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Rechercher : un pastelliste heureux

  • Genèse de l'impressionnisme

     

    5. Rude journée boulevard des Capucines

     

     

     

     

        Quolibets, insultes pleuvent lors de l’exposition commencée le 15 avril 1874 du nouveau groupe des peintres avant-gardistes…    

       Dans la presse, il n’y a pas de mots assez durs pour se moquer, se gausser de cette nouvelle peinture. Le comble est l’article du journaliste Louis Leroy écrit sur un ton ironique dans le "Charivari", une dizaine de jours après le début de l’exposition. Visitant l’exposition avec un ami peintre officiel, il le provoque par des éloges paraissant sincères sur les exposants. Renoir parlera « d’esprit parisien ».

     

    Le Charivari, 25 avril 1874

    L’EXPOSITION DES IMPRESSIONNISTES, par Louis Leroy.

     

     

         Oh! ce fut une rude journée que celle où je me risquai à la première exposition du boulevard des Capucines en compagnie de M. Joseph Vincent, paysagiste, élève de Bertin, médaillé et décoré sous plusieurs gouvernements !

        L'imprudent était venu là sans penser à mal ; il croyait voir de la peinture comme on en voit partout, bonne et mauvaise, plutôt mauvaise que bonne, mais non pas attentatoire aux bonnes mœurs artistiques, au culte de la forme et au respect des maîtres. Ah ! la forme ! Ah ! les maîtres ! Il n'en faut plus mon pauvre vieux ! Nous avons changé tout cela.

         En entrant dans la première salle, Joseph Vincent reçut un premier coup devant la Danseuse, de M. Degas.

     

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    Edgard Degas – La classe de danse, 1874, musée d’Orsay, Paris

     

         - Quel dommage, me dit-il, que le peintre, avec une certaine entente de la couleur, ne dessine pas mieux : Les jambes de sa danseuse sont aussi floches que la gaze des jupons.

         - Je vous trouve dur pour lui, répliquai-je. Ce dessin-là est très-serré au contraire.

       - L'élève de Bertin, croyant que je faisais de l'ironie, se contenta de hausser les épaules sans prendre la peine de me répondre.

         - Tout doucement alors, de mon air le plus naïf, je le conduisis devant le Champ labouré, de M. Pissaro.

     

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    Camille Pissarro - Gelée blanche, 1873, musée d’orsay , Paris

     

         A la vue de ce paysage formidable, le bonhomme crut que les verres de ses lunettes s'étaient troublés. Il les essuya avec soin, puis les reposa sur son nez.

         - Par Michalon ! s'écria-t-il, qu'est-ce que c'est que ça ?

         - Vous voyez... une gelée blanche sur des sillons profondément creusés.

       - Ça des sillons ? Ça de la gelée ?... Mais ce sont des grattures de palette posées uniformément sur une toile salle. Ça n'a ni queue ni tête, ni haut ni bas, ni devant ni derrière.

         - Peut-être... mais l'impression y est.

         - Eh ben, elle est drôle l'impression !... Oh !... et ça ?

        - Un Verger, de M. Sisley. Je vous recommande le petit arbre de droite, il est gai, mais l'impression...

        - Laissez-moi donc tranquille avec votre impression !... Ce n'est ni fait ni à faire. Mais voici une Vue de Melun, de M. Rouart, où il y a quelque chose dans les eaux. Par exemple, l'ombre du premier plan est bien cocasse.

        

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    Henri Rouart – La terrasse au bord de la Seine à Melun, 1874, Musée d’Orsay, Paris

     

         - C'est la vibration du ton qui vous étonne.

         - Dites le torchonné du ton, et je vous comprendrai mieux. Ah ! Corot, Corot, que de crimes on commet en ton nom ! C'est toi qui as mis à la mode cette facture lâchée, ces frottis, ces éclaboussures, devant lesquels l'amateur s'est cabré pendant trente ans, et qu'il n'a acceptés que contraint et forcé par ton tranquille entêtement. Encore une fois la goutte d'eau a percé le rocher !

         Le pauvre homme déraisonnait ainsi assez paisiblement et rien ne pouvait me faire prévoir l'accident fâcheux qui devait résulter de sa visite à cette exposition à tous crins.

         Il supporta même sans avarie majeure la vue des Bateaux de pêche sortant du port, de M. Claude Monet ; peut-être parce que je l'arrachai à cette contemplation dangereuse avant que les petites figures délétères du premier plan eussent produit leur effet. Malheureusement j'eus l'imprudence de le laisser trop longtemps devant le Boulevard des Capucines du même peintre.

     

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    Claude Monet– Boulevard des Capucines, 1873, Nelson-Atkins Museum of Art, Kansas city, USA

     

       - Ah ! ah ! ricana-t-il à la Méphisto, est-il assez réussi, celui-là !... En voilà de l'impression, ou je ne m'y connais pas... Seulement veuillez me dire ce que représentent ces innombrables lichettes noires dans le bas du tableau ?

         - Mais, répondis-je, ce sont des promeneurs.

        - Alors je ressemble à ça quand je me promène sur le boulevard des Capucines ? Sang et tonnerre ! Vous moquez-vous de moi à la fin ?

         - Je vous assure, monsieur Vincent...

       - Mais ces taches ont été obtenues par le procédé qu'on emploie pour le badigeonnage des granits de fontaine. Pif ! paf ! v'li ! v'lan ! Va comme je te pousse ! C'est inouï, effroyable ! J'en aurai un coup de sang bien sûr !

        J'essayai de le calmer en lui montrant le Canal Saint-Denis, de M. Lépine, et la Butte Montmartre, de M. Ottin, tous les deux assez fins de ton ; mais la fatalité était la plus forte ; Les Choux de M. Pissarro l'arrêtèrent au passage, et de rouge il devint écarlate.

         - Ce sont des choux, lui dis-je d'une voix doucement persuasive.

        - Ah! les malheureux, sont-ils assez caricaturés !.... Je jure de n'en plus manger de ma vie !

         - Pourtant ce n'est pas leur faute si le peintre...

         - Taisez-vous !... ou je fais un malheur !

        Tout à coup il poussa un grand cri en apercevant la Maison du pendu, de M. Paul Cézanne. Les empâtements prodigieux de ce petit bijou achevèrent l'œuvre commencée par le Boulevard des Capucines. 

     

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    Paul Cézanne – La maison du pendu, 1873, musée d’Orsay, Paris

     

         Le père Vincent délirait.

         D'abord sa folie fut assez douce. Se mettant an point de vue des Impressionnistes, il abondait dans leur sens.

        - Boudin a du talent, me dit-il devant une plage de cet artiste ; mais pourquoi pignoche-t-il ainsi ses marines ?

        - Ah! vous trouvez sa peinture trop faite ?

        - Sans contredit. Parlez-moi de Mlle Morisot ! Cette jeune personne ne s'amuse pas à reproduire une foule de détails oiseux. Lorsqu'elle a une main à peindre (La Lecture), elle donne autant de coups de brosse en long qu'il y a de doigts, et l'affaire est faite. Les niais qui cherchent la petite bête dans une main n'entendent rien à l'art impressif, et le grand Manet les chasserait de sa république.

     

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    Berthe Morisot – La lecture, 1870, National Gallery of Art, Washington

     

         - Alors M. Renoir suit la bonne voie, il n'y a rien de trop dans ses Moissonneurs. J'oserai même dire que ses figures...

      

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    Auguste Renoir – Les moissonneurs, 1873, collection particulière

     

          - Sont encore trop étudiées.

         - Ah ! monsieur Vincent!... Mais voyez donc ces trois touches de couleur qui sont censées représenter un homme dans les blés.

         - Il y en a deux de trop, une seule suffisait.

        Je jetai un coup d'œil sur l'élève de Bertin, son visage tournait au rouge sombre. Une catastrophe me parut imminente, et il était réservé à M. Monet de lui donner le dernier coup.

         - Ah ! le voilà, le voilà ! s'écria-t-il devant le n° 98. Je le reconnais le favori de papa Vincent ! Que représente cette toile ? Voyez au livret.

         - Impression, Soleil levant.

     

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    Claude Monet – Impression, soleil levant, 1873, Musée Marmottan, Paris

     

        - Impression, j'en étais sûr. Je me disais aussi, puisque je suis impressionné, il doit y avoir de l'impression là-dedans... Et quelle liberté, quelle aisance dans la facture ! Le papier peint à l'état embryonnaire est encore plus fait que cette marine-là !

        - Cependant qu'auraient dit Michalon, Bidault, Boisselier et Bertin devant cette toile impressionnante ?

        - Ne me parlez pas de ces hideux croûtons ! hurla le père Vincent. En rentrant chez moi, je crèverai leurs devants de cheminée !

  • Nous sommes tous Charlie

     

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    Eugène Delacroix – La liberté guidant le peuple, 1830, musée du Louvre, Paris

     

     

         Bientôt deux siècles… Le 27 juillet 1830, le peuple de Paris se révoltait contre le régime du roi Charles X qui voulait remettre en cause les acquis de la Révolution. La revendication principale des parisiens était la sauvegarde de la liberté de la presse.

     

         Dans son tableau « La liberté guidant le peuple », Eugène Delacroix montre une scène de ces trois jours de combat nommés « Les Trois Glorieuses ». L’œuvre incarne l’idéal révolutionnaire et prend valeur d’emblème. Elle devient une icône de la République.

         Le peintre a placé, au premier rang à côté de la femme au drapeau, un gamin déluré peinture,écriture,charlie hebdo,delacroix,libertémaniant deux pistolets. Il a mis de la fougue, du plaisir, de l’envie dans son œil. Cet enfant sait-il pourquoi il se bat ? Se souvient-il que ses grands-parents ont combattu en 1789 pour l’instauration d’une démocratie ? Se doute-t-il qu’il va mourir dans peu de temps ? Pourtant, ce gavroche parisien, symbole de la jeunesse révoltée par l’injustice et se sacrifiant pour les nobles causes, avance d’un pas décidé. Il n’a pas peur…

         Le drapeau français bleu, blanc, rouge domine la mêlée. Une forte femme vivante et fougueuse, la poitrine dénudée, pieds nus, conduit le peuple. Elle brandit le drapeau tricolore. Depuis la révolution, cette femme coiffée d’un bonnet rouge symbolise la liberté.  

     

         

         Une nouvelle fois, les français vont se mobiliser. Ce dimanche 11 janvier s’annonce historique. Après l’assassinat terroriste de 17 personnes, dont 8 membres de la rédaction du journal satirique Charlie Hebdo, le peuple français est malheureux. Il pleure et gronde.

         Hier, 700.000 personnes ont défilé dans le pays. Aujourd’hui, la manifestation à Paris sera peut-être la plus importante depuis la Libération en 1945. En hommage aux victimes, une cinquantaine de dirigeants du monde entier viennent à Paris pour nous apporter leur soutien.

         Le peuple français se lève, tous solidaires pour la sauvegarde de la liberté, la tolérance, la démocratie, la liberté d’expression et de penser. 

     

         Charlie, ton combat est le nôtre. Il est universel.

     

  • Berthe Morisot à Marmottan : Enfin !

     

    Fixer quelque chose de ce qui passe

     

     

          Le musée Marmottan Monet, charmant hôtel particulier en lisière du bois de Boulogne à Paris, est un haut lieu de l’impressionnisme.

          Deux peintres, plus particulièrement, attirent les visiteurs amoureux de cet art de lumière qui révolutionna la peinture à la fin du 19e :

    - Claude Monet : La collection d’œuvres du peintre est impressionnante en quantité et qualité. Le tableau star du musée est le fameux « Impression soleil levant » qui donnera son nom au mouvement impressionniste.

    - Berthe Morisot : Mine de rien, ce discret musée parisien est l’institution publique qui possède la collection la plus importante au monde de ses œuvres. 

          Invariablement, chacune de mes visites à Marmottan se terminait par la même interrogation : Quand verra-t-on en ce lieu une exposition consacrée à Berthe Morisot, cette femme peintre impressionniste ?

          Les organisateurs ont dû finir par m’entendre car mon souhait est enfin exaucé ! La première rétrospective présentée à Paris depuis 1941 de l’œuvre de Berthe Morisot s’est installée à Marmottan du 8 mars au 1er juillet 2012. 150 œuvres provenant des musées et collections particulières du monde entier retracent la vie artistique de cette femme exceptionnelle.

          Curieusement, le musée est situé non loin de l’hôtel de la rue Villejust que possédaient Berthe et son mari Eugène Manet. Elle aimait y recevoir chaque jeudi soir ses amis impressionnistes, sa garde rapprochée : Auguste Renoir, Claude Monet, Edgar Degas et le poète Stéphane Mallarmé, accompagnés de quelques autres peintres et poètes.

     

     

     

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    Edma Morisot – Portrait de Berthe Morisot (peint par sa sœur, elle a 24 ans), 1865, collection particulière

          

     

           « Fixer quelque chose de ce qui passe. »

          Cette ambition simple éclairera toute l’œuvre de Berthe Morisot. Très indépendante, elle peignait à sa guise. Elle sera de toutes les expositions du groupe des impressionnistes, de la première en 1874 à la dernière en 1886. Elle ne manquera que la 4ème pour cause de naissance de sa fille.

          Sa démarche audacieuse excitera l’imagination des critiques et écrivains :

          « La seule femme peintre qui ait su garder la saveur de l’incomplet et du joliment inachevé. »… « Un enchantement pour les yeux. » - Jacques Emile Blanche.

          « Elle pousse le système impressionniste jusqu’à l’extrême. »… « Mademoiselle Morisot est une impressionniste si convaincue qu’elle veut peindre jusqu’au mouvement des choses inanimées. » - Arthur Baignères.

          « Elle termine ses toiles en donnant de-ci de-là de légers coups de pinceaux ; c’est comme si elle effeuillait des fleurs… » - Théodore Durel.

          « Madame Morisot a fini par exagérer sa manière au point d’estomper des formes déjà imprécises. »… « Il faut évidemment des talents de coloriste pour tirer du néant cette délicatesse. » - Paul Mantz.

          Le poète irlandais George Moore écrira après la mort de Berthe : « Ses toiles sont les seules toiles peintes par une femme qu’on ne pourrait détruire sans laisser un blanc, un hiatus dans l’histoire de l’art. ». Quel beau compliment !

     

          J’ai visité l’exposition il y a un mois. Je montre, ci-après, une sélection de quelques toiles de l’artiste qui me paraissent les plus représentatives de son œuvre.

          La figure féminine demeure son sujet préféré avec les paysages. Elle trouve ses modèles autour d’elle : sa sœur Edma, sa fille Julie, son mari Eugène, ses nièces, des amies, parfois des modèles professionnels. Elle les place au milieu des meubles où elle vit ou dans la nature. Elle peint le lac, les arbres du bois de Boulogne près de la porte Dauphine où elle habite.  

     

    Julie

          « C’est un petit chat, écrit Berthe à Edma. Elle est toute ronde comme une boule avec des petits yeux qui pétillent et une grande bouche qui grimace. »

          La mère reste des heures à observer sa fille née en 1878. « Bibi » dort ou gazouille pendant qu’elle la peint. Durant 17 ans, jusqu’au décès de Berthe, elle sera représentée à tous les âges, à tous moments de la journée. Le pinceau de l’artiste a une infinie tendresse lorsqu’elle peint l’enfance.

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          Le bébé grandit, devient une petite fille enjouée et rieuse qui apprend à marcher dans le jardin de Bougival. Elle y fait des pâtés.

     

     

     

     

     

      

    Berthe Morisot – Les pâtés de sable, 1882, collection particulière

      

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           Julie de dos avec sa nurse Pasie. Elle lance du pain aux cygnes.

     

     

     

     

     

     

     

     Berthe Morisot – Au bord du lac, 1883, musée Marmottan, Paris

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          Bibi a 5 ans. Sa silhouette lumineuse éclaire les vaguelettes laissées par la barque. Quelques cygnes librement brossés encadrent son fin visage.

     

     

     

     

     

     

     

     Berthe Morisot – Sur le lac, 1884, collection particulière

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          Julie avec la fille de la concierge. Les fillettes pêchent des poissons rouges. La touche inachevée aux traits nerveux donne vie aux fillettes.

     

     

     

     

      Berthe Morisot – Enfants à la vasque, 1886, Musée Marmottan, Paris

      

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          Berthe représente sa fille dans ce grand et remarquable pastel. La technique d’une belle virtuosité allie l’effet impressionniste à un graphisme nouveau par des traits rapides et hachurés.

     

     

     

     

     

      Berthe Morisot – Fillette au jersey bleu, 1886, musée Marmottan, Paris

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          A Mézy, Berthe peint Julie âgée de 13 ans perchée sur une échelle, en train de cueillir dans un cerisier des fruits que sa cousine Jannie recueille dans un panier d’osier. Les jeunes filles portent chacune une robe blanche et de longs cheveux défaits. Moins aérienne que d’autres toiles, celle-ci souligne la forme et donne du poids à la composition. C’est une des toiles de l’artiste qui ressemble le plus à une œuvre de son ami Renoir.

     

     

     

     

     

     Berthe Morisot – Le cerisier, 1891, musée Marmottan, Paris

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          Deux ans avant son décès, Berthe peint Julie jouant du violon. La grâce de la jeune fille est un mélange d’élégance et de volupté. Elle montre la même sensualité réservée, la même part de mystère que sa mère exprimait à son âge.

     

     

     

     

     

     

     

    Berthe Morisot – Julie au violon, 1893, musée Marmottan, Paris

     

    Eugène

           Seul le sexe féminin intéresse le pinceau de Berthe. Son mari sera le seul homme qu’elle peindra.

     

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    Berthe Morisot – Eugène Manet à l’île de Wight, 1875, musée Marmottan, Paris

     

           Berthe vient de se marier avec Eugène Manet, le frère du peintre Edouard Manet. Elle va peindre Eugène pour la première fois au cours de leur lune de miel en Angleterre. Celui-ci n’aime pas poser mais accepte d’apporter sa silhouette voûtée devant une fenêtre face à la mer. De somptueux effets de transparence des voilages et de la baie vitrée sont réchauffés par de menues taches de fleurs rouges.

     

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    Berthe Morisot – Eugène Manet et sa fille, 1881, musée Marmottan, Paris

     

           Cette toile est une de mes préférées de l’artiste. Eugène est présenté avec sa fille dans le jardin de Bougival. C’est une scène intime entre le père et la fille, les deux amours de l’artiste. La toile est parcourue de vibrations colorées et de touches nerveuses multiples qui lui donnent toute son harmonie.

     

    Figures féminines

          Quand Berthe ne peint pas Julie, elle ne cesse de peindre des jeunes filles.

          A la moindre occasion, Berthe peint sa sœur Edma. Leur séparation la perturbe depuis le mariage de celle-ci avec un officier de marine. « Je suis souvent avec toi par la pensée, écrit Edma qui s’ennuie à Lorient. »

     

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          Elle fait poser Edma pour « La lecture » présentée à la première exposition impressionniste de 1874. La toile est fraîche, légère, aérienne comme une aquarelle.

     

     

     

    Berthe Morisot – L’ombrelle verte ou La lecture, 1873, museum of art, Cleveland

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          La toile figure à la deuxième exposition impressionniste de 1876. Le critique Albert Wolff parle d’un « cénacle de la haute médiocrité vaniteuse. » Berthe est devenue une « aliénée » dans ce groupe de fous.

          Berthe fait des recherches de couleurs. Les fleurs du bouquet se répondent avec celles du corsage et de la chevelure. 

     

     

     

     

     

    Berthe Morisot – Femme à l’éventail ou Au bal, 1875, musée Marmottan, Paris

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          Berthe valorise la jolie bonne et nurse de Julie.

     

     

     

     

     

     

     Berthe Morisot – Pasie cousant dans le jardin, 1882, musée des Beaux-Arts, Pau

     

  • Eugène DELACROIX écrivain

     

    Journal – 4.1 Année 1824, Scio : genèse de la toile

     

     

     

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         Au printemps 1822, les troupes ottomanes massacrent une partie des habitants de l’île de Scio et vendent des milliers d’hommes, de femmes et d’enfants sur les marchés aux esclaves des villes de l’Empire. Cela suscite une vague d’indignation en Occident.

       Après son premier succès obtenu au Salon de 1822 avec "Dante et Virgile aux Enfers », Eugène Delacroix avait déjà projeté de peindre ce sujet d’actualité. La situation est favorable : le conflit qui dure depuis trois ans est dans tous les esprits. L’exemple du poète Byron qui meurt en Grèce en portant secours aux insurgés enflamme la jeunesse grâce aux écrits de l’écrivain.

        En mai 1823 il décide d’exposer au Salon suivant dont l’ouverture est attendue pour août 1824 : « Je me suis décidé à faire pour le Salon des scènes des massacres de Scio », écrit l’artiste dans son journal.

       Le 12 janvier 1824, il note : « C’est donc aujourd’hui que je commence mon tableau. »

     

      

     

     

    Paris, 25 janvier 1824

    (…)

         Delacroix se plaint souvent dans son journal d’un manque de mémoire.

     

    En revenant avec Édouard, j’ai eu plus d’idées que dans toute la journée. Ceux qui en ont vous en font naître ; mais ma mémoire s’enfuit tellement de jour en jour que je ne suis plus le maître de rien, ni du passé que j’oublie, ni à peine du présent, ou bien je suis presque toujours tellement occupé d’une chose, que je perds de vue, ou je crains de perdre ce que je devrais faire, ni même de l’avenir, puisque je ne suis jamais assuré de n’avoir pas d’avance disposé de mon temps. Je désire prendre sur moi d’apprendre beaucoup par cœur, pour rappeler quelque chose de ma mémoire. Un homme sans mémoire ne sait sur quoi compter ; tout le trahit. Beaucoup de choses que j’aurais voulu me rappeler de notre conversation, en revenant, m’ont échappé…

     

    Paris, 27 janvier 1824

     

         Alors qu’il vient à peine de commencer sa grande toile des « Massacres », l’artiste à la douleur d’apprendre la mort de Géricault, celui dont le style en peinture lui ressemblait le plus. Il s’était d’ailleurs inspiré de la monumentalité de son « Radeau de la Méduse » pour la préparation de sa toile pour le Salon.

         Après le départ de son ami, Delacroix va devenir la tête de proue du romantisme.

     

    J’ai reçu ce matin à mon atelier la lettre qui m’annonce la mort de mon pauvre Géricault ; je ne peux m’accoutumer à cette idée. Malgré la certitude que chacun devait avoir de le perdre bientôt, il me semblait qu’en écartant cette idée, c’était presque conjurer la mort. Elle n’a pas oublié sa proie, et demain la terre cachera le peu qui est resté de lui… Quelle destinée différente semblait promettre tant de force de corps, tant de feu et d’imagination ? Quoiqu’il ne fût pas précisément mon ami, ce malheur me perce le cœur ; il m’a fait fuir mon travail et effacer tout ce que j’avais fait.

    (…) Pauvre Géricault, je penserai bien souvent à toi ! Je me figure que ton âme viendra quelquefois voltiger autour de mon travail… Adieu, pauvre jeune homme !

     

     

     

     

        L’exécution de l’immense toile « Scènes des massacres de Scio », longue et laborieuse, occupe l’artiste tout le printemps et début d’été 1824. Pour des raisons pécuniaires, en travaillant pour le Salon, il peint plusieurs dizaines de petits tableaux destinés à des commanditaires privés.

       Certaines toiles sont licencieuses, montrant ses penchants pour des sujets littéraires faisant intervenir l’acte de regarder.

     

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    Eugène Delacroix – Louis d’Orléans montrant sa maîtresse, 1825, musée Thyssen-Bornemisza, Madrid

     

         « Louis d’Orléans montrant sa maîtresse » repose sur un épisode des « Vies des dames galantes » de Brantôme publié en 1666 et réédité en 1822. Louis 1er duc d’Orléans (1372-1407) avait pris pour maîtresse la femme de l’un de ses vassaux. Lorsque celui-ci entre dans la chambre à coucher du duc, ce dernier lève la jupe de la femme pour masquer son visage mais il révèle ainsi sa nudité. Le mari qui ne reconnaît sa femme ni au-dessus ni en dessous est donc doublement cocu.

     

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    Eugène Delacroix – Femme nue couchée et son valet, ou odalisque, 1826, collection particulière

     

     

         « Femme nue couchée et son valet » est probablement inspiré elle aussi d’une scène de Brantôme. Une femme représentée endormie dans un lit à baldaquin est montrée nue pour le plaisir du spectateur, alors que son valet est entré dans l’obscurité de la pièce.

     

     

     

         Comme on pouvait le remarquer dans son « Dante », Delacroix ne compose pas peinture, delacroix,louvre,scio« Scio » en se basant sur une composition classique conforme aux principes de l’art. L’artiste conçoit son tableau à partir du modèle. Les personnages semblent juxtaposés, très différenciés par leur morphologie, couleur de peau, âge. La présence incarnée dans des corps fait l’histoire.

         Ce sont les modèles vivants qui inspirent l’artiste et élaborent l’œuvre. Le peintre croit en un pont mystérieux entre l’âme des personnages et celle du spectateur.

     

     

     

     

      

         Dans les mœurs de l’époque, les modèles utilisés par les peintres avaient bien souvent des relations avec les artistes. Et Delacroix ne s’en privait pas, il avait besoin de posséder ses modèles pour les peindre. Dans de nombreuses lettres de jeunesse nous retrouvons l’ardeur du travail associé à l’expression du désir sexuel.

         Au moment de l’exécution de son grand tableau « Scènes des massacres de Scio », l’on constate, dans les écrits de son journal, que Delacroix manifeste un sentiment très étroit entre la relation érotique et la création artistique, les deux étant indissociables à l’expression de la création. Le rôle assigné au modèle dépasse largement le fragment de réalité à coucher sur la toile.

      Je publie, ci-dessous, plusieurs passages du journal qui démontrent ce comportement de l’artiste au travail.

     

    Paris, 24 janvier 1824

     

    Aujourd’hui je me suis remis à mon tableau ; dimanche dernier 18, j’ai cessé d’y travailler. J’avais commencé le lundi précédent quelques croquis seulement, ou plutôt le mardi 13 ; j’ai dessiné et fait aujourd’hui la tête, la poitrine de la femme morte qui est sur le devant.

    Encore ai-je fait la mia chiavatura dinanzi colla mia carina Emilia. Ce qui n’a point ralenti mon ardeur. Il faut être jeune pour faire tout cela. À l’exception de la main et des cheveux, tout est fait.

     
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        Le mot italien Chiavatura désigne, selon Delacroix, un rapport sexuel. Cette allusion sexuelle intervient au moment de la description de son travail. L’artiste, qui vient de débuter son tableau le 12 janvier, est en pleine fièvre intellectuelle liée à la difficulté de la création artistique.

     

    Paris, 26 janvier 1824

     

         L’artiste retrouve Emilie, le modèle du 24 janvier.

     

    J’ai donné à Emilie Robert, pour trois séances de mon tableau, 12 francs.

    J’ai oublié de noter que j’avais envie de faire par la suite une sorte de mémoire sur la peinture, où je pourrais traiter des différences des arts entre eux ; comme, par exemple… que, dans la musique, la forme emporte le fond ; dans la peinture, au contraire, on pardonne aux choses qui tiennent au temps, en faveur des beautés du génie.

    Dufresne est venu me voir à mon atelier. — Ho fatto una chiavata graziosissima.

    Je retrouve justement dans Mme de Staël le développement de mon idée sur la peinture. Cet art, ainsi que la musique, sont au-dessus de la pensée ; de là leur avantage sur la littérature, par le vague.

     

         On peut observer qu’il ajoute, après la visite de Dufresne, à nouveau, des mots italiens indiquant une relation sexuelle, en repensant à Emilie.

     

    Paris, 3 mars 1824

     

    Emilie est venue un instant et j’en ai profité ; cela m’a un peu remis (il était malade).

    Remets-toi vigoureusement à ton tableau. Pense au Dante. Relis-le. Continuellement secoue-toi pour revenir aux grandes idées. Quel fruit tirerai-je de ma presque solitude, si je n’ai que des idées vulgaires.

     

          Il revoie un modèle le 8 mars : « Fait la tête et le torse de la jeune fille attachée au peinture,delacroix,louvre,sciocheval. Dolce chiavatura. »

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Paris, 18 avril 1824

     

    À l’atelier à neuf heures. Laure venue. Avancé le portrait. C’est une chose singulière que l’ayant désirée tout le temps de la séance, au moment de son départ, assez précipité à la vérité, ce n’était plus tout à fait de même ; il m’eût fallu le temps de me reconnaître.

     

         Son désir s’était évanoui à la fin de la séance.

     

    Paris, 20 avril 1824

    (…)

    La fille est venue ce matin poser. Hélène a dormi ou fait semblant. Je ne sais pourquoi je me crus bêtement obligé de faire mine d’adorateur pendant ce temps, mais la nature n’y était point. Je me suis rejeté sur un mal de tête, au moment de son départ et quand il n’était plus temps… Le vent avait changé.

     

         Cette Hélène endormie pourrait être une « Femme nue allongée vue de dos », ci-dessous, peinte à cette époque.

     

  • Eugène DELACROIX écrivain

     

    Journal – 8. Extraits choisis, année 1850

     

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    Eugène Delacroix – Cavalier arabe attaqué par un lion, 1850, The art Institute of Arts, Chicago

     

     

         Delacroix est très occupé en ce début de l’année 1850. L’année précédente il a reçu la notification du ministère de l’Intérieur d’une commande pour le décor d’une chapelle de l’église Saint-Sulpice. En octobre il se décide sur le choix des sujets : « Saint-Michel terrassant le démon » au plafond, « Héliodore chassé du Temple » et « La lutte de Jacob et de l’ange » sur les murs.

        Par ailleurs, en mars, il reçoit officiellement la commande du compartiment central du plafond de la galerie d’Apollon au Louvre.

     

     

    LE JOURNAL

     

     

    Paris, 22 mars 1850

     

         Les fruits de la civilisation…

     

    […]

    Ce prétendu progrès moderne dans l’ordre politique n’est donc qu’une évolution, un accident de ce moment précis. Nous pouvons demain embrasser le despotisme avec la fureur que nous avons mise à nous rendre indépendants de tout frein.

    Ce que je veux dire ici, c’est que, contrairement à ces idées baroques de progrès continu que Saint-Simon et autres ont mises à la mode, l’humanité va au hasard, quoi qu’on ait pu dire. La perfection est ici quand la barbarie est là. […] Nous ne sommes encore que de grands enfants ; du temps d’Auguste et de Périclès, nous étions dans les langes ; nous avons balbutié à peine sous Louis XIV avec Racine et Molière. L’Inde, l’Égypte, Ninive et Babylone, la Grèce et Rome, tout cela a existé sous le soleil, a porté les fruits de la civilisation à un point dont l’imagination des modernes se fait à peine une idée, et tout cela a péri, sans laisser presque de traces ; mais ce peu qui est resté pourtant est tout notre héritage ; nous devons à ces civilisations antiques nos arts, dans lesquels nous ne les égalerons jamais, le peu d’idées justes que nous avons sur toutes choses, le petit nombre de principes certains qui nous gouvernent encore dans les sciences, dans l’art de guérir, dans l’art de gouverner, d’édifier, de penser enfin. Ils sont nos maîtres, et toutes les découvertes dues au hasard, qui nous ont donné de la supériorité dans quelques parties des sciences, n’ont pu nous faire dépasser le niveau de supériorité morale, de dignité, de grandeur qui élève les anciens au-dessus de la portée ordinaire de l’humanité. 

    […]

     

    Champrosay, 28 avril 1850

     

    Le matin, grande promenade dans la forêt de Sénart.

    Entré par la ruelle du marquis, revu les inscriptions amoureuses de la muraille de son parc ; chaque année la pluie, l’effet du temps en emporte quelque chose ; à présent elles sont presque illisibles. Je ne puis m’empêcher toutes les fois que je passe là, et j’y passe souvent exprès, d’être ému des regrets et de la tendresse de ce pauvre amoureux ! Il a l’air bien pénétré de l’éternité de son sentiment pour sa Célestine. Dieu sait ce qu’elle est devenue, aussi bien que ses amours ! Mais qui est-ce qui n’a pas connu cette jeune exaltation, le temps où l’on n’a pas un instant de repos, et où l’on jouit de ses tourments ?

    J’ai été jusqu’à l’endroit des grenouilles et revenu par le petit chemin le long de la peinture, delacroixcolline.

    J’ai été avec la servante cueillir dans la journée des pissenlits dans le champ de Candas.

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Eugène Delacroix – Jenny le guilloux (sa fidèle servante), 1840, Musée Delacroix, Paris

     

     

    Champrosay, 1er mai 1850

     

    Sur la réflexion et l’imagination données à l’homme. Funestes présents.

    Il est évident que la nature se soucie très peu que l’homme ait de l’esprit ou non. Le vrai homme est le sauvage ; il s’accorde avec la nature comme elle est. Sitôt que l’homme aiguise son intelligence, augmente ses idées et la manière de les exprimer, acquiert des besoins, la nature le contrarie en tout. Il faut qu’il se mette à lui faire violence continuellement ; elle, de son côté, ne demeure pas en reste. S’il suspend un moment le travail qu’il s’est imposé, elle reprend ses droits, elle envahit, elle mine, elle détruit ou défigure son ouvrage ; il semble qu’elle porte impatiemment les chefs-d’œuvre de l’imagination et de la main de l’homme. Qu’importent à la marche des saisons, au cours des astres, des fleuves et des vents, le Parthénon, Saint-Pierre de Rome, et tant de miracles de l’art ? Un tremblement de terre, la lave d’un volcan vont en faire justice… Les oiseaux nicheront dans ces ruines ; les bêtes sauvages iront tirer les os des fondateurs de leurs tombeaux entrouverts. Mais l’homme lui-même, quand il s’abandonne à l’instinct sauvage qui est le fond même de sa nature, ne conspire-t-il pas avec les éléments pour détruire les beaux ouvrages ? La barbarie ne vient-elle pas presque périodiquement, et semblable à la Furie qui attend Sisyphe roulant sa pierre au haut de la montagne, pour renverser et confondre, pour faire la nuit après une trop vive lumière ? Et ce je ne sais quoi qui a donné à l’homme une intelligence supérieure à celle des bêtes, ne semble-t-il pas prendre plaisir à le punir de cette intelligence même ?

    […]

     

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    Eugène Delacroix – Pietà, 1850, Nasjonalmuseet, Oslo

     

         L’estampe de cette Pietà que possédait Vincent Van Gogh séduisit tellement celui-ci qu’il en fit une copie dans son style si personnel.

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    Vincent Van Gogh – La Pietà (d’après Delacroix), sept. 1889, Van Gogh Museum, Amsterdam

     

     

     

    Une histoire de mouche…

     

    Champrosay, 17 mai 1850

    […]

     

    Grande promenade dans la forêt, par le côté de Draveil. Pris en contournant la forêt par l’allée qui en fait le tour.

     

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    Eugène Delacroix – Sous-bois, environs de Sénart 1850, Collection particulière

     

    J’ai vu là le combat d’une mouche d’une espèce particulière et d’une araignée. Je les vis arriver toutes deux, la mouche acharnée sur son dos et lui portant des coups furieux ; après une courte résistance, l’araignée a expiré sous ses atteintes ; la mouche, après l’avoir sucée, s’est mise en devoir de la traîner je ne sais où, et cela avec une vivacité, une furie incroyables. Elle la tirait en arrière, à travers les herbes, les obstacles, etc. J’ai assisté avec une espèce d’émotion à ce petit duel homérique. J’étais le Jupiter contemplant le combat de cet Achille et de cet Hector. Il y avait, au reste, justice distributive dans la victoire de la mouche sur l’araignée, il y a si longtemps que l’on voit le contraire arriver. 

     

     

     

         Delacroix garde en lui, à la maturité, son désir de jeunesse qui le faisait hésiter entre la peinture et la littérature. Il avait passionnément souhaité être poète et semble toujours hanté par cette préoccupation.

     

    Ems, 21 juillet 1850

    […]

    J’écris ceci le lendemain, c’est-à-dire le lundi, et ce beau feu s’est refroidi. Il faudrait, comme lord Byron, pouvoir retrouver l’inspiration à commandement. J’ai peut-être tort de l’envier en ceci, puisque dans la peinture j’ai la même faculté ; mais soit que la littérature ne soit pas mon élément ou que je ne l’aie pas encore fait tel, quand je regarde ce papier rempli de petites taches noires, mon esprit ne s’enflamme pas aussi vite qu’à la vue de mon tableau ou seulement de ma palette. Ma palette fraîchement arrangée et brillante du contraste des couleurs suffit pour allumer mon enthousiasme.

    Au reste, je suis persuadé que si j’écrivais plus souvent, j’arriverais à jouir de la même faculté en prenant la plume. Un peu d’insistance est nécessaire, et une fois la machine lancée, j’éprouve en écrivant autant de facilité qu’en peignant ; et, chose singulière, j’ai moins besoin de revenir sur ce que j’ai fait. S’il ne s’agissait que de coudre des pensées à d’autres pensées, je me trouverais plus vite armé et sur le terrain dans l’attitude convenable ; mais la suite à observer, le plan à respecter, et ne pas embrouiller le milieu de ses phrases, voilà ce qui fait la grande difficulté et qui entrave le jet de l’esprit.

    Vous voyez votre tableau d’un coup d’œil ; dans votre manuscrit, vous ne voyez pas même la page entière, c’est-à-dire, vous ne pouvez pas l’embrasser tout entière par l’esprit ; il faut une force singulière pour pouvoir en même temps embrasser l’ensemble de l’ouvrage et le conduire avec l’abondance ou la sobriété nécessaires, à travers les développements qui n’arrivent que successivement. Lord Byron dit que quand il écrit, il ne sait pas ce qui va venir après, et qu’il ne s’en inquiète guère… Sa poésie est en général dans le genre que j’appellerai admiratif ; il tient plus de l’ode que de la narration, il peut donc s’abandonner à son caprice…

    […]

     

    Bruxelles, 13 août 1850

     

    Je lis à Bruxelles, dans le journal, qu’on a fait à Cambridge des expériences photographiques pour fixer le soleil, la lune et même des images d’étoiles. On a obtenu de l’étoile Alpha, de la Lyre, une empreinte de la grosseur d’une tête d’épingle. La lettre qui constate ce résultat fait une remarque aussi juste que curieuse : c’est que la lumière de l’étoile daguerréotypée mettant vingt ans à traverser l’espace qui la sépare de la terre, il en résulte que le rayon qui est venu se fixer sur la plaque avait quitté sa sphère céleste longtemps avant que Daguerre eût découvert le procédé au moyen duquel on vient de s’en rendre maître.

     

     

    Je sors un instant du journal de Delacroix

     

    Plusieurs chroniques de mon livre QUE LES BLÉS SONT BEAUX arrivent en même temps ce mois-ci. D’autres vont encore venir. Je suis bluffé par la qualité de ces chroniques, toutes différentes, qui me parviennent. Elles sont toutes d’un niveau auquel je ne m’attendais pas.

    je viens de recevoir un texte étonnant. Je suis sûr que vous allez penser qu’il a été rédigé par une personne spécialiste de l’art… Erreur ! Il s’agit d’Alexiane, qui tient le blog littéraire « Marmite aux plumes » et qui vient de m’envoyer ce texte fort bien documenté sur Vincent Van Gogh et sa peinture et, en plus, agrémenté de tableaux de Vincent judicieusement répartis.

    Vous pouvez lire la chronique entière avec les images sur son blog :

    http://marmiteauxplumes.com/que-les-bles-sont-beaux-dalain-yvars/

     

     

  • Camille muse de CLAUDE MONET

     

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    Une biographie romancée « Camille muse de CLAUDE MONET - Naissance de l'impressionnisme » illustrée sur papier photo de nombreux tableaux obtenus auprès des grands musées mondiaux vient de rejoindre mes deux précédents recueils de nouvelles « Deux petits tableaux » et « Conter la peinture ».

     

    EXTRAIT DE L’INTRODUCTION DU LIVRE

     

    Elle était si jolie, Camille…

     

    Durant près de quinze années, elle n’a été qu’une silhouette, une passante qui va activer le paysage du couple qu’elle formait avec Claude Monet, le chef de file du groupe des peintres impressionnistes qui avaient, au 19e, la lumière comme unique religion. On retrouve la jeune femme dans de très nombreuses toiles : elle marche, lit, cueille quelques fleurs, sourit à l’homme qu’elle aime, endosse des robes de femmes du monde, parfois des costumes extravagants. Elle est le modèle, la compagne, la mère, la muse…

    La multitude de tableaux faits par Claude Monet de sa compagne intrigue. Il la peignait sous tous les angles, à tout moment, la traquant dans ses moments de solitude rêveuse. Cette gracieuse figure, au regard un peu triste, est touchante. Sur les toiles amoureusement peintes par Monet, son apparence, ses sourires, ses poses, figées ou en mouvement, quelques gestes, nous content la femme qu’elle était, plus que de banales correspondances.

    Au-delà des documents restants sur elle, le regard pictural de Monet sur sa muse a été le support essentiel de ma réflexion et a donné chair à cette biographie romancée d’un couple indissociable.

    Je souhaite vous faire entrer dans l’intimité du couple Camille et Claude Monet. Camille va y trouver sa place, exister, participer à l’ascension de son génial mari. Ils vont vivre ensemble les moments forts, laborieux, miséreux parfois, de l’avènement de l’impressionnisme cette nouvelle vision de l’art qui va révolutionner la peinture académique.

    Nombre des toiles de Claude Monet de cette période, celle que je préfère du peintre, dans lesquels sa femme est représentée sont des chefs-d’œuvre. Après sa mort, il ne peindra jamais plus de personnage avec le même intérêt, le même plaisir, le même amour. Plus tard, les personnages insérés dans ses toiles ne sembleront servir que de contrepoint à son travail entièrement tourné vers le paysage. Le sourire de Camille surgira parfois, inattendu, dans une touche de lumière.

    (Ces chefs-d’œuvre sont montrés en HD dans mon livre)

     

    HISTOIRE VRAIE DE MA VISITE À VÉTHEUIL

     

    J’ai toujours en tête le jour où je suis allé à Vétheuil, petite commune près de Paris. La tombe de Camille était dans le petit cimetière derrière l'église. Devant moi, l’image de la pierre tombale grisâtre se diluait. L’émotion… Des teintes m’apparaissaient sous la forme d’une jeune femme aux traits fins, silhouette gracieuse flottant dans les hautes herbes d’un champ de Coquelicots, changeant de robes comme de personnages dans Femmes au jardin, assise sur la Plage de Trouville, apparition ascendante dans La Femme à l’ombrelle ou grimaçante habillée en Japonaise.

     

    https://www.bod.fr/librairie/camille-muse-de-claude-monet-alain-yvars-9782322474691

     

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    Claude Monet – Femmes au jardin, 1866, musée d’Orsay, Paris

     

  • Nostalgie parisienne

     

       Je dédie ce poème à une jeune landaise de seulement 60 ans, nouvelle retraitée depuis quelques mois. C'est une nouvelle vie qui commence...

     

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                                                                    La tour Eiffel - Raoul Dufy

     

     

      

     

    1967, tu te souviens, c’était hier,

    Le jour où tu partis peu fière,

    Toi la petite provinciale,

    En direction de la Capitale.

     

    Tu quittais tes parents, les Landes, ce que tu aimais ;

    Tu avais dix neuf ans et plein de projets.

    Le monde, lui, était immense,

    Tu voulais faire sa connaissance.

     

    Tu t’imaginais la ville lumière

    Belle et altière,

    Et tu ne vis que des murs gris

    Un tant soit peu décrépis.

     

    Pourtant, tout te parut beau,

    Notre-dame, la Seine, les rues et leurs tacots ;

    La Tour Eiffel touchait le ciel,

    Tu entendais des ritournelles.

     

    A ton premier jour de travail,

    Le métro, grosse chenille, avait un air canaille.

    Les collègues te firent la bise ; l’un d’eux dit hypocrite :

    « Elle paraît brave cette petite ! »

     

    Qu’elle était grande cette ville ! ;

    Tu te sentais si fragile.

    Ensuite le temps passa très vite,

    Et vinrent les grèves de soixante-huit.

     

    Au milieu des manifs tu devenais parisienne ;

    Leur cause était la tienne.

    Les pavés pleuvaient, les sirènes hurlaient, les CRS couraient…

    Et le grand Charles causait.

     

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    Tu te disais : « Vive la liberté

     
     
    Pourvu qu’elle rime avec gaîté ! »

    Slow-club, Mimi Pinson, Boléro, bals musettes,

    Olé ! Tous les soirs c’était la fête.

     

    08_17_0.JPEG

     

    Te souviens-tu des périodes de disette

    Où tu te sentais moins guillerette ?

    Les Landes et ses victuailles étaient bien loin,

    Certains jours tu avais faim.

     

    Alors, seule dans ta chambrette couleur pastel,

    Le foie gras de ta mère avait un goût de miel.

    Sur une biscotte, tu l’étalais avec entrain,

    La lueur d’une bougie éclairant ce royal festin.

     

    Tout a une fin !

    Il fallut redescendre, quitter les amis, les copains.

    Sur le quai en arrivant tu avais le cœur gros,

    Heureusement, il y avait Nano !    *

     

    Du temps a passé 

    Depuis Paris et ces trois longues années.

    Tu nous en parles parfois,

    Avec des frissons dans la voix…

     

     

     

                                                                      Alain

     

     

     

     

    *    Nano deviendra son mari

     

     

     

  • 2/2 - Elisabeth Vigée Le Brun : Souvenirs

     

    J’ai toujours vécu fort modestement. Je dépensais extrêmement peu pour ma toilette : on me reprochait même trop de négligence, car je ne portais que des robes blanches, de mousseline ou de linon. 

     

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     Elisabeth Vigée Le Brun – Portrait dit “aux rubans cerise”, 1782, Kimbell Art Museum, Fort Worth

     

     

     

    Si l’on doit peindre une gorge, éclairez-là de façon qu’elle reçoive bien la lumière ; les plus belles gorges sont celles dont la lumière n’est point interceptée, jusqu’au bouton qui se colore peu à peu à l’extrémité ; les demi-teintes qui font tourner le sein doivent être du ton le plus fin et le plus frais ; l’ombre qui dérive de la saillie de la gorge doit être chaude et transparente.

      

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    Elisabeth Vigée Le Brun – L’artiste exécutant un portrait de la reine marie-Antoinette, 1790, Galliera Degli Uffizi, Florence

     

     

    J’espère terminer doucement une vie errante mais calme, laborieuse mais honorable.

     

     

  • À fleur de mots

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    Et si la poésie nous apportait une lueur de vie dans un monde où la culture est laissée à l’abandon !

     

    J’ai déjà terminé les deux ouvrages que je me suis offert pour mon petit Noël. Après avoir présenté récemment le recueil de poèmes de Francette lg « Les couleurs du temps », je vous offre des extraits du second « À fleurs de mots » tout aussi agréable à lire.

          Le recueil d’aujourd’hui m’a attiré par le joli graphisme de sa couverture de coquelicots roses et rouges sur fond noir. Tout au long de ma lecture, j’ai cueilli, picoré, dans l’ordre ou le désordre de ma lecture, au fil de mes affinités. Les photographies prises par Francette dans sa belle région bretonne accompagnent à nouveau la poésie.

     

     

    Harmonies :

     

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    Ses ailes poudrées de gouttes d’aurore

    Déposent ses poussières

    Sur la fleur qui vient d’éclore

    Une nécessité d’éterniser l’instant

    De peur de l’oublier

    Juste un baiser de beauté...

     

     

     

     

     

    Réveil :

     

    francine lg,photos,poèmes

     

    Gouttes d'ombre et de lumière

    Entre les cils de la fleur

    C'était juste l'heure

    L'heure où l'ombre s'accorde avec elle

    L'heure d'une connivence

    Une connivence crépusculaire... 

     

     

     

     

     

    Sur la pelouse, des marguerites courent :

     

    francine lg,photos,poèmesUn parterre étoilé

    Frêles danseuses

    Au cœur d’or

    Caracolant

    Tutus blancs

    Virevoltant

    Jambes longues et fines 

     

     

     

     

    En rouge et noir :

     

    Pétales carminésfrancine lg,photos,poèmes

    Comme des baisers

    Ils se sont envolés

    Papillons légers

    Aux ailes de braise

    Graciles demoiselles

    À la robe fripée

    En rouge et noir

    Sur la pointe des pieds

    Elles entament une danse endiablée

    Cœurs rouge baiser

    Gravés dans l’éphémère 

     

     

    Des goélands passent au-dessus des étoiles d’eau apparaissant sur l’ourlet des vagues :

     

    francine lg,photos,poèmesIls jalousent le ciel et le vent

    Leur vol cisèle l'invisible

    Tatouées sur les ailes

    Des réminiscences de brume

    Le soir les étoiles d’eau

    Ensemenceront leur lit d’azur

    Sous l’œil attendri de la Lune

    Qui déjà cligne d’impatience

    Dans la somnolence de la grande voûte silence 

     

     

    Une belle déclaration d’amour à la poésie :

     

     Toi

    Que chaque jour je viens cueillirfrancine lg,photos,poèmes

    Dans les nuages et sur la plage

    Toi qui m’accompagnes

    Jour et nuit

    Et qui partages ma vie

    Et que je nomme poésie 

    Je t’écrirai partout

    Dans les nuages et sur la plage

    Et je te nourrirai

    Pour que tu ne meures pas

    Et tu me nourriras

    Pour que je ne meure pas… 

     

     

         C'est beau !  Francette en offre la vision avec les images sur son blog : https://images-imagination.blogspot.com/

         En édition papier, ses recueils sont un magnifique cadeau de Noël : www.Thebookedition

     

     

  • Ode aux femmes

     

    Je ne peux résister au plaisir de faire connaître un blog de talent qui publie régulièrement des écrits d'une grande sensibilité poétique qui me touchent souvent :

     http://bullesetmots.blogspot.com/

     Elle ne m'en voudra certainement pas de vous montrer le dernier texte qu'elle vient de publier qui est un hommage vibrant à toutes les femmes :

     

    A toutes les femmes ...

    A mère, à ma grand-mère, qui furent les premières femmes de ma vie, sans doute mes références, malgré d’autres envies …

    A ma fille, ma petite fée, mon autre moi-même, ma presque réincarnation, mon prolongement, mon espoir en demain …

    A ma belle-fille, qui m’a donné mon autre petite merveille, mon bébé sourire, ma princesse de l’aurore, promesse de vie …

    A mes amies, celles qui cheminent avec moi depuis longtemps, celles que j’ai perdu en cours de route, celles qui ont traversé ma vie en laissant leur trace, celles que je rencontrerai encore …

    A celles qui ont déjà pris l’ascenseur vers les petits nuages blancs, mais reviennent souvent, fantômes légers, hanter les allées de ma mémoire …

    A mes institutrices et mes professeurs, qui m’ont fait découvrir la beauté des mots, le pouvoir de la lecture, la paix studieuse des bibliothèques …

    A ces relations dites virtuelles, qui parfois sont plus proches de moi que des voisins …


    A ces cuisinières qui ont inventé ou collectionné toutes ces recettes que j’aime expérimenter …

    A celles qui ont été des pionnières et à celles qui timidement suivent le mouvement …
    A celles que j’apprécie et à celles que je ne sais pas apprécier …

    A mes collègues passées et présentes avec qui je partage les joies et les peines de mon travail …

    A toutes ces inconnues qui offrent leur sourire, leur bonne humeur, leur aide bénévole …

    A toutes les filles tendres et fortes, féministes et féminines de mon entourage … à celles qui se battent pour leurs sœurs … à celles qui les réconfortent …

    A toutes celles qui ont moins de chance, qui connaissent la guerre, la misère, la violence, le deuil, le malheur … à celles là, tout particulièrement …

    A toutes les femmes qui sont sur la brèche au quotidien, du matin au soir … qui aiment, qui nourrissent, qui lavent, qui travaillent, qui rient, qui pleurent, qui lisent, qui s’amusent, qui éduquent, qui vivent … tous les jours et pas seulement le 8 mars …

    A vous toutes, je dis : JE VOUS AIME !!!


    SW

     

     

  • Eugène DELACROIX écrivain

     

    Journal – 7. Extraits choisis, année 1849

     

     

         Le Salon ouvre ses portes le 15 juin 1949. Delacroix va y exposer une seconde version des « Femmes d’Alger », plus petite que la grande peinture de 1834. Les femmes, présentées dans des poses semblables à la première, sont observées de plus loin dans un effet de clair-obscur se rapprochant de la narration vécue d’une visite du harem par le peintre Charles Cournault en 1832 :  « Lorsqu’après avoir traversé quelque couloir obscur, on pénètre dans la partie de la maison qui leur est réservée, l’œil est vraiment ébloui par la vive lumière, par les frais visages de femmes et d’enfants, apparaissant tout à coup au milieu de cet amas de soie et d’or ».

     

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    Eugène Delacroix – Femmes d’Alger dans leur intérieur, 1849, musée Fabre, Montpellier

     

     

     

    LE JOURNAL

     

     

         L’agenda du journal de l’année 1848 ne semble pas avoir été conservé. Il pourrait avoir été perdu. L’artiste n’a peut-être pas rédigé de notes cette année là…

     

     

     

     

        Eugène Delacroix se moque souvent de ses contemporains. Dans les quatre extraits ci-dessous de février et mars 1849, il croise certains personnages en rapportant leurs travers ou bêtises.

     

    Paris, 10 février 1849

    […]

    Chez Pierret le soir : beaucoup de monde. J’y ai vu Lassus, perdu de vue depuis longtemps.

    Un imbécile nommé M…, que je n’y avais pas vu depuis longtemps, y était en toilette exacte et ganté hermétiquement. Il a l’air de se croire beau ou intéressant pour le sexe ; cela lui impose la tenue. Je ne mentionne ceci que parce que, à propos de cet individu qui n’est qu’un fat, j’ai pensé à certains hommes à bonnes fortunes, qui sont les victimes de l’obligation où ils se croient d’être toujours beaux.

     

     

    Paris, 26 février 1849

     

    Fait peu de chose… Dîné chez Bixio avec Lamartine, Mérimée, Malleville, Scribe, Meyerbeer et deux Italiens. Je me suis beaucoup amusé ; je n’avais jamais été aussi longtemps avec Lamartine.

    Mérimée l’a poussé au dîner sur les poésies de Pouchkine, que Lamartine prétend avoir lues, quoiqu’elles n’aient jamais été traduites par personne. Il donne le pénible spectacle d’un homme perpétuellement mystifié. Son amour-propre, qui ne semble occupé qu’à jouir de lui-même et à rappeler aux autres tout ce qui peut ramener à lui, est dans un calme parfait au milieu de cet accord tacite de tout le monde à le considérer comme une espèce de fou. Sa grosse voix a quelque chose de peu sympathique.

     

     

    Paris, 8 mars 1849

     

    Le soir, Chopin (Chopin est très malade et mourra la même année). Vu chez lui un original qui est arrivé de Quimper pour l’admirer et pour le guérir.

    C’est un amateur forcené de musique ; mais son admiration se borne à peu près à Beethoven et à Chopin. Mozart ne lui paraît pas à la hauteur de ces noms-là ; Cimarosa est perruque, etc.

    Il faut être de Quimper pour avoir de ces idées-là, et pour les exprimer avec cet aplomb : cela passe sur le compte de la franchise bretonne… Je déteste cette espèce de caractère ; cette prétendue franchise à l’aide de laquelle on débite des opinions tranchantes ou blessantes est ce qui m’est le plus antipathique. Il n’y a plus de rapports possibles entre les hommes, s’il suffit de cette franchise-là pour répondre à tout. Franchement il faut, avec cette disposition, vivre dans une étable, où les rapports s’établissent à coups de fourche ou de cornes ; voilà de la franchise que je préfère.

     

     

    Paris, 21 mars 1849

    […]

    Je suis entré à la Madeleine, où l’on prêchait. Le prédicateur, usant d’une figure de rhétorique, a répété dix ou douze fois, en parlant du juste : Il va en paix !… il va en paix ! « Va en paix » a été ce qu’il y a eu de plus remarquable dans son discours. Je me suis demandé quel fruit pouvait résulter des lieux communs répétés à froid par cet imbécile. Je suis obligé de reconnaître aujourd’hui que cela va avec le reste, fait parti ? de la discipline comme le costume, les pratiques, etc… Vive le frein !

     

     

     

     

         A la belle saison, l’artiste passe du temps à Champrosay où il apprécie le spectacle de la nature. En 1848 il a travaillé longuement sur de grandes compositions de fleurs qu’il va présenter au Salon.

     

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    Eugène Delacroix – Corbeille de fleurs renversée dans un jardin ,1849, The Metropolitan Museum of Art, New York

     

     

    Valmont, 9 octobre 1849

     

    Par quelle triste fatalité l’homme ne peut-il jamais jouir à la fois de toutes les facultés de sa nature, de toutes les perfections dont elle n’est susceptible qu’à des âges différents ? Les réflexions que j’écris ici m’ont été suggérées par cette parole de Montesquieu, que je trouvai ici ces jours-ci, à savoir qu’au moment où l’esprit de l’homme a atteint sa maturité, son corps s’affaiblit.

    Je pensais à propos de cela qu’une certaine vivacité d’impression, qui tient plus à la sensibilité physique, diminue avec l’âge. Je n’ai pas éprouvé, en arrivant ici, et surtout en y vivant quelques jours, ces mouvements de joie ou de tristesse dont ce lieu me remplissait, mouvements dont le souvenir m’était si doux… Je le quitterai probablement sans éprouver ce regret que j’avais autrefois. Quant à mon esprit, il a, bien autrement qu’à l’époque dont je parle, la sûreté, la faculté de combiner, d’exprimer ; l’intelligence a grandi, mais l’âme a perdu son élasticité et son irritabilité. Pourquoi l’homme, après tout, ne subirait-il pas le sort commun des êtres ? Quand nous cueillons le fruit délicieux, aurions-nous la prétention de respirer en même temps le parfum de la fleur ? Il a fallu cette délicatesse exquise de la sensibilité au jeune âge pour amener cette sûreté, cette maturité de l’esprit. Peut-être les très grands hommes, et je le crois tout à fait, sont-ils ceux qui ont conservé, à l’âge où l’intelligence a toute sa force, une partie de cette impétuosité dans les impressions,… qui est le caractère de la jeunesse ?

     

     

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    Eugène Delacroix – Odalisque, 1849, musée du Louvre, Paris

     

     

         Mort de Chopin.

     

    Fécamp, 18 octobre 1849

     

    J’ai appris, après déjeuner, la mort du pauvre Chopin. Chose étrange, le matin, avant de me lever, j’étais frappé de cette idée. Voilà plusieurs fois que j’éprouve de ces sortes de pressentiments.

    Quelle perte ! Que d’ignobles gredins remplissent la place, pendant que cette belle âme vient de s’éteindre !

     

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    Eugène Delacroix – Portrait de Frédéric Chopin, 1838, musée du Louvre, Paris

     

     

  • Deux nouveaux livres d'art

     

    Je les attendais. Ils viennent d’être publiés chez BOD.

     

    peinture, écriture,  BOD, vermeer

    peinture, écriture, BOD, vermeer

     

     

    Afin que l’art ne soit pas réservé à une élite, mais accessible à tous, deux nouveaux livres d’art viennent de voir le jour.

    Beaucoup d’entre vous connaissent mes recueils : CONTER LA PEINTURE et DEUX PETITS TABLEAUX.  

    Ils sont désormais intégrés dans une collection : « Si les œuvres parlaient ». Chaque recueil de cette collection est composé d’une douzaine de récits écrits sur le ton de la fiction, sorte d’escapade dans un musée imaginaire. Des tableaux de l’œuvre de grands peintres de notre histoire de l’art accompagnent les textes. Je me suis adressé aux musées du monde entier où les œuvres sont exposées afin de les obtenir en haute définition.

     

    PRÉSENTATION DE CETTE NOUVELLE ÉDITION

     

    Certains textes ont été légèrement modifiés ainsi que la présentation des images dans chacun des recueils dont la couverture a été refaite.

    Je le répète souvent : « la qualité des tableaux dont je parle est, à mes yeux, toute aussi importante que la présentation des textes ». À cet effet, la modification essentielle de cette réédition chez BOD est intervenue dans l’impression sur un papier photo brillant permettant de mieux valoriser l’excellence des œuvres.

    La sensation tactile des livres est également fortement améliorée et le format est toujours agréable à lire et à manipuler.

     

    DISPONIBILITÉ 

     

    Les recueils sont disponibles chez BOD (cliquez sur les images) et la plupart des librairies physiques et numériques, en format papier et ebook. Les prix restent inchangés. Pour le format ebook, à l’occasion de la parution, une promotion jusqu’à la fin de la semaine prochaine les propose à 2,49 € au lieu de 3,99 €.

     

    Je rappelle que les bénéfices de mes livres sont destinés à être reversés à l’Association RÊVES aidant les enfants gravement malades.