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Rechercher : un pastelliste heureux

  • Botticelli - La grâce

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    Sandro Botticelli – Printemps, 1485, Galerie des offices, Florence

     

    Les gros yeux clairs de Sandro Botticelli nous regardent fixement. Il a déposé sa signature sur la toile « L’Adoration des mages » :  à l’extrémité droite du tableau, un jeune homme en manteau orange, beau, front puissant, visage énergique, chevelure bouclée.

     

    Quelle incroyable période que celle de la première Renaissance, moment de bouillonnement artistique nouveau dans l’art européen du 15e siècle ! L’art pictural est à la croisée des chemins. Botticelli, doué d’une grâce aristocratique dans sa personne comme dans son art, va devenir l’orgueil de la ville de Florence.

     

    Une nouvelle technique voit le jour… Jusqu’à la fin du Moyen Âge, les peintres peignent à la détrempe à l’eau, la tempera, une préparation plus grasse à la colle de peau ou à base d’œufs comme médiums pour les pigments. L’inconvénient : elle sèche trop rapidement et ne permet pas les retouches.

    Seulement un demi-siècle, au 15e, sépare les toiles de Jan Van Eyck en Flandres de celles de Sandro Botticelli en Italie. Van Eyck, après de nombreuses expériences de vernis, est le premier grand maître à peindre avec des couleurs à l’huile. Il met en valeur une technique basée sur le « glacis » superposant de fines couches de couleurs à base d’huile de lin. Celles-ci acquièrent solidité, souplesse, et deviennent brillantes. Botticelli utilisera les deux techniques. Le plus souvent, il gardera la tempera, avec laquelle il produira ses plus beaux chefs-d’œuvre.

     

    Né en 1445 à Florence, Botticelli fait son apprentissage, à 15 ans, chez le maître Filippo Lippi, un fieffé coureur de nonne. Il s’inspire de celui-ci en peignant des jeunes femmes que les peintres aimaient représenter sous la forme de Madones.

    La plupart de ses tableaux de la première période montrent des Vierges à l’enfant à la maternité attentive, couverte d’un voile aérien, le regard tendrement incliné vers l’enfant.

     

    Je me souviens, lors d’une visite à Avignon, être resté longtemps devant sa magnifique « Vierge à l'Enfant » ou « Madone Campana », peinte en 1467 à l’huile : la Vierge, vêtue de ses traditionnelles couleurs rouge et bleue, tient l'Enfant sur les genoux. D’une main, elle caresse sa joue, avec l’autre elle s'apprête à lui donner le sein. Les formes apparaissent déjà plus douces, avec des attitudes plus complexes que dans les œuvres de Lippi.

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    Sandro Botticelli - La Vierge à l'enfant, 1467, petit palais, Avignon

     

     

    À la cour des Médicis à Florence, sous le principat de Laurent et Julien de Médicis, Sandro vient à la renaissance de toute son âme et de son génie. L’idéal de la beauté féminine est de plus en plus sa marque personnelle.

    Une femme est illustre par sa beauté dans Florence, la bien-aimée de Julien de Médicis : Simonetta Vespucci. J’ai rendu visite au portrait de Simonetta qui se trouve au château de Chantilly. Piero di Cosimo la peignit quelques années après sa mort en 1476 à seulement 23 ans, dans toute la grâce de son éternelle jeunesse. À ce sujet, je conseille fortement le livre de mon amie belge Christiana Moreau « La Dame d’argile » qui montre ce tableau en couverture et parle longuement de Simonetta dans son récit. J’en ai fait une critique sur Babelio.

     

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    Piero di Cosimo - Portrait-de-Simonetta-Vespucci, 1480, Musée Condé, Chantilly

     

    Sandro, amoureux virtuel, va faire vivre la jeune femme. En 1485, il peint à la tempera grasse cette reine de Florence, sa muse, dans deux toiles qui sont les plus célèbres du maître. Il est au sommet de son art. Laquelle est Simonetta dans cette superbe allégorie poétique du « Printemps » réunissant plusieurs femmes qui, toutes, pourraient lui ressembler ?

    Après 1480, toutes les représentations de femmes peintes par Botticelli laisseront la sensation de se trouver devant Simonetta qui est restée la femme de sa vie. Elle est éblouissante dans sa « Naissance de Vénus », dressée dans une conque marine, nue, la chevelure désordonnée.

    Les madones se multiplient dans l’œuvre du peintre. Il ne peut s’empêcher de faire preuve d’imagination en semant quelques fleurs sous les pieds de ses vierges et anges.

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    Sandro Botticelli - La naissance de Vénus, 1485, Galerie des offices, Florence

     

    J’ai fait une découverte dans ce livre. Je ne connaissais des fresques peintes pour décorer la chapelle Sixtine à Rome que celles, admirables, de Michel-Ange. J’ai appris que le pape commanda plusieurs autres scènes à divers peintres italiens dont Botticelli qui en peignit plusieurs tirées de l’ancien et nouveau testament. Mais ce travail ne joua qu’un rôle secondaire dans l’œuvre du peintre qui retourna vite à ses chères peintures de madones.

     

    La période finale du peintre est marquée par des dessins dantesques, noirs, inquiets, évoquant le purgatoire et l’enfer. Il s’est jeté dans la secte de Savonarole, troublé par une conversion à un christianisme sombre de ce moine qui crut à une mission divine, jusqu’au martyre. L’art de Botticelli s’altère et perd le charme qui faisait son génie. On peut le constater dans ses dernières œuvres dans lesquelles il renonce à la grâce sensuelle. Après sa mort miséreuse, en 1510, de nouveaux maîtres arrivent : Léonard de Vinci, Michel-Ange et Raphaël.

     

    Cette biographie sur Botticelli est somptueuse en qualité, autant par ses textes ciselés, bien documentés, cultivés, et son iconographie montrant sur papier glacé les œuvres majeures du maître. Il ne peut que tenir une place de choix dans une bibliothèque.

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    Je reste persuadé que sur son lit de mort, la dernière pensée de Sandro fut pour celle avançant vers lui, debout dans une coquille, inclinant un visage un peu triste, ses beaux yeux semblant dire : « pourquoi m’avez-vous ravie à la paix de l’abîme, à la fraîcheur divine de l’Océan ? »

     

     

  • Le roi des ciels - BOUDIN Eugène

     

    Faire éclater l’azur

     

     

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    Eugène Boudin –  Concert au casino de Deauville, 1863, National Gallery, Washington

     

          « Devant la nature, c’est à méditer qu’il faut s’exercer. De grands ciels puissants, profonds, vaporeux, légers, et, là-dessous, un morceau de la terre ou des bateaux, mais que ce soit grand, idéalisé, comme je l’entrevois. »  

                                                                                                            Eugène Boudin 

     

          « Sans connaître l’homme, je l’avais en grippe ». C’est ce que pensait Claude Monet à 17 ans en voyant la peinture d’Eugène Boudin, son aîné, âgé de 34 ans, un normand comme lui.

          Depuis plusieurs années déjà, Monet dessine, la plupart du temps des personnages qu’il affuble de figures grotesques. En fait, il caricature !  Il s’amuse beaucoup et, talentueux, il vend : 15 ou 20 francs suivant la tête du client. Le succès, si jeune, le grise.

          En 1858, c’est la rencontre.

          Au Havre, le papetier encadreur Gravier exposait conjointement dans sa boutique, les caricatures de Monet dont le talent faisait s’esclaffer toute la ville, et les paysages de Boudin. Il voulait organiser une rencontre entre les deux artistes.

          Boudin entre dans la boutique ou Monet examinait des toiles. Aussitôt l’encadreur fait les présentations. Boudin complimente le jeune Monet :

          - Quel coup de crayon ! Je regarde toujours avec plaisir vos croquis. Vous êtes doué. C’est enlevé, leste. Bravo ! J’espère que vous n’en resterez pas là. Apprenez à voir et à peindre, dessinez, faites du paysage.

          Devant l’obstination de Boudin, Monet, peu convaincu, accepte de venir peindre en plein air aux alentours du Havre, en bordure de mer. Des années plus tard, il racontera : « Quelle révélation ! Je fus illuminé. La lumière venait de jaillir. ». Il avait fait connaissance avec la peinture de l’instantanéité, de la fugacité des choses, de la brièveté du temps.

          « Si je suis devenu un peintre, c’est à Eugène Boudin que je le dois » reconnaîtra Monet.

         

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    Eugène Boudin –  Plage à Trouville, 1890, National Gallery, Londres

     

          Toute sa vie, Eugène Boudin restera le peintre des bords de mer. En face de la mer et du ciel, il étudie la traduction au plus juste des deux éléments. Il dit : " Nager en plein ciel, arriver aux tendresses des nuages, suspendre des nappes, au fond bien lointaines dans la brume grise, faire éclater l'azur ".

          Un jour, Corot, le peintre des paysages vaporeux, regarde longuement les marines de Boudin et lui dit : « Boudin, vous êtes le roi des ciels ».

     

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    Eugène Boudin –  La Meuse à Rotterdam, 1881, Musée d’Orsay, Paris

     

          Outre Corot et Claude Monet, curieusement, ce peintre de marines peu connu, va être encensé par deux artistes célèbres du moment, un poète, Charles Baudelaire, et un peintre, Gustave Courbet.

          Toujours au Havre, en 1859, comme avec Monet un an auparavant, Courbet découvre chez un marchand les marines de Boudin. Séduit, il demande à le rencontrer. Et le grand Courbet, le peintre de « Bonjour, monsieur Courbet » ou « Un enterrement à Ornans », va se lier d’amitié avec l’humble croqueur de nuages et de ports. Ils vont peindre ensemble sur le littoral des vues de la Manche. Courbet, enthousiaste, s’exclame : « Nom de Dieu ! Boudin, vous êtes un séraphin, il n’y a que vous qui connaissiez le ciel ! ».

     

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    Eugène Boudin –  L’entrée du port de Trouville, 1888, National Gallery, Londres

     

           Baudelaire est le scandaleux auteur des « Fleurs du mal » qui a été condamné à une amende pour outrage à la morale publique et aux bonnes mœurs. Rien que ça… Ami de Courbet et virulent critique d’art, il va apprécier, au Salon de 1859, les marines pastellés de Boudin, et écrira : « A la fin tous ces nuages aux formes fantastiques et lumineuses, ces ténèbres chaotiques, […] ces fournaises béantes, ces firmaments de satin noir ou violet, fripé, roulé ou déchiré, […] toutes ces profondeurs, toutes ces splendeurs me montèrent au cerveau comme une boisson capiteuse… »

     

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    Eugène Boudin –  Coup de vent devant Frascati, 1896, Musée du Petit Palais, Paris

     

          Même Emile Zola reconnaissait en Boudin " son originalité exquise ". 

     

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    Eugène Boudin – Baigneurs sur la plage de Trouville, 1869, Musée d’Orsay, Paris

     

          En 1893, Boudin peint « La plage de Tourgéville ". La solitude n’est troublée par aucun premier plan et accroît ainsi l’immensité du ciel.

     

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    Eugène Boudin – La  plage de Tourgéville, 1893, National Gallery, Londres

     

           Eugène Boudin s’essaye à un nouveau genre : les plages de Trouville, Deauville, en peinture,boudin,trouvillefront de mer, avec des élégantes en crinoline, assises sur le sable, s’abritant du soleil sous leurs ombrelles, discutant sur la plage.

     

     

     

     

      

    Eugène Boudin – Scène de plage à Trouville, 1863, National Gallery of Arts, Washington

     

           « On aime beaucoup mes petites dames sur la plage » disait-il en riant.

     

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     Eugène Boudin – Scène de plage, 1862, National Gallery of Arts, Washington

     

           Le ciel est crépusculaire, rougeoyant, avec toujours la même rangée de personnages en front de mer.

     

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    Eugène Boudin – Scène de plage à Trouville, 1869, collection Thyssen-Bornemisza, Madrid

     

           Les ports. Lorsqu’il ne peint pas les plages, Boudin aime représenter les ports avec peinture,boudin,le havreleurs ciels houleux et changeants accompagnant de superbes navires toutes voiles dehors.

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Eugène Boudin – Entrée du port du Havre, 1883, National Gallery of Arts, Washington

     

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    Eugène Boudin – Le bassin de l’Eure au Havre, 1885, Musée de l’ancien évêché, Evreux

     

           1874. Le grande révolution de la peinture impressionniste va naître à l’occasion d’une banale exposition de peintres indépendants, quasi inconnus, organisée dans les locaux du photographe Nadar, boulevard des capucines à Paris.

          Le fameux critique du Charivari, Louis Leroy, se moque d’un petit tableau de Claude peinture,boudin,monet,Le HavreMonet représentant un lever de soleil sur la mer que le peintre avait croqué de sa fenêtre d’hôtel devant le port du Havre. Une charmante toile avec un gros soleil rouge s’infiltrant au milieu des brumes et se reflétant dans l’eau. Monet ne sachant quel titre donner à « cette chose » pour le catalogue de l’exposition l’appela Impression, soleil levant. Ce joyeux critique, se croyant sans doute très drôle, eut ces mots ironiques : « Je me disais aussi puisque je suis impressionné, il doit y avoir de l’impression là-dedans… ». Il titra d’ailleurs sa chronique « L’exposition des impressionnistes ».

          Le terme d’impressionniste était né et allait être adopté par les peintres se reconnaissant de cette mouvance. Ces avant-gardistes abandonnent les valeurs de l’art académique : modelé, contour, clair-obscur, perspective, pour peindre sur le motif la lumière changeante, avec des couleurs pures, une touche divisée qui capte les vibrations lumineuses, les émotions troubles, la fugacité des choses. La lumière est le principe actif de leurs œuvres. 

          Cette année là Eugène Boudin expose dans le groupe. Claude Monet l’a invité. Ses couleurs n’ont pas la vivacité de ses jeunes confrères. Ses marines sont peints dans une gamme de gris. Par la suite, il veillera à rester « indépendant », ne relevant pas d’écoles consacrées. Il tracera son sillon en solitaire.

     

          Boudin s’intéresse à la vie des gens simples : paysans, pêcheurs, lavandières. Dans leur vie quotidienne, il retrouvait ses origines modestes de fils de marin de Honfleur.

          peinture,boudin,« Je voudrais déjà être au champ de bataille, courir après les bateaux, suivre les nuages le pinceau à la main, humer le bon air salin des plages et voir la mer monter. […] Nous mangeons du poisson, de la crevette qui sort de l’eau et que de pauvres pêcheuses, trempées dessus et dessous, jupons collés aux jambes, nous apportent en passant. »  

    Eugène Boudin – Pêcheuses sur la plage de Berck, 1881, National Gallery of Arts, Washington

     

     

     

  • Concours de nouvelles « Quatre Lignes »

     

          J’avais hésité longtemps…

          Depuis plusieurs années, je publiais sur mon blog des récits, nouvelles courtes liées à ma passion pour la peinture, contées sur le ton de la fiction romanesque. J’avais également publié deux récits plus longs, romancés, inspirés par la vie et l'oeuvre des grands peintres hollandais Vincent Van Gogh et Johannes Vermeer.

          J’avais remarqué cette deuxième édition du concours de nouvelles « Quatre Lignes » sur le site de Patrick Fort « Lire, Ecrire, En parler ». La lauréate de la première édition avait été Sandrine Virbel avec son excellente nouvelle « Abattez les grands arbres ». Patrick Fort organisait le concours, conjointement avec les « Editions Le Solitaire » et le site « Les Scribouilles ».

          Je m’étais interrogé : « Qu’irais-je faire dans un concours de nouvelles ? »

          J’avais fini par me laisser tenter. J’avais remanié et rallongé une de mes nouvelles anciennes illustrant des toiles du peintre Auguste Renoir, lui avais donné pour titre « Rose », et l’avais envoyée.

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    Auguste Renoir : La danse à Bougival, 1883, Boston, Museum of Fine Arts

      

     

            Un jury d’auteurs, lecteurs et bibliothécaires vient de rendre le palmarès de ce concours : ma nouvelle "Rose" s'est vue accorder le deuxième prix.

     

          Ce résultat me touche. Rose que j'ai prévenue sans tarder, se joint à moi pour adresser nos remerciements aux membres du jury qui se sont laissés séduire par mon amie. Je félicite Sylvie Kaufhold qui a obtenu le premier prix avec sa nouvelle "Passeurs de lumière". J'ai vu sur son blog que son livre pour la jeunesse "Le monde d'Allia" a été édité, et lui souhaite un bel avenir.   

          J’ai une pensée admirative pour le peintre Auguste Renoir. Deux de ses toiles : « La danse à Bougival » et « La danse à la campagne » m’ont beaucoup influencé dans l’écriture de cette nouvelle.

          Suzanne Valadon, peintre et mère du célèbre artiste montmartrois Maurice Utrillo, a posé pour les deux tableaux de Renoir et m’a inspiré le personnage de « Rose ». Comment aurais-je pu trouver un plus joli modèle que cette jeune femme aux joues cramoisies, voltigeant indéfiniment sur un air de valse. A mes yeux, Rose symbolise ces femmes du peuple du 19e siècle, ouvrières, paysannes, dont la condition était dure. Emile Zola les décrivit avec une vérité inégalée dans son roman-fleuve « Les Rougon-Macquart ».

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     Auguste Renoir : La danse à la campagne, 1883, Paris, Musée d’Orsay

          

          Nous nous retrouverons prochainement, amis lecteurs, pour la suite des extraits choisis de la correspondance de Vincent Van Gogh qui s’était arrêtée au 31 août 1888, alors qu’il vivait et travaillait à Arles en Provence.

          A bientôt. 

                                                                                                          Alain

     

     

  • Les années Argenteuil

     

    Portrait : Claude Monet La femme à l’ombrelle, 1875 

      

     

         Claude Monet se plait à Argenteuil où il est installé avec sa récente femme Camille, ils sont mariés depuis à peine cinq années, dans une petite maison depuis l’hiver dernier. Il peint comme jamais jusqu’ici.

         Les années 1870 sont une grande mutation dans son art. Le peintre ne s’intéresse plus qu’à la lumière. Tout devient vibration. Le plein air est son unique atelier, son seul maître devient la nature. Son inventivité est extrême pour saisir le motif sous tous ses aspects, découvrir le ton qu’il n’avait pas perçu. Il pose de simples virgules de couleurs pures directement sur la toile. Son oeil a changé, il recompose le paysage qui est saisi avec les accidents que l’atmosphère lui donne. Il le réduit à l’essentiel.

         Monet peint quelque chose de nouveau. Sait-il lui-même ce qu’il peint…

         Comme Daubigny autrefois sur son atelier flottant le « Botin », il possède, lui aussi, un bateau-atelier qui lui permet de naviguer, de peindre l’eau, les berges, les ponts, les péniches. Tout ce qu’il voit l’inspire et l’éblouit…

         Argenteuil, la Seine, les jardins, fournissent à Monet d’innombrables sources d’émerveillement. Les ciels de l’artiste n’ont jamais été aussi bleus que ceux d’Argenteuil.

         Camille est sa joie de vivre. Il la surprend partout.

         Dans le jardin avec Jean, se plantant une fleur dans les cheveux…

       Seule, au détour d’une allée, à la fin d’une belle journée d’été au moment où les ombres prennent une teinte bleutée…

         Pensive, dans l’encadrement d’une fenêtre…

         Brodant devant un massif fleuri éclaboussé de tâches colorées… 

       Lisant, assise dans l’herbe sous les lilas, confondue dans la végétation…

         Devant un massif de glaïeuls…

     

     

     

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    Claude Monet – La femme à l’ombrelle, 1875, National Gallery of Art, Washington

     

     

         Par cette belle journée de l'été 1875, Claude Monet a choisi de croquer Camille vers les bords de la Seine. En pleine lumière, il pose des petites touches de couleurs qui vibrent entre elles.

        Une apparition ascendante nous est offerte… Celle-ci, peinte en contre-jour, est éclaboussée du bleu mauve du ciel parcouru de nuages jaunes et rosés qui s’effilochent en se regroupant curieusement autour de la jeune femme, comme pour la protéger. Il l’aime… Les rayons du soleil l’enveloppe…

       La gracieuse Camille debout sur un talus herbeux tient une ombrelle qui, comme son voile et sa robe, s’agite dans le vent. Tout n’est que mouvement : les plis de la robe se cabrent, la voilette agitée laisse percevoir le visage de celle qui nous regarde. Elle nous dit quelque chose ? Non ! Elle parle à Claude ! La pose est naturelle, instant fugace d’un regard de peintre.

        Elle ne va pas tarder à se retourner pour continuer son chemin, accompagnée de Jean son petit bonhomme qui marche à ses côtés.

     

      

  • Berthe Morisot à Orsay

     

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    Edouard Manet – Portrait de Berthe Morisot avec un éventail, 1874, Art Institute of Chicago

     

     

         Après la première rétrospective depuis 1941 de l’œuvre de Berthe Morisot présentée en 2012 au musée Marmottan Monet, le musée d’Orsay consacre, depuis le 18 juin dernier, sa première exposition de l’été à cette femme peintre exceptionnelle: Berthe Morisot 

        L’exposition du musée d’Orsay est d’une grande richesse. Près de la moitié des œuvres présentées proviennent de collections particulières, souvent jamais montrées au public.

       J’ai repris quelques-unes des images de l’article que j’avais fait en 2012 sur la brillante rétrospective du musée Marmottan. D’autres images de la meilleure qualité des toiles exposées à Orsay ont été rajoutées.

         Je passe devant vous. Vous me suivez…

     

     

       Berthe Morisot est une des artistes majeures de l’impressionnisme. Longtemps moins connue que Monet, Renoir, Pissarro ou Sisley, elle demeure à mes yeux la plus impressionniste du groupe des peintres impressionnistes. Sa touche est spontanée, nerveuse, vibrante, la toile est souvent laissée à nu, inachevée.

       Très indépendante, elle peignait à sa guise. Elle sera de toutes les expositions du groupe des impressionnistes, de la première en 1874 à la dernière en 1886. Elle ne manquera que la 4ème pour cause de naissance de sa fille. Longtemps seule au milieu de ses amis masculins, deux autres femmes viendront la rejoindre à partir de 1879 : Marie Bracquemond et l’américaine Mary Cassatt. En rapport avec sa féminité, son art était souvent qualifié de délicat, élégant, exquis, raffiné.

        Dès le début des années 1880, elle recevra les éloges des critiques et amateurs influents qui reconnaitront son originalité :

       « Elle pousse le système impressionniste jusqu’à l’extrême. »… « Mademoiselle Morisot est une impressionniste si convaincue qu’elle veut peindre jusqu’au mouvement des choses inanimées. » - Arthur Baignères.

         « Elle termine ses toiles en donnant de-ci de-là de légers coups de pinceaux ; c’est comme si elle effeuillait des fleurs… » - Théodore Durel.

        Quel beau compliment ! Le poète irlandais George Moore écrira après sa mort : « Ses toiles sont les seules toiles peintes par une femme qu’on ne pourrait détruire sans laisser un blanc, un hiatus dans l’histoire de l’art. ».

     

         Je ne ferais pas ici une longue description de la vie de Berthe que les admirateurs de l’artiste connaissent, je préfère parler de son art et des quelques toiles représentatives à mes yeux de son œuvre.

         Avec les paysages, la figure féminine demeurera toute sa vie son sujet préféré. Elle trouve ses modèles autour d’elle : sa sœur Edma, sa fille Julie, son mari Eugène, ses nièces, des amies, parfois des modèles professionnels. Elle les place au milieu des meubles où elle vit ou dans la nature.

     

         Sa fille Julie, née de son mariage en 1878 avec Eugène Manet, le frère d'Edouard Manet qui peindra Berthe de nombreuses fois, reste son modèle préféré :

         « C’est un petit chat, écrit Berthe à sa sœur Edma. Elle est toute ronde comme une boule avec des petits yeux qui pétillent et une grande bouche qui grimace. »

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    Berthe Morisot – Les pâtés de sable, 1882, collection particulière

         « Bibi » dort ou gazouille pendant qu’elle la peint. Durant 17 ans, jusqu’au décès de Berthe, elle sera représentée à tous les âges, à tous moments de la journée.

         Bibi a 5 ans. Sa silhouette lumineuse éclaire les vaguelettes laissées par la barque. peinture,musée d'orsay,impressionnisme berthe morisotQuelques cygnes librement brossés encadrent son fin visage.

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Berthe Morisot – Sur le lac, 1884, collection particulière

     

         Deux ans avant son décès, Berthe peindra Julie jouant du violon. La grâce de la jeune fille est un mélange d’élégance et de volupté, avec la même sensualité réservée, la même part de mystère que sa mère exprimait à son âge.

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    Berthe Morisot – Julie au violon, 1893, musée Marmottan, Paris

     

         Elle ne représentera qu’un seul homme en peinture : son mari Eugène

       Berthe va peindre Eugène pour la première fois au cours de leur lune de miel en Angleterre, devant une fenêtre face à la mer. Celui-ci observe le spectacle de la rue. De somptueux effets de transparence des voilages et de la baie vitrée sont réchauffés par de menues taches de fleurs rouges.

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    Berthe Morisot – Eugène Manet à l’île de Wight, 1875, musée Marmottan, Paris

     

        Plus tard, elle le peindra à nouveau avec sa fille Julie dans le jardin de Bougival. C’est une de mes toiles préférées de l’artiste : scène intime entre le père et la fille, les deux amours de l’artiste. La toile est parcourue de vibrations colorées et de touches nerveuses multiples formant un ensemble de coloris roses et mauves.

     

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    Berthe Morisot – Eugène Manet et sa fille, 1881, musée Marmottan, Paris

     

        Les figures féminines sont multiples dans l’œuvre de Berthe. Quand elle ne peint pas Julie, elle ne cesse de peindre des jeunes filles.

       Elle fait poser Edma pour « La lecture » présentée à la première exposition impressionniste de 1874. La toile est fraîche, légère, aérienne comme une aquarelle.

     

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    Berthe Morisot – L’ombrelle verte ou La lecture, 1873, museum of art, Cleveland

     

    Dans cette même exposition du groupe impressionniste, elle présente une maternité « Le berceau » d’une sensibilité toute féminine : Sa sœur Edma est à nouveau représentée veillant sur sa fille Blanche.

     

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    Berthe Morisot – Le berceau, 1872, Musée d'Orsay, Paris

     

         A la 3ème exposition impressionniste de 1877, le « Bal au Moulin de la Galette » de peinture,musée d'orsay,impressionnisme berthe morisotRenoir concentre les regards. Berthe a choisi d’exposer une jeune femme qui s’habille face à un miroir « Le Miroir ou La Psyché ». Emile Zola parle de « l’une des perles de l’exposition ». La toile est frémissante, mouvante. « Berthe a l’art de faire vibrer le blanc dans toute sa pureté en le posant sur des gris légers. 

     

     

     

     

     

     

    Berthe Morisot – La psyché, 1876, musée Thyssen-Bornemisza, Madrid

     

         A la 5ème exposition de 1880, dans le même genre, figure « Femme à sa toilette » montrant une femme se coiffant devant sa psyché où elle se reflète. Il s’agit de ma toile préférée de l’artiste peinte dans des tons rose, gris, bleu, lavande. L'arrière plan est flou et se fond avec le dos joliment modelé laissant tomber la robe sur l’épaule gauche.

     

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    Berthe Morisot – Femme à sa toilette, 1875, Art Institute of Chicago

     

         Une jeune femme s'est installée assise dans une véranda après le déjeuner.

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    Berthe Morisot – A la campagne – Après le déjeuner, 1881, collection particulière

     

    Berthe peint souvent sa nièce, la fille de sa sœur Edma.peinture,musée d'orsay,impressionnisme berthe morisot

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Berthe Morisot – Paule Gobillard en toilette de bal, 1887, collection privée

     

         L’artiste entrera de son vivant dans un musée national avec la toile « Jeune femme peinture,musée d'orsay,impressionnisme berthe morisoten toilette de bal » achetée par l’Etat.

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Berthe Morisot – Jeune femme en toilette de bal, 1879, musée d’Orsay, Paris

     

         Une fillette au tablier rouge est installée devant une fenêtre. Berthe balaie la fillettepeinture,musée d'orsay,impressionnisme berthe morisot et le décor de traits rapides à peine esquissés laissant apparaître le fond de la toile.

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Berthe Morisot – Enfant au tablier rouge, 1886, Providence, Museum of Art, Rhode Island School of Design

     

         Dix ans avant sont décès, Berthe fait son « Autoportrait ». Elle a 44 ans. Ses cheveux rassemblés en catogan ont blanchi. Elle se peint sans indulgence. La touche est à la fois vigoureuse et légère. La toile ressemble à une sanguine, une esquisse. L’artiste recherche l’inachèvement. Une des fleurs sur le corsage jaune est « comme une décoration » dit Mallarmé.

     

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    Berthe Morisot – Autoportrait, 1885, musée Marmottan, Paris

     

         Avec les impressionnistes, le paysage va prendre une importance qu’il n’avait pas. L’étude de la lumière réduit le motif à un simple prétexte. Au milieu des Monet, Pissarro, Renoir… Berthe apporte une touche de charme, de distinction. « Elle est l’impressionnisme p

  • Genèse de l'impressionnisme

     

    2. Eugène Boudin Faire éclater l’azur

     

     

         Connu pour ses marines et ses scènes de plage, Eugène Boudin (1824-1898) fut l’un des premiers artistes français à poser son chevalet hors de l’atelier pour réaliser des paysages. Dans ses nombreux tableaux, il s’est tout particulièrement attaché au rendu des éléments et des effets atmosphériques. Ainsi, il a été l’un des initiateurs d’une vision renouvelée de la nature, précédant dans cette démarche les impressionnistes et son ami Claude Monet, qui écrivait à la fin de sa vie : « Je dois tout à Boudin ».

         Au fil des années, sa palette s’éclaircit et sa touche s’allège pour mieux restituer les reflets du ciel et de l’eau. Où qu’il soit, il peint des paysages en mouvement, dans une subtile harmonie de gris colorés. Véritable « roi des ciels », Eugène Boudin a su transcrire à la perfection des éléments aussi changeants que la lumière, les nuages et les vagues.

     

        Je ne pouvais illustrer mes articles consacrés au thème de la genèse de l’impressionnisme sans parler d’Eugène Boudin. Je présente donc à nouveau le compte-rendu consacré à ce précurseur de l’impressionnisme que j’avais publié lors de l’exposition « Eugène Boudin, le « roi des ciels » qui se tint du 22 mars au 22 juillet 2013 dans le charmant musée parisien Jacquemart-André. Il s’agissait de la première rétrospective à Paris de l’œuvre d’Eugène Boudin depuis 1899.

     

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    Eugène Boudin – Concert au casino de Deauville, 1863, National Gallery, Washington

     

    « Devant la nature, c’est à méditer qu’il faut s’exercer. De grands ciels puissants, profonds, vaporeux, légers, et, là-dessous, un morceau de la terre ou des bateaux, mais que ce soit grand, idéalisé, comme je l’entrevois. »

                                                                                          Eugène Boudin 

     

     

         « Sans connaître l’homme, je l’avais en grippe ». C’est ce que pensait Claude Monet à 17 ans en voyant la peinture d’Eugène Boudin, son aîné, âgé de 34 ans, un normand comme lui.

        Depuis plusieurs années déjà, Monet dessine, la plupart du temps des personnages qu’il affuble de figures grotesques. En fait, il caricature ! Il s’amuse beaucoup et, talentueux, il vend : 15 ou 20 francs suivant la tête du client. Le succès, si jeune, le grise.

          En 1858, c’est la rencontre.

       Au Havre, le papetier encadreur Gravier exposait conjointement dans sa boutique, les caricatures de Monet dont le talent faisait s’esclaffer toute la ville, et les paysages de Boudin. Il voulait organiser une rencontre entre les deux artistes.

        Boudin entre dans la boutique où Monet examinait des toiles. Aussitôt l’encadreur fait les présentations. Boudin complimente le jeune Monet :

         - Quel coup de crayon ! Je regarde toujours avec plaisir vos croquis. Vous êtes doués. C’est enlevé, leste. Bravo ! J’espère que vous n’en resterez pas là. Apprenez à voir et à peindre, dessinez, faites du paysage.

        Devant l’obstination de Boudin, Monet, peu convaincu, accepte de venir peindre en plein air aux alentours du Havre, en bordure de mer. Des années plus tard, il racontera : « Quelle révélation ! Je fus illuminé. La lumière venait de jaillir. ». Il avait fait connaissance avec la peinture de l’instantanéité, de la fugacité des choses, de la brièveté du temps.

         « Si je suis devenu un peintre, c’est à Eugène Boudin que je le dois » reconnaîtra Monet.

     

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    Eugène Boudin – Plage à Trouville, 1890, National Gallery, Londres

     

         Toute sa vie, Eugène Boudin restera le peintre des bords de mer. En face de la mer et du ciel, il étudie la traduction au plus juste des deux éléments. Il dit : « Nager en plein ciel, arriver aux tendresses des nuages, suspendre des nappes, au fond bien lointaines dans la brume grise, faire éclater l’azur ».

         Un jour, Camille Corot, le peintre des paysages vaporeux, regarde longuement les marines de Boudin et lui dit : « Boudin, vous êtes le roi des ciels ».

     

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    Eugène Boudin – La Meuse à Rotterdam, 1881, Musée d’Orsay, Paris

     

        Outre Corot et Claude Monet, curieusement, ce peintre de marines peu connu, va être encensé par deux artistes célèbres du moment, un poète, Charles Baudelaire, et un peintre, Gustave Courbet.

         Toujours au Havre, en 1859, comme avec Monet un an auparavant, Courbet découvre chez un marchand les marines de Boudin. Séduit, il demande à le rencontrer. Et le grand Courbet, le peintre de « Bonjour, monsieur Courbet » ou « Un enterrement à Ornans », va se lier d’amitié avec l’humble croqueur de nuages et de ports. Ils vont peindre ensemble sur le littoral des vues de la Manche. Courbet, enthousiaste, s’exclame : « Nom de Dieu ! Boudin, vous êtes un séraphin, il n’y a que vous qui connaissiez le ciel ! ».

     

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    Eugène Boudin – L’entrée du port de Trouville, 1888, National Gallery, Londres

     

         Baudelaire est le scandaleux auteur des « Fleurs du mal » qui a été condamné à une amende pour outrage à la morale publique et aux bonnes mœurs. Ami de Courbet et virulent critique d’art, il va apprécier, au Salon de 1859, les marines pastellés de Boudin, et écrira : « A la fin tous ces nuages aux formes fantastiques et lumineuses, ces ténèbres chaotiques, […] ces fournaises béantes, ces firmaments de satin noir ou violet, fripé, roulé ou déchiré, […] toutes ces profondeurs, toutes ces splendeurs me montèrent au cerveau comme une boisson capiteuse… »

     

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    Eugène Boudin – Coup de vent devant Frascati, 1896, Musée du Petit Palais, Paris

     

         Emile Zola reconnaissait en Boudin « son originalité exquise ».

                            

        Lorsqu’il peint « La plage de Tourgéville, la solitude n’est troublée par aucun premier plan et accroît ainsi l’immensité du ciel.

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    Eugène Boudin – La plage de Tourgéville, 1893, National Gallery, Londres

     

        Eugène Boudin s’essaye à un nouveau genre : les plages de Trouville, Deauville, en front de mer, avec des élégantes en crinoline, assises sur le sable, s’abritant du soleil sous leurs ombrelles, discutant sur la plage.

     

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    Eugène Boudin – Scène de plage à Trouville, 1863, National Gallery of Arts, Washington

     

         « On aime beaucoup mes petites dames sur la plage » disait-il en riant.

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    Eugène Boudin – Scène de plage, 1862, National Gallery of Arts, Washington

     

         Le ciel est crépusculaire, rougeoyant, avec toujours la même rangée de personnages en front de mer.

     

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    Eugène Boudin – Scène de plage à Trouville, 1869, collection Thyssen-Bornemisza, Madrid

     

         Les ports. Lorsqu’il ne peint pas les plages, Boudin aime représenter les ports avec leurs peinture écriture,boudin,impressionnisme,monetciels houleux et changeants accompagnant de superbes navires toutes voiles dehors.

     

     

     

     

      

     

                 Eugène Boudin – Entrée du port du Havre, 1883, National Gallery of Arts, Washington

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    Eugène Boudin – Le bassin de l’Eure au Havre, 1885, Musée de l’ancien évêché, Evreux

     

        1874. Le grande révolution de la peinture impressionniste va naître à l’occasion d’une banale exposition de peintres indépendants, quasi inconnus, organisée dans les locaux du photographe Nadar, boulevard des capucines à Paris.

       Le terme d’impressionniste allait naître et être adopté par les peintres se reconnaissant de cette mouvance. Ces avant-gardistes abandonnent les valeurs de l’art académique : modelé, contour, clair-obscur, perspective, pour peindre sur le motif la lumière changeante, avec des couleurs pures, une touche divisée qui capte les vibrations lumineuses, les émotions troubles, la fugacité des choses. La lumière est le principe actif de leurs œuvres.

         Cette année là Eugène Boudin expose dans le groupe. Claude Monet l’a invité. Ses couleurs n’ont pas la vivacité de ses jeunes confrères. Ses marines sont peints dans une gamme de gris. Par la suite, il veillera à rester « indépendant », ne relevant pas d’écoles consacrées. Il tracera son sillon en solitaire.

     

         Boudin s’intéresse à la vie des gens simples : paysans, pêcheurs, lavandières. Dans leur vie quotidienne, il retrouvait ses origines modestes de fils de marin de Honfleur.

         « Je voudrais déjà être au champ de bataille, courir après les bateaux, suivre les nuages le pinceau à la main, humer le bon air salin des plages et voir la mer monter. […] Nous mangeons du poisson, de la crevette qui sort de l’eau et que de pauvres pêcheuses, trempées dessus et dessous, jupons collés aux jambes, nous apportent en passant. »

     

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    Eugène Boudin – Pêcheuses sur la plage de Berck, 1881, National Gallery of Arts, Washington

     

         « Fixer quelque chose de ce qui passe », disait Berthe Morisot. Eugène Boudin aurait pu également s’approprier cette phrase.

     

     

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    Eugène Boudin – Sur la plage de Trouville, 1887, National Gallery of Arts, Washington

     

  • Une famille dans l'impressionnisme

     

    Rouart

     

    « Ce monde de la peinture, j’ai eu beau tenter de le fuir, tout m’y ramenait. D’abord mes souvenirs. Presque tous les membres de ma famille peignaient, avec une ardeur farouche, une passion qui me semblait parfois maladive. »

     

         Je repose le livre dans un angle de mon bureau. Une onde de plaisir me parcourt encore. De nombreuses toiles de la période impressionniste que j’admirais depuis longtemps dans les musées, expositions, ou monographies, je les ai retrouvées à nouveau en feuilletant les pages imprimées sur papier photo grand luxe.

     

     

         Une monographie familiale. L’académicien Jean-Marie Rouart nous entraîne dans une histoire qui débute au milieu du 19e siècle avec ses deux arrière-grands-parents Henri Rouart et Henry Lerolle, peintres et collectionneurs, et se poursuit avec leurs nombreux descendants. La plupart des chefs-d’œuvre présentés dans le livre, l’auteur les a connus en liberté, objets familiers qu’il a pu contempler accrochés sur les murs des différentes maisons familiales. Aujourd’hui, ils sont dispersés dans des musées ou collections aux quatre coins du monde.

       Par mariages ou amitiés, la famille Rouart a côtoyé les plus grands noms qui traversèrent l’impressionnisme et la littérature : Manet, Berthe Morisot, Degas, Renoir, Valéry, Mallarmé…  Du beau monde !

     

         Le meilleur ami de l’arrière-grand-père Henri Rouart, peintre et industriel, était Édgar Degas. « Degas était au centre de la passion familiale et le trait d’union entre toutes les familles qu’il avait approchées. » Il fit huit portraits de son ami, le plus connu le représente de profil en chapeau haut de forme devant ses usines.

     

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    Édgar Degas - Henri Rouart devant son usine, 1875, Carnegie museum of art, Pittsburgh

     

         Paul Valéry décrit Degas : « fidèle, étincelant, insupportable, anime le diner, répand l’esprit, la terreur, la gaieté. »

     

        L’hôtel particulier d’Henri Rouart, rue de Lisbonne à Paris réunissait une formidable collection : 47 Corot dont les magnifiques « Dame en bleu » et « La parisienne », les « Répétition de danse » de Degas, 8 Courbet, des Daumier, Delacroix, Millet, Gauguin, Chardin, Cézanne, « La brune aux seins nus de Manet, le « Bois de Boulogne » de Renoir, et tant d’autres… Toutes ces œuvres avaient été acquises entre 1870 et 1900. Les œuvres peintes par Henri Rouart y figuraient aussi.

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    Camille Corot - La Dame en bleu, 1874, musée du Louvre, Paris

     

         « Un chat. Tante Julie, qu’on appelait aussi Mamaïta, ressemblait à un chat. »

        J’ai beaucoup apprécié cette partie du livre consacrée à Julie Manet, la fille de Berthe Morisot. Sa mère peignait constamment « Bibi ». Durant 17 ans, jusqu'au décès de Berthe en 1895, elle est représentée à tous les âges, à tous moments de la journée. Le pinceau de l'artiste a une infinie tendresse lorsqu'elle peint l'enfance.

        Jean-Marie Rouart connut, adolescent, sa tante Julie qui vivait au milieu des chefs-d’œuvre de l’impressionnisme. Elle peignait pour communier dans la ferveur de sa mère. Les toiles de Berthe Morisot, de son oncle Édouard Manet, et de nombreux autres, étaient rassemblées dans son musée où elle habitait : « Berthe Morisot au bouquet de violettes », « Berthe Morisot et sa fille » et le « Portrait de Julie Manet » de Renoir.

     

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    Auguste Renoir - Julie Manet ou L'Enfant au chat, 1887, musée d'Orsay, Paris

     

         Les dernières toiles de Julie adolescente peinte par sa mère avant son décès étaient présentes également : « Julie au violon » et « Julie Manet et son lévrier Laerte ».

     

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    Berthe Morisot - Julie Manet et son lévrier Laerte, 1893, musée Marmottan Monet, Paris

     

        Paul Valéry et Stéphane Mallarmé faisaient partie de la famille de cœur des Rouart. Valéry était marié avec une cousine de Julie Manet. « J’aimais Valéry comme on aime une étoile, et il n’est nul besoin d’être le fils de cette étoile pour l’aimer, elle appartient à tous, comme toutes les autres étoiles qui brillent dans le ciel », disait Jean-Marie Rouart.

     

        L’avant-dernier chapitre du livre est consacré au grand-père de Jean-Marie, Louis Rouart qu’il qualifiait de coureur de jupons, sans œuvre : « Ce grand-père, je l’aimais tel qu’il était. J’aimais ses yeux malicieux, son horreur de la médiocrité, son fanatisme pour l’art, sa passion pour les femmes et l’Italie. Nous partagions un vice commun, cet amour des livres. » Louis était marié avec Christine Lerolle. J’ai apprécié de revoir sur la jaquette du livre le charmant petit tableau des sœurs Lerolle de Renoir qui est au musée parisien de l’Orangerie : « Yvonne et Christine Lerolle au piano ».

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    Auguste Renoir - Yvonne et Christine Lerolle au piano, 1897, musée de l'Orangerie, Paris

     

       « Les tableaux de mon père, les natures mortes, les paysages, exprimaient un bonheur que je n’avais jamais vu ni sur son visage, travaillé par l’angoisse, ni dans sa vie. » Plusieurs des toiles du père de Jean-Marie, Agustin Rouart, terminent le livre. Ému, Jean-Marie Rouart repense à ce père : « Mon père. Quel long chemin j’ai fait pour le rejoindre. » Il évoque sa mère : « Un portrait de lui en particulier me plaisait et me troublait, celui de ma mère allongée sur un grand dessus de lit jaune, à demi nue, la tête dans ses mains comme si elle pleurait. »

     

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    Augustin Rouart – Lagrimas y penas, collection particulière

     

     

         Je me suis plongé avec délice dans cette vaste fresque de la famille Rouart accompagnée de documents, photos, et tableaux de grande qualité.

     

     

  • Léonard de Vinci au Louvre

     

         500 ans déjà...    

        Le Louvre se devait de frapper fort à l’occasion du cinq centième anniversaire de la mort de Léonard de Vinci en 1519 au château du Clos-Lucé près d’Amboise.

       La vision du catalogue m’a impressionné. Magnifique ! : lourde couverture cartonnée dans des tons bruns chauds, et le regard enjôleur de « La Belle Ferronnière » qui me fixe intensément. Troublant...

     

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        Que dire de cette exposition que je viens de visiter juste avant sa fermeture ? Les adjectifs sont trop faibles pour la décrire : remarquable, superbe, éblouissant…

       Rien moins que 150 œuvres sont rassemblées : dessins, peintures, objets d’art, manuscrits, venant des plus grands musées dans le monde. Une occasion unique de voir onze tableaux (avec "La Joconde") du maître sur la vingtaine qui lui est attribuée.

         La plupart des oeuvres proviennent de la collection du Louvre, la plus importante au monde : 5 tableaux et 22 dessins.

         Le Louvre a réussi l’exploit ! Les commissaires de l’exposition, Vincent Delieuvin et Louis Franck, en se livrant à une étude fondée sur les documents et textes conservés, ont permis aux visiteurs de s’approprier le parcours de vie de ce génie universel, depuis ses débuts à 13 ans lorsque son père le fit, à Florence, entrer dans l’atelier du peintre et sculpteur Andrea Del Verrocchio, jusqu’à ses derniers jours en France.

     

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    Andrea del Verrocchio - Publius Cornelius Scipion, 1467, louvre

     

       La « Joconde », trop fragile, est restée douillettement installée dans sa salle habituelle où les visiteurs la dérangent constamment en ne cessant de la mitrailler pour l’immortaliser. Elle devrait porter plainte... Elle en a vu d’autres…

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    Léonard de Vinci - La Joconde, 1503, musée du Louvre, Paris

     

     

         Je parcoure les salles au petit trot. L’intimité du maître m’est offerte. Sa présence est constante. On se sent humble devant un tel génie universel.

     

         Je passe rapidement sur la partie consacrée à la science. Léonard de Vinci était curieux de tout : peinture, poésie, musique, mathématiques, anatomie, hydraulique, astronomie, botanique, architecture ou géologie. Jusqu’à la fin de sa vie, il rédigera des notes regroupées dans des codex. À Amboise, avant de mourir, il les confiera à son disciple Francesco Melzi qui les ramènera en Italie. L’exposition montre de nombreuses feuilles originales issues de ces codex qui nous restituent la science léonardienne. Le célèbre "Homme de Vitruve" est également présent. Immense travail ! Il est aisé de comprendre pourquoi Léonard nous laissa si peu de tableaux, pour la plupart inachevés ou non terminés.

     

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    Léonard de Vinci – L’homme de Vitruve, 1510, Galerie de l'Académie, Venise

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    Léonard de Vinci – Aile mobile, Codex Atlanticus 

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    Léonard de Vinci – Vol des oiseaux dans le vent, 1505, Codex Atlanticus 

     

         Je me concentre sur les peintures.

        « (…)bre 1478, j’ai commencé les deux Vierge Marie ». Il semblerait que Léonard, alors qu’il est encore chez Verrocchio, ait ébauché la conception de deux peintures de Vierge à l’enfant. De superbes études pour une « Madone au chat » font regretter qu’il n’existe pas de peinture autographe.

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    Léonard de Vinci – Etude pour la Madone au chat, 1478, British Museum, Londres

     

         L’exceptionnelle « Madone Benois », peinte sur bois, envoyée par le musée de l’Ermitage à Saint-Pétersbourg, est présente dans l’exposition. À mes yeux, il s’agit du premier chef-d’œuvre du peintre : le sourire joyeux de la femme à son enfant ensorcèle les visiteurs attroupés devant l’œuvre.

     

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    Léonard de Vinci – Madone Benois, 1480, musée de l’Ermitage, Saint-Pétersbourg

     

         Les quatre toiles du maître appartenant au Louvre sont évidemment les plus admirées par les visiteurs.

     

    LA VIERGE AUX ROCHERS

          Ce grand tableau, sombre, mériterait la restauration que les trois autres ont subie  récemment.

         À 30 ans, en 1483, Léonard est très demandé. Il a obtenu la commande pour une chapelle de Milan de ce grand tableau qui est l’élément central d’un retable. Il en existe une deuxième version à la National Gallery à Londres.

        Le tableau forme une pyramide harmonieuse. Dans une grotte, la vierge Marie est entourée d’un ange souriant soutenant l’enfant Jésus assis sur un rocher. Celui-ci fait face au très jeune saint Jean le Baptiste agenouillé en prière. Dans une atmosphère crépusculaire en clair-obscur l’artiste joue sur les ombres et non les contours. Il s’agit déjà du fameux « sfumato » qui va le rendre célèbre. Ce style rompt avec la production florentine à la mode.

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    Léonard de Vinci – La Vierge aux rochers, 1483, musée du Louvre, Paris

     

    LA BELLE FERRONNIÈRE

          Restaurée en 2015, après la Sainte Anne, les belles couleurs chaudes ont été conservées.

          Le regard en oblique de la femme qui est devant moi m’interroge : en plaine période de la Renaissance, elle présente une nouvelle approche dans l'histoire du portrait. Vêtue d’une robe rouge à l’emmanchure ornée de rubans, elle est tournée de trois-quarts, mais, curieusement, sa tête s’oriente de l’autre côté, comme si quelque chose avait soudainement retenu son attention. Son regard m’observe étrangement. Cette femme si séduisante me met mal à l'aise...

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    Léonard de Vinci –La belle ferronnière, 1498, musée du Louvre

     

    SAINTE ANNE

         Avec le « Saint Jean Baptiste », elle termine l’exposition. À mes yeux, il s'agit de la plus belle des cinq toiles que possède le Louvre.

       Commencée en 1501, à Florence, l’artiste méditera sur le thème de la « Sainte Anne » jusqu’à la fin de ses jours. Avec le « Saint Jean Baptiste » et la « Joconde », il traversera les Alpes avec elle lors de sa venue en France en 1516. La tendance de Léonard, novatrice, à laisser ses peintures inachevées, apparaît, surtout dans le paysage rocheux en fond.

       Grâce à sa récente restauration, nous pouvons contempler à nouveau, comme la voyait Léonard avant de mourir, cette scène familiale : assise sur les genoux de sa mère Sainte Anne, la Vierge abaisse son regard avec un sourire bienheureux sur l’enfant Jésus qui joue avec l’agneau symbolisant son futur sacrifice. 

    peinture,louvre,léonard de vinci La toile a retrouvé ses transparences dans les robes et les voilages, ses teintes vives et froides. Les bleus de lapis-lazuli et les rouges violacés s’expriment à nouveau.

     

     

     

     

     

     

     

     

         L’exquis modelé des figures apparaît dans son état de fraicheur initialpeinture,écriture,louvre,léonard de vinci

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

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    Léonard de Vinci –La Sainte Anne, 1513, musée du Louvre

     

    SAINT JEAN BAPTISTE

         La date exacte de sa conception n’est pas connue.

        Sur un fond sombre, le prophète apparaît comme un jeune éphèbe avec ce sourire radieux à la Léonard, lumineux, tourné légèrement de trois quarts, le bras droit levé vers le ciel.

        Restauré en 2016, des vernis anciens non enlevés totalement ont laissé la teinte des chairs très chaude. Les femmes devaient s'arracher ce beau jeune homme…

     

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    Léonard de Vinci –Saint Jean Baptiste, 1513, musée du Louvre

     

         Je suis resté un long moment devant un dessin qui serait le premier dessin (connu) de l’artiste : « Paysage de la vallée de l’Arno ». Il a inscrit la date de 1473, à 21 ans. 

     

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    Léonard de Vinci – Paysage de la vallée de l'Arno, 1473, Gabinetto Disegni, Florence

     

         D’autres dessins et études du maître m’ont réjoui par leur virtuosité : les draperies de jeunesse de Léonard lorsqu’il était élève chez Verrocchio, le magnifique dessin d’une étude de figure pour l’ange de la Vierge aux rochers, et tellement d’autres.

     

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    Léonard de Vinci – Etude pour sainte Anne, 1500, National Gallery, Londres

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    Léonard de Vinci – Tête de femme dite La Scapiliata, 1505, Galerie Nationale, Parme

     

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    Léonard de Vinci – Etude de figure pour l'ange de la Vierge aux rochers, 1490, Bibioteca Reale, Turin

     

     

     Ouf ! Léonard m'a épuisé ! L'émotion est toujours présente... 

     

     

     

  • Genèse de l'impressionnisme

     

    5. Rude journée boulevard des Capucines

     

     

     

     

        Quolibets, insultes pleuvent lors de l’exposition commencée le 15 avril 1874 du nouveau groupe des peintres avant-gardistes…    

       Dans la presse, il n’y a pas de mots assez durs pour se moquer, se gausser de cette nouvelle peinture. Le comble est l’article du journaliste Louis Leroy écrit sur un ton ironique dans le "Charivari", une dizaine de jours après le début de l’exposition. Visitant l’exposition avec un ami peintre officiel, il le provoque par des éloges paraissant sincères sur les exposants. Renoir parlera « d’esprit parisien ».

     

    Le Charivari, 25 avril 1874

    L’EXPOSITION DES IMPRESSIONNISTES, par Louis Leroy.

     

     

         Oh! ce fut une rude journée que celle où je me risquai à la première exposition du boulevard des Capucines en compagnie de M. Joseph Vincent, paysagiste, élève de Bertin, médaillé et décoré sous plusieurs gouvernements !

        L'imprudent était venu là sans penser à mal ; il croyait voir de la peinture comme on en voit partout, bonne et mauvaise, plutôt mauvaise que bonne, mais non pas attentatoire aux bonnes mœurs artistiques, au culte de la forme et au respect des maîtres. Ah ! la forme ! Ah ! les maîtres ! Il n'en faut plus mon pauvre vieux ! Nous avons changé tout cela.

         En entrant dans la première salle, Joseph Vincent reçut un premier coup devant la Danseuse, de M. Degas.

     

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    Edgard Degas – La classe de danse, 1874, musée d’Orsay, Paris

     

         - Quel dommage, me dit-il, que le peintre, avec une certaine entente de la couleur, ne dessine pas mieux : Les jambes de sa danseuse sont aussi floches que la gaze des jupons.

         - Je vous trouve dur pour lui, répliquai-je. Ce dessin-là est très-serré au contraire.

       - L'élève de Bertin, croyant que je faisais de l'ironie, se contenta de hausser les épaules sans prendre la peine de me répondre.

         - Tout doucement alors, de mon air le plus naïf, je le conduisis devant le Champ labouré, de M. Pissaro.

     

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    Camille Pissarro - Gelée blanche, 1873, musée d’orsay , Paris

     

         A la vue de ce paysage formidable, le bonhomme crut que les verres de ses lunettes s'étaient troublés. Il les essuya avec soin, puis les reposa sur son nez.

         - Par Michalon ! s'écria-t-il, qu'est-ce que c'est que ça ?

         - Vous voyez... une gelée blanche sur des sillons profondément creusés.

       - Ça des sillons ? Ça de la gelée ?... Mais ce sont des grattures de palette posées uniformément sur une toile salle. Ça n'a ni queue ni tête, ni haut ni bas, ni devant ni derrière.

         - Peut-être... mais l'impression y est.

         - Eh ben, elle est drôle l'impression !... Oh !... et ça ?

        - Un Verger, de M. Sisley. Je vous recommande le petit arbre de droite, il est gai, mais l'impression...

        - Laissez-moi donc tranquille avec votre impression !... Ce n'est ni fait ni à faire. Mais voici une Vue de Melun, de M. Rouart, où il y a quelque chose dans les eaux. Par exemple, l'ombre du premier plan est bien cocasse.

        

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    Henri Rouart – La terrasse au bord de la Seine à Melun, 1874, Musée d’Orsay, Paris

     

         - C'est la vibration du ton qui vous étonne.

         - Dites le torchonné du ton, et je vous comprendrai mieux. Ah ! Corot, Corot, que de crimes on commet en ton nom ! C'est toi qui as mis à la mode cette facture lâchée, ces frottis, ces éclaboussures, devant lesquels l'amateur s'est cabré pendant trente ans, et qu'il n'a acceptés que contraint et forcé par ton tranquille entêtement. Encore une fois la goutte d'eau a percé le rocher !

         Le pauvre homme déraisonnait ainsi assez paisiblement et rien ne pouvait me faire prévoir l'accident fâcheux qui devait résulter de sa visite à cette exposition à tous crins.

         Il supporta même sans avarie majeure la vue des Bateaux de pêche sortant du port, de M. Claude Monet ; peut-être parce que je l'arrachai à cette contemplation dangereuse avant que les petites figures délétères du premier plan eussent produit leur effet. Malheureusement j'eus l'imprudence de le laisser trop longtemps devant le Boulevard des Capucines du même peintre.

     

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    Claude Monet– Boulevard des Capucines, 1873, Nelson-Atkins Museum of Art, Kansas city, USA

     

       - Ah ! ah ! ricana-t-il à la Méphisto, est-il assez réussi, celui-là !... En voilà de l'impression, ou je ne m'y connais pas... Seulement veuillez me dire ce que représentent ces innombrables lichettes noires dans le bas du tableau ?

         - Mais, répondis-je, ce sont des promeneurs.

        - Alors je ressemble à ça quand je me promène sur le boulevard des Capucines ? Sang et tonnerre ! Vous moquez-vous de moi à la fin ?

         - Je vous assure, monsieur Vincent...

       - Mais ces taches ont été obtenues par le procédé qu'on emploie pour le badigeonnage des granits de fontaine. Pif ! paf ! v'li ! v'lan ! Va comme je te pousse ! C'est inouï, effroyable ! J'en aurai un coup de sang bien sûr !

        J'essayai de le calmer en lui montrant le Canal Saint-Denis, de M. Lépine, et la Butte Montmartre, de M. Ottin, tous les deux assez fins de ton ; mais la fatalité était la plus forte ; Les Choux de M. Pissarro l'arrêtèrent au passage, et de rouge il devint écarlate.

         - Ce sont des choux, lui dis-je d'une voix doucement persuasive.

        - Ah! les malheureux, sont-ils assez caricaturés !.... Je jure de n'en plus manger de ma vie !

         - Pourtant ce n'est pas leur faute si le peintre...

         - Taisez-vous !... ou je fais un malheur !

        Tout à coup il poussa un grand cri en apercevant la Maison du pendu, de M. Paul Cézanne. Les empâtements prodigieux de ce petit bijou achevèrent l'œuvre commencée par le Boulevard des Capucines. 

     

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    Paul Cézanne – La maison du pendu, 1873, musée d’Orsay, Paris

     

         Le père Vincent délirait.

         D'abord sa folie fut assez douce. Se mettant an point de vue des Impressionnistes, il abondait dans leur sens.

        - Boudin a du talent, me dit-il devant une plage de cet artiste ; mais pourquoi pignoche-t-il ainsi ses marines ?

        - Ah! vous trouvez sa peinture trop faite ?

        - Sans contredit. Parlez-moi de Mlle Morisot ! Cette jeune personne ne s'amuse pas à reproduire une foule de détails oiseux. Lorsqu'elle a une main à peindre (La Lecture), elle donne autant de coups de brosse en long qu'il y a de doigts, et l'affaire est faite. Les niais qui cherchent la petite bête dans une main n'entendent rien à l'art impressif, et le grand Manet les chasserait de sa république.

     

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    Berthe Morisot – La lecture, 1870, National Gallery of Art, Washington

     

         - Alors M. Renoir suit la bonne voie, il n'y a rien de trop dans ses Moissonneurs. J'oserai même dire que ses figures...

      

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    Auguste Renoir – Les moissonneurs, 1873, collection particulière

     

          - Sont encore trop étudiées.

         - Ah ! monsieur Vincent!... Mais voyez donc ces trois touches de couleur qui sont censées représenter un homme dans les blés.

         - Il y en a deux de trop, une seule suffisait.

        Je jetai un coup d'œil sur l'élève de Bertin, son visage tournait au rouge sombre. Une catastrophe me parut imminente, et il était réservé à M. Monet de lui donner le dernier coup.

         - Ah ! le voilà, le voilà ! s'écria-t-il devant le n° 98. Je le reconnais le favori de papa Vincent ! Que représente cette toile ? Voyez au livret.

         - Impression, Soleil levant.

     

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    Claude Monet – Impression, soleil levant, 1873, Musée Marmottan, Paris

     

        - Impression, j'en étais sûr. Je me disais aussi, puisque je suis impressionné, il doit y avoir de l'impression là-dedans... Et quelle liberté, quelle aisance dans la facture ! Le papier peint à l'état embryonnaire est encore plus fait que cette marine-là !

        - Cependant qu'auraient dit Michalon, Bidault, Boisselier et Bertin devant cette toile impressionnante ?

        - Ne me parlez pas de ces hideux croûtons ! hurla le père Vincent. En rentrant chez moi, je crèverai leurs devants de cheminée !

  • Nous sommes tous Charlie

     

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    Eugène Delacroix – La liberté guidant le peuple, 1830, musée du Louvre, Paris

     

     

         Bientôt deux siècles… Le 27 juillet 1830, le peuple de Paris se révoltait contre le régime du roi Charles X qui voulait remettre en cause les acquis de la Révolution. La revendication principale des parisiens était la sauvegarde de la liberté de la presse.

     

         Dans son tableau « La liberté guidant le peuple », Eugène Delacroix montre une scène de ces trois jours de combat nommés « Les Trois Glorieuses ». L’œuvre incarne l’idéal révolutionnaire et prend valeur d’emblème. Elle devient une icône de la République.

         Le peintre a placé, au premier rang à côté de la femme au drapeau, un gamin déluré peinture,écriture,charlie hebdo,delacroix,libertémaniant deux pistolets. Il a mis de la fougue, du plaisir, de l’envie dans son œil. Cet enfant sait-il pourquoi il se bat ? Se souvient-il que ses grands-parents ont combattu en 1789 pour l’instauration d’une démocratie ? Se doute-t-il qu’il va mourir dans peu de temps ? Pourtant, ce gavroche parisien, symbole de la jeunesse révoltée par l’injustice et se sacrifiant pour les nobles causes, avance d’un pas décidé. Il n’a pas peur…

         Le drapeau français bleu, blanc, rouge domine la mêlée. Une forte femme vivante et fougueuse, la poitrine dénudée, pieds nus, conduit le peuple. Elle brandit le drapeau tricolore. Depuis la révolution, cette femme coiffée d’un bonnet rouge symbolise la liberté.  

     

         

         Une nouvelle fois, les français vont se mobiliser. Ce dimanche 11 janvier s’annonce historique. Après l’assassinat terroriste de 17 personnes, dont 8 membres de la rédaction du journal satirique Charlie Hebdo, le peuple français est malheureux. Il pleure et gronde.

         Hier, 700.000 personnes ont défilé dans le pays. Aujourd’hui, la manifestation à Paris sera peut-être la plus importante depuis la Libération en 1945. En hommage aux victimes, une cinquantaine de dirigeants du monde entier viennent à Paris pour nous apporter leur soutien.

         Le peuple français se lève, tous solidaires pour la sauvegarde de la liberté, la tolérance, la démocratie, la liberté d’expression et de penser. 

     

         Charlie, ton combat est le nôtre. Il est universel.

     

  • Berthe Morisot à Marmottan : Enfin !

     

    Fixer quelque chose de ce qui passe

     

     

          Le musée Marmottan Monet, charmant hôtel particulier en lisière du bois de Boulogne à Paris, est un haut lieu de l’impressionnisme.

          Deux peintres, plus particulièrement, attirent les visiteurs amoureux de cet art de lumière qui révolutionna la peinture à la fin du 19e :

    - Claude Monet : La collection d’œuvres du peintre est impressionnante en quantité et qualité. Le tableau star du musée est le fameux « Impression soleil levant » qui donnera son nom au mouvement impressionniste.

    - Berthe Morisot : Mine de rien, ce discret musée parisien est l’institution publique qui possède la collection la plus importante au monde de ses œuvres. 

          Invariablement, chacune de mes visites à Marmottan se terminait par la même interrogation : Quand verra-t-on en ce lieu une exposition consacrée à Berthe Morisot, cette femme peintre impressionniste ?

          Les organisateurs ont dû finir par m’entendre car mon souhait est enfin exaucé ! La première rétrospective présentée à Paris depuis 1941 de l’œuvre de Berthe Morisot s’est installée à Marmottan du 8 mars au 1er juillet 2012. 150 œuvres provenant des musées et collections particulières du monde entier retracent la vie artistique de cette femme exceptionnelle.

          Curieusement, le musée est situé non loin de l’hôtel de la rue Villejust que possédaient Berthe et son mari Eugène Manet. Elle aimait y recevoir chaque jeudi soir ses amis impressionnistes, sa garde rapprochée : Auguste Renoir, Claude Monet, Edgar Degas et le poète Stéphane Mallarmé, accompagnés de quelques autres peintres et poètes.

     

     

     

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    Edma Morisot – Portrait de Berthe Morisot (peint par sa sœur, elle a 24 ans), 1865, collection particulière

          

     

           « Fixer quelque chose de ce qui passe. »

          Cette ambition simple éclairera toute l’œuvre de Berthe Morisot. Très indépendante, elle peignait à sa guise. Elle sera de toutes les expositions du groupe des impressionnistes, de la première en 1874 à la dernière en 1886. Elle ne manquera que la 4ème pour cause de naissance de sa fille.

          Sa démarche audacieuse excitera l’imagination des critiques et écrivains :

          « La seule femme peintre qui ait su garder la saveur de l’incomplet et du joliment inachevé. »… « Un enchantement pour les yeux. » - Jacques Emile Blanche.

          « Elle pousse le système impressionniste jusqu’à l’extrême. »… « Mademoiselle Morisot est une impressionniste si convaincue qu’elle veut peindre jusqu’au mouvement des choses inanimées. » - Arthur Baignères.

          « Elle termine ses toiles en donnant de-ci de-là de légers coups de pinceaux ; c’est comme si elle effeuillait des fleurs… » - Théodore Durel.

          « Madame Morisot a fini par exagérer sa manière au point d’estomper des formes déjà imprécises. »… « Il faut évidemment des talents de coloriste pour tirer du néant cette délicatesse. » - Paul Mantz.

          Le poète irlandais George Moore écrira après la mort de Berthe : « Ses toiles sont les seules toiles peintes par une femme qu’on ne pourrait détruire sans laisser un blanc, un hiatus dans l’histoire de l’art. ». Quel beau compliment !

     

          J’ai visité l’exposition il y a un mois. Je montre, ci-après, une sélection de quelques toiles de l’artiste qui me paraissent les plus représentatives de son œuvre.

          La figure féminine demeure son sujet préféré avec les paysages. Elle trouve ses modèles autour d’elle : sa sœur Edma, sa fille Julie, son mari Eugène, ses nièces, des amies, parfois des modèles professionnels. Elle les place au milieu des meubles où elle vit ou dans la nature. Elle peint le lac, les arbres du bois de Boulogne près de la porte Dauphine où elle habite.  

     

    Julie

          « C’est un petit chat, écrit Berthe à Edma. Elle est toute ronde comme une boule avec des petits yeux qui pétillent et une grande bouche qui grimace. »

          La mère reste des heures à observer sa fille née en 1878. « Bibi » dort ou gazouille pendant qu’elle la peint. Durant 17 ans, jusqu’au décès de Berthe, elle sera représentée à tous les âges, à tous moments de la journée. Le pinceau de l’artiste a une infinie tendresse lorsqu’elle peint l’enfance.

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          Le bébé grandit, devient une petite fille enjouée et rieuse qui apprend à marcher dans le jardin de Bougival. Elle y fait des pâtés.

     

     

     

     

     

      

    Berthe Morisot – Les pâtés de sable, 1882, collection particulière

      

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           Julie de dos avec sa nurse Pasie. Elle lance du pain aux cygnes.

     

     

     

     

     

     

     

     Berthe Morisot – Au bord du lac, 1883, musée Marmottan, Paris

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          Bibi a 5 ans. Sa silhouette lumineuse éclaire les vaguelettes laissées par la barque. Quelques cygnes librement brossés encadrent son fin visage.

     

     

     

     

     

     

     

     Berthe Morisot – Sur le lac, 1884, collection particulière

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          Julie avec la fille de la concierge. Les fillettes pêchent des poissons rouges. La touche inachevée aux traits nerveux donne vie aux fillettes.

     

     

     

     

      Berthe Morisot – Enfants à la vasque, 1886, Musée Marmottan, Paris

      

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          Berthe représente sa fille dans ce grand et remarquable pastel. La technique d’une belle virtuosité allie l’effet impressionniste à un graphisme nouveau par des traits rapides et hachurés.

     

     

     

     

     

      Berthe Morisot – Fillette au jersey bleu, 1886, musée Marmottan, Paris

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          A Mézy, Berthe peint Julie âgée de 13 ans perchée sur une échelle, en train de cueillir dans un cerisier des fruits que sa cousine Jannie recueille dans un panier d’osier. Les jeunes filles portent chacune une robe blanche et de longs cheveux défaits. Moins aérienne que d’autres toiles, celle-ci souligne la forme et donne du poids à la composition. C’est une des toiles de l’artiste qui ressemble le plus à une œuvre de son ami Renoir.

     

     

     

     

     

     Berthe Morisot – Le cerisier, 1891, musée Marmottan, Paris

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          Deux ans avant son décès, Berthe peint Julie jouant du violon. La grâce de la jeune fille est un mélange d’élégance et de volupté. Elle montre la même sensualité réservée, la même part de mystère que sa mère exprimait à son âge.

     

     

     

     

     

     

     

    Berthe Morisot – Julie au violon, 1893, musée Marmottan, Paris

     

    Eugène

           Seul le sexe féminin intéresse le pinceau de Berthe. Son mari sera le seul homme qu’elle peindra.

     

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    Berthe Morisot – Eugène Manet à l’île de Wight, 1875, musée Marmottan, Paris

     

           Berthe vient de se marier avec Eugène Manet, le frère du peintre Edouard Manet. Elle va peindre Eugène pour la première fois au cours de leur lune de miel en Angleterre. Celui-ci n’aime pas poser mais accepte d’apporter sa silhouette voûtée devant une fenêtre face à la mer. De somptueux effets de transparence des voilages et de la baie vitrée sont réchauffés par de menues taches de fleurs rouges.

     

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    Berthe Morisot – Eugène Manet et sa fille, 1881, musée Marmottan, Paris

     

           Cette toile est une de mes préférées de l’artiste. Eugène est présenté avec sa fille dans le jardin de Bougival. C’est une scène intime entre le père et la fille, les deux amours de l’artiste. La toile est parcourue de vibrations colorées et de touches nerveuses multiples qui lui donnent toute son harmonie.

     

    Figures féminines

          Quand Berthe ne peint pas Julie, elle ne cesse de peindre des jeunes filles.

          A la moindre occasion, Berthe peint sa sœur Edma. Leur séparation la perturbe depuis le mariage de celle-ci avec un officier de marine. « Je suis souvent avec toi par la pensée, écrit Edma qui s’ennuie à Lorient. »

     

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          Elle fait poser Edma pour « La lecture » présentée à la première exposition impressionniste de 1874. La toile est fraîche, légère, aérienne comme une aquarelle.

     

     

     

    Berthe Morisot – L’ombrelle verte ou La lecture, 1873, museum of art, Cleveland

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          La toile figure à la deuxième exposition impressionniste de 1876. Le critique Albert Wolff parle d’un « cénacle de la haute médiocrité vaniteuse. » Berthe est devenue une « aliénée » dans ce groupe de fous.

          Berthe fait des recherches de couleurs. Les fleurs du bouquet se répondent avec celles du corsage et de la chevelure. 

     

     

     

     

     

    Berthe Morisot – Femme à l’éventail ou Au bal, 1875, musée Marmottan, Paris

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          Berthe valorise la jolie bonne et nurse de Julie.

     

     

     

     

     

     

     Berthe Morisot – Pasie cousant dans le jardin, 1882, musée des Beaux-Arts, Pau

     

  • Eugène DELACROIX écrivain

     

    Journal – 4.1 Année 1824, Scio : genèse de la toile

     

     

     

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         Au printemps 1822, les troupes ottomanes massacrent une partie des habitants de l’île de Scio et vendent des milliers d’hommes, de femmes et d’enfants sur les marchés aux esclaves des villes de l’Empire. Cela suscite une vague d’indignation en Occident.

       Après son premier succès obtenu au Salon de 1822 avec "Dante et Virgile aux Enfers », Eugène Delacroix avait déjà projeté de peindre ce sujet d’actualité. La situation est favorable : le conflit qui dure depuis trois ans est dans tous les esprits. L’exemple du poète Byron qui meurt en Grèce en portant secours aux insurgés enflamme la jeunesse grâce aux écrits de l’écrivain.

        En mai 1823 il décide d’exposer au Salon suivant dont l’ouverture est attendue pour août 1824 : « Je me suis décidé à faire pour le Salon des scènes des massacres de Scio », écrit l’artiste dans son journal.

       Le 12 janvier 1824, il note : « C’est donc aujourd’hui que je commence mon tableau. »

     

      

     

     

    Paris, 25 janvier 1824

    (…)

         Delacroix se plaint souvent dans son journal d’un manque de mémoire.

     

    En revenant avec Édouard, j’ai eu plus d’idées que dans toute la journée. Ceux qui en ont vous en font naître ; mais ma mémoire s’enfuit tellement de jour en jour que je ne suis plus le maître de rien, ni du passé que j’oublie, ni à peine du présent, ou bien je suis presque toujours tellement occupé d’une chose, que je perds de vue, ou je crains de perdre ce que je devrais faire, ni même de l’avenir, puisque je ne suis jamais assuré de n’avoir pas d’avance disposé de mon temps. Je désire prendre sur moi d’apprendre beaucoup par cœur, pour rappeler quelque chose de ma mémoire. Un homme sans mémoire ne sait sur quoi compter ; tout le trahit. Beaucoup de choses que j’aurais voulu me rappeler de notre conversation, en revenant, m’ont échappé…

     

    Paris, 27 janvier 1824

     

         Alors qu’il vient à peine de commencer sa grande toile des « Massacres », l’artiste à la douleur d’apprendre la mort de Géricault, celui dont le style en peinture lui ressemblait le plus. Il s’était d’ailleurs inspiré de la monumentalité de son « Radeau de la Méduse » pour la préparation de sa toile pour le Salon.

         Après le départ de son ami, Delacroix va devenir la tête de proue du romantisme.

     

    J’ai reçu ce matin à mon atelier la lettre qui m’annonce la mort de mon pauvre Géricault ; je ne peux m’accoutumer à cette idée. Malgré la certitude que chacun devait avoir de le perdre bientôt, il me semblait qu’en écartant cette idée, c’était presque conjurer la mort. Elle n’a pas oublié sa proie, et demain la terre cachera le peu qui est resté de lui… Quelle destinée différente semblait promettre tant de force de corps, tant de feu et d’imagination ? Quoiqu’il ne fût pas précisément mon ami, ce malheur me perce le cœur ; il m’a fait fuir mon travail et effacer tout ce que j’avais fait.

    (…) Pauvre Géricault, je penserai bien souvent à toi ! Je me figure que ton âme viendra quelquefois voltiger autour de mon travail… Adieu, pauvre jeune homme !

     

     

     

     

        L’exécution de l’immense toile « Scènes des massacres de Scio », longue et laborieuse, occupe l’artiste tout le printemps et début d’été 1824. Pour des raisons pécuniaires, en travaillant pour le Salon, il peint plusieurs dizaines de petits tableaux destinés à des commanditaires privés.

       Certaines toiles sont licencieuses, montrant ses penchants pour des sujets littéraires faisant intervenir l’acte de regarder.

     

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    Eugène Delacroix – Louis d’Orléans montrant sa maîtresse, 1825, musée Thyssen-Bornemisza, Madrid

     

         « Louis d’Orléans montrant sa maîtresse » repose sur un épisode des « Vies des dames galantes » de Brantôme publié en 1666 et réédité en 1822. Louis 1er duc d’Orléans (1372-1407) avait pris pour maîtresse la femme de l’un de ses vassaux. Lorsque celui-ci entre dans la chambre à coucher du duc, ce dernier lève la jupe de la femme pour masquer son visage mais il révèle ainsi sa nudité. Le mari qui ne reconnaît sa femme ni au-dessus ni en dessous est donc doublement cocu.

     

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    Eugène Delacroix – Femme nue couchée et son valet, ou odalisque, 1826, collection particulière

     

     

         « Femme nue couchée et son valet » est probablement inspiré elle aussi d’une scène de Brantôme. Une femme représentée endormie dans un lit à baldaquin est montrée nue pour le plaisir du spectateur, alors que son valet est entré dans l’obscurité de la pièce.

     

     

     

         Comme on pouvait le remarquer dans son « Dante », Delacroix ne compose pas peinture, delacroix,louvre,scio« Scio » en se basant sur une composition classique conforme aux principes de l’art. L’artiste conçoit son tableau à partir du modèle. Les personnages semblent juxtaposés, très différenciés par leur morphologie, couleur de peau, âge. La présence incarnée dans des corps fait l’histoire.

         Ce sont les modèles vivants qui inspirent l’artiste et élaborent l’œuvre. Le peintre croit en un pont mystérieux entre l’âme des personnages et celle du spectateur.

     

     

     

     

      

         Dans les mœurs de l’époque, les modèles utilisés par les peintres avaient bien souvent des relations avec les artistes. Et Delacroix ne s’en privait pas, il avait besoin de posséder ses modèles pour les peindre. Dans de nombreuses lettres de jeunesse nous retrouvons l’ardeur du travail associé à l’expression du désir sexuel.

         Au moment de l’exécution de son grand tableau « Scènes des massacres de Scio », l’on constate, dans les écrits de son journal, que Delacroix manifeste un sentiment très étroit entre la relation érotique et la création artistique, les deux étant indissociables à l’expression de la création. Le rôle assigné au modèle dépasse largement le fragment de réalité à coucher sur la toile.

      Je publie, ci-dessous, plusieurs passages du journal qui démontrent ce comportement de l’artiste au travail.

     

    Paris, 24 janvier 1824

     

    Aujourd’hui je me suis remis à mon tableau ; dimanche dernier 18, j’ai cessé d’y travailler. J’avais commencé le lundi précédent quelques croquis seulement, ou plutôt le mardi 13 ; j’ai dessiné et fait aujourd’hui la tête, la poitrine de la femme morte qui est sur le devant.

    Encore ai-je fait la mia chiavatura dinanzi colla mia carina Emilia. Ce qui n’a point ralenti mon ardeur. Il faut être jeune pour faire tout cela. À l’exception de la main et des cheveux, tout est fait.

     
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        Le mot italien Chiavatura désigne, selon Delacroix, un rapport sexuel. Cette allusion sexuelle intervient au moment de la description de son travail. L’artiste, qui vient de débuter son tableau le 12 janvier, est en pleine fièvre intellectuelle liée à la difficulté de la création artistique.

     

    Paris, 26 janvier 1824

     

         L’artiste retrouve Emilie, le modèle du 24 janvier.

     

    J’ai donné à Emilie Robert, pour trois séances de mon tableau, 12 francs.

    J’ai oublié de noter que j’avais envie de faire par la suite une sorte de mémoire sur la peinture, où je pourrais traiter des différences des arts entre eux ; comme, par exemple… que, dans la musique, la forme emporte le fond ; dans la peinture, au contraire, on pardonne aux choses qui tiennent au temps, en faveur des beautés du génie.

    Dufresne est venu me voir à mon atelier. — Ho fatto una chiavata graziosissima.

    Je retrouve justement dans Mme de Staël le développement de mon idée sur la peinture. Cet art, ainsi que la musique, sont au-dessus de la pensée ; de là leur avantage sur la littérature, par le vague.

     

         On peut observer qu’il ajoute, après la visite de Dufresne, à nouveau, des mots italiens indiquant une relation sexuelle, en repensant à Emilie.

     

    Paris, 3 mars 1824

     

    Emilie est venue un instant et j’en ai profité ; cela m’a un peu remis (il était malade).

    Remets-toi vigoureusement à ton tableau. Pense au Dante. Relis-le. Continuellement secoue-toi pour revenir aux grandes idées. Quel fruit tirerai-je de ma presque solitude, si je n’ai que des idées vulgaires.

     

          Il revoie un modèle le 8 mars : « Fait la tête et le torse de la jeune fille attachée au peinture,delacroix,louvre,sciocheval. Dolce chiavatura. »

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Paris, 18 avril 1824

     

    À l’atelier à neuf heures. Laure venue. Avancé le portrait. C’est une chose singulière que l’ayant désirée tout le temps de la séance, au moment de son départ, assez précipité à la vérité, ce n’était plus tout à fait de même ; il m’eût fallu le temps de me reconnaître.

     

         Son désir s’était évanoui à la fin de la séance.

     

    Paris, 20 avril 1824

    (…)

    La fille est venue ce matin poser. Hélène a dormi ou fait semblant. Je ne sais pourquoi je me crus bêtement obligé de faire mine d’adorateur pendant ce temps, mais la nature n’y était point. Je me suis rejeté sur un mal de tête, au moment de son départ et quand il n’était plus temps… Le vent avait changé.

     

         Cette Hélène endormie pourrait être une « Femme nue allongée vue de dos », ci-dessous, peinte à cette époque.