement les grands yeux bleus, les jolies petits mains et les joues rondes de l’enfant, et j’aime à me figurer que le nôtre sera aussi fort, aussi bien portant et aussi beau que celui là – et que son oncle voudra bien un jour faire son portrait ! »

     

    Lettre à Jo et Théo – vers le 6 juillet 1889

     

    La lettre de Jo m’apprend ce matin une bien grosse nouvelle, je vous en félicite, et suis très content de l’apprendre. J’ai été bien touché de votre raisonnement, alors que vous dites qu’étant ni l’un ni l’autre en aussi bonne santé que paraisse désirable à pareille occasion, vous ayez éprouvé comme un doute, et en tous cas un sentiment de pitié pour l’enfant à venir a traversé votre âme. Cet enfant dans ce cas-là a-t-il même avant sa naissance été moins aimé que l’enfant de parents très sains, desquels le premier mouvement eut été une joie vive ? Certes non. Nous connaissons si peu la vie, qu’il est si peu de notre compétence de juger du bon et du mauvais, du juste ou de l’injuste, et dire que l’on soit malheureux parce que l’on souffre n’est pas prouvé. Sachez que l’enfant de Roulin leur est venu souriant et très bien portant, alors que les parents étaient aux abois. Donc prenez cela comme cela est, attendez avec confiance et possédez votre âme avec une longue patience, ainsi que le dit une bien vieille parole, et avec bonne volonté. Laissez faire la nature.

    Pour ce que vous dites de la santé de Theo, tout en partageant de tout mon coeur, ma chère soeur, vos inquiétudes je dois pourtant vous rassurer, précisément parce que j’ai vu que sa santé est, comme d’ailleurs la mienne, plutôt changeante et inégale que faible.

    J’en suis bien content de ce qu’il ne soit plus seul, et vraiment je n’en doute pas que dans la suite il reprenne son tempérament d’autrefois. Et puis surtout lorsqu’il sera père et que le sentiment de paternité lui viendra, ce sera autant de gagné.

    […]

    Pour ce qui est d’être le parrain d’un fils de toi, alors que d’abord cela peut être une fille, vrai, dans les circonstances je préférerais attendre jusqu’à que je ne sois plus ici. (Dans cet asile)

    […]

    J’espère bien lire enfin Homère. Dehors les cigales chantent à tue tête, un cri strident dix fois plus fort que celui des grillons, et l’herbe toute brûlée prend des beaux tons de vieil or. Et les belles villes du midi sont à l’état de nos villes mortes le long de la Zuyderzee autrefois animées. Alors que dans la chute et la décadence des choses, les cigales chères au bon Socrate sont restées. Et ici certes elles chantent encore du vieux grec.

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    Vincent Van Gogh –  Troncs d’arbre avec lierre, juillet 1889, Van Gogh Museum, Amsterdam

     

          A la mi-juillet, Vincent fait un voyage à Arles pour récupérer des toiles anciennes. Au retour, il a de nouvelles crises d’une grande violence. Tous les amis et la famille de Vincent (sa mère, sa sœur, le facteur Roulin, et même Gauguin) s’inquiètent de son silence prolongé.

          Le 29 juillet, Théo lui écrit pour prendre de ses nouvelles et tenter de le calmer : « J’ai reçu en parfait état ton dernier envoi que je trouve extrêmement beau. Sont-ce des choses que tu avais mis de côté exprès pour les laisser sécher, car je trouve dans la plupart de ces toiles plus de clarté d’expression et un si bel ensemble. [...] Si tu vivais dans un entourage entièrement à ton goût et que tu étais entouré de gens que tu aimais et qui te rendaient ton amitié, je serais très content car tu ne peux pas mieux travailler que tu le fais. ».

          Par courrier, Jo lui dit : « Votre frère Cor m’a apporté ce matin des petites chaussettes pour notre futur petit garçon (j’insiste que ce sera un petit garçon, même si vous vous moquez de moi à ce sujet !). »

     

    Lettre à Théo – vers le 22 août 1889

     

          Vincent n’a plus donné aucune nouvelle depuis un mois et demi.

     

    Il m’est fort difficile d’écrire tant j’ai la tête dérangée. Donc je profite d’un intervalle.

    Monsieur le Dr Peyron est bien bon pour moi et bien patient. Tu conçois que j’en suis affligé très profondément de ce que les attaques sont revenues, alors que je commençais déjà à espérer que cela ne reviendrait pas.

    […]

    Durant bien des jours j’ai été absolument égaré comme à Arles, tout autant sinon pire, et il est à présumer que ces crises reviendront encore dans la suite, c’est ABOMINABLE.

    […]

    Cette crise nouvelle, mon cher frère, m’a prise dans les champs et lorsque j’étais en train de peindre par une journée de vent. Je t’enverrai la toile, que j’ai achevée quand même. Et juste c’était un essai plus sobre, de couleur mate sans apparence, des verts rompus, des rouges et des jaunes ferrugineux d’ocre, ainsi que je te le disais que par moments je sentais l’envie de recommencer avec une palette comme dans le nord.

     

    Lettre à Théo – le 2 septembre 1889

     

    J’ai hier recommencé à travailler un peu - une chose que je vois de ma fenêtre – un peinture,van gogh,st-rémy,provencechamp de chaume jaune qu’on laboure, l’opposition de la terre labourée violacée avec les bandes de chaume jaune, fond de collines.

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Vincent Van Gogh –  Champ avec un laboureur, août 1889, collection privée

     

    Lettre à Théo – vers le 6 septembre 1889

     

          Vincent semble avoir retrouvé la forme. Il a besoin de s’exprimer et de peindre. Il recommence à écrire de longues lettres à Théo.

     

    Je travaille d’arrache pied dans ma chambre ce qui me fait du bien et chasse, à ce que je m’imagine, ces idées anormales.

    Ainsi j’ai refait la toile de la chambre à coucher. (Il s’agit d’une copie de sa chambre à coucher d’Arles peinte l'année précédente. Il en existe trois versions de tonalités différentes).

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    Vincent Van Gogh –  La chambre de Vincent à Arles, sept. 1889, The Art Institute of Chicago

     

    Cette étude-là est certes une des meilleures – tôt ou tard il faut carrément la rentoiler.– Elle a été peinte si vite et a séché de façon que, l’essence s’évaporant tout de suite, la peinture ne s’est pas du tout collé ferme sur la toile.

     […]

    On dit – et je le crois fort volontiers – qu’il est difficile de se connaître soi-même – mais il n’est pas aisé non plus de se peindre soi-même. Ainsi je travaille à deux portraits de moi dans ce moment – faute d’autre modèle – parce qu’il est plus que temps que je fasse un peu de figure.

    L’un je l’ai commencé le premier jour que je me suis levé, j’étais maigre, pâle comme un peinture,van gogh,st-rémy,provencediable. C’est bleu violet foncé et la tête blanchâtre avec des cheveux jaunes, donc un effet de couleur.

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Vincent Van Gogh –  Autoportrait, sept. 1889, National Gallery of Art, Washington

     

    Mais depuis j’en ai recommencé un de trois quarts sur fond clair.peinture,van gogh,st-rémy,provence

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Vincent Van Gogh –  Autoportrait, sept. 1889, Musée d’Orsay, Paris

     

          Je considère ce portrait, peint pendant une période de difficultés physiques, comme l’un des plus beaux des 43 autoportraits que l'artiste réalisa.

     Puis je retouche des études de cet été – enfin je travaille du matin jusqu’au soir.

     […]

    Je lutte avec une toile commencée quelques jours avant mon indisposition, un faucheur, l’étude est toute jaune, terriblement empâtée, mais le motif était beau et simple. J’y vis alors dans ce faucheur – vague figure qui lutte comme un diable en pleine chaleur pour venir à bout de sa besogne – j’y vis alors l’image de la mort, dans ce sens que l’humanité serait le blé qu’on fauche. C’est donc - si tu veux - l’opposition de ce semeur que j’avais essayé auparavant. Mais dans cette mort rien de triste, cela se passe en pleine lumière avec un soleil qui inonde tout d’une lumière d’or fin.

     

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    Vincent Van Gogh –  Champ de blés avec faucheur au soleil couchant, sept. 1889, Van Gogh museum, Amsterdam

    […]

    Je laboure comme un vrai possédé, j’ai une fureur sourde de travail plus que jamais et je crois que ça contribuera à me guérir. Peut-être m’arrivera-t-il une chose comme celle dont parle Eugène Delacroix : « j’ai trouvé la peinture lorsque je n’avais plus ni dents ni souffle », dans ce sens que ma triste maladie me fait travailler avec une fureur sourde – très lentement – mais du matin au soir sans lâcher et – c’est probablement là le secret – travailler longtemps et lentement.

    […]

    Je pense à une drôle de chose. Dans Manette Salomon * on discute l’art moderne et je ne sais quel artiste parlant de « ce qui restera” » dit : « ce qui restera c’est les paysagistes ». Cela a été un peu vrai car Corot, Daubigny, Dupré, Rousseau, Millet en tant que paysagiste, ça dure et lorsque Corot dit sur son lit de mort : « J’ai vu en rêve des paysages avec des ciels tout rose », c’était charmant ; alors – très bien – dans Monet, Pissarro, Renoir nous les voyons ces ciels tout roses.

    * Manette Salomon est un roman des frères Goncourt publié en 1867

     

     Lettre à Théo – vers le 10 septembre 1889

     

    Une crise plus violente peut détruire à tout jamais ma capacité de peindre. Je me sens dans les crises lâche devant l’angoisse et la souffrance, plus lâche que de juste, et c’est peut-être cette lâcheté morale même qui, alors qu’auparavant je n’avais aucun désir de guérir, à présent me fait manger comme deux, travailler fort, me ménager dans mes rapports avec les autres malades de peur de retomber. Enfin je cherche à guérir à présent comme un qui aurait voulu se suicider trouvant l’eau trop froide, cherche à rattraper le bord.

    Mon cher frère tu sais que je me suis rendu dans le midi et que je m’y suis lancé dans le travail pour mille raisons. Vouloir voir une autre lumière, croire que regarder la nature sous un ciel plus clair peut nous donner une idée plus juste de la façon de sentir et de dessiner des Japonais. Vouloir enfin voir ce soleil plus fort, parce que l’on sent que sans le connaître on ne saurait comprendre au point de vue de l’exécution, de la technique, les tableaux de Delacroix, et parce que l’on sent que les couleurs du prisme sont voilées dans la brume du nord.

    […]

    Quelle drôle

  • Mémoires de guinguettes

     

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    Jules Scalbert – Bords de Marne, 1908

     

     

     

         Pour mon dernier article de l’été, je vous offre un petit rafraichissement sur un air d’accordéon.

     

     

     

    Livre Mémoires de Guinguettes – Francis Dauby, Sophie Orivel, Martin Pénet

     

     

    « Le musette est l’âme des guinguettes. Il ne faut pas confondre guinguettes et goguettes, sociétés chantantes ouvrières et revendicatrices nées au cours de l’avant-dernier siècle. Ce qui n’empêche pas d’être en goguette dans une guinguette, où l’on servait autrefois le « guinguet » que l’on qualifiait ainsi : vin tellement aigre qu’il fait danser les chèvres ».

     

     

    Un art de vivre typiquement français, un air d’accordéon, des lampions la nuit, des rires et des chansons. Tout au long de ce livre on les imagine ces guinguettes : « les guinguettes n’ont pas d’histoires, elles n’ont que des histoires ».

     

    Vers la moitié du 19e siècle, progressivement, les guinguettes parisiennes, genre de cabarets dansant, vont s’éloigner de la capitale. Avec les nouvelles facilités de déplacement, les parisiens découvrent de nouveaux loisirs. Sur les bords de Seine, de l’Oise, et de Marne, la baignade, les fêtes nautiques et le canotage vont devenir des éléments indispensables de la sortie du dimanche.

     

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    Antony Morlon – Les canotiers de la Seine, 1865

     

    Tout le long de ces cours d’eau, de nombreuses guinguettes vont s’installer. Danse, ripailles et flirts se mélangent dans un rythme de polka très enlevé que de petits orchestres le plus souvent composés d’un piano, de violons et d’instruments à vent (piston ou clarinette), animent.

     

     

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    Miranda, illustrateur ; Yon, graveur – La Grenouillère, 1873, musée Fournaise, Chatou

     

    Curieux établissement que les bains froids de la Grenouillère, un café-guinguette flottant installé sur l’île de Croissy, face à Bougival, dans une boucle de la Seine. Le nom de la Grenouillère ne venait pas de ces batraciens qui peuplaient la rivière ou les prés environnant. On appelait « grenouilles » des femmes légères, de petite vertu, libres, s’amourachant rapidement.

     

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    Danse : Le chahut dans une guinguette

     

    Le dimanche soir on y dînait et dansait le quadrille ou la polka dans un joyeux désordre de groupes de canotiers qui venaient avec leurs compagnes habillées de robes courtes. Des filles au maquillage criard, le plus souvent des demi-mondaines ou des filles du peuple dévergondées, venaient se faire offrir un verre, voire plus… La soirée se terminait par cette nouvelle danse : le chahut. Un peu n’importe quoi : Les danseurs lançaient leurs jambes en avant, effectuaient des pirouettes, se saluaient, en totale liberté. Des femmes passaient, l’œil aguicheur. Un cancan endiablé s’invitait au final et la soirée se terminait autour d’une friture de goujons des bords de Seine arrosée de vin de chablis.

     

    Des chansons comme la « Polka des canotières » fleurissent (extrait) :       

     

     Ohé ! Ohé ! Mes belles amoureuses

    Surtout prenez garde à vous 

    Les rameurs vous font les yeux doux.

    Ohé ! Ohé ! Les ondes sont trompeuses 

    Et la vertu dans un coup d’vent 

    En canot chavire souvent.

     

    Les écrivains s’inspirent de ces lieux de plaisir. Emile Zola dans « Au bonheur des dames » nous emmènera passer un dimanche à Joinville. Guy de Maupassant décrira merveilleusement ces guinguettes qu’il fréquentait assidument.

      

    LA FEMME DE PAUL – Guy de Maupassant

     

    Dans l’établissement flottant, c’était une cohue rieuse et hurlante. Les tables de bois, où les consommations répandues faisaient de minces ruisseaux poisseux, étaient couvertes de verres à moitié vides et entourées de gens à moitié gris. Toute cette foule criait, chantait, braillait. Les hommes, le chapeau en arrière, la face rougie, avec des yeux luisants d’ivrognes, s’agitaient en vociférant par un besoin de tapage naturel aux brutes. Les femmes, cherchant une proie pour le soir, se faisaient payer à boire en attendant ; et, dans l’espace libre entre les tables, dominait le public ordinaire du lieu, un bataillon de canotiers chahuteurs avec leurs compagnes en courte jupe de flanelle.

     

    YVETTE – Guy de Maupassant

     

    Ils l’aperçurent tout à coup. Un immense bateau, coiffé d’un toit, amarré contre la berge, portait un peuple de femelles et de mâles attablés et buvant ou bien debout, criant, chantant, gueulant, dansant, cabriolant au bruit d’un piano geignard, faux et vibrant comme un chaudron.

    De grandes filles en cheveux roux, étalant, par devant et par derrière, la double provocation de leur gorge et de leur croupe, circulaient, l’œil accrochant, la lèvre rouge, aux trois quarts grises, des mots obscènes à la bouche.

    D’autres dansaient éperdument en face de gaillards à moitié nus, vêtus d’une culotte de toile et d’un maillot de coton, et coiffés d’une toque de couleur, comme des jockeys.

    Et tout cela exhalait une odeur de sueur et de poudre de riz, des émanations de parfumerie et d’aisselles.

     

     

    Les peintres fréquentaient aussi beaucoup ces lieux de plaisir qui leur fournissaient de nombreux thèmes de tableaux. En 1880, Auguste Renoir peindra son « Déjeuner des Canotiers », et sa série des « Danses ». En 1869, avec son ami Claude Monet, ils planteront leurs chevalets devant la « Grenouillère » dont j’ai parlé plus haut et feront dans un style différent les premières toiles impressionnistes.

     

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    Auguste Renoir – La Grenouillère, 1869, musée national, Stockholm

     

    Avant 1906, il ne faut pas oublier qu’une partie de la population ne pouvait se joindre à la foule en liesse pour profiter de ces amusements : ceux qui travaillaient sept jours sur sept ! Il faut attendre le 13 juillet 1906 pour que soit votée la loi sur le repos hebdomadaire obligatoire le dimanche.

     

    QUAND ON S’PROMÈNE AU BORD DE L’EAU (1936)

     

    Valse Musette créée par Jean Gabin dans le film de Julien Duvivier « La Belle Équipe ».

    Cette chanson, qui symbolise le mieux aujourd’hui l’échappée des guinguettes comme lieu de bonheur au moment de l’avènement du front populaire généralisant les congés payés, a curieusement connu un succès assez tardif.


    Refrain

     

    Quand on s’promène au bord de l’eau,

    Comm’tout est beau…

    Quel renouveau…

    Paris au loin nous semble une prison,

    On a le cœur plein de chansons.

    L’odeur des fleurs

    Nous met tout à l’envers

    Et le bonheur

    Nous saoule pour pas cher.

     

     

    Les guinguettes perdureront jusque dans les années 1960. Avec le développement des voies de communications autoroutières, une urbanisation dévastatrice, la voiture devenant reine les parisiens s’éloignent des environs de la capitale. Progressivement, les guinguettes disparaissent avant les prémices d’un renouveau possible dont on parle aujourd’hui.

     

    Si vous voulez retrouver des souvenirs anciens, revivre un monde de fêtes, d’eau et de musiques, vous entendre conter l’aventure trois fois centenaire des guinguettes, ce livre superbement documenté est fait pour vous.

     

     

         Excellentes vacances à tous.

     

     

  • Van Gogh écrivain : St-Rémy - 4. nov./déc. 1889

     

    CORRESPONDANCE - EXTRAITS CHOISIS

     

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    Vincent Van Gogh –  cueillettes d’olives, déc. 1889, The Metropolitan Museum of Art, New York

     

          L'art, mon garçon, ce n'est pas de recommencer ce que les autres ont fait... c'est de faire ce qu'on a vu avec ses yeux, senti avec ses sens, compris avec son cerveau... Voir, sentir et comprendre, tout est là !... Et puis exprimer aussi, diable !... Mais que veux-tu exprimer, si tu n'as rien vu, et si ce que tu as vu, tu ne l'as pas compris !...

          « Voir, sentir, comprendre », ces trois mots, il les répétait à chaque instant. Cela résumait toute son esthétique parlée. Lucien n'était pas éloquent. Et les phrases commencées, il les achevait souvent dans un geste, qu'accompagnait toujours, en manière de conclusion, cette trinité de verbes : « Voir, sentir et comprendre ! »

                                                        Octave Mirbeau – Dans le ciel, Roman, chapitre 15, 1893

     

    Lettre au peintre Emile Bernard – vers le 26 novembre 1889

     

          Dans un courrier à sa sœur Willemien, Van Gogh lui parle de son ami le peintre Emile Bernard : « C’est un peintre jeune – il a vingt ans tout au plus - très original. Il cherche à faire des figures modernes élégantes comme des antiques grecques ou égyptiennes, une grâce dans les mouvements expressifs, un charme par la couleur hardie. Il vient de m’envoyer 6 photographies d’après des tableaux de lui de cette année et par contraste ce sont des sujets bibliques bizarres et fort critiquables, mais tu vois par là que c’est un curieux, un chercheur qui essaie de tout. C’est comme des tapisseries moyen-âge, des figures raides et très colorées. Mais je n’admire cela que médiocrement parce que les Préraphaélistes anglais ont fait ces choses-là avec plus de sérieux et de conscience et de savoir et de logique. »

           Le 26 novembre, Vincent adresse une longue lettre à Emile Bernard. Ayant toujours eu un langage très libre avec son jeune ami, il le critique amicalement, mais fortement, au sujet des tableaux que celui-ci a peints en Bretagne auprès de Gauguin.

          Ce long courrier m’a paru très intéressant et je le reproduis, ci-dessous, dans sa presque intégralité :

     

     

    Mon cher ami Bernard,

      

    Tenez, dans « L’adoration des bergers », le paysage me charme trop pour oser critiquer, et, néanmoins, c’est trop fort comme impossibilité de supposer un enfantement comme ça, sur la route même, la mère qui se met à prier au lieu de donner à téter, les grosses grenouilles ecclésiastiques agenouillées comme dans une crise d’épilepsie sont là, Dieu sait comment, et pourquoi ! Mais je ne trouve pas ça sain, moi.

    Parce que moi j’adore le vrai, le possible, si toutefois je suis capable d’un élan spirituel, et alors je m’incline devant cette étude, forte à faire trembler, du père Millet, les paysans qui portent à la ferme un veau né dans les champs. Or, mon ami, cela depuis la France jusqu’en Amérique, les gens l’ont senti. Apres cela viendrez-vous nous renouveler les tapisseries moyen-âge ? Vraiment, est ce une conviction sincère ? non ! Vous savez mieux faire que ça et vous le savez qu’il faut chercher le possible, le logique, le vrai, dussiez vous un peu oublier les choses parisiennes à la Baudelaire. Comme je préfère Daumier à ce monsieur-là !

    Une « Annonciation », de quoi ? Je vois des figures d’anges - ma foi élégantes - une terrasse avec deux cyprès, que j’aime beaucoup ; il y a là énormément d’air, de clarté… mais, enfin, cette première impression passée, je me demande si c’est une mystification, et ces figurants ne me disent plus rien.

    Mais suffit pour que tu comprennes que je soupirerais de revoir de toi des choses comme le tableau qu’a de toi Gauguin, cette promenade de Bretonnes dans une prairie d’une si belle ordonnance, d’une couleur si naïvement distinguée. Et tu échanges cela contre du – faut-il dire le mot – du factice, de l’affectation !

    L’année passée vous faisiez un tableau - d’après ce que me disait Gauguin - à peu près, je suppose, ainsi : sur un avant plan d’herbe une figure de jeune fille en robe bleue ou blanche, étendue tout de son long, un second plan, lisière de bois de hêtre, le sol couvert de feuilles rouges tombées, les troncs vert de grisés le barrant verticalement. La chevelure je la suppose une note colorée du ton nécessité comme complémentaire de la robe blanche, noire si le vêtement était blanc, orangée si le vêtement était bleu. Mais enfin, je me disais, quel motif simple et comme il sait faire de l’élégance avec rien.

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    Emile Bernard – Madeleine au bois d’amour, 1888, musée d’Orsay, Paris

     

    Et lorsque je compare cela à ce cauchemar d’un « Christ au jardin des oliviers », ma foi je m’en sens triste, et te redemande par la présente, à hauts cris et t’engueulant ferme de toute la force de mes poumons, de vouloir bien un peu redevenir toi.

    « Le christ portant sa croix » est atroce. Sont elles harmonieuses les tâches de couleur là-dedans ? Je ne te fais pas grâce cependant d’un poncif – tiens poncif – dans la composition.

    Lorsque Gauguin était à Arles, comme tu le sais, une ou deux fois je me suis laissé aller à une abstraction, dans « La berceuse », une « Liseuse de romans » ; et alors l’abstraction me paraissait une voie charmante. Mais c’est terrain enchanté ça, mon bon ! et vite on se trouve devant un mur. Je ne dis pas, après toute une vie mâle de recherches, de lutte avec la nature corps à corps, on peut s’y risquer ; mais quant à moi, je ne veux pas me creuser la tête avec ces choses-là.

    Toute l’année j’ai tripoté d’après nature, ne songeant guère à l’impressionnisme, ni à ceci, ni à cela. Cependant encore une fois je me laisse aller à faire des étoiles trop grandes et - nouvel échec - j’en ai assez. Donc actuellement je travaille dans les oliviers. Va, ça m’intéresse davantage que les abstractions ci-dessus nommées.

    Si je n’ai pas écrit depuis longtemps, c’est qu’ayant à lutter contre ma maladie et à calmer ma tête, je ne me sentais guère envie de discuter, et trouvais du danger à ces abstractions. En travaillant tout tranquillement les beaux sujets viendront tout seuls.  Il s’agit vraiment surtout de bien se retremper dans la réalité, sans plan conçu d’avance, sans parti pris parisien. Suis, d’ailleurs, fort mécontent de cette année ;  mais peut-être prouvera-t-elle un fondement solide pour la prochaine. Je me suis bien laissé pénétrer par l’air des petites montagnes et des vergers ; avec ça je verrai. Mon ambition se borne bien à quelques mottes de terre, du blé qui germe, un verger d’oliviers, un cyprès - ce dernier, par exemple, pas commode à faire.

    […]

    Voici description d’une toile que j’ai devant moi dans ce moment : une vue du parc de la maison de santé où je suis. Un rayon de soleil, le dernier reflet, exalte jusqu’à l’orangé, l’ocre sombre. Des figurines noires rôdent çà et là entre les troncs. Tu comprendras que cette combinaison d’ocre rouge, de vert attristé de gris, de traits noirs qui cernent les contours, cela produit un peu la sensation d’angoisse dont souffrent souvent certains de mes compagnons d’infortune, qu’on appelle “voir rouge”. Et d’ailleurs le motif du grand arbre frappé par l’éclair, le sourire maladif vert-rose de la dernière fleur d’automne, viennent confirmer cette idée.

     

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    Vincent Van Gogh –  Le jardin de l’hospice Saint-Paul, déc. 1889, Van Gogh Museum, Amsterdam

     

    […]

    Je te parle de cette toile pour te rappeler que pour donner une impression d’angoisse, on peut chercher à le faire sans viser droit au jardin de Gethsémani historique, que pour donner un motif consolant et doux il n’est pas nécessaire de représenter les personnages du Sermon sur la montagne.

    […]

    La Bible ! La Bible ! Millet dès son enfance étant éduqué là-dedans, ne faisait que lire ce livre-là ! Et pourtant jamais, ou presque jamais, il ne fit de tableaux bibliques. Corot a fait un « Jardin des oliviers », avec le Christ et l’étoile du berger, sublime. Dans son oeuvre on sent Homère, Eschyle, Sophocle, aussi parfois comme l’évangile ; mais combien discret, et prépondérant toujours les sensations modernes possibles communes à nous tous. Mais, diras-tu, Delacroix ? Oui ! Delacroix – mais alors tu aurais encore tout autrement à étudier, oui étudier l’histoire avant de mettre les choses à leur place comme ça.

    Donc, c’est un échec, mon brave, tes tableaux bibliques ; mais.... il y en a peu qui se trompent comme ça, et c’est une erreur ; mais le retour de cela sera, j’ose croire, épatant ! C’est en se trompant qu’on trouve parfois le chemin. Va, revenge-t’en en peignant ton jardin tel qu’il est ou ce que tu voudras. En tout cas, c’est bon de chercher du distingué, de la noblesse dans les figures, et tes études représentent un effort fait, donc autre chose que du temps perdu.

    Savoir diviser une toile ainsi en grands plans enchevêtrés, trouver des lignes, des formes faisant contraste, c’est de la technique, des trucs, si tu veux de la cuisine, mais enfin c’est signe que tu approfondis ton métier, et cela c’est bien. Quelque haïssable que soit la peinture, et encombrante au temps où nous sommes, celui qui a choisi ce métier, s’il l’exerce quand même avec zèle, est homme de devoir et solide et fidèle. La société nous rend parfois l’existence bien pénible, et de là aussi vient notre impuissance et l’imparfait de nos travaux.

    […]

    Moi je souffre de ce que je manque de modèles absolument. Par contre, il y a des beaux sites ici. Viens de faire 5 toiles de 30 des oliviers. Et si je reste ici encore c’est que ma santé se refait beaucoup. Ce que je fais est dur, sec, mais c’est que je cherche à me retremper par du travail un peu rude et je craindrais que les abstractions ramollissent.

     

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    Vincent Van Gogh –  Cueilleurs d’olives, nov. 1889, Kröller-Müller Museum, Otterlo

     

     

          Le 8 décembre, Théo écrit à Vincent : « Un ami de Bernard nommé Aurier est venu Rue Lepic. Il s’intéresse beaucoup à ce que tu fais et m’a montré un petit journal qu’il a dirigé « Le modernisme illustré » où il a parlé de la boutique de Tanguy et où il cite aussi tes tableaux ».

          Dans le courant de l’été, Emile Bernard a préparé un court article concernant Van Gogh et l’a envoyé à Aurier pour le faire paraître dans le même magazine.

     

     Lettre à Théo – vers le 19 décembre 1889

     

    Tu le verras peut-être aussi dans la toile pour les Vingtistes, que j’ai expédiée hier : « Le champ de blé au soleil levant ». Je suis curieux de savoir ce que tu diras du champ de blé, il faudra le regarder pendant quelque temps peut-être.

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    Vincent Van Gogh –  Champ de blé au soleil levant, déc. 1889, collection privée

     

    Je te serre bien la main en pensée, je vais encore travailler un peu dehors ; il fait du mistral. Vers le moment du coucher du soleil cela se calme un peu d’habitude, alors il y a des effets superbes de ciels citron pâle et les pins désolés détachent leurs silhouettes là contre avec des effets de dentelle noire exquise.

    D’autres fois le ciel est rouge, d’autres fois d’un ton extrêmement fin, neutre, de citron pâle encore mais neutralisé par du lilas fin.

     

     

     

  • VERMEER AU LOUVRE : Une servante célèbre

     

    VERMEER Johannes – La laitière, 1659, Rijksmuseum, Amsterdam

     

     

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        Inespéré… J’ai réussi à me glisser au premier rang, coincé entre un homme grisonnant, deux femmes attentives, et un groupe de touristes.

        La servante la plus célèbre au monde est devant moi. La célébrité de cette petite toile n’est pas usurpée : on ne voit qu’elle à la télé, dans les magazines, et même sur les pots de yaourts… Il est rare que la peinture hollandaise présente une servante comme motif unique d’un tableau... Serait-ce la servante de l’artiste qui s’appelait Tanneke ? A quoi pense-t-elle ?

        Je retrouve la robuste femme que j’avais rencontrée au Rijksmuseum il y a quelques années. Elle n’a guère changé, solide, les manches retroussées, la tête inclinée jaugeant le flot de lait s’échappant de la cruche en terre qu’elle tient de ses bras puissants. Une lumière venant de la fenêtre modèle son corps massif devant le mur du fond, nu et endommagé. Un décor rustique : corbeille à pain, cruche, chaufferettes, plinthes en carreaux de Delft. Le carreau cassé à la fenêtre n'a pas été remplacé. Les couleurs affectionnées par le peintre sont présentes : bleu… jaune citron… Complémentaires, ces couleurs accolées l’une contre l’autre, s’interpellent.

     

     

        Un touriste, grand brun frisé placé à mes côtés, tenait une jeune femme blonde par les épaules. Il parlait à sa compagne d’une voix douce mais claire : « On nous avait bien parlé d’un précurseur de l’impressionnisme ! Vois-tu de l’impressionnisme dans cette peinture dans la plus pure tradition hollandaise de cette période ?… Une servante est saisi dans l’intimité de son travail quotidien ; les couleurs sont agréables à l’oeil et la lumière savamment répartie. C’est tout ! Une belle peinture classique… Rien de plus que les excellents peintres hollandais du 17! ».

         Le personnage semblait satisfait de son appréciation sur ce qu’il voyait et souriait fièrement à la jeune femme. Je levai la tête et le fixai avec insistance.

         - Excusez-moi, j’ai entendu votre remarque… Vous faites erreur, monsieur, car Vermeer fut bien le premier peintre impressionniste !… Vous paraissez en douter ?

         Il ne répondit pas, inquiet.

        - Approchez-vous de la toile… Maintenant, examinez l’extraordinaire « nature morte » peinture,vermeer,hollande,louvre,disposée sur la table. Elle aurait pu être le motif unique d’un tableau : sur une table, la jatte contenant le lait, un pichet bleu très sombre, une corbeille en osier et quelques petits pains.
 La technique en touches fragmentées ne vous rappelle-t-elle pas certaines toiles de Camille Pissarro que vous devez connaître, ce peintre des bords de l’Oise qui apparaissait comme le patriarche de ce groupe d’artistes français au 19e qui avaient la lumière comme unique religion.

     

     

     

         J’attendis un instant pour développer mon argumentation.

        - Les miches de pain sont peintes avec des teintes terres et ocres… Mais qu’a fait l’artiste ensuite ? Avec la pointe du pinceau, il a rajouté sur ces couleurs de base un fourmillement de petites touches légèrement plus claires dans les parties ombrées. Dans les zones où l’éclairage est le plus fort, le pain est éclaboussé de tâches brillantes carrément blanches, juxtaposées, qui accentuent l’intensité lumineuse… N’est-ce pas de l’impressionnisme çà ?… La croûte du pain paraît tendre, cuite à point… Ce pain croustille, monsieur !

         La jolie blonde n’osait plus bouger, collée contre son ami. J’insistai : 

        - Regardez le reste de la toile. Le procédé se répète sur le pot bleu foncé criblé de pointspeinture,vermeer,hollande,louvre, bleu pâle et blancs. Les bords de la cruche rougeâtre sont perlés d’un blanc presque aussi vif que le liquide qui s’en écoule. Partout, vous retrouvez la touche fragmentée : sur la table, la corbeille à pain, le tablier bleu de la femme, ses bras, son bonnet… Maintenant, reculez-vous légèrement et plissez les yeux. Pas trop mon ami, vous n’allez plus rien voir ! La lumière entre par la fenêtre et tombe directement sur la servante qui est inondée de vibrations lumineuses. Même les parties ombrées ne sont pas grisâtres, mais teintées de lueurs colorées.

     

     

     

     

     

     

         Le grand brun faisait tout ce que je lui disais, sans un mot, impressionné.

      - Avez-vous déjà vu cette technique, réellement innovante à cette époque, chez les contemporains de Vermeer ?

         Je n’attendis pas la réponse.

        - Oui monsieur, il s’agit bien, en plein 17ème siècle hollandais, de la naissance de ce style qui allait révolutionner la peinture à la fin du 19e en France. Vermeer fut l’un des premiers à concevoir la couleur comme un phénomène soumis aux variations de l’éclairage et à la perception de l’œil humain...

         Mon voisin voulut partir en entraînant la jeune fille. Sadiquement, je le retins par sa veste et lui assénai le coup de grâce.

       - Attendez ! Un exemple simple : vous connaissez la fameuse série des Cathédrales de Rouen que Claude Monet a peintes à différentes heures de la journée ? Elles sont recouvertes de touches colorées épaisses qui accentuent le relief de la pierre et précisent les changements de tonalités apportés par la lumière extérieure… Il s’agit du même procédé que Vermeer utilise sur ses miches de pain ! Monet, à ses débuts, aurait payé cher pour profiter des leçons d’un tel maître.

         Je terminai, compatissant.

         - Je suis désolé de m'être laisser déborder par ma passion mais j’admire tellement ce peintre que je ne peux supporter l’indifférence ou l’incompréhension envers lui.

        Mon interlocuteur, qui devait être le guide du petit groupe de touristes demeuré silencieux, s’éloigna, vexé.

         La cuisinière hollandaise de Gerard Dou est accrochée juste en face de la laitière. Je jette un œil distrait sur la toile où l’on retrouve les nombreux détails habituels utilisés par le peintre : carottes pointées vers le spectateur, lanterne, une volaille pendue. La femme arbore un sourire entendu. Aucune comparaison possible avec Vermeer, la sensibilité n’est pas la même…

     

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    Gerard Dou – La cuisinière hollandaise, 1650, musée du Louvre, Paris

     

     

         Je m’attarde un dernier instant devant la servante. Il s’agissait du premier chef-d’œuvre du jeune Vermeer âgé d’environ 25 ans. Je ressentais la tendresse que l’artiste éprouvait pour cette robuste femme : une princesse en tablier…

     

     

  • Comme il nous manque

     

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    Georges Brassens aurait été centenaire en cette année 2021.

     

    Chez lui, à Sète où il est né, les fenêtres étaient toujours ouvertes. Dans sa courette, sa mère Elvira chantait toute la journée. D’origine italienne, elle rêve que Georges soit notaire ou médecin.

    À 15 ans, Georges a déjà des poèmes en tête, comme celui de Pénélope, ci-dessous. Il les trouve minable et les brûle.

    « Que mon amante Pénélope

    Par à coups me fasse cocu

    Avec un marchand d’escalopes,

    La faim, ma foi je n’ai rien vu »

     

     

    Indiscipliné, fréquentant une bande de jeunes voyous à Sète où il habite, le futur poète, après un délit, est contraint de partir s’installer chez une tante à Paris dans le 14ème arrondissement.

    Il ne fait rien et passe son temps dans la bibliothèque municipale à étudier les poètes et la versification.

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    En 1943, il a 21 ans et rencontre Jeanne et son mari chez lesquels il vient habiter dans l’impasse Florimont du quartier. Il y restera plus de 20 ans. Jeanne lui offre une guitare, il récupère un piano et compose de nombreuses chansons qu’il note sur des petits cahiers.

     

     

     

     

     

    Huit années passent. C’est presque la misère chez Jeanne. Georges va aux réunions du mouvement anarchiste français. En 1947, il publie à compte d’auteur un texte délirant « La lune écoute aux portes » que seuls ses copains lisent.

    Il écrit, peaufine, rature, retravaille dans le respect des règles de la versification. Il lit les plus grands : Rabelais, Villon, Rimbaud, Verlaine, Hugo, Trenet.

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    Des personnages apparaissent : « Les amoureux qui s’bécot sur les bancs publics », « Le vieux Léon », « Une jolie fleur », « Putain de toi », « L’Auvergnat », « Jeanne », « Fernande ».

    Il veut que ceux qui entendent sa musique croient qu’il parle, qu’il ne sait pas chanter, qu’il fait des petites musiquettes faciles. « Ceux qui disent que mes musiques sont toujours les mêmes ou inexistantes sont des connards ! ».

     

     

    Françoise Giroud, 1953, dans «France Dimanche" : « Dès qu’il paraît en public, son corps se dérobe. Il est bientôt couvert de sueur, une sueur qui tombe en large gouttes jusque dans ses yeux. Alors il s’ébroue, furieux. Il chante, tête baissée, buté, lourd, blême sous son casque de boucles noires. Noires aussi, dans son visage un peu mou, deux flaques douces, tristes : les yeux, où se réfugie tout ce que ce grand gars de 32 ans a conservé de l’enfance. » 

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    C’est la famine à l’impasse. À partir de 1951 Brassens fait les cabarets parisiens avec sa guitare sous le bras. En mars 1952, c’est l’événement : il se présente chez Patachou à Montmartre. Il est tellement intimidé qu’elle doit le pousser sur scène. Il chante « La mauvaise réputation », « La chasse aux papillons », "Les amoureux des bancs publics », « Brave Margot ». Il est pris au Trois Baudets et enregistre un premier disque. Il devient un chanteur sulfureux. Le « Gorille » n’arrange rien, des disquaires refusent de vendre ses disques.

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    La consécration ! En 1953, les galas se multiplient. Georges Brassens est une vedette.

    « La voix de ce gars est une chose rare et qui perce les coassements de toutes ces grenouilles du disque et d’ailleurs. Une voix en forme de drapeau noir, de robe qui sèche au soleil, de coup de poing sur le képi, une voix qui va aux fraises, à la bagarre et… à la chasse aux papillons :

    « Quand il se fit tendre, elle lui dit : J'présage
    Qu'c'est pas dans les plis de mon cotillon,
    Ni dans l'échancrure de mon corsage
    Qu'on va à la chasse aux papillons ! »

     René Fallet 

     

     

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    Le cinéma lui propose de faire un essai dans « Porte des Lilas » mais il comprend vite que ce n’est pas sa voie.

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Les grandes scènes arrivent : l’Olympia, Bobino. Tous les ans, le chanteur se produit dans cette dernière salle qu’il préfère pour la bonne et simple raison qu’elle est proche de son impasse Florimont où il continue d’habiter jusqu’en 1967.

     

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    Sa vie est devenue un tourbillon. Tout le monde veut voir le phénomène. Après Bobino, chaque année, il part en tournée avec tous le jeunes chanteurs de l’époque. Il distribue son argent, achète la maison de Jeanne dans l’impasse et une propriété non loin de Paris où il reçoit « Les copains d’abord ».

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    En 1966, un journaliste immortalise la rencontre avec ses grands amis Brel, Ferré, Aznavour...

     

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    Les trompettes de la renommée. Son succès est tel qu’on lui propose l’Académie française. Il répond : « Vous ne me voyez pas avec un bicorne tout de même ». Dans les années 1970, il est devenu un monument de la chanson française. Il soutient et lance les chanteurs de la nouvelle génération : Georges Moustaki, Guy Béart, Maxime Le Forestier, Yves Simon…

     

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    Il apprend qu’il est atteint d’un cancer. Discret, pour ne pas déranger, il part finir ses jours en octobre 1981 chez un médecin de ses amis. « Comment je souhaite finir ? au jour fixé, sans réticence, s’il me reste encore un peu de dignité, je veux m’en aller sur la pointe des pieds »

     

    À l'annonce de sa mort, Maxime Le Forestier, en concert, sanglotant, interprète une de ses plus belles chansons : "Dans l'eau de la claire fontaine".

     

    Il y a quelques années, à Sète, je me suis recueilli sur la tombe du grand Brassens placée sous un pin parasol, face à la mer.

    « Est-ce trop demander, sur mon petit lopin
    Planter, je vous en prie une espèce de pin
    Pin parasol de préférence
    Qui saura prémunir contre l'insolation
    Les bons amis venus faire sur ma concession
    D'affectueuses révérences

    Et quand prenant ma butte en guise d'oreiller
    Une ondine viendra gentiment sommeiller
    Avec moins que rien de costume
    J'en demande pardon par avance à Jésus
    Si l'ombre de ma croix s'y couche un peu dessus
    Pour un petit bonheur posthume »

     

    Aujourd’hui plus personne ne se bécote dans les rues de Paris. Le poète est mort. Il faut accrocher sur sa porte, comme il le demandait dans son testament, un écriteau :

    « Fermé pour caus’d’enterrement. » 

     

    Je me suis inspiré pour écrire cet article du petit livre, très complet, bourré de manuscrits de chansons, livres et photos anciennes « Le libertaire de la chanson » de Clémentine Deroudille.

     

     

     

  • Maryna, pianiste et poétesse

     

         J’ai envie de consacrer cet article de rentrée à une magnifique critique de mon roman QUE LES BLÉS SONT BEAUX reçue en plein mois d’août sur le site littéraire Babelio. Elle m’a touché car elle venait d’une véritable artiste.

     

    peinture, van gogh, que les blés sont beaux, Maryna Uzun

         Je me permets de présenter Maryna dont le parcours m’a surpris car elle est pianiste, poétesse, et utilise les mots de la langue française avec une maestria étonnante :

    Née à Odessa (Ukraine), Maryna Uzun vit en France depuis 1997. Elle est pianiste concertiste, lauréate de la Fondation Cziffra et enseigne le piano classique à Prizma. Elle a appris le français en autodidacte et par amour. Un de ses textes a été retenu pour l’anthologie Le goût d’Odessa (2005, Mercure de France).
    Bibliographie : 2 romans (Le Voyage impaisible de Pauline, Les silences d'Isis), poésies

         Un très court extrait, ci-dessous, de sa présentation dans Babelio de son dernier livre : « Souviens-toi de ton Odessa suivi d’autres poèmes »

     

         Comment changer de ton sans même faire un bond ? Je change de démon : je pense à Odessa ! Et j'entends des accords : l'alpha et l'oméga. Parce qu'avec ma terre, avec mon Odessa, j'ai coupé le contact sans couper le cordon. Je change de cantor, je change de temps fort, je comble des temps morts, je vais jusqu'aux transports. Je pense à mes mentors, les mouettes du vieux port, même au conservatoire, oui, qui m'a fait tant croire. Car avec le recul, l'amour ne fait qu'accroître…

     

     

         Voici sa critique de mon roman :

     

    Ce livre est pour ceux qui vont au musée pour y chercher de l'oxygène.
    Vous n'allez pas le croire : on me l'a offert pour ma fête sans que je suggère quoi que ce soit ! Mais cette coïncidence se révèle moins rare quand on me connaît car j'adore lire sur les grands artistes et la peinture est pour moi une source d'émerveillement infini.
    Donc je devais le lire, cela ne pouvait pas être autrement ! Je devais le lire pour son grand luxe de détails et parce que je suis très friande de belles descriptions. Et là, l'écriture d'Alain Yvars a quelque chose de magique : je ne sais pas par quelles associations d'idées les couleurs de Van Gogh défilaient constamment devant mes yeux pendant ma lecture. Le jaune, le violet, le bleu… Je me suis baignée, je me suis noyée dans cette beauté. J'ai particulièrement apprécié le réalisme du livre. La nature est là, on la respire, elle donne faim, le grand air, ça creuse ! Une grande toile, ça creuse…
    C'est un Van Gogh intime avec ses hésitations, ses peurs, ses ivresses. Alain Yvars entre totalement dans le processus de création, il connaît bien plus de choses sur son héros que ce qu'il nous raconte. Il invente car il le faut pour aller toujours plus loin dans son amour pour ce génie. Humanité et divinité d'un artiste. C'est cela le thème de cette oeuvre pour moi.
    C'est un livre si réussi que je me demandais qu'est-ce que ce serait s'il s'agissait non de Van Gogh mais de Vermeer, le peintre préféré d'Alain ? ! Mais Tracy Chevalier l'a devancé. Quoiqu'il n'est jamais trop tard si le romancier change le point de vue…
    Pour résumer, c'est un livre où j'ai trouvé de l'oxygène et de l'inspiration. Un livre après lequel le pinceau est devenu encore plus vivant pour moi. C'est beau et triste à la fois, la fragilité de l'artiste, une sensation de perte d'un être cher qu'on éprouve à la fin. Un sentiment d'humanité qui monte en nous, une envie d'être plus attentifs à chaque instant de vie, aux êtres qui nous entourent. Ce livre, tout en étant un roman, fait étrangement vibrer l'instant comme un haïku.

     

         Encore merci Maryna

     

     

  • Le cahier du soir de Lorraine

     

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         Lorraine… Je l’avais croisée un jour sur le web ; une de ces rencontres de hasard qui se font et se défont au gré de nos affinités.

        Elle avait laissé sur mon blog un commentaire chaleureux qui m’avait fait plaisir. C’était une artiste. Elle adorait les peintres impressionnistes qui « lui mettaient le cœur à leur cadence ». On se comprenait.

         Evidemment, je m’étais empressé de visiter son blog. De suite j’avais apprécié ses articles qui étaient des messages élevant les lecteurs vers le beau. Ses poèmes étaient accessibles immédiatement, sans intellectualisme superflu. Les vers fondaient dans la bouche lorsque l’on en prononçait les mots. Dans ses lignes, perçait la personne attachante qu’elle était : tendre, légère, éternelle amoureuse de la vie et nostalgique de celui qui, aujourd’hui disparu, avait fait vibrer son cœur dans une : « danse en son délire l’avait plus que de raison enserrée dans ses bras ». Il partagea son existence.

         Après avoir longuement profité de cette vie, comme une bougie dont la flamme du temps vacillait, elle s’est éteinte récemment, un jour de février 2018.

     

        Aujourd’hui, nous avons la chance de la voir revenir parmi nous. Les artistes ne meurent jamais. Ses amis et sa famille nous offrent l’essentiel de son talent dans un recueil de poésie que beaucoup attendaient.

         Tous ceux qui aimaient cette femme de grande qualité peuvent obtenir son recueil directement auprès de l’éditeur : The BookEdition.com.

       Lorraine a souhaité que tous les bénéfices de ce recueil soient reversés à l’association « Rêves » qui permet d’apporter un peu de joie aux enfants atteints de maladies graves.

         Revenant de quelques jours en Bretagne, le recueil était dans ma boite à lettres. Je l’ai feuilleté.

        

     

         J’ai eu beaucoup de mal à en extirper un parmi la grande quantité des poèmes publiés.  

        

     

    JE ME SOUVIENS

     

    Je me souviens de mai où fleurissent les roses

    Au jardin d’autrefois, secret et lumineux

    Je me souviens des mois grisailleux et moroses

    Où te me serrais fort quand nous marchions tous deux

     

    Je me souviens de toi quand j’ouvre la croisée

    Sachant qu’un nouveau jour s’ajoute aux anciens

    Je sens battre ce cœur doux et inapaisé

    Qui a gardé ton nom et de nous se souvient

     

    Je sais que tu m’aimas comme je t’aime encore

    Je n’ai pas oublié. Et quand j’ouvre les yeux

    Le matin me fait mal, allumant sans remords

    Le Soleil des beaux jours et l’été insoucieux

     

    Et puisqu’il fallu qu’après toi je survive

    Vieillissant pas à pas tout au long du chemin

    J’attends le dernier jour comme on attend l’eau vive

    Sachant que tu viendras me prendre la main

     

     

         Je ne résiste pas à en mettre un deuxième :

     

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    Edgar Degas – Danseuses, 1890, musée d’Orsay, Paris

     

     

    LA DANSEUSE

     

    La ligne de son casaquin

    Soulignait le reflet moiré

    De son torse enrubanné

    Pour la danse des dix sequins

     

    Elle toisait le baronnet

    Prompt à remplir son escarcelle

    Et dont le regard qui harcèle

    Avide la déshabillait

     

    Fière et battant du tambourin

    Elle allait, de désirs casquée

    Effleurant d’un jupon cloqué

    Gentilshommes et muscadins

     

    Un peintre dessina la danse

    Le pied menu et balancé

    Sous l’envol d’un rythme endiablé

    Semble encore compter la cadence…

     

     

         Je n’hésite pas à dire que le talent de cette grande artiste devrait un jour accéder à une plus grande reconnaissance encore auprès des éditeurs s’intéressant à la poésie.

      

     

  • De la poésie picturale

     

    peinture, poésie, A.M. Morazzani

     

         Angèle-Marie Morazzani, auteure de « Il était une fois des poésies et des toiles » m’a fait parvenir son recueil qui m’a beaucoup étonné.

         Ce livre de petit format, un tableau moderne s’encadrant dans une couverture bleue, me donnait la sensation d’être en terrain de connaissance. La présentation intérieure ressemblait à celle que j’avais adoptée pour mes deux recueils « Deux petits tableaux » et « Conter la peinture » proposant des récits sur des toiles de grands maîtres de l’histoire de l’art : un tableau sur une page, confronté à un texte sur la page suivante qui le mettait en valeur.

         La différence était importante entre le recueil d’Angèle-Marie que j’avais sous les yeux et les miens : elle confrontait ses textes poétiques avec des toiles numériques qu’elle avait créées elle-même sur ordinateur dans le logiciel Paint.

     

         L’auteure a déjà publié des livres pour les enfants et de la science-fiction.

       J’ai été intéressé par le graphisme et le travail de coloriste des images qui est particulièrement réussi. L’ensemble du recueil est un beau travail de précision. Poèmes et images se répondent l’un l’autre. L’osmose fonctionne. J’ai donc chroniqué avec plaisir son recueil sur le site littéraire Babelio.  Ma chronique est lisible en entier sur ce lien : ICI

     

         Je vous donne un exemple du travail de poésie de l’auteure sur la trentaine de toiles numériques qu’elle a créée. Le texte est d’actualité :

     

    peinture, poésie, A.M. Morazzani

     

    ILS SONT TOMBÉS

     

    Ils sont tombés dans l’abîme.

    La mort les a ensevelis.

    Et de leur lit d’infortune,

    Ils maudissent

    Ceux qui les ont menés au front,

    Ceux qui les ont menés au fond ;

    Six pieds sous terre,

    À l’ombre de la vie.

     

         Angèle-Marie Morazzani est éditée sur le site Bookelis.com.

     

  • Recueil de nouvelles : DEUX PETITS TABLEAUX

         A l’ère du numérique, la plateforme de publication et de partage de documents en ligne Calaméo permet de feuilleter et consulter de façon dynamique, avec une extrême simplicité, un document numérique.

         Mon blog a déjà publié de nombreuses nouvelles, courtes fictions liées au monde artistique de la peinture. Afin d’en permettre une lecture plus attrayante, j’ai regroupé plusieurs de ces nouvelles en un premier recueil librement consultable à l’écran.

         Pour cela, il suffit de cliquer sur son image de couverture :

       

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  • VERMEER AU LOUVRE : Au théâtre

     

    VERMEER Johannes - La Lettre d’amour, 1670, Rijksmuseum, Amsterdam

     

    peinture, vermeer, louvre, hollande

     

         Depuis le 10 mars dernier, je présente chaque semaine une visite virtuelle de l’exposition « Vermeer et les maîtres de la peinture de genre » qui se tient au Louvre. Celle-ci se terminera le 22 mai prochain.

         Six de mes œuvres préférées (sur 12 exposées) du maître de Delft ont été présentées. Je laisse aux futurs visiteurs du musée le plaisir de découvrir par eux-mêmes les 6 dernières, montrant : 3 musiciennes, 2 épistolières et une Allégorie de la foi catholique.

         Pour terminer, je souhaite vous proposer, aujourd’hui, la visite d’une œuvre qui avait été prévue par le Louvre dans l’exposition. Elle figure bien dans le catalogue, mais, malheureusement, est absente : La Lettre d’amour. Pourquoi ? Elle devrait être montrée dans les musées qui prolongeront l’exposition parisienne jusqu’en 2018 : « National Gallery of Ireland », « National Gallery of Washington ».

         Ayant déjà écrit dans le passé un récit sur La Lettre d’amour, ma visite virtuelle, ci-dessous, a utilisé ce récit que j’ai largement remanié.

     

         Nous sommes installés, attentifs, devant la petite toile. Un groupe de visiteurs étrangers, agglutinés autour de leur guide, vient à peine de s’éloigner.

         Aujourd’hui, mon amie Audrey m’accompagne : la Lettre d’amour de Johannes Vermeer nous est offerte.

          - Etrange peinture, dit Audrey, interrogative ?

       - N’est-ce-pas ! Au Siècle d’or hollandais, dans leurs peintures de scènes de la vie quotidienne, les peintres suggéraient souvent une courte narration qui donnait vie à leurs toiles. C’est le cas dans ce tableau, seule toile du maître de Delft, avec une œuvre de jeunesse ressemblante La jeune fille endormie, qui nous fait pénétrer dans l’intimité d’un intérieur bourgeois par une porte judicieusement entrouverte.

         Le regard clair d’Audrey me regarde, intéressée.

       - Veux-tu découvrir la scène par l’intérieur, dis-je en riant ?… Imagine-toi que tu es au théâtre. Une porte entrouverte dans un sombre réduit à balais débouche sur une pièce éclairée occupée par deux jeunes femmes… Laisse-toi aller et fixe intensément le tableau. Nous allons nous introduire par la pensée dans la toile afin de mieux la comprendre… Tu me suis, Audrey.

         Celle-ci, curieuse, me regardait sans trop saisir mon intention. Je continue.

        - Viens. Entrons discrètement dans le réduit à balais très sombre, juste à côté d’une chaise sur laquelle un linge et une partition chiffonnée ont été déposés négligemment. A leur insu, nous pourrons observer les femmes placées au centre de la pièce en pleine lumière. N’as-tu jamais, étant enfant, aimé regarder par les trous de serrure ?

         Audrey commençait à comprendre.

         - Que remarques-tu, dis-je ?

         - La robe satinée de la joueuse de luth est superbe.

        - C’est tout… Un peu léger comme analyse, Audrey… Bon ! Nous sommes dans le peinture,vermeer,louvre,hollanderéduit. Faisons-nous tout petits. Les comédiennes ignorent notre présence proche. Voyeurs, nous observons une comédie muette de gestes et de regards. Des objets sont dispersés un peu partout : un balai, un panier à linge, un coussin, des tableaux au mur, des chaussures traînent par terre en désordre. Un bric-à-brac voulu par le peintre.

        Audrey buvait mes paroles. Elle était entrée dans le jeu que je lui proposais. J’eus le sentiment qu’elle se tassait sur elle-même pour mieux se blottir dans le réduit à balais. « Continue, me dit-elle, amusée ».

         - La servante vient d’interrompre son travail pour remettre une missive à sa maîtresse qui se distrait en jouant du luth. Soucieuse, la musicienne arrête de jouer, redoutant l’ouverture de l’enveloppe. Lèvres entrouvertes, l’inquiétude amoureuse se lit dans son regard qui interroge la servante : rupture ou rendez-vous ? Observe la mine réjouie de celle-ci qui s’épanouit d’un sourire complice, presque ironique. Elle a laissé en plan ses travaux de ménage et semble pressée de connaître le contenu de la lettre qui l’intrigue tout autant que sa maîtresse. Le drame se noue… Les deux femmes se regardent, réunies dans une même interrogation immobile.

       Un visiteur pressé se plaça à nos côtés, bousculant et perturbant Audrey qui vivait passionnément le spectacle.

         - Ne te laisse pas distraire dis-je à mon amie. Scrute la perspective… Le quadrillage de la
    pièce est savamment ordonné. Le dessin des dalles noires et blanches attire automatiquement le regard vers l’intérieur de la deuxième pièce. La méthode utilisée par Vermeer était d’une grande précision : partant du point de fuite situé juste au-dessus de la chaise dans le petit couloir où nous sommes blottis, une corde trempée dans la craie lui permettait de tracer des lignes dans toutes les directions et, ainsi, d’agencer, comme un architecte, les différents plans du tableau.

         - Simple et habile à la fois, s’exclama Audrey !

        - Maintenant, examine l’essentiel : la lumière… Celle-ci, magique, arrive par la gauche etpeinture,vermeer,louvre,hollande tombe en plein sur les personnages. Les deux couleurs fétiches du peintre s’harmonisent : la robe en satin jaune de la musicienne accolée au bleu éclatant du tablier de la servante. Les tons sont d’une grande douceur. Vois la marine et le paysage idyllique suspendus au mur : à cette époque, ils symbolisaient le calme, bon présage en amour…

         Audrey était totalement investie dans l’action. Je dus insister pour qu’elle sorte de la toile.

       - Tu peux revenir dans la réalité. Epatant ce face à face psychologique entre ces deux femmes, ne trouves-tu pas ? Ce tableau est l’un des plus secret de Vermeer… Le peintre était au sommet de son art en cette année 1670.

        Dans le catalogue de l'exposition du Louvre, la toile de Vermeer est rapprochée d'un tableau dont la perspective et la composition sont semblables : Couple au perroquet de Pieter de Hooch. Voisins à Delft durant quelques années, les deux peintres se copiaient l’un l’autre. Cette fois, ce fut De Hooch qui s’inspira de son ami en montrant une scène dans un intérieur dont l'impact psychologique était bien différent de la scène de Vermeer.

     

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    Pieter de Hooch – Couple au perroquet, 1668, Wallraf-Richartz Museum, Cologne

     

     

        Avant de nous éloigner nous observâmes La lettre d’amour à distance. Une atmosphère mystérieuse, envoûtante, enveloppait le petit tableau scintillant dans la pénombre… La domestique, espérant toujours l’ouverture de la lettre, semblait s’impatienter. 

         Vont-elles ouvrir la lettre, me dit Audrey ?