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Rechercher : un pastelliste heureux

  • Degas à la Nouvelle-Orléans

     

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    Edgar Degas - Un bureau de coton à la Nouvelle-Orléans, 1873, musée des Beaux-Arts, Pau

     

     

        Savait-on qu’Edgar Degas (De Gas pour l’état civil) avait une branche familiale américaine par sa mère qui était créole ?

         Nous sommes en 1872, le peintre a 38 ans et est au tout début de sa longue carrière. Le charme et l’exotisme de la Louisiane, ancienne colonie française, le fascine. Il décide donc de rendre visite à son oncle et ses deux frères à la Nouvelle-Orléans. L’oncle a fait fortune dans le coton et les assurances. Les deux jeunes frères, Achille et René, travaillent dans l’entreprise familiale avec l’oncle.

         En octobre 1872, Edgar embarque, direction la Louisiane où sa famille américaine l’attend au grand complet. Il découvre la ville et les maisons luxueuses que plusieurs générations de créoles ont construites. La ville est en pleine reconstruction après les atrocités de la guerre de Sécession. La maison de son oncle a belle allure. Un atelier pour exercer son art lui est offert. Le frère, René, rapporte dans une lettre « Edgar est plein de curiosité pour la Nouvelle-Orléans et sa famille. Il semble enchanté de leur accent du Sud qu’il s’évertue d’apprendre ». L’artiste peint des portraits de famille, naturels et tendres. Il s’emporte : « Rien n’est plus difficile que les portraits de famille ! Faire asseoir une cousine pour vous alors qu’elle allaite un bébé criard de deux mois est très difficile. » 

         Début 1873, se languissant de la capitale parisienne, Degas prolonge son séjour de trois mois pour peindre le bureau de coton de son oncle où il va chaque jour. La toile se nomme « Un bureau de coton à la Nouvelle-Orléans » et montre son oncle et ses frères au travail : l’oncle assis au premier plan examinant un échantillon de coton ; Achille accoudé à la cloison vitrée, à gauche du tableau ; René, assis, lisant le journal. Au centre, un acheteur et un courtier négocient autour d’une table recouverte de coton. L’œuvre, accordant la primauté au dessin, est loin du mouvement impressionniste à venir deux ans plus tard et s’attache surtout à présenter la réussite des Degas dans le commerce et l’industrie textile.

     

     

     

         Dans les deux extraits de lettres ci-dessous, écrites à la Nouvelle-Orléans, l’on retrouve la verve savoureuse et l’humour étonnant du peintre que connaissent bien toutes ses relations.

     

    Lettre à Lorentz Frölich (peintre danois et ami de l’artiste) – Nouvelle-Orléans, le 27 novembre 1872

    […]

    L’océan ! Que c’est grand et que je suis loin de vous ! Le Scotia sur lequel je suis venu est un bateau anglais rapide et sûr. Il nous a menés (j’étais avec mon frère René) en dix jours, en 12 même, de Liverpool à New-York, l’Empire City. Triste traversée ! Je ne savais pas l’anglais, je ne le sais guère plus, et il y a sur la terre anglaise, même en mer, une froideur et une méfiance de convention que vous avez peut-être tâtées déjà.

    New-York, grande ville et grand port. […] Quatre jours de chemin de fer nous ont mis enfin ici. […]

    Que de choses nouvelles j’ai vues, que de projets cela m’a mis en tête mon cher Frölich ! L’art ne s’élargit pas, il se résume. Et, si vous aimez les comparaisons à tout prix, je vous dirai que pour produire de bons fruits, il faut se mettre en espalier. On reste là toute sa vie, les bras étendus, la bouche ouverte pour s’assimiler ce qui se passe, ce qui est autour de vous et en vivre.

    Avez-vous lu les Confessions de J.-Jacques Rousseau ? Sans doute oui. Vous rappelez-vous alors sa manière de décrire son vrai fond d’humeur, quand il est retiré dans l’île de St Pierre, en Suisse, et qu’il raconte que dès le jour il sortait, qu’il allait d’un côté ou de l’autre, sans savoir, qu’il examinait tout, qu’il entreprenait des travaux de dix ans et qu’il les laissait au bout de dix minutes sans regret ? Eh bien ! j’en suis là, parfaitement. Tout m’attire ici, je regarde tout, je vous décrirai même tout exactement à mon retour.

    Rien ne me plaît comme les négresses de toute nuance, tenant dans leurs bras des petits blancs, si blancs, sur des maisons blanches à colonnes de bois cannelées et en jardins d’orangers, et les dames en mousselines sur le devant de leurs petites maisons, et les streamboats à deux cheminées, hautes comme des cheminées d’usines, et les marchands de fruits à boutiques pleines et bondées, et le contraste des bureaux actifs et aménagés si positivement avec cette immense force animale noire, etc. etc. Et les jolies femmes de sang pur, et les jolies quarteronnes, et les négresses si bien plantées !

    Je viens de rater un grand pastel avec une certaine mortification. Je compte si j’en ai le temps rapporter quelque chose du crû, mais pour moi, pour ma chambre. On ne doit pas faire indifféremment de l’art de Paris et de la Louisiane, ça tournerait au Monde Illustré.

     

    Lettre à Henri Rouart (peintre, industriel, et grand ami de l’artiste) – Nouvelle-Orléans, le 5 décembre 1872

    […]

    René (le frère d’Edgar) est dans sa famille ici, il n’a que peu le mal du pays. Sa femme est aveugle mais elle est au-dessus de son malheur. On attend le troisième enfant dont je serai le parrain et qui n’aura pas ma turlutaine.

     

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    Edgar Degas - Madame René De Gas, 1873, National Gallery of Art, Wahington (Degas peint Estelle sa belle-sœur aveugle, une ample robe cachant sa grossesse, dans une belle harmonie de gris, blancs et roses)

     

    Les femmes ici sont presque toutes jolies, et beaucoup ont même dans leurs charmes cette pointe de laideur sans laquelle point de salut. Mais je crains que leur tête ne soit aussi faible que la mienne, ce qui ferait à deux une drôle de garantie pour une nouvelle maison. Je viens, hélas ! de lâcher quelque chose qui n’est rien et peut m’attirer une réputation atroce. Gardez-vous, Rouart, sur votre honneur, de ne jamais répéter de manière à ce que cela puisse être rapporté ici, à des personnes d’ici, ou à des personnes qui connaissent des personnes d’ici, que je vous ai dit que les femmes de la Nouvelle-Orléans paraissent faibles d’esprit ; ceci est sérieux – on ne badine pas ici. Ma mort ne laverait pas un tel affront et la Louisiane doit être respectée par tous ses enfants dont je suis à peu près un. – Si je vous disais après cela qu’elles doivent être bonnes, l’insulte serait entière et vous m’auriez, en répétant encore cela, livré définitivement à mes bourreaux.

    Je blague un peu, les femmes créoles ont quelque chose qui captive. […] Il y a de la tendresse à la 18e siècle dans leur air. De ces familles, beaucoup sont venues ici en culotte courte et ce parfum ne s’est pas encore en allé.

     

    Votre dévoué          DEGAS

     

     

     

         S’il fut court, ce séjour fut une étape décisive dans la formation artistique du peintre. À son retour, il décidera d'abandonner définitivement ses sujets historiques d'inspiration néoclassique à la mode dans les années 1860, préférant aborder la réalité quotidienne dans la lignée de ses toiles peintes à La Nouvelle-Orléans.

        En 1874, la première exposition des peintres impressionnistes va se dérouler dans les locaux du photographe Nadar à Paris. Il y participera avec ses amis avant-gardistes. Son exploration de certains thèmes nouveaux et moyens picturaux inédits commencera.

     

     

     

  • L'âge d'or hollandais - De Rembrandt à Vermeer

     

    Mes "coups de coeur"

     

     

          Je reviens une dernière fois sur l'exposition qui se tient actuellement jusqu'au 7 février prochain à la Pinacothèque de Paris. Le Rijksmuseum d'Amsterdam qui s'est séparé de quelques-unes des œuvres qui font sa richesse, les a confiées à la France pour quelques mois. Les reverrons-nous un jour ?

          J'ai consacré mon dernier article exclusivement à Vermeer et sa Lettre d'amour. Je me devais de montrer quelques-unes des autres toiles présentes dans l'exposition.

          Aujourd'hui, je décris mes « coups de cœur » rencontrés tout au long du parcours de visite menant à la petite toile de Vermeer qui clôture l'exposition. Mon choix est évidemment subjectif compte tenu de l'exceptionnelle qualité des toiles présentées.

          Au départ, j'avais prévu de me limiter à 8 tableaux seulement et, finalement, je n'ai pu me résigner à en supprimer certaines. J'ai donc choisi 12 tableaux qui viennent tous du Rijksmuseum. Ceux-ci m'ont paru les plus représentatifs de l'extrême diversité des talents qui oeuvraient dans le bouillonnement artistique de ce siècle d'or.

     

          Un état de grâce submerge la peinture au cours de ce 17ème siècle hollandais...

          Pour la première fois, au Pays-Bas, ce n'est plus l'histoire sainte, la mythologie grecque ou l'histoire qui deviennent le thème central du tableau, mais la vie quotidienne des gens.

          Un art libre s'installe. Le peuple néerlandais est prospère et la demeure familiale s'impose comme le modèle idéal pour le pays. Les principaux acheteurs deviennent des bourgeois aisés. Les peintres se spécialisent en fonction de la demande et de leurs goûts propres : portraits, paysages, natures mortes, églises et scènes de genre. Ces dernières, de dimensions réduites, s'accrochent plus facilement dans les salons. L'art est présent partout, même dans les demeures les plus humbles.

          Quelques uns des plus grands peintres de l'histoire mondiale de la peinture s'épanouissent dans cet âge d'or : Rembrandt, Vermeer et Hals rayonnent, accompagnés par un bouquet de peintres exceptionnels aux talents variés.

     

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    Rembrandt Harmensz van Rijn – Le reniement de Saint-Pierre, 1660

     

          A tout seigneur, tout honneur !

          Rembrandt est considéré comme un des plus grands peintres de tous les temps. Il est le génie universellement admiré.

          Dans ma sélection, il est le seul peintre pour lequel j'ai choisi de présenter deux œuvres. La deuxième œuvre clôturera ma sélection. Je montre Le reniement de Saint-Pierre en premier.

          Je suis resté longtemps planté devant ce tableau qui est, à mes yeux, avec La lettre d'amour de Vermeer, l'œuvre majeure de l'exposition.

          Toute la virtuosité du peintre est concentrée dans cette grande toile montrant une scène biblique. « On ne peut voir un Rembrandt sans croire en Dieu, disait Van Gogh ».

          Quel morceau de peinture ! Une obscurité aux tonalités brunes est percée d'une lumière irréelle qui jaillit en son centre. Cette clarté provient d'une bougie dont la lueur traverse la main d'une servante et éclabousse l'habit et le visage de Saint-Pierre. Sur la droite, dans la pénombre, le Christ se tourne vers le saint dans un ultime reproche.

          La manière exceptionnelle de Rembrandt nous saisit : ambiance crépusculaire, empâtements, transparences lumineuses, couleurs monochromes. Quelque chose de surnaturel...

     

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          Pas facile d'être une femme peintre à cette époque !

          Fille de botaniste et femme de peintre, elle acquiert une technique éblouissante dans la peinture des fleurs. La finesse dans le rendu des détails est d'une précision étonnante.

     

     

     

     

     

     

     

     Rachel Ruysch – Nature morte de fleurs sur une table de marbre, 1716

     

       

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    Hendrick ter Brugghen – Adoration des rois mages, 1619 

     

          Le peintre voyage en Italie et revient ébloui par Le Caravage dont il reproduit la lumière artificielle et les contrastes dramatiques.

          Les grandes toiles religieuses ne sont pas très courantes à cette époque. J'ai été frappé par l'étrange enfant Jésus au visage de vieillard trempant ses mains dans la coupe qui lui est tendue. Les personnages sont superbement modelés. La finesse et l'harmonie des couleurs éclatent.

     

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    Nicolaes Berchem – Troupeau de bétail traversant le gué, 1656 

     

          Parmi plusieurs paysages, mon choix a porté sur celui-ci. Ce peintre, ami du plus connu des paysagistes hollandais Jacob van Ruysdael, bénéficia d'un important succès de son vivant. Il peignait des paysages remplis de personnages et d'animaux d'une grande maîtrise technique.

          J'aime le coucher de soleil éclairant la scène d'une couleur automnale.

      

    portraithomme.jpg         Un style peu conventionnel. Ce peintre est incontestablement le plus talentueux avec Rembrandt dans l'art du portrait. Rembrandt aurait bien pu s'inspirer de cette liberté de touches sans rivale à Haarlem où il résidait. Il avait le talent de fixer à grands traits, rapidement, par des coups de pinceaux forts et vivaces, l'impression fugitive donnée par ses modèles. Déjà l'impressionnisme ?

           Je n'ai pas oublié La bohémienne au regard coquin du Louvre ! Les contemporains de Hals appelaient « l'écriture du maître » cette technique audacieuse et vivante.

           Dans ce portrait, d'une touche relachée et souple il saisit le caractère aristocratique et l'élégance de l'homme. La virtuosité du rendu de la collerette impressionne...

     

          Frans Hals – Portrait d’homme, 1635 

     

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          Peintre d'un monde élégant, raffiné.

          Une impression d'éternité poétique se dégage de la jeune femme fille, probablement la sœur de l'artiste, travestie en paysanne.

           Le clair-obscur, la virtuosité des coloris, la douceur de la lumière ne sont pas très éloignés des toiles de Vermeer. Les deux hommes devaient d'ailleurs être intimes car Ter Borch apposa sa signature sur un acte notarié, à côté de celle de Vermeer, deux jours après le mariage de celui-ci.

     

     

                                                                    Gérard ter Borch – Jeune fille en costume de paysanne, 1650 

     

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          On discute les prix dans un atelier de tailleur où de jeunes apprentis sont concentrés sur leur ouvrage.

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     Quiringh van Brekelenkam – L’atelier du tailleur, 1661

     

     Nicolas maes-vieillefemmeenprière.jpg 

     

          C'est un éloge de la piété dans la vie quotidienne.

          La femme prie devant son repas. La jouissance des biens du monde doit conduire à Dieu, disait-on. Le chat, symbole de convoitise, tente de profiter de l'extase de cette femme âgée pour s'approprier quelques aliments.

          Une belle lumière accentue l'intimité de la scène.

     

      

                                                                                      Nicolaes Maes - Vieille femme en prière, 1656

     

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          On prie beaucoup à cette époque ! Cette fois, il s'agit d'un couple d'humbles paysans. La lumière modestement dispensée par une lucarne sur le côté enveloppe la jeune femme magnifiquement.

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Cornelis Bega – Le bénédicité, 1663 

       

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    Pieter de Hooch – Scène d’intérieur avec une mère épouillant son enfant, 1660
     

           De Hooch fut l'artiste novateur de cette nouvelle peinture de genre hollandaise représentant la vie quotidienne dans des scènes familiales d'intérieurs bourgeois ouverts sur des cours illuminées où des enfants s'amusent.

          Dans cette toile, l'épouillage de l'enfant par sa mère symbolise le bonheur familial et la propreté dont la ville de Delft avait la réputation. L'échappée sur une autre pièce où la lumière pénètre de l'extérieur accentue la perspective et les effets de contre-jour éclairant tout le tableau.

          C'est un éloge de la vie domestique dans un foyer hollandais net et serein...

     

     

  • Trois femmes pour le prix d'une

     

    MONET Claude - Femmes au jardin, 1867, musée d'Orsay, Paris

     

     

     

         Monet est amoureux. Au printemps 1867, il vit son amour avec Camille dans une petite maison de banlieue entourée d’un jardin, à Sèvres, près de Ville-d’Avray. Les parfums fruités des boutons de roses libérant leurs corolles envahissent l'air.

         Fort du succès obtenu au Salon précédent, l’artiste s’obstine à peindre de nouveau un tableau grand format, une sorte de rattrapage à son Déjeuner sur l’herbe inachevé. Le projet est d’importance : 2,50 mètres de hauteur ; des figures en plein air de jeunes femmes grandeur nature installées au bord d’une allée sur une pelouse ensoleillée.

     

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         Monet souhaite peindre la toile entièrement sur le motif, dans le jardin. Il n’a pas lésiné sur les moyens pour réussir son travail. Un fossé a été creusé dans la terre pour pouvoir enfouir progressivement la peinture lorsqu’il en peint le haut. Un système de poulies permet de faire monter ou descendre la toile à la manivelle.

         Le projet du peintre : représenter quatre jeunes femmes revêtues de robes d’été élégantes. Faute de moyens financiers, la plupart des robes utilisées pour le Déjeuner seront réutilisées. Deux modèles sont disponibles : Camille et une amie. « Qu’importe tu seras les trois femmes qui seront sur la gauche de la toile, dit le peintre à Camille ! » Gentiment, elle s’exécute. Chaque jour, elle change de robe comme de personnage.

         Assise au centre, la toilette de la jeune femme est splendide : une robe et une veste blanches peinture,monet,camille,impressionnismeornées d’élégantes broderies en arabesques noires. Paupières baissées sous l’ombrelle saumon, son regard se penche vers le bouquet de fleurs blotti au creux de sa robe dont le jupon blanc déborde de l’allée. La lumière traverse l’ombrelle et chauffe son visage. La tendance de l’été est au petit chapeau à galettes qui lui enserre les cheveux.

     

     

     

     

        Derrière Camille, c’est à nouveau Camille qui pose pour les deux femmes debout dans l’ombre : de profil, en crinoline blanche rayée de vert, coiffée d’un autre curieux petit chapeaupeinture,monet,camille,impressionnisme posé sur le chignon dont le ruban blanc lui tombe jusqu’au bas du dos ; de face, jupe droite beige, le visage enfouit dans un bouquet de fleurs, ses grands yeux foncés regardant son Claude qui travaille inlassablement.

         Au fond de l’allée rosâtre, une quatrième femme aux cheveux roux cueille une rose. Sa robe en mousseline blanche à pois noirs illumine tout le tableau qui est traversé d’une lumière du jour exceptionnelle.

     

     

     

     

     

     

     

     

     

         La nouvelle manière de peindre de Monet ne plait pas au monde poussiéreux du Salon. Ses Femmes au jardin ne sont pas acceptées par le jury du Salon de 1867. Tous ses amis sont également refusés. La plupart, dégoutés, vont envisager de montrer leur travail dans une Exposition des Refusés.

         « Qu’ils aillent se faire… éructe Monet en apprenant la décision du jury ! ». Il est d’autant plus furieux qu’il ressent ce rejet comme une insulte envers sa gracieuse compagne, omniprésente sur la grande toile, elle qui avait fait l’objet de commentaires grandiloquents au même Salon de l’année précédente dans La femme à la robe verte.

     

        Malgré les ennuis financiers, une grande joie va arriver dans le couple. En août de cette même année, Camille donne naissance à son fils Jean. Elle a vingt ans, Claude n’en a pas encore vingt-sept. Occupé à peindre des paysages chez ses parents à Sainte-Adresse en Normandie, il ne peut être présent à l’accouchement. Le travail avant tout…

         Le fidèle Bazille sera le parrain de l’enfant et, pour aider ses amis, il achète Femmes au jardin.

     

     

     

  • Jean Piat, le panache

     

    jean piat,cyrano de bergerac

     

     

         J’ai déjà publié plusieurs articles au moment du décès de personnes que j’aimais : France Gall, Michel Delpech, Jean Ferrat, Aimé Césaire. Tous des grands dans la chanson ou la poésie.

         Une nouvelle fois, un immense artiste vient de nous quitter : Jean Piat. Cela m’a particulièrement touché car j’ai suivi une bonne partie de sa carrière d’homme de théâtre. Le cinéma le délaissa, mais la télévision lui offrit l'un de ses plus grands rôles qui le fit connaître du grand public : l'inoubliable Robert d'Artois des Rois maudits de Maurice Druon. 

         Au cours de ces dix dernières années, je suis allé deux fois voir l’artiste dans des pièces qu’il interprétait avec toujours autant de talent malgré le poids des années : La maison du lac et Pièces d’identité de sa compagne Françoise Dorin décédée elle aussi en début d’année. Il jouait encore l'année dernière sa dernière pièce Love Letters avec Mylène Demongeot.

         Sociétaire de la Comédie Française durant 27 années, Jean Piat joua la plupart des grands rôles du répertoire : Don César du Ruy Blas de Victor Hugo, Figaro du Barbier de Séville de Beaumarchais, et de nombreux autres. "Ah ! Molière, disait-il". Il possédait des qualités d’homme de théâtre exceptionnelles : finesse d’esprit, humour, élégance, un charme amplifié par une voix chaude et des yeux bleus constamment malicieux.

         Il restera l’un des plus brillants interprètes du Cyrano de Bergerac d’Edmond Rostand qu’il joua près de 400 fois dans les années 1960. Valeureux, héroïques, tendres, les vers de Rostand vibraient, raisonnaient, s'entrechoquaient dans cette voix superbement timbrée immédiatement reconnaissable. 

         Au moment du grand départ, le 18 septembre dernier, peut-être s’est-il souvenu des dernières paroles de Cyrano mourant qui venait d’avouer à Roxane un amour que sa laideur avait toujours empêché de déclarer.

     

     

    CYRANO DE BERGERAC - Edmond Rostand

     

    Cinquième acte, fin de la scène VI

     

     

     

    Je crois qu’elle regarde…
    Qu’elle ose regarder mon nez, cette Camarde !

    (Il lève son épée.)



    Que dites-vous ?… C’est inutile ?… Je le sais !
    Mais on ne se bat pas dans l’espoir du succès !
    Non ! non, c’est bien plus beau lorsque c’est inutile !
    — Qu’est-ce que c’est que tous ceux-là ! – Vous êtes mille ?
    Ah ! je vous reconnais, tous mes vieux ennemis !
    Le Mensonge ?

    (Il frappe de son épée le vide.)



    Tiens, tiens ! -Ha ! ha ! les Compromis,
    Les Préjugés, les Lâchetés !…

    (Il frappe.)



    Que je pactise ?
    Jamais, jamais ! -Ah ! te voilà, toi, la Sottise !
    — Je sais bien qu’à la fin vous me mettrez à bas ;
    N’importe : je me bats ! je me bats ! je me bats !

    (Il fait des moulinets immenses et s’arrête haletant.)



    Oui, vous m’arrachez tout, le laurier et la rose !
    Arrachez ! Il y a malgré vous quelque chose
    Que j’emporte, et ce soir, quand j’entrerai chez Dieu,
    Mon salut balaiera largement le seuil bleu,
    Quelque chose que sans un pli, sans une tache,
    J’emporte malgré vous,

    (Il s’élance l’épée haute.)



    et c’est…

    (L’épée s’échappe de ses mains, il chancelle, tombe dans les bras de Le Bret et de Ragueneau.)

     

     

    Roxane, se penchant sur lui et lui baisant le front.



    C’est ?…

     

    Cyrano, rouvre les yeux, la reconnaît et dit en souriant.

     

     

    Mon panache.

     

     

  • À ma fille Marie

     

    jean-Louis Trintignant, Marie Trintignant

     

         J’ai la sensation que personne n’a vu mon dernier article consacré à une soirée exceptionnelle que je venais d’écouter sur France Culture : des poésies dites par Jean-Louis Trintignant sur une musique d’Astor Piazzolla. Je l’annule et le publie à nouveau. Mon hébergeur n'a pas dû faire suivre la newsletter.

         La lecture d'extraits du poème "Marche à l'amour" de Gaston Miron, dédié à sa fille Marie, m'a profondément touché.

         Le comédien a découpé le poème en plusieurs extraits plus courts en ne gardant que ceux qui exprimaient le mieux son amour pour Marie.

         C'était magnifique et émouvant.

         À écouter :

     

    https://www.youtube.com/watch?v=grNY9uvv12Q

     

         La version texte de ce superbe poème peut être lue ci-dessous :

     

     

    À ma fille Marie

     

     

    Tu as les yeux vers des champs de rosées

    tu as des yeux d'aventure et d'années-lumière

    la douceur du fond des brises au mois de mai

    dans les accompagnements de ma vie en friche

    avec cette chaleur d'oiseau à ton corps craintif

    moi qui suis charpente et beaucoup de fardoches

    moi je fonce à vive allure et entêté d'avenir

    la tête en bas comme un bison dans son destin

    la blancheur des nénuphars s'élève jusqu'à ton cou

    pour la conjuration de mes manitous maléfiques

    avec cette tache errante de chevreuil que tu as

    tu viendras tout ensoleillée d'existence

    la bouche envahie par la fraîcheur des herbes

    le corps mûri par les jardins oubliés

    où tes seins sont devenus des envoûtements

    tu te lèves, tu es l'aube dans mes bras

    où tu changes comme les saisons

    je te prendrai marcheur d'haleine

    à bout de misères et à bout de démesures

    je veux te faire aimer la vie

    je finirai bien par te rencontrer quelque part

    bon dieu!

    et contre tout ce qui me rend absent et douloureux

    par le mince regard qui me reste au fond du froid

    j'affirme ô mon amour que tu existes

    nouveau venu de l'amour du monde

    constelle-moi de ton corps de voie lactée

    même si j'ai fait de ma vie dans un plongeon

    une sorte de marais, une espèce de rage noire

    Même si je fus cabotin, concasseur de désespoir

    j'ai quand même idée farouche

    de t'aimer pour ta pureté

    de t'aimer pour une tendresse que je n'ai pas connue

    dans les giboulées d'étoiles de mon ciel

    l'éclair s'épanouit dans ma chair

    je passe les poings durs au vent

    j'ai un coeur de mille chevaux-vapeur

    j'ai un coeur comme la flamme d'une chandelle

    toi tu as la tête d'abîme douce n'est-ce pas

    la nuit de saule dans tes cheveux

    un visage enneigé de hasards et de fruits

    un regard entretenu de sources cachées

    et mille chants d'insectes dans tes veines

    et mille pluies de pétales dans tes caresses

    tu es mon amour

    ma clameur mon bramement

    tu es mon amour ma ceinture fléchée d'univers

    ma danse carrée des quatre coins d'horizon

    le rouet des écheveaux de mon espoir

    à cause de toi

    mon courage est un sapin toujours vert

    et j'ai du chiendent d'achigan plein l'âme

    tu es belle de tout l'avenir épargné

    d'une frêle beauté soleilleuse contre l'ombre

    je marche à toi, je titube à toi, je meurs de toi

    lentement je m'affale de tout mon long dans l'âme

    je marche à toi, je titube à toi, je bois

    à la gourde vide du sens de la vie

    à ces pas semés dans les rues sans nord ni sud

    à ces taloches de vent sans queue et sans tête

    je n'ai plus de visage pour l'amour

    je n'ai plus de visage pour rien de rien

    parfois je m'assois par pitié de moi

    j'ouvre mes bras à la croix des sommeils

    mon corps est un dernier réseau de tics amoureux      

    avec à mes doigts les ficelles des souvenirs perdus

    je n'attends pas à demain je t'attends

    je n'attends pas la fin du monde je t'attends

    dégagé de la fausse auréole de ma vie

     

    Gaston Miron, L’Homme Rapaillé

     

     

  • Gustave Courbet, le maître d'Ornans : 12. Oct. 1868/août 1870

    CORRESPONDANCE - EXTRAITS CHOISIS

     

     

         « En temps ordinaire, il achevait sa soirée aux brasseries, chez « Andler » ou à la « Suisse » ; puis, à l’heure de la fermeture, en été, pendant les nuits tièdes, allait prolonger sa veille sur un banc du boulevard Saint-Michel, où son ombre énorme inquiéta d’abord les sergents de ville, qui finirent par s’y habituer. 

        […] Courbet, cette masse engourdie et fruste, avec une vision saine et un bel instinct puissant, a rayonné sur la peinture contemporaine et lui a imposé sa marque. 

           Il a su garder l’indépendance, la liberté de ses sensations. […] On peut sourire en notant les faiblesses de l’homme ; il faut s’incliner respectueusement devant l’œuvre toujours vivant, toujours fier du maître. »

      

    Gustave Courbet par André Gill

    Vingt années de Paris – 1883

      

     

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    Lettre à Maurice Richard (Ministre des Beaux-Arts depuis le 2 janvier) – Paris, le 23 juin 1870

     

     

         Cette lettre est très importante pour Gustave Courbet car il en fit plusieurs brouillons. La version ci-dessous fut publiée dans « Le Siècle » du 23 juin 1870. Je la montre dans son intégralité.

         Tout Courbet se trouve dans la très belle dernière phrase de cette lettre.

         

     

    Monsieur le Ministre,

    C’est chez mon ami Jules Dupré, à L’Isle-Adam, que j’ai appris l’insertion au Journal Officiel d’un décret qui me nomme chevalier de la Légion d’honneur.

    Ce décret, que mes opinions bien connues sur les récompenses artistiques et sur les titres nobiliaires auraient dû m’épargner, a été rendu sans mon consentement, et c’est vous, Monsieur le Ministre, qui avez cru devoir en prendre l’initiative.

    Ne craignez pas que je méconnaisse les sentiments qui vous ont guidé. Arrivant au ministère des Beaux-Arts, après une administration funeste qui semblait s’être donné la tâche de tuer l’art dans notre pays et qui y serait parvenue par corruption ou par violence, s’il ne s’était trouvé çà et là quelques hommes de cœur pour lui faire échec, vous avez tenu à signaler votre avènement par une mesure qui fit contraste avec la manière de votre prédécesseur.

    Ces procédés vous honorent, Monsieur le Ministre, mais permettez-moi de vous dire qu’ils ne sauraient rien changer ni à mon attitude ni à mes déterminations.

    Mes opinions de citoyen s’opposent à ce que j’accepte une distinction qui relève essentiellement de l’ordre monarchique. Cette décoration de la Légion d’Honneur que vous avez stipulée en mon absence et pour moi, mes principes la repoussent.

    En aucun temps, en aucun cas, pour aucune raison, je ne l’eusse acceptée. Bien moins le ferai-je aujourd’hui que les trahisons se multiplient de toutes parts et que la conscience humaine s’attriste de tant de palinodies intéressées. L’honneur n’est ni dans un titre ni dans un ruban, il est dans les actes et dans le mobile des actes. Le respect de soi-même et de ses idées en constitue la majeure part. Je m’honore en restant fidèle aux principes de toute ma vie ; si je les désertais, je quitterais l’honneur pour en prendre le signe.

    Mon sentiment d’artiste ne s’oppose pas moins à ce que j’accepte une récompense qui m’est octroyée par la main de l’Etat. L’Etat est incompétent en matière d’art. Quand il entreprend de récompenser, il usurpe sur le goût public. Son intervention est toute démoralisante, funeste à l’artiste qu’elle abuse sur sa propre valeur, funeste à l’art qu’elle enferme dans les convenances officielles et qu’elle condamne à la plus stérile médiocrité. La sagesse pour lui serait de s’abstenir. Le jour où il nous aura laissés libre, il aura rempli vis-à-vis de nous ses devoirs.

    Souffrez donc, Monsieur le Ministre, que je décline l’honneur que vous avez cru me faire. J’ai cinquante ans et j’ai toujours vécu libre. Laissez-moi terminer mon existence libre : quand je serais mort, il faudra qu’on dise de moi : « Celui-là n’a jamais appartenu à aucune école, à aucune église, à aucune institution, à aucune académie, surtout à aucun régime, si ce n’est le régime de la liberté. »

    Gustave Courbet

     

    Lettre à ses parents– Paris, le 15 juillet 1870

     

          C’est la guerre…

          Le Sénat et le corps législatif votent la guerre contre la Prusse qui est officiellement déclarée le 19 juillet.

     

      

    La guerre est déclarée. Les paysans qui ont voté oui vont la payer cher (plébiscite du 8 mai en faveur de l’Empire).Tout en débutant on va tuer 500 000 hommes, et ça n’est pas fini. Les prussiens sont déjà, à ce que l’on dit, à Belfort et marchent immédiatement sur Besançon. Chacun quitte Paris. Pour moi, je pars d’ici 5 ou 6 jours pour les bains de mer, peut-être à Guernesey, chez Victor Hugo, et reviendrai à Etretat. C’est une désolation générale. La police et le gouvernement font crier « vive la guerre » dans Paris. C’est une infamie. Tous les honnêtes gens se retirent chez eux et fuient Paris.

    Je suis comblé de compliments.* J’ai reçu trois cents lettres de compliments, comme jamais de la vie homme au monde n’a rien reçu. De l’avis de tout le monde je suis le premier homme de France. M. Thiers m’a fait venir chez lui pour me faire des compliments. Je reçois jusqu’à des princesses pour le même but, et on m’a donné un diner de 80 ou 100 personnes pour me féliciter. C’était toute la presse de Paris et les savants. […] L’acte que je viens de faire est un coup merveilleux, c’est comme un rêve, tout le monde m’envie. Je n’ai pas un opposant.

    J’ai tant de commandes dans ce moment que je ne puis pas aboutir. Aussi je pars, Paris est odieux et on peut se faire empoigner tous les jours. Je serais le 7 septembre à Ornans, pourvu que les Prussiens ne soient pas chez nous dans 8 jours… 

     

    * Concernant le refus par Courbet de la Légion d’honneur. Sa lettre au « Siècle » fait beaucoup de bruit dans Paris. Cela blesse tous les décorés et les institutions de l’Empire.

     

     

     

    Lettre à ses parents – Paris, le 9 août 1870

     

     

         Dès le début de la guerre, malgré la déclaration du maréchal Leboeuf selon qui l’armée française était prête jusqu’au dernier bouton de guêtres, la défense se désorganise rapidement. Le 12 août, le commandement général sera remis au maréchal Bazaine.

     

     

    Nous sommes dans un moment indescriptible, je ne sais comment nous en sortirons. Monsieur Napoléon a fait une guerre de dynastie pour lui. Il s’est mis généralissime des armées, et c’est un crétin qui marche sans plan de campagne dans son orgueil ridicule et coupable. Nous sommes battus sur toute la ligne. Nos généraux donnent leur démission et on attend les ennemis à Paris. D’autre part, on dit qu’ils marchent sur la Franche-Comté. Ils ont passé le Rhin à Colmar, ils ont déjà la Lorraine et l’Alsace. […] Voilà enfin où ces fameux animaux de paysans nous ont mis en votant oui, voilà ce que c’est que la France napoléonienne. L’Empire, c’est l’invasion. Si cette invasion nous en débarrasse, nous y gagnerons encore, car Napoléon, en une année de règne, nous coûte plus cher qu’une invasion. Je crois que nous allons redevenir français.

    C’est un massacre abominable et tout cela pour une guerre sans motif.

     

     

  • Gustave Courbet, le maître d'Ornans : 10. Nov. 1864/juin 1865

     

    CORRESPONDANCE - EXTRAITS CHOISIS

     

     

         « Elle bondit en cascade, de roches en roches, c’est une chute d’eau brisée par mille accidents : la Loue est un fleuve qui s’élance, qui tombe dans toute sa grandeur, dans toute sa beauté, bouillonne en trois jets immenses sur des blocs énormes et pressée et captive de s’affranchir, s’échappe en nuages de poussière humide, ou en innombrables cascatelles. Quelque chose qui est particulier à ce spectacle, c’est qu’il tourmente tous les sens par je ne sais quel excès d’émotion. L’œil se trouble, l’oreille s’effraie, la pensée se fatigue et s’éteint. Sur la montagne qui domine ces imposantes beautés, tout est silence." 

     

    Charles Nodier, « Voyages pittoresques et romantiques de l’ancienne France, Franche-Comté,

    Paris, J. Didot, 1825

     

     

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    Gustave Courbet – Le bateau de pêche, 1865,  The Metropolitan Museum of Art, New York

     

     

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    Gustave Courbet – Marée basse à Trouville, 1865, Walker Art Gallery, Liverpool

     

     

         Le 13 janvier 1865, Courbet écrit à Jules Castagnary : « Vous verrez s’il y a encore moyen de faire son portrait. […] J’irais immédiatement à Paris, et je ferais le portrait de Proudhon comme je vous l’ai déjà dit, travaillant rue d’Enfer sur le pas de son escalier, entouré de ses enfants jouant au sable. Ceci est extrêmement important. S’il meurt sans son portrait, jamais on ne l’aura par l’indifférence qu’il a eue jusqu’ici. Et c’est à nous qu’il appartient de l’avoir et de le faire, comme il le mérite, pour la postérité. »

         Le philosophe Pierre-Joseph Proudhon mourut 6 jours plus tard, le 19 janvier 1865.

     

     

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    Gustave Courbet – Pierre-Joseph Proudhon, 1865,  Musée du Petit Palais, Paris

     

     

     

    Lettre à Gustave Chaudey (magistrat et journaliste, légataire de Proudhon) – Ornans, le 24 janvier 1865

     

    Le 19e siècle vient de perdre son pilote, et l’homme qui l’a produit. Nous restons sans boussole, et l’humanité et la révolution à la dérive sans son autorité, va retomber de nouveau entre les mains des soldats et de la barbarie.

    Chacun, même le plus ignorant, a senti le coup qui le frappait en apprenant la mort de notre pauvre ami Proudhon. Ce cher ami Buchon vient de m’écrire une lettre désespérée, remplie de larmes.

    Pour mon propre compte je suis dans une prostration mentale, et un découragement que je n’ai ressenti qu’une fois dans ma vie, c’était au deux décembre (coup d’Etat du 2 décembre 1851), au deux décembre je me suis mis au lit et j’ai vomi trois jours durant.

    Comme Proudhon je n’admets pas qu’on dévoie la révolution en lâchant un os au peuple, la révolution doit revenir à qui de droit, la révolution doit venir de tout le monde et de personne. Si nous arrivons à la liberté nous établirons la révolution.

     

     

    Lettre à Jules Luquet (marchand d’art) – Ornans, vers février-mars 1865

     

    Le tableau que je fais en ce moment est un tableau historique de P.-J. Proudhon. Il est dans sa petite cour, rue d’Enfer, travaillant comme il en avait l’habitude, à côté de sa femme et de ses enfants. Ce tableau est dans ses goûts et ses habitudes, je lui avais soumis l’idée. Il était entièrement partisan. Seulement, dans son humilité il ne croyait valoir ni la peine ni l’importance d’un tableau. Mais pour moi, c’est un devoir extrêmement important que j’accomplis avec plaisir et religion, car c’est le seul homme qui représentait et mon pays et ce que je pense. Ce tableau a 1 m 90 de longueur et 1 m 48 de largeur.

    […] Quand il ne pleuvait pas, il avait l’habitude de porter sur les trois marches d’escalier tout son bibelot, ses livres, ses papiers, son portefeuille, son écritoire, et, par le soleil, sa femme et ses enfants venaient travailler près de lui. Mon tableau représente donc cette cour.

    […]

    Mon tableau me plaît et touche tout le monde ici. Il a été fait en trente-six jours. Je suis à moitié mort ; tu verras, c’est très original. 

     

         Par manque de temps, sur la toile de Proudhon envoyée au peinture,courbet,ornans,réalismeSalon, la femme de Proudhon n’était pas assez ressemblante aux yeux du peintre. Mécontent, après le Salon, il décida d’effacer madame Proudhon de la composition. Plus tard, il exécutera un « Portrait de Mme Proudhon ».

     

      

     

     

     

     

      

     Gustave Courbet – Madame Proudhon, 1865,  musée d’Orsay, Paris

     

     

         Courbet aurait-il l’intention de se marier ? Il est vrai qu’il a déjà 45 ans… Se sent-il  fatigué de sa vie de bohème ? Il apparaît dans les deux lettres ci-dessous qu’une de ses amies essaierait de le marier à une obscure femme, peintre de fleurs, Céline N., de Lons-le-Saunier.

    Cette possible rencontre donne à l’artiste des accents lyriques.

     

     

     

    Lettre à Lydie Joliclerc– Ornans, le samedi 15 avril 1865

     

    Maintenant, ma chère Lydie, j’avoue que je vois des horizons tout bleus. Vous qui êtes mon homme d’affaire, la dispensatrice de mon bonheur, vous qui tenez mon avenir entre vos mains, vous qui d’un mot ou d’une démarche pouvez changer le cours de mon existence, volez, bel oiseau voyageur, volez à tire-d’ailes du côté de Lons-le-Saunier et rapportez-moi un oiseau du paradis semblable à vous. La saison y prête, chacun fait son nid.

    J’ai vu à l’exposition de Besançon les fleurs que sème l’oiseau qui m’enchante le jour, qui m’enchante la nuit. Je plante des bocages tant que je peux à Ornans pour qu’il désire y faire son nid. Ah ! chère dame, vous qui pouvez ce que vous voulez, volez, volez.

    Nous ferons, espérons-le, une génération de peintres et d’artistes de toute manière, nous implanterons un monde, croyons-le, plus intelligent que celui qui existe dans notre pays. L’activité que nécessite le genre de vie que je me suis créé me fatigue. Je voudrais quelqu’un qui m’aide et me soutienne. Ma liberté est bien grande, mais les oiseaux aiment la liberté. C’est ce qui fait leur attrait, et ce qui les décore. C’est leur propre plumage, aussi ne doivent-ils rien à personne. […] Mais allez donc, belle dame, il me semble dans mon impatience que vous ne vous remuez pas.

     

     

    Lettre à Lydie Joliclerc– Paris, vers juin 1865

     

     

    Vous allez voir si je suis malheureux. […] J’ai oublié encore une fois de demander le portrait de Céline. J’ai oublié de lui envoyer le mien. Il faut croire que je suis toqué. Céline va plus fort que moi, c’est ce qu’il faut. Il faut que ce soit elle qui le désire pour être heureuse. Je suis trop gros ! * Je suis trop vieux ! Voilà des points terribles. Pourtant, comme je l’ai dit à Stéphanie, je suis un des plus jeunes de mes contemporains dans les hommes connus ou célèbres. Ça doit être de peu d’importance pour elle, puisqu’elle voulait se marier avec M. de Lamartine

  • Les Fleurs du Mal sur Calaméo

     

    Introduction du recueil :

     

            « Charles Baudelaire commença à écrire les poèmes des « Fleurs du mal » à partir des années 1840, son recueil ne sera publié qu’en 1857 et sera suivi ensuite de rééditions accompagnées d’autres poèmes qui viendront se rajouter à cette première publication. Ce sera l’unique recueil de vers composé par l’écrivain. Il est structuré en six parties : Spleen et Idéal, Tableaux parisiens, Le Vin, Fleurs du Mal, Révolte, La Mort.

         Oeuvre majeure de la poésie française, la profonde admiration que m’inspire les vers de Charles Baudelaire m’a incité à publier une sélection de mes poèmes préférés des Fleurs du Mal.

         Ces poèmes choisis — j’ai malheureusement dû limiter mes choix — sont illustrés de tableaux qui, subjectivement, m’ont paru correspondre le mieux au thème de chacun de ceux-ci. »

     

         Par rapport à la publication que j'avais déjà faite en trois parties sur le blog, j'ai rajouté quelques poèmes dans ce recueil présenté sous forme de livre .

          La plateforme de publication et de partage de documents en ligne Calaméo permet de feuilleter et consulter de façon dynamique, avec une extrême simplicité, un document numérique. Ses fonctions interactives permettent d’adapter la vision la plus confortable pour chacun. Pour les personnes qui préfèrent lire ses magnifiques poèmes sur des liseuses ou tablettes, je peux leur envoyer un fichier PDF.

          Pour lire, il suffit de cliquer sur la couverture ci-dessous, ou sur le widget correspondant dans l'en-tête du blog  :

     

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         Bonne lecture et excellent 1er mai parfumé de muguet.

     

     PS : J’apprécie le blog d’Emma (Eperluette) qui a beaucoup publié sur Calaméo. Sa Calaméothèque est un régal. Je souhaiterais associer à Baudelaire le petit recueil de poésie qu’elle m’envoie. Je pense que Baudelaire apprécierait la poésie et l’humour contenus dans ces lignes.

    Merci Emma : Clic

     

  • Fêtes galantes/3 - Amour et libertinage

     watteau

    Antoine Watteau – Les deux cousines, 1720, Musée du Louvre, Paris

     

     

         Dans ce troisième article, je publie 7 autres poèmes des Fêtes Galantes de Paul Verlaine. J’ai hésité longuement sur le choix des nombreux tableaux d’Antoine Watteau qui auraient pu les accompagner.

     

     

     

     

    « Avec Verlaine, le français devient une langue musicale à part entière. » — Patrick Godfard « Les fêtes galantes ou les rêveries de Watteau et Verlaine »

     

     

    L’ALLÉE

     

    watteau

    Antoine Watteau – L'Accord parfait, 1719, Musée d'Art du Comté de Los Angelès

     

     

    Fardée et peinte comme au temps des bergeries,
    Frêle parmi les nœuds énormes de rubans,
    Elle passe, sous les ramures assombries,
    Dans l’allée où verdit la mousse des vieux bancs,
    Avec mille façons et mille afféteries
    Qu’on garde d’ordinaire aux perruches chéries.
    Sa longue robe à queue est bleue, et l’éventail
    Qu’elle froisse en ses doigts fluets aux larges bagues
    S’égaie un des sujets érotiques, si vagues
    Qu’elle sourit, tout en rêvant, à maint détail.
    — Blonde en somme. Le nez mignon avec la bouche
    Incarnadine, grasse, et divine d’orgueil
    Inconscient. — D’ailleurs plus fine que la mouche
    Qui ravive l’éclat un peu niais de l’œil.

     

     

    CORTÈGE

     

     watteau

    Antoine Watteau – Le singe sculpture, 1710, Musée des Beaux-Arts d’Orléans

     

     

    Un singe en veste de brocart
    Trotte et gambade devant elle
    Qui froisse un mouchoir de dentelle
    Dans sa main gantée avec art,

    Tandis qu’un négrillon tout rouge
    Maintient à tour de bras les pans
    De sa lourde robe en suspens,
    Attentif à tout pli qui bouge ;

    Le singe ne perd pas des yeux
    La gorge blanche de la dame.
    Opulent trésor que réclame
    Le torse nu de l’un des dieux ;


    Le négrillon parfois soulève
    Plus haut qu’il ne faut, l’aigrefin,
    Son fardeau somptueux, afin
    De voir ce dont la nuit il rêve ;

    Elle va par les escaliers
    Et ne paraît pas davantage
    Sensible à l’insolent suffrage
    De ses animaux familiers.

     

     

    LES COQUILLAGES

     

    « Mais un, entre autres, me troubla »

    Victor Hugo réjouit par la métaphore à caractère sexuel du poème, s’exclama : « Quel bijou que le dernier vers ! » 

    Le coquillage est le symbole de Vénus - on pourrait penser à la « Naissance de Vénus » de Botticelli - qui, par sa forme, est ainsi comparé aux bijoux indiscrets.

     

     watteau

    Antoine Watteau – Étude de coquillage, 1721

     

     

    Chaque coquillage incrusté
    Dans la grotte où nous nous aimâmes
    A sa particularité

    L’un a la pourpre de nos âmes
    Dérobée au sang de nos cœurs
    Quand je brûle et que tu t’enflammes ;

    Cet autre affecte tes langueurs
    Et tes pâleurs alors que, lasse,
    Tu m’en veux de mes yeux moqueurs ;

    Celui-ci contrefait la grâce
    De ton oreille, et celui-là
    Ta nuque rose, courte et grasse ;

    Mais un, entre autres, me troubla.

     

     

    DANS LA GROTTE

     

    watteau

    Antoine Watteau – Le faux pas, 1718, Musée du Louvre, Paris

     

     

    Là ! Je me tue à vos genoux !
            Car ma détresse est infinie,
    Et la tigresse épouvantable d’Hyrcanie
            Est une agnelle au prix de vous.

            Oui, céans, cruelle Clymène,
            Ce glaive qui, dans maints combats,
    Mit tant de Scipions et de Cyrus à bas,
            Va finir ma vie et ma peine !

            Ai-je même besoin de lui
            Pour descendre aux Champs-Élysées ?
    Amour perça-t-il pas de flèches aiguisées
            Mon cœur, dès que votre œil m’eût lui ?

     

     

    EN BATEAU

     

    watteau

    Antoine Watteau – L’embarquement pour Cythère (détail), 1719, Schloss Charlottenburg, Berlin

     

     

    L’étoile du berger tremblote
    Dans l’eau plus noire et le pilote
    Cherche un briquet dans sa culotte.

    C’est l’instant, Messieurs, ou jamais,
    D’être audacieux, et je mets
    Mes deux mains partout désormais !

    Le chevalier Atys qui gratte
    Sa guitare, à Chloris l’ingrate
    Lance une œillade scélérate.

    L’abbé confesse bas Églé,
    Et ce vicomte déréglé
    Des champs donne à son cœur la clé.

    Cependant la lune se lève
    Et l’esquif en sa course brève
    File gaîment sur l’eau qui rêve.

     

     

    COLOMBINE

     

    watteau

    Antoine Watteau – Divertissement social en plein air, 1718, Gemäldegalerie, Dresden

     

     

    Léandre le sot,
    Pierrot qui d’un saut
            De puce
    Franchit le buisson,
    Cassandre sous son
            Capuce,

    Arlequin aussi,
    Cet aigrefin si
            Fantasque
    Aux costumes fous,
    Ses yeux luisants sous
            Son masque,

    — Do, mi, sol, mi, fa, —
    Tout ce monde va,
            Rit, chante
    Et danse devant
    Une belle enfant
            Méchante


    Dont les yeux pervers
    Comme les yeux verts
            Des chattes
    Gardent ses appas

    Et disent : « A bas
            Les pattes ! »

    — Eux ils vont toujours ! —
    Fatidique cours
            Des astres,
    Oh ! dis-moi vers quels
    Mornes ou cruels
            Désastres

    L’implacable enfant,
    Preste et relevant
            Ses jupes,
    La rose au chapeau,
    Conduit son troupeau
            De dupes ?

     

     

    LES INDOLENTS

     

    watteau

    Antoine Watteau – La Boudeuse, 1718, Hermitage Museum, Saint-Pétersbourg

     

     

    Bah ! malgré les destins jaloux,
    Mourons ensemble, voulez-vous ?
    — La proposition est rare.

    — Le rare est le bon. Donc mourons
    Comme dans les Décamérons.
    — Hi ! hi ! hi ! quel amant bizarre !

    — Bizarre, je ne sais. Amant
    Irréprochable, assurément.
    Si vous voulez, mourons ensemble ?

    — Monsieur, vous raillez mieux encor
    Que vous n’aimez, et parlez d’or ;
    Mais taisons-nous, si bon vous semble ?


    Si bien que ce soir-là Tircis
    Et Dorimène, à deux assis
    Non loin de deux silvains hilares,

    Eurent l’inexpiable tort
    D’ajourner une exquise mort.
    Hi ! hi ! hi ! les amants bizarres !

     

     

          Suite et fin des poèmes des Fêtes Galantes dans un prochain article.

     

     

  • Gustave Courbet, le maître d'Ornans : 2. 21 mars 1847/30 oct. 1849

    CORRESPONDANCE - EXTRAITS CHOISIS

     

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    Gustave Courbet – Autoportrait dit Le fou de peur, 1843, Musée National, Oslo 

     

         La toile exposée à nos regards, traitée avec un sans-façon rustique, comme le sujet, attestait une insouciance de maître, une ardeur expérimentée ; la tonalité profonde du tableau, le procédé de l’exécutant, ne rappelaient aucune école connue.  « Avec un don si rare et si merveilleux, dis-je à ce jeune homme, comment n’êtes-vous pas encore célèbre ? ». « Pardié, répliqua-t-il avec un accent franc-comtois tout champêtre ; moi je peins comme le bon dieu ».

        Voilà les premiers mots dont m’a favorisé Gustave Courbet. Il avait, en deux mots, défini son procédé. Cette toile qui illustra ses débuts c’était l’Après-dînée à Ornans.

         Delacroix que je trouvai là me dit : « Avez-vous jamais vu de pareil ni d’aussi fort sans relever de personne ? Voilà un novateur, un révolutionnaire, aussi, il éclot tout à coup sans précédent : c’est un inconnu ! ».

     

                                                     Extraits des mémoires de francis Wey - BNF

     

    Lettre à son père – Paris, vers le 21 mars 1847

     

         Courbet ne cesse d’en vouloir au jury de ce Salon qui refuse la plupart de ses toiles. Il est malheureusement obligé d’exposer pour faire connaître son travail.

     

    J’ai été refusé complètement de mes trois tableaux. J’ai comme d’habitude des compagnons d’infortune des plus célèbres. […] C’est un parti pris de ces messieurs du jury, ils refusent tous ceux qui ne sont pas de leur école, si ce n’est un ou deux contre lesquels ils ne peuvent plus lutter – MM. Delacroix, Decamps, Diaz – mais tous ceux qui ne sont pas aussi connus du public sont renvoyés sans réplique. Cela ne me contrarie pas le mois du monde au point de vue de leur jugement, mais pour se faire connaître il faut exposer et malheureusement il n’y a que cette exposition-là. Les années passées lorsque j’avais moins une manière à moi, que je faisais encore un peu comme eux, ils me recevaient, mais aujourd’hui que je suis devenu moi-même, il ne faut plus que je l’espère.

    On se remue plus que jamais pour détruire ce pouvoir-là.

     

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      Gustave Courbet – Autoportrait en violoncelliste, 1847, Musée National, Stockholm

         Le "Violoncelliste" faisait partie des trois tableaux refusés cette année là.

     

     

    Lettre à ses parents – Paris, vers le 26 juin 1848

     

          Courbet s’est fait de nouveaux amis à Paris, les anciens de Franche-Comté, et puis des nouveaux comme l’écrivain Champfleury qui deviendra son « faire savoir ». Il se lie au poète Baudelaire qui l’impressionne, écume les brasseries, la brasserie Andler surtout proche de la maison natale de Baudelaire. Installé dans son élément, il parle fort, est écouté, et s’impose.

      

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     Gustave Courbet – Portrait de Baudelaire, 1848, Musée Fabre, Montpellier

     

           Lorsque la révolte antiroyaliste de juin 1848 éclate, ils se précipitent tous pour contempler l’accouchement sanglant de la seconde République élue depuis le 24 février 1848. Cette insurrection fait suite à la dissolution des ateliers nationaux par le gouvernement.

         Courbet est républicain, sans excès. Ses amis se font arrêter, lui n’est pas inquiété et retourne à ses pinceaux.

     

    Nous sommes dans une guerre civile terrible, tout cela faute de bien s'entendre et par incertitude. Les insurgés se battent comme des lions car ils sont fusillés quand ils sont pris. Ils ont déjà fait le plus grand mal à la Garde nationale. Les provinces environnant Paris arrivent à chaque heure. Le succès n’est pas douteux car ils ne sont pas en nombre. Jusqu'ici la fusillade et le canon n'a pas arrêté une minute. C'est le spectacle le plus désolant qu'il soit possible d'imaginer. Je crois qu'il ne s'est jamais rien passé en France de semblable, pas même la Saint-Barthélemy.Tous ceux qui ne se battent pas ne peuvent sortir de chez eux car on les y ramène. La Garde nationale et la banlieue gardent toutes les rues. Je ne me bats pas pour deux raisons : d'abord parce que je n'ai pas foi dans la guerre au fusil et au canon et que ce n'est pas dans mes principes. Voila dix ans que je fais la guerre de l'intelligence, je ne serais pas conséquent avec moi-même si j’agissais autrement. La seconde raison c'est que je n'ai pas d'armes et ne puis être tenté. Ainsi, vous n’avez rien à craindre pour mon compte. Je vous écrirai dans quelques jours peut-être plus longuement. Je ne sais pas si cette lettre sortira de Paris. Je vous embrasse tous.

     

     

    Lettre à son père– Paris, vers le 17 juin 1849

     

         Louis Napoléon Bonaparte a été élu Président de la République en décembre 1848. Sa politique conservatrice et catholique ne se fait pas sans heurts.

         Courbet s’enflamme à nouveau.

     

    Mon cher Père,

    La Constitution a été violée du haut en bas, la Garde nationale a pris les faits en main. Mais si les gardes nationaux sont de fameux guerriers […], la troupe occupe tout Paris. La position est prise, de suite il est entré 30 000 mille hommes nouveaux dans Paris par diverses barrières. L'insolence de la réaction est à son comble.

    On annonçait hier soir que nous aurions un empereur ce matin. Nous sommes en état de siège. […] Hier on a fait des barricades, on a recommencé encore ce matin. Si le peuple s'en mêle ce ne sera pas pour rire. Sauf deux ou trois légions, toute la Garde nationale est pour la constitution. M. Napoléon, qui n'est pas encore empereur, se promenait a cheval sur les boulevards en saluant d'un air de protection. Il n'a pas encore reçu un seul coup de fusil, c'est encore plus malheureux.

    Pour moi, dans ces choses-là je me bats en parole tant qu’on veut. Toutes ces sottises-là ne nous arrangent pas trop, nous autres peintres. Notre exposition s’ouvrait vendredi.

     

      

         La nouvelle République, pour une fois, a ouvert les portes du Salon de 1849 sans tri et Courbet obtient donc, facilement, une médaille d’or avec sa toile « Une après-dînée à Ornans ».Il s’agit d’un grand tableau en clair-obscur, assez classique dans sa technique et son sujet campagnard dont la seule provocation est sa taille : 2,50 m X 2 m. Cette toile clôt la période de jeunesse du peintre et inaugure toute une série d’immenses tableaux à venir à partir des années 1850 que Michel Fried intitule « les toiles de la percée » qui assureront la renommée de l’artiste.

     

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       Gustave Courbet – Une après-dînée à Ornans, 1849, musée des beaux-arts, Lille

     

     

    Lettre à Francis (ami écrivain) et Marie Wey – Ornans, vers le 30 octobre 1849

     

         L’actualité politique troublée se soucie peu de peinture. 

         L’atmosphère parisienne ne convenant plus à Courbet, il décide de tenter un coup.

         Après la médaille d’or obtenue au Salon avec son « Une après-dînée à Ornans » et l’achat de sa toile par l’Etat, il annonce à ses amis parisiens que désormais il est devenu le « maître d’Ornans ». Il parcourt à pied les 25 kilomètres séparant Besançon d’Ornans. Les amis d’Ornans, prévenus, viennent à sa rencontre et on l’accueille dans le village dans la liesse, avec fanfare, banquet, discours. C’est le retour du fils prodigue, l’artiste qui triomphe à Paris.

     

    Chers amis,

    Je suis un peu comme le serpent, la torpeur m'est très familière. Dans cette sorte de béatitude on pense si bien ! Puis il est si doux de penser aux gens qu'on aime sans avoir besoin de leur dire.

    Quand je suis rentré à Ornans, ma ville natale, j'arrivais à pied de Besançon. Mes amis étaient venus sur la route à ma rencontre. Ils dînaient tous chez nous et voilà qu'au dessert Promayet sort, ses musiciens répétaient encore à la mairie, alors ils vinrent me donner une sérénade, suivis d'une grande partie de la population. Promayet, qui était chef d'orchestre, m'avait ménagé une surprise : il avait arrangé mes romances en symphonie qu'ils exécutaient fort agréablement. Je vous tiens quittes de mon allocution. Je les invitai à venir boire ; voila notre maison pleine. Il me fallut leur chanter mes romances, puis on dansa jusqu’à 5 heures du matin. Je vous laisse à penser si je dus embrasser du monde et recevoir des compliments dans toute la ville.

    Enfin, il paraît que j'ai bien honoré la ville d'Ornans.

     

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     Gustave Courbet – Les amants dans la campagne, sentiment du jeune âge, 1844, musée des Beaux-Arts, Lyon 

     

         La jolie fille qui s’appuie contre Courbet serait Virginie Binet, la seule femme avec laquelle il entretint une liaison durable. Elle lui donna un fils, né en 1847.

          Il s’agit de l’une des œuvres les plus romantiques et poétiques de l’artiste.

     

     

     

  • Cendrine, une fée conte la peinture

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         Cendrine, mon amie du blog MA PLUME FÉE DANS PARIS m’a fait le grand plaisir de publier le très bel article ci-joint afin de faire connaître mon dernier recueil de nouvelles à ses lecteurs. Je me permets d’en reproduire un extrait.

     

     

     

    Alain Yvars, Conter la Peinture

     

    Par maplumefee dans Peintures et Sculptures le 28 Août 2020 à 06:25

     

     

     

    Je veux vous parler, chers Aminautes, d'un livre que j'aime énormément !

     

    En feuilleter les pages, c'est s'installer pour partir en voyage dans un train rempli d'émotions, c'est filer, fenêtre ouverte, à travers un univers de tableaux fascinants...

     

    Entendre vibrer, tout près de soi, la voix du conteur, celui qui souffle les histoires et fait chanter la vie au rythme de son stylo.

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    Conter la Peinture... Voilà ce que m'inspire ce livre signé Alain Yvars, l'auteur du délicieusement littéraire et intense « Que les blés sont beaux », au rythme duquel nous entrions dans l'intimité de Van Gogh.

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    Conter la Peinture... Alain fait cela avec beaucoup de talent et d'amour pour les œuvres d'art et leurs auteurs ! Il fait vivre les artistes, les personnages des toiles comme des êtres de chair et ceux qui en leur temps contemplaient ces merveilles. En lisant son livre, on semble surprendre des cœurs qui frémissent à travers le papier, on perçoit, telle une friandise, la conscience des couleurs.

     

    On remonte le temps, on imagine ce qui a été, on savoure les mots, les impressions, on butine au fil des formes révélées... Il y a Vermeer, Georges de La Tour, Monet, Whistler, Winslow Homer... Il y a Degas, Seurat, Toulouse-Lautrec et Modigliani... Il y a les pleins et les déliés de la créativité généreuse !

     

    Pour ceux qui ne connaissent pas encore Alain, sachez que son érudition est également très « abordable ». Alain écrit avec beaucoup de force évocatoire et de douceur passionnée, il cultive à la fois l'élégance et la simplicité.

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    Je vous conseille ses livres, de tout cœur !

     

    A noter que les bénéfices des écrits d'Alain sont reversés à l'association Rêves qui œuvre pour apporter du bonheur aux enfants malades.

     

    Merci Alain de m'avoir envoyé « Conter la Peinture » et merci d'avoir patienté pour cette publication que j'aurais aimé faire « plus tôt »...

     

    Bien affectueusement,

     

    Cendrine

     

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         Au nom de tous les peintres dont je parle dans ce recueil, et pour les enfants de l’Association Rêves qui recevront les bénéfices de mes livres, je vous remercie sincèrement, Cendrine.

         Si quelques lecteurs, grâce à vous, ont pu apprécier le talent insolite de Modigliani, la grâce de Vermeer, ou la poésie de Winslow Homer, mes récits auront modestement aidé à la connaissance de la beauté.

         Le livre qui n’est actuellement disponible que sur Amazon devrait être bientôt visible sur autre plateforme permettant une distribution étendue sur le réseau de librairies Hachette Livre.

     

     

  • Les soldes sont arrivés

     

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    Un petit mot rapide pour tous ceux qui aiment Vincent Van Gogh.

    C’est la journée des soldes. Mon roman QUE LES BLÉS SONT BEAUX est disponible GRATUITEMENT en format Ebook jusqu’à ce soir minuit. Qu'on se le dise.

    Peut-être certains d’entre vous seront séduits par cette offre désintéressée que Vincent nous offre généreusement. Je rappelle que l’on peut lire le livre sur liseuses, tablettes, ordis, et Smartphones. J'en oublie peut-être...

     

    INTERESSANT NON !

     

    Alors pas de temps à perdre, il reste encore 10 heures 30 minutes…

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