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Rechercher : un pastelliste heureux

  • Claude monet superstar au Grand Palais en 2010

     

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    Claude Monet - Femme au jardin, 1867, Musée de l'Érmitage, Saint-Pétersbourg

     

         De nombreux amateurs d’art se souviennent encore de l’exposition Claude Monet qui a battu des records de visiteurs au Grand Palais en 2010. J’y étais. Près de 200 toiles du chef de file du mouvement impressionniste étaient réunies. La Réunion des musées nationaux voulait un catalogue à la hauteur de la manifestation. Le résultat est superbe, relié sous jaquette, 385 pages. Un pavé ! Difficile à lire s’il n’est pas posé à plat !

     

         Je prépare un travail d’écriture sur la première femme du peintre, la douce et discrète Camille. Je ressors donc ce gros catalogue et, surprise, je m’aperçois qu’il n’a pas été remarqué sur Babelio. Je me devais de faire quelque chose, d’autant plus que son prix actuel, lorsque l’on ne craint pas le poids, est particulièrement attractif pour ce très beau livre d’art présenté sur papier mat. Les toiles que j’avais admirées dans le musée m’apparaissent en très grand format, impressionnantes.

     

     

         La plupart des tableaux connus par les admirateurs de Claude Monet sont présents. Curieusement, j’ai lu par ailleurs plusieurs critiques sur la mauvaise qualité des reproductions contenues dans le catalogue. Je le feuillète consciencieusement. Désolé pour les grincheux, mais nous ne devons pas avoir le même livre ! Toutes les toiles que j’admire depuis longtemps sont de qualité et les commentaires sont bien rédigés.

     

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    Claude Monet – Impression soleil levant, 1872, Musée Marmottan, Paris

         La star de l’impressionnisme « Impression, soleil levant », qui n’était pas dans l’exposition, est bien dans le catalogue avec son soleil orangé se reflétant dans l’eau du port du Havre. Monet le guettait de sa chambre d’hôtel face au port très tôt le matin.

     

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    Claude Monet – Nymphéas (détail), 1906, Art Institute of Chicago

         Les magnifiques « Nymphéas », sur une double page intérieure, correspondent bien à ma vision des immenses panneaux regroupés dans les salles du musée de l’Orangerie à Paris. Monet avait promis à son ami Georges Clemenceau d’en faire don à la France après sa mort en 1926. Des explications claires et détaillées accompagnent chaque panneau. L'harmonie picturale des fameux « Nymphéas » est bien présente : symphonie des couleurs, saules pleureurs trempant dans l'onde, reflets des nuages et éclats du soleil primesautier, vibrations des feuillages dans l'eau troublée par le vent, lumière volage. Les yeux fatigués de Monet fouillaient inlassablement l’horizon liquide : la ligne d’horizon était supprimée, la perspective disparaissait, les formes se dissolvaient. Seul Monet était capable de rendre ce fouillis aquatique de façon aussi réaliste, souvent proche de l'abstraction.

     

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    Claude Monet – La Femme à la robe verte, 1866, Kunsthalle Museum, Bremen

         Camille m’apparait, magnifique dans « La Femme à la robe verte ». Une expression coquette emplit son beau visage. Sa longue robe trainante à bandes noires et vertes s’écroule en larges plis souples. Dans « La Capeline rouge », sa capeline vermillon sur la tête la fait ressembler à un père Noël. Assise dans l’herbe sous les lilas, « La Liseuse » se confond dans la végétation, sa robe rose est parsemée de paillettes de lumière.

     

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    Claude Monet – La Grenouillère, 1869, Metropolitan Museum of Art, New York

         Les éblouissants reflets sur la surface ridée de l’eau de la « La Grenouillère » sont composés de larges touches de couleurs pures, bleus cernés de noirs, soulignés de minces trainées de jaunes et de roses. Les taches colorées lumineuses se disloquent en touches géométriques brisées s’encastrant les unes dans les autres comme une mosaïque.

     

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    Claude Monet – Cathédrale de Rouen, 1874, National Gallery of Art New York

         Les séries peintes à partir des années 1890 sont un gros travail fait par Monet pour montrer des meules, peupliers et cathédrales. Tout au long de la journée, il les étudie, sous différents angles, à différentes heures de la journée. Une belle double page intérieure montre les « Cathédrales de Rouen », que Monet peignait face à la cathédrale. Au fur et à mesure de l’avancement du soleil, il changeait de toile, guettant la moindre modification de lumière sur les vieilles pierres.

     

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    Claude Monet – Les dindons, 1877, Musée d’Orsay, Paris

         Les fabuleux « Dindons », immenses, se promènent toujours en toute liberté dans le grand parc. Montrer des animaux de basse-cour n’était pas recherché par les clients lorsque Monet les peint. Lumineux, le soleil accroche leurs plumages blancs teintés d’un jaune clair somptueux par endroit et d’un étonnant rose pointillant les contours.

     

         Quel plaisir de revoir ces toiles ! Monet reproduisait toute cette beauté qui l’entourait. « Regarde la nature et peins ce que tu vois, comme tu peux. », donne-t-il comme unique conseil à Blanche, sa belle-fille, qui plante souvent son chevalet à ses côtés.

         Les grincheux auront tort, car, à part quelques toiles moins bien présentées, je n’ai vu que d’excellentes reproductions qui font de ce catalogue un des plus beaux livres d’art consacré à l’œuvre de Claude Monet.

         Cela ferait un magnifique cadeau qui trouverait facilement sa place au pied du sapin de Noël. Ne surtout pas l’accrocher sur ses branches…

     

     

  • De Corot à Renoir - La collection Clark à Giverny

     

     

    Mes expositions « coups de cœur » de l’été 2011

     

     

           Une fois de plus, je suis fidèle au rendez-vous estival annuel de Giverny.

          Je ne me lasse pas de visiter ce charmant musée des Impressionnismes proche de Vernon en Normandie, situé le long de ce petit chemin jouxtant la Seine, à mi-chemin entre la maison rouge où Claude Monet passa les dernières années de sa vie et sa tombe isolée, éternellement fleurie, collée contre la petite église du village.

          Depuis le 12 juillet dernier, le musée a la chance d’accueillir la seule étape française de l’exposition itinérante organisée à travers l’Europe par le Sterling and Francine Clark Institute de Williamstown, Massachusetts. Près de 70 œuvres de peintures essentiellement françaises du 19e siècle, parmi les plus belles de la collection, sont présentées. Des chef-d’œuvres impressionnistes et pré-impressionnistes rarement visibles dans notre pays se regroupent autour d’une vingtaine de tableaux d’Auguste Renoir, l'artiste chouchou des Clark.

          Ceux-ci étaient de la race de ces riches collectionneurs américains du début du 20e siècle nommés Barnes, Philipps, Frick, Palmer, Getty, Ryerson, parmi les plus célèbres.  Fortunés, mécènes, passionnés d’art moderne, ils bâtirent des collections enviées de nos jours par les plus importants musées dans le monde.

          J’avais eu la chance de voir la collection Barnes lors de son passage en France il y a quelques années ; celle des Clark envoyée en Europe est du même niveau en qualité, sinon en quantité.

     

     

          C’est l’histoire d’une fortune, d’un collectionneur amateur d’art éclairé Sterling Clark, et d’une romance amoureuse en plein Paris.

          peinture,clark,givernyEpris de la France et riche héritier des machines à coudre Singer, Sterling décide de s’installer à Paris dans les années 1910 où il rencontre Francine Clary, une actrice de la Comédie-Française ayant pris pour nom de scène Clary. Ils se marient en 1919.

          En quelques dizaines d’années, entre 1910 et 1950, le couple va acquérir un ensemble d’œuvres diversifié de maîtres anciens et modernes de grande valeur. Les achats de Sterling étaient toujours faits en étroite concertation avec sa femme dont l’opinion lui était d’une grande valeur.

    « J’aime toutes les formes de l’art pourvu qu’il soit bon. » 

     

     Sterling et Francine Clark à l’inauguration de l’Institut en 1955

     

           La peinture impressionniste française le ravit et il enrichit sa collection des meilleurs d’entre eux : Degas, Manet, Sisley, Jongkind, Pissarro, Monet et, surtout, Renoir.

          A partir des années 1930, Auguste Renoir devient le peintre favori de Sterling dont il achète plus de trente toiles : « Quel grand maître ! Peut-être le plus grand qui ait jamais vécu, en tout cas l’un des dix ou douze premiers. Personne jusqu’ici n’a jamais eu l’œil si sensible à l’harmonie des couleurs ! »

          A l’approche de ses 70 ans, Sterling décide que le moment était venu de réaliser enfin son idée ancienne de musée afin de montrer sa collection. En 1955, Francine Clark coupe le ruban de l’inauguration de l’Institut situé à Williamstown en Nouvelle-Angleterre. Au décès de son mari, l’année suivante, elle continuera à s’occuper du musée jusqu’à sa mort en 1960.

     

     

          L’exposition présente quelques peintres académiques comme Bouguereau ou Gérôme et seulement trois toiles post-impressionnistes de Toulouse-Lautrec et Gauguin. Un original Bonnard de jeunesse clôt le parcours. Afin de correspondre à l’esprit du musée des Impressionnismes, j’ai choisi de montrer une galerie restreinte de mes choix personnels allant de Corot à Renoir. Ce choix est évidemment subjectif et limité compte tenu de l’exceptionnelle qualité de la collection.

     

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     Camille Corot – La route au bord de l’eau, 1866, Sterling and Francine Clark Art Institute, Williamstown

           Le « père Corot » était admiré par tous les artistes de la jeune peinture, ceux qui allaient devenir les futurs « impressionnistes ». Cette route longeant une rivière inspire la quiétude d’une belle journée ensoleillée. Une légère brise fait remuer les feuilles des arbres. La lumière est douce, quelques personnages s’affairent dans ce paysage où la « patte » tremblante de Corot est facilement reconnaissable.

      

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     Claude Monet – Les falaises à Etretat, 1885, Sterling and Francine Clark Art Institute, Williamstown

           Combien de peintres ont été inspirés par les falaises de cette côte normande ? Claude Monet peindra de nombreuses fois l’aiguille et l’arche rocheuse de la falaise d’Etretat. La lumière matinale sur les rochers et la mer est travaillée par petites touches nerveuses caractéristiques du style de l’artiste cherchant à saisir l’aspect éphémère des choses.

      

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     Claude Monet – Champ de tulipes à Sassenheim près de Haarlem, 1886, Sterling and Francine Clark Art Institute, Williamstown

          L’intensité des couleurs des champs de tulipes hollandais ne pouvait qu’inspirer Monet lors de son troisième et dernier voyage dans ce pays de canaux, de moulins et d’immenses champs fleuris.

      

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    Alfred Sisley – La Tamise à Hampton Court, 1874, Sterling and Francine Clark Art Institute, Williamstown

     

           Les coloris d’Alfred Sisley s’assemblent en nuances subtiles. Le ciel ennuagé de teintes rosées se reflète dans l’eau de la Tamise. Deux cygnes sur la gauche semblent avoir été placés à cet endroit pour équilibrer les deux voiliers voguant sur la droite.

       

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     Camille Pissarro – Saint-Charles, Eragny, 1891, Sterling and Francine Clark Art Institute, Williamstown

          A mes yeux, cette toile est l’une des plus belles de la manière pointilliste adoptée un moment par Camille Pissarro sur les conseils de ses amis Georges Seurat et Paul Signac. Le résultat est lumineux. Les petites touches juxtaposées de couleurs pures donnent une vibration étonnante à ce paysage.

        

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    Mary Cassatt – Offrant le panal au torero, 1873, Sterling and Francine Clark Art Institute, Williamstown

     

     

          Il y a un petit côté de Diego Velázquez dans cette toile de jeunesse de Mary Cassatt qui appréciait « sa manière belle et simple ». La jeune femme offre un verre d’eau au torero habillé de lumière pour qu’il y trempe un rayon de miel appelé panal en espagnol. La qualité de peintre de l’artiste transparaît déjà dans cette grande toile.

      

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    Edouard Manet – Roses mousseuses dans un vase, 1882, Sterling and Francine Clark Art Institute, Williamstown

     

         

          Edouard Manet n’a plus qu’un an à vivre lorsqu’il peint ces roses enfoncées dans un petit vase. C’est simple, sans prétention, loin des grandes compositions passées, souvent scandaleuses, de l’artiste. Sterling Clark disait qu’il s’agissait d’un « Manet d’une beauté merveilleuse ».

      

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    Edgard Degas – Danseuses au foyer, 1880, Sterling and Francine Clark Art Institute, Williamstown

     

     

            Ah les danseuses de Degas ! J’aime ! Cette toile a des dimensions étonnantes, toute en longueur comme une frise. Les danseuses de l’artiste étaient souvent peintes au pastel donnant un aspect velouté aux couleurs chatoyantes des robes et tutus. Ces Danseuses  au foyer, croquées à l’huile, sont éclatantes de vie après l’effort physique intense imposé par leur exercice.

      

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    Edgard Degas – Avant la course, 1882, Sterling and Francine Clark Art Institute, Williamstown 

           Degas s’intéressait aux couses de chevaux qu’il peignait souvent. Les mouvements nerveux des chevaux avant le départ donnent une belle spontanéité à cette toile composée dans un style à la touche très impressionniste.

      

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     Berthe Morisot – Le bain, 1885, Sterling and Francine Clark Art Institute, Williamstown

           Je connaissais cette toile de Berthe Morisot, femme peintre comme Mary Cassatt, que j’affectionne tout particulièrement. L’artiste a fait poser une jeune fille de dix-sept ans qui, sortant du bain, se coiffe, se maquille et s’apprête certainement à sortir. Par son travail tout en délicatesse, Morisot apporte sa sensibilité féminine à l’impressionnisme nouveau.

     

     

          peinture,impressionnisme,renoir,clark,givernyL’exposition se termine par une vingtaine de toiles d’Auguste Renoir. Renoir, c’est la joie de vivre et de peindre ! Une fête permanente de la lumière, des chairs et des corps ! Ses amis peintres mettaient beaucoup de blanc dans leurs couleurs pour éclaircir leurs toiles. Renoir préférait plutôt une technique basée sur l’utilisation des glacis, une superposition de couleurs transparentes où les teintes bleutées dominaient.

          

     

    Auguste Renoir – Autoportrait, 1875, Sterling and Francine Clark Art Institute, Williamstown

      

           Je montre ci-dessous un échantillon des tableaux de l'artiste présents à l’exposition :

            Au premier coup d’œil, on perçoit des toiles de Renoir dans cette Ingénue et cette Jeune femme au crochet peintes tout en finesse. C’est le Renoir d

  • Van Gogh : Assassinat ou suicide? - Thèse officielle

     

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    Pistolet qui aurait servi au suicide de Vincent Van Gogh

     

     

         Depuis quelques années, après plus d’un siècle de quasi-certitude, la thèse officielle du suicide de Vincent Van Gogh le 27 juillet 1890 est remise en doute. En 2011, des écrivains américains et, à leur suite, plusieurs auteurs, dans des biographies ou romans, ont émis une nouvelle hypothèse sur l’assassinat du peintre à Auvers-sur-Oise.

         Ces parutions m’ont intrigué et interrogé car il ne me semblait pas que le suicide de Van Gogh pouvait être remis en doute.

         J’invite donc les lecteurs qui ont lu totalement ou partiellement mon récent roman : QUE LES BLES SONT BEAUX – L’ultime voyage de Vincent Van Gogh, qui couvre les deux derniers mois de vie de l’artiste à Auvers, ainsi que les personnes que le sujet intéresse, de participer avec moi à un dossier-enquête sur la mort du peintre.

         Cette enquête pourrait se faire en 4 parties : thèse officielle ; Souvenirs d’Adeline Ravoux, la fille de l’aubergiste Ravoux ; thèse de l’assassinat ; ma conviction personnelle sur le décès de l’artiste.

         Je pense que ce dossier-enquête pourrait être enrichissant pour tous.

     

      

    Première partie 

     

    THÈSE OFFICIELLE : CELLE DU VAN GOGH MUSEUM

     

     

         Le Van Gogh Museum à Amsterdam possède la collection la plus importante au monde d’œuvres, dessins et correspondances consacrés à Vincent Van Gogh. Les experts du musée sont une référence mondiale et font autorité en la matière.

         En ce début d’année 2017, j’ai cherché sur le site du Van Gogh Museum et ai trouvé une analyse succincte mais détaillée de la version officielle du musée sur les derniers jours de l’artiste à Auvers-sur-Oise. Les lecteurs qui visitent le site peuvent ainsi s'informer grâce à une présentation pédagogique.

         Par ailleurs, une importante exposition, dont je parlerai ensuite, « AUX CONFINS DE LA FOLIE. La maladie de Van Gogh », s’est tenue au Van Gogh Museum l’été dernier.

         J’ai traduit intégralement en français, ci-dessous, cette histoire de Vincent telle qu’elle est présentée en anglais sur le site.

     

    LIRE L'HISTOIRE

     

    Rencontrer Vincent

     

    Le début de la fin

     

    Vincent a quitté la clinique de Saint-Rémy en mai 1890, espérant qu'il serait capable de vivre de façon autonome avec sa maladie. Il trouve une certaine paix dans le village d'Auvers-sur-Oise, près de Paris, où il commence bientôt, une fois de plus, à peindre de façon prolifique.

    Vincent a loué une modeste chambre mansardée à l'Auberge gérée par la famille Ravoux, pour 3 francs 50 la nuit. Il s'est accoutumé à partir chaque jour pour travailler dans la campagne environnante. Il utilisait la « salle des peintres » en bas pour peindre et stocker ses toiles.

     

    Deux ans auparavant, la vie d'artiste à Paris avait laissé Vincent complètement vidé. Ses perspectives étaient sombres et il ressentait déjà des pensées de mort, même s'il était moralement opposé au suicide.

    « On dira que c'est quelque chose comme, disons, le visage de - la mort », se référant à son autoportrait parisien « Autoportrait au chevalet » le représentant comme peintre.

    Lettre d'Arles à sa soeur Wil, 16-20 juin 1888.

     

    Dans ses différents courriers, il parlait souvent de suicide :

    « Si j’étais sans ton amitié, on me renverrait sans remords au suicide et quelque lâche que je sois, je finirais par y aller. »

    Lettre à Théo, Arles, le 30 avril 1889

     

    « Je voulais te dire que je crois avoir bien fait de venir ici, en voyant la réalité de la vie des divers fous ou toqués dans cette ménagerie, je perds la crainte vague, la peur de la chose. »

    Lettre à Theo et Jo, le 9 mai 1889 en arrivant à l’hospice de St-Rémy-de-Provence

     

    Parfois, il mentionnait occasionnellement des pensées suicidaires, et non sans une touche d'humour:

    « Chaque jour, je prends le remède que l'incomparable Dickens prescrit contre le suicide. Il se compose d'un verre de vin, d'un morceau de pain et de fromage et d'une pipe de tabac », écrivait-il à sa sœur Wil dans une lettre du 28 avril-2 mai 1889.

     

    La fin d'une route difficile

     

    Au cours de ce mois de juillet 1890, Vincent van Gogh sentait qu'il ne pouvait pas continuer. Les exigences immenses qu'il se faisait de lui-même, son travail obsessionnel, sa maladie mentale et, surtout, sa relation changeante avec son frère, devenaient trop perturbants pour lui. Vincent sentait qu'il avait échoué, à la fois comme artiste et être humain.

    « Eh bien mon travail à moi j’y risque ma vie et ma raison y a sombré à moitié. (…) Mais que veux-tu ? »

    Dernière phrase de la lettre inachevée à Théo, teintée de sang, annotée de la main de Théo : « La lettre qu'il avait sur lui le 27 juillet, cet horrible jour. »

     

    Ce 27 juillet, il ne revint pas pour son repas du soir.

    Connaissant la ponctualité de Vincent quand il venait dîner, M. et Mme Ravoux et leur fille commencèrent immédiatement à s'inquiéter.

    Vincent arriva à l'auberge, gravement blessé, vers neuf heures. Quand Ravoux lui demanda ce qu'il avait fait, il répondit : « J'ai essayé de me tuer ».

    Tôt le lendemain matin, Théo fut informé. Il se précipita de Paris au lit de Vincent, où il resta jusqu'à ce que son frère meure la nuit suivante.

     

    Rumeur

     

    Bien que Vincent lui-même ait dit à la famille Ravoux qu'il avait essayé de se suicider, une histoire circula à Auvers dans les années 1950 qu'il avait été abattu par des écoliers. Cela peut être rejeté, cependant, comme une simple rumeur.

     

    Vincent pensait au suicide depuis un certain temps, et ne prit pas la décision à la légère. Avant de partir, d'ailleurs, il fourra ce qui était une lettre d'adieu à Théo dans la poche de sa veste. (Brouillon de la lettre inachevée teintée de sang qu’annotera Théo de sa main)

      

    Lieu du suicide

     

    Vincent se tira dessus dans les champs derrière le château d'Auvers, vu dans l'arrière-plan d’une de ses peintures du mois de juin « Paysage avec le château d’Auvers à la tombée du jour ».

    Quatorze ans après la mort de Vincent, le fils du Dr Gachet peignit une vue de cet endroit à Auvers.

     

    Ce qui était presque certainement l'arme du suicide a été trouvée près de soixante-dix ans plus tard par un agriculteur tout en labourant les champs derrière les meules de foin figurant dans la peinture peinte par Paul Gachet. (Voir, ci-après, l’exposition de l'été 2016 au Van Gogh Museum « Aux confins de la folie. La maladie de Van Gogh »

     

    Une image de la mort

     

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    Vincent décrit ses tableaux comme « un cri d'angoisse » - quelque chose que nous ressentons très fortement dans la toile « Champ de blé avec un faucheur ». Il peignit « l'image de la mort, en ce sens que l'humanité serait le blé qu’on fauche ». Mais c'est une mort qui est « presque souriante. C’est tout jaune, sauf une ligne de collines violettes – d’un jaune pâle et blond. Je trouve ça drôle, que j’ai vu ainsi à travers les barreaux de fer d'un cabanon. »

    Lettre à Théo, les 5 - 6 septembre 1889

     

    Nuages d'orage au-dessus d'Auvers

     

    Après un an, Vincent ne pouvait plus rester dans l'asile. Il retrouva quelque peu son équilibre à Auvers, mais des nuages d'orage se rassemblaient là aussi.

     

    Vincent se sentait profondément menacé par le projet de Theo de s’installer comme négociant artistique à son compte. En plus du sentiment général d'échec du peintre, cela signifiait que son avenir était maintenant incertain ; son frère serait moins capable de s’occuper de lui. En fin de compte, il n’entrevoyait qu'une seule sortie.

    « Je me sens – raté – voilà pour mon compte – je sens que c’est là le sort que j’accepte, et qui ne changera plus. »

    Lettre d'Auvers à Théo et Jo, le 9 juillet 1890

     

    La carte des funérailles

     

    « Toute la place était en deuil, comme si l'un des nôtres était mort. La porte du bar était restée ouverte, mais les volets sur le devant étaient fermés. »

    Dans une interview de 1953, Adeline Ravoux, 76 ans, décrit ses souvenirs de la mort de Vincent

     

    Le lendemain de sa mort, le corps de Vincent fut couché dans la chambre du grenier dans la chaleur estivale de l'été, tandis que Levert, le menuisier local, construisait à la hâte un cercueil. Lorsqu'il fut livré le 30 juillet, l'artiste fut exposé dans la « salle des peintres », décorée par Théo et ses amis avec une sélection des œuvres de Vincent.

     

    Vincent a été enterré le 30 juillet. Pour rendre les choses aussi faciles que possible pour ses amis artistes, Theo avait inclus les horaires des trains de Paris sur la carte des funérailles.

     

    Le fournisseur de peinture de Vincent, le Père Tanguy, est venu à l’enterrement, de même qu'un certain nombre d'artistes, dont Emile Bernard, Charles Laval, Auguste Lauzet et le fils de Camille Pissarro. »

     

    Souvenirs

     

    Le portrait d'Adeline, la fille aînée d'Arthur Ravoux, était aussi accroché dans la pièce où était posé le corps de l'artiste. Vincent l'avait donné à son propriétaire avant sa mort, ainsi que sa peinture de l'hôtel de ville d'Auvers.

     

    Des années plus tard, Adeline se souvenait encore des funérailles, dont beaucoup de détails nous sont connus grâce à elle.

     

    Le cortège funéraire a fait son chemin de l'Auberge Ravoux au cimetière le mercredi 30 juillet, dirigé par un Théo affligé. Il fut suivi des amis parisiens de l’artiste et de son frère, de la famille Ravoux, des voisins et autres villageois qui avaient connu le peintre d'Auvers.

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  • Caillebotte dans la maison familiale d'Yerres

     

     peinture,caillebotte,yerresGustave Caillebotte - Autoportrait au chapeau d'été, 1875, collection privée

     

     

         Paris met l’impressionnisme en vedette cette année !

         Après « Les impressionnistes en privé » à Marmottan, je viens de rencontrer Gustave Caillebotte. Pas besoin d’aller loin de chez moi… il se cachait dans son ancienne propriété familiale de Yerres dans L’Essonne à laquelle je m’étonne encore de n’avoir jamais rendu visite. 

      

     

     Un impressionniste original, enfin reconnu

     

         Pour cette exposition « Caillebotte à Yerres, au temps de l’impressionnisme », les plus grands musées du monde et des collectionneurs privés, dont la famille de l’artiste, ont permis de présenter pour la première fois, dans le lieu où elles ont été peintes, 43 œuvres du peintre qui, pour la plupart, n’ont jamais ou très peu été exposées au public.

         Mais qui était Gustave Caillebotte ?

         Riche héritier de son père à 26 ans, il n’avait pas besoin de la peinture pour vivre. Avec talent, il peignait pour le plaisir. Un critique disait que « Caillebotte faisait de la peinture à ses moments perdus ».

         Caillebotte participe à l’épopée de l’impressionnisme. Les peintres avant-gardistes qui voulaient révolutionner la peinture académique deviennent ses amis, et il expose avec eux dès la deuxième exposition du groupe à Paris en 1876. Par tous les moyens, il les aide: organisation et financement de leurs manifestations, achats de tableaux (Bal au moulin de la Galette de Renoir, Le balcon de Manet, La gare Saint-Lazare de Monet, etc.), prêts d’argent. Mort prématurément à 45 ans, il lègue à l’Etat sa collection de toiles impressionnistes : le fameux « legs Caillebotte » comprenant 67 œuvres achetées à ses amis. Celui-ci forme aujourd’hui une part importante de la collection du Musée d’Orsay. La peinture impressionniste lui doit beaucoup…

         Il a douze ans lorsque son père achète à Yerres une superbe propriété entourée d’un grand parc longeant les bords de la rivière Yerres. La propriété offre à Caillebotte de nombreux motifs qui l’inspireront durant une vingtaine d’années avant la vente de celle-ci au décès de ses parents. Aujourd’hui, la ville d’Yerres a engagé un vaste programme de réaménagement de la propriété, du parc, du potager, des rives de l’Yerres, afin de leur redonner l’aspect du lieu à l’époque du peintre. Yerres est en passe de devenir un haut lieu de l’impressionnisme comme peut l’être l’atelier et les jardins de Claude Monet à Giverny.

         En dehors de la peinture, Caillebotte avait de nombreuses passions : jardinage, plaisancier victorieux de nombreuses régates, architecte naval. Elles se retrouvent dans les peintures présentées dans l’exposition de Yerres qui permet, jusqu’au 20 juillet prochain, de retrouver les œuvres du peintre dans le lieu même qui les a inspirées.

         Je connaissais bien les toiles les plus connues de l'artiste que j'avais croisées dans différents musées : Les raboteurs de parquet, Rue de Paris, temps de pluie, Le pont de l’Europe. J’en ai eu la confirmation en visitant l’exposition : Gustave Caillebotte exposait avec ses amis impressionnistes mais il n’était pas un véritable impressionniste. Sa peinture ne ressemble pas à celle des chefs de file du mouvement Monet, Renoir, Pissarro, Sisley ou Berthe Morisot. Elle est davantage inscrite dans la filiation du réalisme, tout en apportant par son originalité, ses compositions audacieuses, ses cadrages photographiques, une touche d’un modernisme nouveau pour l’époque.   

         Je montre, ci-dessous, quelques œuvres qui m'ont apparu comme les plus importantes des toiles exposées peintes dans la maison familiale à Yerres.

     

         Le graphisme de cette toile évoque, par sa composition, l’influence du japonisme et des peinture,caillebotte,yerresestampes que collectionnaient les peintres dans la deuxième moitié du 19e siècle : chemin tracé en diagonale, pluie invisible provoquant des ronds dans l’eau troublant l’horizontalité de la rivière, arbres verticaux sur la rive opposée.

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Gustave Caillebotte - L'yerres, effet de pluie, 1875, Indiana University Art Museum, Bloomington

     

     

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     Gustave Caillebotte - Périssoires sur l'Yerres, 1877, Milwaukee Art Museum

     

         Les périssoires glissent lentement. La rivière occupe toute la largeur de la toile. Des touches bleu et jaune juxtaposées font vibrer l’eau calme de cette belle journée d’été.

     

     

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    Gustave Caillebotte - Périssoires sur l'Yerres, 1877, National Gallery of Art, Washington

     

         Cette toile de périssoires, qui a servi à l’affiche de l’exposition, est bien différente de la toile précédente de périssoires du Milwaukee Art Museum : vision moins traditionnelle, plus dynamique qui se retrouve dans les lignes en diagonale de la perspective, dans les gestes des rameurs et les reflets de leurs rames, dans les nombreuses variations de tons verts confinant un espace sans ciel.

     

     

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    Gustave Caillebotte - Canotiers ramant sur l'Yerres, 1877, Collection privée

     

         Cette toile fut une aubaine pour les caricaturistes lors de l’exposition impressionniste de 1879. Le peintre, placé au-dessus du motif, présente les rameurs en gros plan, sans visage, dans une vision très photographique.

      

     

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      Gustave Caillebotte - Canotier au chapeau haut de forme, 1878, Collection privée

        

         Scène de canotage étonnante de par son cadrage et par la représentation du canotier : l’homme ne porte pas le traditionnel maillot sans manches et chapeau de paille, mais est peint en tenue de ville, gilet, cravate et haut de forme, la veste déposée sur le banc.

     

     

          De format identique, les trois tableaux suivants, montrant les bords de l’Yerres en 

    peinture,caillebotte,yerresété, ont été réunis en triptyque présenté comme « panneaux décoratifs » lors de l’exposition impressionniste de 1879. Les thèmes représentés sont l’eau, l’été, la nature et les activités offertes : pêche à la ligne, baignade, canotage. Il s’agissait d’un véritable manifeste de la peinture avant-gardiste de plein air, en opposition avec la peinture classique de l’époque.

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Gustave Caillebotte - Pêche à la ligne, 1878, Collection privée

     

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    Gustave Caillebotte - Baigneurs, bords de l'Yerres, 1878, Collection privée

     

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     Gustave Caillebotte - Périssoires sur l'Yerres, 1878, Musée des Beaux-Arts, Rennes

      

     

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    Gustave Caillebotte - Le boulevard vu d'en haut, 1880, Collection privée

     

         Ce boulevard réalisé en surplomb de son sujet, la vue décalée, est l’un des derniers tableaux de l’exposition. La vue plongeante exceptionnelle de cette peinture, novatrice en 1880, est empruntée aux estampes japonaises. Un siècle plus tard, la photographie rendra familière ce genre de représentation.

     

     

          « S’il avait vécu au lieu de mourir prématurément, il aurait bénéficié du même retour de fortune que nous autres, car il était plein de talent… Il avait autant de dons naturels que de conscience et il n’était encore, quand nous l’avons perdu, qu’au début de sa carrière. »  - Claude Monet

     

     

                                                                                                  Alain                

     

     

         Cette note est ma dernière avant le début de la saison estivale. J’espère que ces visions de canotage vous donneront des idées pour vos futures vacances que je vous souhaite reposantes et enrichissantes.

     

     

  • Van Gogh écrivain : Arles - 9. Octobre 1888

     

    CORRESPONDANCE - EXTRAITS CHOISIS

      

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    Vincent Van Gogh – Portrait de la mère de l’artiste, oct. 1888, The Norton Simon Museum of Art, Pasadena

     

     

            Nous sommes à la veille de l’arrivée du peintre Paul Gauguin à Arles. Le soin que Vincent a mis à préparer la maison jaune pour que Gauguin la trouve agréable montre l’importance qu’il attache à cette venue : la solitude lui pèse et une présence amie lui est devenue indispensable.

          Celui qui va arriver est le peintre avant-gardiste qu’il admire, un maître qui, en Bretagne, s’est déjà entouré de nombreux disciples.

          En face de cette affection et admiration, les préoccupations de Paul Gauguin sont différentes, essentiellement commerciales. L’union de l’orgueilleux Gauguin, passionné d’exotisme et de primitivisme, et le romantique Vincent, précurseur de l’expressionnisme, sera-t-elle durable ?

     

    Lettre à Théo - vers le 13 octobre 1888

      

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    Vincent Van Gogh –  La diligence de Tarascon, oct. 1888, The Art Museum, Princeton

     

    As tu déjà relu les Tartarin, ah, ne l’oublie pas ! Te rappelles tu dans Tartarin la complainte de la vieille diligence de Tarascon, cette admirable page ? Eh bien, je viens de la peindre cette voiture rouge et verte, dans la cour de l’auberge. Tu verras.

    Ce croquis hâtif t’en donne la composition, avant-plan simple de sable gris, fond aussi très simple, murailles roses et jaunes avec fenêtres à persiennes vertes, coin de ciel bleu. Les deux voitures très colorées, vert, rouge, roues jaune, noir, bleu, orangé. Tu avais dans le temps un bien beau Claude Monet représentant quatre barques colorées sur une plage. Eh bien, c’est ici des voitures, mais la composition est dans le même genre.

    Suppose maintenant un sapin bleu vert immense, étendant des branches horizontales sur une pelouse très verte et du sable tacheté de lumière et d’ombre.

    Ce coin de jardin fort simple est egayé par des parterres de geraniums mine orange dans les fonds sous les branches noires. Deux figures d’amoureux se trouvent à l’ombre du grand arbre.

      

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    Vincent Van Gogh –  Jardin public avec couple et sapin bleu, oct. 1888, collection privée

     

    Lettre à Théo – vers le 15 octobre 1888

     

    Je t’envoie article sur la Provence, qui me paraissait bien écrit. Ces Félibres sont une réunion littéraire et artistique, Clovis Hugues, Mistral, d’autres qui écrivent en provençal et parfois en français des sonnets assez bien, même fort bien parfois.

    Si les Félibres cessent un jour d’ignorer mon existence, ils passeront tous à la petite maison. *

    Je préfère que cela n’arrive pas avant que j’aie terminé ma décoration. Mais aimant la Provence aussi franchement qu’eux, j’ai peut-être le droit à leur attention.

    * la petite maison jaune où habite Vincent à Arles

     

    Lettre à Théo – vers le 16 octobre 1888

     

    Enfin je t’envoie un petit croquis pour te donner au moins une idée de la tournure que prend le travail. Car aujourd’hui je m’y suis remis. J’ai encore les yeux fatigués, mais enfin j’avais une nouvelle idée en tête et en voici le croquis. Toujours toile de 30.

    C’est cette fois ci ma chambre à coucher tout simplement, seulement la couleur doit ici faire la chose et en donnant par sa simplification un style plus grand aux choses, être suggestive ici du repos ou du sommeil en général. Enfin la vue du tableau doit reposer la tête ou plutôt l’imagination.

    Les murs sont d’un violet pâle. Le sol est à carreaux rouges.

    Le bois du lit et les chaises sont jaune beurre frais, le drap et les oreillers citron vert très clair.

    La couverture rouge écarlate. La fenêtre verte. La table à toilette orangée, la cuvette bleue.

    Les portes lilas.

    Et c’est tout – rien dans cette chambre à volets clos.

    La carrure des meubles doit maintenant encore exprimer le repos inébranlable.

    Des portraits sur le mur et un miroir et un essuie mains et quelques vêtements.

    Le cadre – comme il n’y a pas de blanc dans le tableau – sera blanc.

    […]

    J’y travaillerai encore toute la journée demain, mais tu vois comme la conception est simple. Les ombres et ombres portées sont supprimées, c’est coloré à teintes plates et franches comme les crêpons.

      

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    Vincent Van Gogh – La chambre de Vincent à Arles, oct. 1888, Van Gogh Museum, Amsterdam

     

    Lettre au peintre Paul Gauguin – vers le 17 octobre 1888

     

          Une grande nouvelle est arrivée dans une lettre du peintre Paul Gauguin. Vincent vient d’apprendre sa venue prochaine. Il l’attendait avec impatience.

     

    Merci de votre lettre et merci surtout de votre promesse de venir déjà le vingt.

    […]

    Il commence à faire froid, surtout les jours de mistral.

    J’ai fait mettre le gaz dans l’atelier pour que nous ayons une bonne lumière en hiver.

    Peut-être serez vous désenchanté d’Arles, si vous y venez par un temps de mistral ;  mais attendez... C’est à la longue que la poésie d’ici pénètre.

    Vous ne trouverez pas encore la maison aussi confortable que peu à peu nous chercherons à la rendre. Il y a tant de dépenses ! Et cela ne peut pas se faire d’une seule haleine. Enfin, je crois qu’une fois ici, vous allez comme moi être pris d’une rage de peindre, dans les intervalles du mistral, les effets d’automne, et que vous comprendrez que j’aie insisté pour que vous veniez, maintenant qu’il y a de bien beaux jours.

                

     Lettre à Théo – vers le 25 octobre1888

     

    Comme tu l’as appris par ma dépêche, Gauguin est arrivé en bonne santé. Il me fait même l’effet de se porter mieux que moi.

    Il est très intéressant comme homme, et j’ai toute confiance qu’avec lui nous ferons des tas de choses. Il produira probablement beaucoup ici, et peut-être, j’espère moi aussi.

    Je sens moi, jusqu’à en être écrasé moralement et vidé physiquement, le besoin de produire, justement parce que je n’ai en somme aucun autre moyen de jamais rentrer dans nos dépenses.

    Je n’y puis rien que mes tableaux ne se vendent pas.

    Le jour viendra cependant où l’on verra que cela vaut plus que le prix de la couleur et de ma vie, en somme très maigre, que nous y mettons.

                       

    Lettre à Théo – vers le 28 octobre1888

     

    Ce que Gauguin raconte des tropiques me semble merveilleux. Certes là est l’avenir d’une grande renaissance de la peinture. Demande un peu aux nouveaux amis Hollandais s’ils y ont jamais songé. Combien il serait intéressant si quelques peintres Hollandais fonderaient une école coloriste à Java. S’ils entendaient Gauguin décrire les pays chauds. Certes cela leur donnerait envie tout droit de faire cela. Tout le monde n’est pas libre et dans des conditions à pouvoir émigrer. Mais comme il y aurait des choses à faire.

    Je regrette de ne pas avoir dix ou vingt ans de moins, certes j’irais.

    Maintenant peu probable que je bouge du littoral et la petite maison jaune ici à Arles demeurera ce qu’elle est, une station intermédiaire entre l’Afrique et les tropiques et les gens du nord.

      

               Dès l’arrivée de Paul Gauguin à Arles, les deux amis se déplacent ensemble pour peinture,van gogh,arles,gauguintravailler sur le motif des Alyscamps, nécropole romaine à Arles.

           Leur vision est bien différente. Gauguin ne fait figurer aucun sarcophage, seulement les arbres, la tour lanterne, une partie de l’église romane et trois femmes marchant le long du canal. Le synthétisme de sa touche contraste avec celle tourmentée de Van Gogh.

     

     

     

     

     

     

     

      

    Vincent Van Gogh –  Les Alyscamps, oct. 1888, collection privée

     

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    Paul Gauguin –  Les Alyscamps, oct. 1888, musée d'Orsay, Paris

     

      

  • Le feu sous la glace - Félix VALLOTTON (1865-1925)

    Un classique moderne

     

     

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    Félix Vallotton - Autoportrait, 1897, musée d'Orsay, Paris

     

         La première manifestation consacrée au peintre Félix Vallotton dans un musée national parisien, depuis une cinquantaine d’années, vient de s’ouvrir au Grand Palais à Paris.

         Je m’y suis rendu récemment, plus par curiosité que par véritable désir. Un nabi, disait-on ! Je le connaissais très mal…

     

         « Mes buts ne sont guère du côté où l’on va et je prévois encore des déceptions publiques, néanmoins je ferai ce que je sens, advienne que pourra ».

         Ces quelques mots écrits en 1919, quelques années avant son décès en 1925, pourraient résumer la vie artistique de Félix Vallotton. Sa vocation était de peindre sans jamais songer à suivre la mode ou à flatter l’amateur.

         Etrange peintre… Contemporain des peintres post-impressionnistes : Van Gogh, Gauguin, Cézanne, des cubistes et des fauves, cet artiste, suisse de naissance, naturalisé français en 1900, était un solitaire dans ce monde de bouleversements esthétiques. Touche à tout génial, créateur polymorphe : paysages, portraits, natures mortes, scènes de genre, gravures, sculptures, il fut, par ailleurs, critique d’art et écrivit des romans et pièces de théâtre.

         Le « Nabi étranger », ainsi le surnommaient à ses débuts ses amis du groupe des Nabis, ces peintres avant-gardistes auquel il appartint durant une dizaine d’année : Vuillard, Bonnard, Maurice Denis et quelques autres, qui présentaient une vision moderne de l’art.

         L’œuvre originale, inclassable, de Vallotton fait dire, en 1924, au critique André Thérive : « On ne pense jamais devant un tableau de lui : « Voici du Vallotton ».

     

         Je montre ci-après, une sélection, la plus exhaustive possible, de quelques toiles de l’artiste qui m’ont paru les plus représentatives de son œuvre.

         Mes coups de cœurs sont trop nombreux. Qui puis-je, j’ai aimé…

     

     

    Pureté de la ligne

      

         Contrairement à beaucoup de ses contemporains, chez Vallotton, le dessin l'emporte sur la couleur. Celle-ci n'intervient qu'en complément de la ligne qui reflète ses sentiments.

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    Félix Vallotton - Le repos, 1911, The Art Institute, Chicago

     

         Admirateur du peintre Ingres, au salon d’automne de 1904, Vallotton a les larmes aux yeux en contemplant le « Bain turc » de celui-ci. Il s’en inspire par une toile à la sensualité exaltée par les formes et les volumes.

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    Félix Vallotton - Le bain turc, 1907, musée d'art de Genève

     

         peinture,grand palais,vallottonMisia est l’épouse de Thadée Natanson le cofondateur de la « Revue blanche » dont Vallotton était l’illustrateur. L’artiste semble s’être glissé dans le cabinet de toilette de celle que l’on considérait à cette époque comme la muse des Nabis.

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     Félix Vallotton - Misia à sa coiffeuse, 1898, musée d'Orsay, Paris

     

      

    En blanc et noir

      

         Vallotton se tourne vers la xylographie à l’automne 1891. Il est le rénovateur de la gravure sur bois : le bois tendre est taillé au canif ou au burin ; à l’impression, les parties en creux restent en réserve et constituent les zones blanches, tandis que les parties en surface, encrées, forment les zones noires.

          Entre 1892 et 1899, la reconnaissance du talent de graveur de Vallotton lui assure une renommée internationale. Il marche vers le succès, sa foisonnante production lui donne un statut important dans la scène artistique de Paris.

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    Félix Vallotton - A Paul Verlaine, 1891, musée d'art moderne, Strasbourg

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     Félix Vallotton - La paresse, 1896, BPK, Berlin

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    Félix Vallotton - Le coup de vent, 1894, BNF, Paris 

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    Félix Vallotton - Le bain, 1894, BNF, Paris

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    Félix Vallotton - L'exécution, 1894, BNF, Paris 

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    Félix Vallotton - L'émoi, 1894, musée des beaux-arts, Besançon

     

         A partir de 1899, ayant tout dit en matière de gravure, conscient d’être parvenu au sommet de son art, Vallotton va désormais se tourner vers la peinture où il veut, comme pour la gravure, se faire un nom comme peintre. Il retourne à son ambition initiale, celle qui l’a conduit à Paris adolescent : égaler « les grands peintres qui à 15 ans étonnaient le monde ».

     

     

     L’écrasement de la perspective

     

         Je rêve d’une peinture dégagée de tout respect littéral de la nature ». L’aplatissement systématique de la perspective, hérité de ses bois gravés, se retrouve constamment dans la peinture de l’artiste.

     

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    Félix Vallotton - Femme nue assise dans un fauteuil rouge, 1897, musée des beaux-Arts, Grenoble

     

            peinture,grand palais,vallottonIl s’agit presque d’une œuvre symboliste. Les couples enlacés s’envolent dans un poudroiement coloré. A quoi rêve la femme dont on aperçoit le visage extatique au premier plan tout en bas ? Un quart de siècle plus tard, Ravel considèrera, somptueux hommage, que cette valse fait littéralement toucher la musique.

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Félix Vallotton - La valse, 1893, musée d'art, Le Havre

     

          Ce monde mystérieux parait sans vie. Il dort. La lune illumine par instant les formes féminines des nuages et de l’eau.

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    Félix Vallotton - Clair de lune, 1895, musée d'Orsay, Paris

     

          peinture,grand palais,vallottonLes pins parasols, comme des girafes, allongent leurs cous devenus rouge vif sous les feux des derniers rayons de soleil.

     

      

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Félix Vallotton - Les pins parasols, 1911, musée des Beaux-Arts, Quimper

       

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    Félix Vallotton - Coucher  de soleil, 1911, collection particulière

     

     

    Scènes de genre

     

         Félix Vallotton a toujours eu de l’admiration pour les « maîtres absolus et parfaits » du peinture,écriture,grand palais,vallotton17ème siècle hollandais. Il observe la vie domestique, scénettes intimes où se mélangent des éléments réels et des réminiscences d’art ancien comme des scènes d’intimité ou des enfilades d’espaces clos à la Peter De Hooch ou Vermeer.

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Félix Vallotton - Scène d'intérieur, 1900, musée d'Orsay, Paris

     

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    Félix Vallotton - Cinq heures ou Intimité, 1898, collection particulière

     

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    Félix Vallotton - La visite, 1899, Kunsthaus, Zurich

     

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    Félix Vallotton - Intérieur avec femme en rouge de dos, 1903, Kunsthaus, Zurich

     

          Vallotton se représente de dos, imposant, il est le beau-père de la petite fille qui lui fait face. Sous la lumière crue de la lampe, celle-ci lui jette un regard haineux. Une allégorie de sa famille ?

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    Félix Vallotton - Le dîner, effet de lampe, 1899, musée d'Orsay, Paris

     

         peinture,grand palais,vallottonA quoi peut bien penser ce couple dont l’on aperçoit à peine les visages ?

         Le petit gant blanc de la dame, plus vivant que les personnages, forme une tache lumineuse au milieu de la toile dont notre regard ne peut se détacher.

     

     

     

     

     

     

     

     

  • Les Fleurs du Mal

    Charles Baudelaire – Poèmes choisis (1ère partie)

     

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    Gustave Courbet – Portrait de Charles Baudelaire, 1848, Musée Fabre, Montpellier

     

     

         Ma pause estivale a été longue, souvent pluvieuse comme pour beaucoup dans le nord de la France, et, de ce fait, studieuse.

         Dans les semaines à venir, je publierai un important dossier en plusieurs parties consacré à la genèse de l’aventure des peintres impressionnistes.

         J’ai également profité des torpeurs de l’été pour relire « Les Fleurs du Mal » de Charles Baudelaire. Le talent de ce poète m’a une nouvelle fois ébloui et incité à lui consacrer mon premier article de cette nouvelle saison.

         L’artiste commença à écrire les poèmes des « Fleurs du Mal » à partir des années 1840, son recueil ne sera publié qu’en 1857 et sera suivi ensuite de rééditions accompagnées d’autres poèmes qui viendront se rajouter à cette première publication.

         Dans ce premier article, je voulais présenter une courte sélection de quelques poèmes. Impossible !… de n’en montrer que quelques-uns ! J’ai eu tellement de mal à choisir mes poèmes préférés que j’ai décidé d’en faire plusieurs articles : deux ou trois, peut-être plus, ce poète est tellement important…

         Je pense que vous ne vous en plaindrez pas…

     

     

    A une Dame créole – Spleen et idéal, 1845

     

         « Vous m'avez demandé quelques vers à Maurice pour votre femme, et je ne vous ai pas oublié. Comme il est bon, décent, et convenable, que des vers, adressés à une dame par un jeune homme passent par les mains de son mari avant d'arriver à elle, c'est à vous que je les envoie, afin que vous ne les lui montriez que si cela vous plaît. »

         Ce poème a été écrit en souvenir de la femme du planteur Adolphe Autard de Bragard connu à l’Ile Maurice au cours d’un voyage de jeunesse du poète en 1841.

     

     

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    Anonyme – Portrait de madame Autard de Bragard, 1840,

     

    Au pays parfumé que le soleil caresse,
    J’ai connu, sous un dais d’arbres tout empourprés
    Et de palmiers d’où pleut sur les yeux la paresse,
    Une dame créole aux charmes ignorés.

    Son teint est pâle et chaud; la brune enchanteresse
    A dans le cou des airs noblement maniérés ;
    Grande et svelte en marchant comme une chasseresse,
    Son sourire est tranquille et ses yeux assurés.

    Si vous alliez, Madame, au vrai pays de gloire,
    Sur les bords de la Seine ou de la verte Loire,
    Belle digne d’orner les antiques manoirs,

    Vous feriez, à l’abri des ombreuses retraites
    Germer mille sonnets dans le coeur des poètes,
    Que vos grands yeux rendraient plus soumis que vos noirs.

     

     

    A une passante – Tableaux parisiens, 1860

     

         Mon préféré…

     

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    Giovanni Boldini – En traversant la rue, 1874, Serling and Francine Clark Art Institute, Williamstown

     

     

    La rue assourdissante autour de moi hurlait.
    Longue, mince, en grand deuil, douleur majestueuse,
    Une femme passa, d’une main fastueuse
    Soulevant, balançant le feston et l’ourlet ;

    Agile et noble, avec sa jambe de statue.
    Moi, je buvais, crispé comme un extravagant,
    Dans son oeil, ciel livide où germe l’ouragan,
    La douceur qui fascine et le plaisir qui tue.

    Un éclair… puis la nuit ! – Fugitive beauté
    Dont le regard m’a fait soudainement renaître,
    Ne te verrai-je plus que dans l’éternité ?

    Ailleurs, bien loin d’ici! trop tard ! jamais peut-être !
    Car j’ignore où tu fuis, tu ne sais où je vais,
    O toi que j’eusse aimée, ô toi qui le savais 

     

     Superbe interprétation du poème en chanson par Serge Regianni :

    https://youtu.be/RjC0lpfW5IA

     

    Bohémiens en voyage – Spleen et idéal, 1852

     

     

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    Gustave Courbet – La bohémienne et ses enfants, 1854, collection privée

     

     

    La tribu prophétique aux prunelles ardentes
    Hier s’est mise en route, emportant ses petits
    Sur son dos, ou livrant à leurs fiers appétits
    Le trésor toujours prêt des mamelles pendantes.

    Les hommes vont à pied sous leurs armes luisantes
    Le long des chariots où les leurs sont blottis,
    Promenant sur le ciel des yeux appesantis
    Par le morne regret des chimères absentes.

    Du fond de son réduit sablonneux, le grillon,
    Les regardant passer, redouble sa chanson ;
    Cybèle, qui les aime, augmente ses verdures,

    Fait couler le rocher et fleurir le désert
    Devant ces voyageurs, pour lesquels est ouvert
    L’empire familier des ténèbres futures.

     

     

    Le soleil – Tableaux parisiens, 1861

     

     

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    Vincent Van Gogh – Champ de blé au soleil levant, 1889, collection privée

     

     

    Le long du vieux faubourg, où pendent aux masures
    Les persiennes, abri des secrètes luxures,
    Quand le soleil cruel frappe à traits redoublés
    Sur la ville et les champs, sur les toits et les blés,
    Je vais m’exercer seul à ma fantasque escrime,
    Flairant dans tous les coins les hasards de la rime,
    Trébuchant sur les mots comme sur les pavés,
    Heurtant parfois des vers depuis longtemps rêvés.

    Ce père nourricier, ennemi des chloroses,
    Eveille dans les champs les vers comme les roses ;
    Il fait s’évaporer les soucis vers le ciel,
    Et remplit les cerveaux et les ruches de miel.
    C’est lui qui rajeunit les porteurs de béquilles
    Et les rend gais et doux comme des jeunes filles,
    Et commande aux moissons de croître et de mûrir
    Dans le coeur immortel qui toujours veut fleurir !

    Quand, ainsi qu’un poète, il descend dans les villes,
    Il ennoblit le sort des choses les plus viles,
    Et s’introduit en roi, sans bruit et sans valets,
    Dans tous les hôpitaux et dans tous les palais.

     

     

    Le vin du solitaire – Le vin, 1857

     

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    Bartolomé Estéban Murillo – Jeune homme buvant, 1670, National Gallery of Art, Londres

     

     

    Le regard singulier d’une femme galante
    Qui se glisse vers nous comme le rayon blanc
    Que la lune onduleuse envoie au lac tremblant,
    Quand elle y veut baigner sa beauté nonchalante ;

    Le dernier sac d’écus dans les doigts d’un joueur ;
    Un baiser libertin de la maigre Adeline ;
    Les sons d’une musique énervante et câline,
    Semblable au cri lointain de l’humaine douleur,

    Tout cela ne vaut pas, ô bouteille profonde,
    Les baumes pénétrants que ta panse féconde
    Garde au cœur altéré du poète pieux ;

    Tu lui verses l’espoir, la jeunesse et la vie,
    – Et l’orgueil, ce trésor de toute gueuserie,
    Qui nous rend triomphants et semblables aux Dieux !

     

     

    La servante au grand cœur dont vous étiez jalouse – Tableaux parisiens, 1844

      

         Certainement le souvenir de Mariette, servante familiale de l’enfance du poète.

     

     

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    Gustave Courbet – La fileuse endormie, 1853, musée Fabre, Montpellier

     

     

    La servante au grand coeur dont vous étiez jalouse,
    Et qui dort son sommeil sous une humble pelouse,
    Nous devrions pourtant lui porter quelques fleurs.
    Les morts, les pauvres morts, ont de grandes douleurs,
    Et quand Octobre souffle, émondeur des vieux arbres,
    Son vent mélancolique à l'entour de leurs marbres,
    Certes, ils doivent trouver les vivants bien ingrats,
    A dormir, comme ils font, chaudement dans leurs draps,
    Tandis que, dévorés de noires songeries,
    Sans compagnon de lit, sans bonnes causeries,
    Vieux squelettes gelés travaillés par le ver,
    Ils sentent s'égoutter les neiges de l'hiver
    Et le siècle couler, sans qu'amis ni famille
    Remplacent les lambeaux qui pendent à leur grille.

    Lorsque la bûche siffle et chante, si le soir,
    Calme, dans le fauteuil, je la voyais s'asseoir,
    Si, par une nuit bleue et froide de décembre,
    Je la trouvais tapie en un coin de ma chambre,
    Grave, et venant du fond de son lit éternel
    Couver l'enfant grandi de son oeil maternel,
    Que pourrais-je répondre à cette âme pieuse,
    Voyant tomber des pleurs de sa paupière creuse ?

     

     Très belle interprétation du texte en chanson par Léo Ferré :

    https://youtu.be/Q0oigwJngtc

     

  • Voir la peinture autrement

         

         Raconter la peinture est le thème essentiel des récits publiés sur ce blog. Dans ces courtes fictions, j'ai souhaité faire connaissance avec ces hommes et ces femmes qui ont fait l’histoire de l’art. Ainsi, je les observe peindre et vivre, et tente de porter un autre regard sur ces artistes et leurs œuvres. 

         Esperiidae, excellente donneuse de voix sur Litteratureaudio.com, site largement fréquenté par les non-voyants et malvoyants, mais aussi par les amoureux de littérature, m’a fait le plaisir d’enregistrer trois de mes récits.

         Hésitant lorsqu’elle m’a proposé ce projet – je m’imaginais que la vision des tableaux était indispensable à une bonne perception de ceux-ci – j’ai découvert que la voix, par sa sensibilité, son timbre, ses modulations et son rythme, permettait une nouvelle approche de la peinture. Les mots parlés donnaient vie aux tableaux.

         Je me suis permis de reprendre la phrase d’un peintre suisse enseignant la peinture à des non-voyants. Il parlait de « Voir autrement ».

         Je remercie Esperiidae de m’avoir incité à lui confier mes textes qu’elle a su si bien mettre en valeur.

         Je vous laisse écouter les deux premiers enregistrements en cliquant sur les toiles ci-dessous :

     

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      Winslow Homer – Nuit d’été, 1890, Musée d’Orsay, Paris

     

     

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    Vincent Van Gogh – L’église d’Auvers, juin 1890, Musée d’Orsay, Paris

     

     

     

  • Voir la peinture autrement - 2

         Esperiidae, mon amie suisse, vient de publier sur le site Litterature audio.com le troisième des récits qu’elle m’avait gentiment proposé d’enregistrer.

     

         J’avais écrit la nouvelle « Un aquarium géant » en hommage à Claude Monet. Je l’imaginais dans son atelier de Giverny, en compagnie de Blanche Hoschedé-Monet, sa belle-fille, à moitié aveugle et craignant une prochaine cécité, souhaitant voir ses « Nymphéas » en place, comme ils seront présentés, après sa mort, dans les grandes salles ovales du musée de l’Orangerie à Paris.

         Une nouvelle fois, la lecture d’Esperiidae, d’une grande sensibilité, m’a touché, et convaincu qu’il était possible de voir la peinture autrement, par la seule force de la voix.

         Pour écouter l'enregistrement, cliquez sur le détail d’un des Nymphéas de l’Orangerie, ci-dessous :

     

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    Claude Monet - Les Nymphéas (détail), musée de l'Orangerie, Paris

         

         Les deux premiers enregistrements peuvent être écoutés en cliquant sur les toiles correspondantes :

     

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    Winslow Homer – Nuit d’été, 1890, Musée d’Orsay, Paris

     

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                          Vincent Van Gogh – L’église d’Auvers, juin 1890, Musée d’Orsay, Paris

     

     

     

  • Mary Cassatt de retour à Paris

     

       Le Musée Jacquemart-André présente actuellement l’exposition : Mary Cassatt, une impressionniste américaine à Paris qui rassemble diverses œuvres de l’artiste et permet de redécouvrir son talent.

         C’est la première fois depuis le décès du peintre en 1926 qu’une rétrospective lui est consacrée à Paris. Je montre, ci-dessous, un échantillon représentatif des œuvres que j’ai préférées.

         Cela va me donner l’occasion de rapprocher les toiles de deux amies : Mary Cassatt et Berthe Morisot. Elles faisaient partie du groupe des peintres impressionnistes et exposaient ensemble. Leurs thèmes de prédilection étaient souvent les mêmes : la féminité, les enfants, les maternités.

     

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    Mary Cassatt – Autoportrait, 1880, Galerie nationale du portrait, Washington

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    Berthe Morisot – Autoportrait, 1885, musée Marmottan, Paris

     

     

     

         Courageuse et déterminée cette petite américaine qui parlait couramment français, adorait la France, et vivra plus de soixante ans dans notre pays !

        Déçue par des études artistiques à la Pennsylvania Academy of the Fine Arts de Philadelphie, elle n’hésite pas en 1865, à 21 ans, à partir pour Paris pour continuer son apprentissage. Elle restera plusieurs années dans la capitale française et visitera l’Europe pour s’inspirer des maîtres anciens. A ces débuts, plusieurs de ses œuvres seront acceptées par le jury du Salon officiel.

         Sa grande chance va survenir en 1877. Le peintre Edgar Degas la repère par hasard dans un salon et l’invite à se joindre au groupe des impressionnistes. Elle expose pour la première fois avec le groupe en 1879, propose une douzaine d’œuvres, et vend deux tableaux. Elle montre son premier chef-d’œuvre : Petite fille dans un fauteuil bleu, dont la touche libre la révèle comme « impressionniste ».

      

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    Mary Cassatt – Petite fille dans un fauteuil bleu, 1878, National Gallery of Art, Washington

     

        L’aventure peut commencer. Sa carrière va se faire au même rythme que celle des membres du groupe impressionniste qui exposent indépendamment du Salon. Elle participe à leurs expositions annuelles, jusqu’à la dernière qui a lieu en 1886. Elle devient très vite amie avec Edgar Degas, Camille Pissarro et Berthe Morisot.

         A partir des années 1890, sa contribution, avec le soutien de son amie madame Havemeyer, grande collectionneuse américaine d’œuvres impressionnistes, de sa famille américaine, et du marchand d’art Durand-Ruel, permettra de faire connaître et vendre la peinture impressionniste aux Etats-Unis. Ses amis peintres lui doivent beaucoup !

       Sa célébrité va devenir grandissante dans son pays et en France où elle jouit rapidement d’une notoriété comme « peintre de la Madone moderne ».

        Encouragé par Degas, elle se mettra à la gravure par la technique de l’eau-forte et deviendra une grande spécialiste de l’estampe. Pour s’amuser, Degas fera deux estampes de Mary Cassatt en visite au Louvre, l’une en contemplation dans la Galerie étrusque, et l’autre dans la Galerie de Peintures. Je les montre ci-dessous :

     

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         Très intéressée par la mode, Mary peint sa sœur Lydia dans une élégante robe rose. peinture,mary cassatt,impressionnismeCe tableau est admiré à l’exposition de 1881.

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Mary Cassatt – La tasse de thé, 1880, The Metropolitan Museum of Art, Washington

     

         Berthe Morisot apprécie elle aussi l'élégance des femmes : peinture,berthe morisot,impressionnisme 

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Berthe Morisot – Femme à l’éventail ,ou Au bal, 1875, musée Marmottan, Paris

     

         Le canotage était à la mode en cette fin du 19e siècle en France.

     

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    Mary Cassatt – L’été, 1894, Fondation Terra pour l’Art Américain, Chicago

     

       Je retrouve dans le tableau de Berthe Morisot la même touche totalement impressionniste, toute en vibration lumineuse :

     

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    Berthe Morisot – Le lac du bois de Boulogne, 1879, The National Gallery, Londres

     

         Les peintures, plus particulièrement les pastels, de Mary Cassatt atteignent des sommets dans un style très libre constitué de touches nerveuse, incisives, et la propension à laisser les toiles inachevées. Une nouvelle fois, nous pouvons la rapprocher de Berthe Morisot dont Emile Blanche disait : « La seule femme peintre qui ait su garder la saveur de l’incomplet et du joliment inachevé. »

     

         Des enfants :

     

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    Mary Cassatt – Portrait de mademoiselle Anne-Marie Durand-Ruel, 1908, Collection particulière

     

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    Berthe Morisot – La lecture, 1888, musée des Beaux-Arts, Saint-Pétersbourg

     

         D'autres enfants :

     

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    Mary Cassatt – Fillette au chapeau bleu, 1911, collection particulière 

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    Mary Cassatt – Simone portant un chapeau à plume, 1900, collection particulière

     

         L’on retrouve la même technique chez son amie Berthe.

     

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    Berthe Morisot – Les pâtés de sable, 1882, collection particulière

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    Berthe Morisot – Fillette au jersey bleu, 1886, collection particulière

     

         La Madone moderne… Mary Cassatt va rapidement devenir la spécialiste des sujets mère-enfant. Elle va se concentrer sur ce thème de manière sérielle comme le faisaient Monet avec ses meules ou Degas avec ses scènes de ballet. Le public est conquit et ses maternités sont hautement appréciées au niveau international.

     

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    Mary Cassatt – Mère  à l'enfant – le miroir ovale,1899, The Metropolitan Museum of Art New York

     

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    Mary Cassatt – Bébé dans un costume bleu, regardant par-dessus l'épaule de sa mère, 1885, Musée d’art de Cincinnati

     

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    Mary Cassatt – Jenny et son enfant, 1889, Terra Foundation for American Art, Chicago

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    Mary Cassatt – Femme assise avec un enfant dans ses bras, 1890, musée des Beaux-Arts de Bilbao

     

         On ne retrouve pas chez Berthe Morisot de maternités comparables à celles de Mary Cassatt. Par contre, j’aime la paternité ci-dessous, montrant son mari Eugène Manet jouant avec sa toute jeune enfant Julie. C’est une scène intime entre le père et la fille, les deux amours de l’artiste. La toile est parcourue de vibrations colorées et de touches nerveuses multiples qui lui donnent toute son harmonie.

     

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    Berthe Morisot – Eugène Manet et sa fille à Bougival, 1881, Musée Marmottan, Paris

     

     

    Mary Cassatt restera dans l’histoire de l’art comme une des artistes qui a le mieux réussi à transmettre le sentiment de tendresse entre une mère et son enfant.

     

     

  • Ukraine

     

    Chevtchenko

    Taras Chvetchenko - Kateryna, 1842, musée national chvetchenko, Kiev, Ukraine

     

         Taras Chvetchenko est devenu aujourd’hui la figure emblématique de l’Ukraine et est considéré comme le plus grand poète romantique ukrainien.

         Né en Ukraine, l’artiste passa les trois quarts de sa vie sans liberté. Malgré tout, il trouva l’énergie d’exprimer l’aspiration du peuple ukrainien à vivre libre. Et toute sa vie il se battra pour cette cause. Sa poésie et sa peinture furent constamment censurées par l’empire russe.

        On le surnomma « Kobzar » (Le Barde) du nom de son premier recueil de poèmes publié en 1840. Kobzar en ukrainien signifie un barde, celui qui, en plus de chanter, joue d'un instrument de musique similaire à un luth, le kobza.

        En 1842, le poète désire illustrer un des poèmes de son recueil Kozbar écrit en 1839 : Kateryna. Il peint le tableau ci-dessus représentant une jeune femme ukrainienne, enceinte. L’on voit au fond de la toile un soldat russe qui s’éloigne. À cette époque, les jeunes filles ukrainiennes acceptant les faveurs de l’occupant russe étaient rejetées par leurs familles. Le tableau décrit très bien la honte de la jeune fille et le regard méprisant de l’homme assis au sol.

        Au moment où l’armée russe est en train d’écraser l’Ukraine sous les bombes, j’ai voulu faire connaître quelques poèmes peu connus en France de ce grand poète.

     

     

    LE TESTAMENT

     

    Quand je mourrai, enterrez-moi
    Dans une tombe au milieu de la steppe
    De ma chère Ukraine,
    De façon que je puisse voir l'étendue des champs,
    Le Dniepr et ses rochers,
    Que je puisse entendre
    Son mugissement puissant.

    Et quand il emportera de l'Ukraine
    Vers la mer bleue
    Le sang des ennemis, alors
    Je quitterais les prairies et les montagnes
    Et m'envolerai
    Vers Dieu lui-même
    Pour lui offrir mes prières
    Mais jusque-là
    Je ne connais pas de Dieu !

    Enterrez-moi et debout !
    Brisez vos fers,
    Et arrosez du sang impur des ennemis
    La liberté !
    Puis, dans la grande famille,
    La famille nouvelle et libre,
    N'oubliez pas d'accorder à ma mémoire
    Une bonne parole !


    1845

     

    Chvetchenko écrivit quelques poèmes pendant ses premières années d’exil. Relégué au bout du monde, il revoyait en imagination la belle Ukraine.

     

    LE SOIR

     
    Un jardin de cerisiers entoure la maison ;
    Les hannetons bourdonnent au-dessus des arbres ;
    Les laboureurs avec leurs charrues,
    Les jeunes filles avec leurs chansons, rentrent,
    Et les mères les attendent pour le souper.

    La famille prend son repas autour de la maison ;
    À l’horizon brille l’aurore du soir.
    La fille présente les mets du souper ;
    Sa mère voudrait lui donner des conseils ;
    Mais le rossignol l’en empêche.

    La mère, autour de la maison,
    A couché les petits enfants ;
    Elle-même dort près d’eux.
    Tout bruit s’éteint… Seule, la jeune fille
    Et le rossignol veillent encore.

     

    MES PENSÉES, MES PENSÉES … (extrait)

     

    Mes pensées, ô mes pensées,
    Mes fleurs, mes enfants !
    Je vous ai élevées, je vous ai choyées,
    Que faire de vous maintenant ?
    Allez en Ukraine, mes enfants,
    Dans notre Ukraine,
    Comme les orphelins longeant des palis,
    Et moi, je mourrai ici.
    Là-bas vous trouverez un grand cœur
    Et des mots bienveillants,
    Là-bas vous trouverez la vérité,
    Et peut-être même la gloire…
     
    Accueille, ma tendre mère,
    Ô mon Ukraine,
    Mes enfants innocents
    Comme ton propre enfant.

    Saint-Pétersbourg, 1840
    Traduit par Darya Clarinard

      

     

    PEU M’IMPORTE !

    Peu m’importe
    De vivre ou non en Ukraine.
    Que l’on se souvienne de moi ou que l’on m’oublie,
    De moi dans ces neiges étrangères.
    Cela m’importe peu.
    En captivité, j’ai grandi avec des étrangers,
    Sans que les miens ne me pleurent,
    En captivité, en pleurant, je mourrai
    Et j’emporterai tout avec toi
    Ne laissant même pas une seule petite trace
    Dans notre glorieuse Ukraine,
    La nôtre – qui n’est plus notre propre terre.
    Et le père dans ses souvenirs,
    Le père ne dira pas à son fils : « Prie,
    Prie, mon fils : pour l’Ukraine
    Il fut torturé jadis. »
    Peu m’importe, si demain,
    Si ce fils priera, ou non…
    Mais ce qui m’importe réellement
    C’est de constater qu’un ennemi ignoble
    Endort, dérobe et consume l’Ukraine
    La volant et la violant …
    Ô, comme cela m’importe !

     

    Les Français sont avec vous de tout cœur amis ukrainiens.

     

     

  • À l'eau ou à l'huile

     

    botticelli

    Sandro Botticelli – La naissance de Vénus, 1485, Palais des Offices, Florence

     

         Deux livres sur l’art viennent d’être publiés récemment. Deux célèbres peintres de la même période de l'histoire de l'art tiennent une place essentielle dans chacun des livres :

     

    Sandro Botticelli dans le livre de Christiana Moreau « La Dame d’argile » un roman historique qui nous entraîne dans la période artistique du Quattrocento italien. 

    renaissance

    Jan Van Eyck dans une des nouvelles « Mariage italien à Bruges » de mon recueil : Deux petits tableaux – Si les œuvres parlaient.

     

    van eyck

        Seulement un demi-siècle sépare les toiles de Jan Van Eyck en Flandres de celles de Sandro Botticelli en Italie. Et pourtant, les deux peintres utilisaient une technique de peinture bien différente : l’huile pour Van Eyck et la tempera pour Botticelli.

         C’est l’objet de mon étude.

     

     

         La période de la première renaissance fut un moment de bouillonnement artistique dans l’art européen du 15e siècle.

         Jusqu’à la fin du Moyen Âge, les peintres peignaient sur toile et sur panneau avec les techniques de la détrempe à l’eau, la tempera une préparation plus grasse à la colle de peau ou à base d’œufs, comme médiums pour les pigments.

         Dans les années 1480, Sandro Botticelli peignit à la tempera grasse Simonetta Vespucci, la reine de Florence, sa muse, dans plusieurs tableaux dont « La Naissance de Vénus » et « Le Printemps ».

    botticelli

    Sandro Botticelli – Le Printemps, 1482, Palais des Offices, Florence

     

         Extrait de La Dame d’argile : « Ah ! Simonetta ! Le personnage féminin ! Peint six fois sur cette allégorie du printemps, démultiplié dans sa beauté. Elle encore dans la représentation de Flora, l’héroïne centrale à la robe parsemée de fleurs. Des fleurs qui poussent sous ses pieds nus à chaque pas. »

     

         Mais qui fut l’inventeur de la petite révolution que représenta la peinture à l’huile ?

     

         Des spécialistes font remonter cette découverte à un moine allemand prénommé Théophile au 11e siècle. Ils font également mention de peintures décoratives en France élaborées avec de fines couches de peintures à l’huile au 14e.

         Giorgio Vasari en parle longuement dans ses « Vies des peintres, sculpteurs et architectes » édité pour la première fois en 1550, ouvrage fondateur de l’histoire de l’art.

         Selon lui, un peintre flamand nommé Jean de Bruges (de son vrai nom Jan Van Eyck), fit des expériences sur diverses sortes d’huile pour composer des Vernis. Après de nombreux essais, il trouva le vernis que les peintres cherchaient pour remplacer la tempera qui ne les satisfaisait pas car séchant trop rapidement et ne permettant pas les retouches. Ce vernis à base d’huile de lin ou de noix donnait aux couleurs une grande solidité, souplesse, et les rendait brillantes.

         Sans créer vraiment la peinture à l’huile, Van Eyck porta cette technique à la perfection en ajoutant de l’essence de térébenthine comme solvant qui permettait en séchant à la peinture de durcir. Il fut le premier grand maître à peindre avec des couleurs à l’huile. Il mit en valeur une technique basée sur le « glacis » superposant de fines couches de couleurs délayées avec une plus grande quantité de liant. Sa toile la plus connue, celle dont je parle dans mon recueil, « Les époux Arnolfini », fut peinte à l’huile dans les débuts de la renaissance flamande à Bruges en 1434.

    van eyck

    Jan Van Eyck – Les époux Arnolfini, 1434, National Gallery, Londres

     

        Extrait du recueil : « Maître Jan, cette peinture me plait ! Elle fait déjà des envieux parmi les bourgeois de la ville à qui je l’ai montrée. Vous avez su saisir l’instant solennel de notre mariage. La robe verte de Giovanna explose sur le tissu rouge du lit ! »

        Progressivement, la technique de la peinture à l’huile s’introduisit en Italie à partir des années 1470. Giorgio Vasari dans « Les vies » rapporte que le peintre Antonello de Messine entendit parler d’un tableau de Jean Van Eyck amené par des commerçants florentins et admiré dans le royaume. Il partit pour Bruges où Van Eyck, par amitié, lui confia ses procédés. Il s’installa ensuite à Venise et son secret se répandra dans toute l’Italie. Il sera un des premiers peintres italiens à reprendre le modèle du portrait de trois-quarts illustré par van Eyck, avec cadrage élargi.

    renaissance

    Antonello da Messina – Le condottiere, 1475, Musée du louvre, Paris

     

         Avant de terminer cet article, je rajoute un polyptyque peint à l'huile sur bois de chêne en 1432, « L’agneau Mystique », le chef-d'œuvre des frères Van Eyck. Les deux frères travaillèrent durant 12 années sur ce retable composé de 24 panneaux encadrés offrant deux scènes différentes suivant sa position ouverte ou fermée.

     

    van eyck

    Les frères Hubert et Jan Van Eyck – L’Agneau mystique ou L’agneau de dieu, 1432, Cathédrale Saint-Bavon, Gand

     

    Il a été restauré récemment. Le changement est spectaculaire dans le regard de l’agneau. Ces yeux rappellent ceux du Christ se plongeant dans ceux du spectateur.

    van eyck

     

         Cette nouvelle technique de peinture à l’huile permettra au grands peintres de la Renaissance d’exprimer tout leur talent : les modelés vaporeux de Léonard de Vinci, les portraits de Titien, la grâce de Raphaël, la Sixtine de Michel-Ange…