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Rechercher : un pastelliste heureux

  • Si les lecteurs parlaient

     

         Je ne peux résister à l’immense plaisir que m’a causé mon amie Diana Auzou sur le réseau littéraire Babelio.

         À quelques jours d’intervalle, elle a lu et chroniqué mes deux recueils de nouvelles en images parus dans une collection que j’ai appelé : « Si les œuvres parlaient » et qui reprendra en série d’éventuels futurs nouveaux recueils.

     

    Conter la peinture

    12 juillet 2021

    Au bout du pinceau des histoires se racontent, au bout de la plume elle continuent à vivre.
    Alain Yvars nous raconte ces histoires. Comment ? En nous invitant à faire un voyage à l'intérieur de la peinture en copains qu'elle aime accueillir, en amis de longue date qu'elle est contente de revoir. C'est chaleureux et très intime.
    Découvrir et redécouvrir la peinture avec le même bonheur, car l'enthousiasme est le même pour le novice comme pour l'averti. Si je le dis, c'est que c'est vrai, car ceux à qui j'ai fait découvrir ce livre, tous très loin de la peinture, se sont rapprochés avec curiosité, intérêt et un énorme plaisir. Alain conte la peinture en tant que peintre, ami, hôte et complice.
    Modigliani, peintre maudit, a quitté la vie à 35 ans, mais nous a laissé une vie intense qui se dégage des ses corps stylisés et dépouillés, des regards qui gardent les secrets mélancoliques de quelques rêves non avoués.
    Alain, notre hôte et guide, tu nous racontes les couleurs : de loin, certaines sont "des taches floues baignées d'ombre et de lumière", dans la Nuit d'été de Winslow Homer, de près, elles se transforment en jeunes filles, et comme elles, nous lecteurs sommes aussitôt transfigurés. La beauté peut être si proche et, avec elle, la poésie. Timides et silencieuses elles nous murmurent : ouvrez les yeux et la porte de vos sens, laissez-les se balader entre lignes, lumières, et couleurs, à l'intérieur des histoires de fougue, de douleur, d'exaltation, d'attente patiente, d'acharnement, de don de sa vie à la peinture, de passion. Ecoutez avec le coeur.
    Liée depuis la nuit des temps au destin de l'homme, et sûrement pour longtemps encore, la peinture n'a rien perdu de son mystère, elle nous appelle depuis la grotte d'Altamira, depuis des siècles qui se sont écoulés, des chefs d'oeuvres du passé restent nos contemporains.
    Vermeer et le monde de l'intime, à peine dévoilé, souvent laissé avec son secret. A pas de velours, je suis Alain jusque dans la pièce où la femme n'ouvrira jamais la lettre d'amour. Malicieux, Alain nous prête la curiosité de l'enfant qui regarde par la serrure de la porte et nous fait découvrir la construction et la composition de la toile, les couleurs qui n'ont rien perdu de leur harmonieuse beauté, et la lumière, magique. Ça fait de longues années depuis ma dernière visite au Rijksmuseun, à Amsterdam, et là j'y suis, j'entre dans l'histoire, je veux apprendre plus et j'y crois, je suis spectateur et acteur à la fois.
    Toujours sans souffle devant l'immense peinture des Nymphéas de Monet. Tellement intime. La salle de l'Orangerie est arrondie, les murs ont reçu le don de Monet. L'hypnose est totale. A nouveau me revient en mémoire la silencieuse puissance de la peinture. Peindre l'instant, si fugitif, si changeant, et l'enlacement avec d'autres qui viennent et s'en vont, tout aussi éphémères. "La couleur se libère dans une vaste abstraction." La peinture, avant toute chose, est une émotion, elle touche, secoue, arrête le souffle, donne la chair de poule et bien des fois arrache une larme, celle que la beauté a touchée.
    Saskia, la femme de Rembrandt est très malade. le temps, lui laissera-t-il le bonheur de voir le tableau terminé ? La ronde de nuit.
    Samuel, un des élèves du maître, exprime avec conviction son excitation intérieure :
    "- Cette oeuvre survivra à toutes les autres !... Vivacité... puissance... lumière... ce dynamisme, cette furie gestuelle qui emporte votre tableau !"
    La peinture de Rembrandt me touche au plus profond par tout ce qu'elle dépasse, le sublime. Elle nous regarde depuis un lointain passé, elle est notre contemporaine et elle nous survivra.
    Et Alain, toujours avec ses lecteurs, s'extasie devant cette harmonieuse discordance où chaque élément, - masse de peinture, lignes, couleurs - est mis en valeur par l'ensemble, la lumière est plus éclatante, plus subtile, plus surprenante et plus émouvante quand elle est entourée d'obscurité, quand elle prend naissance de l'ombre.
    Regarder l'harmonie des formes et des couleurs, peser le poids, en valeur rajoutée, du vide rehausseur d'équilibre, entrer dans le rythme intérieur et la musique silencieuse, aucunement muette d'une toile, la regarder de près, pour le détails surprenants et la facture, et de loin pour se laisser combler par l'ensemble de sa force ou de sa douceur, écouter sa poésie ou son cri de désespoir.
    Je sens le grincement des dents d'Alain devant l'injuste procès qu'a dû subir la toile de Whistler Nocturne en noir et or.
    Les phrases prennent le rythme du cancan, courent, tourbillonnent s'essoufflent autour des jambes, rubans, soies et dentelles et... d'un seul coup se figent devant la Mélinite, l'impériale 
    Jane Avril. Gros plan. Le trait de Lautrec est précis, "il fixe sur le papier l'arabesque du geste, l'acuité des regards, l'expression des visages rougis par l'effort."
    La Goulue arrive aussi, "saute en l'air et retombe sur le sol les jambes cassées en deux parties", après, elle se relève et "d'un geste soudain, elle soulève ses jupons jusque la taille. La Goulue guette sa proie... ses petits yeux durs se plantent sur un homme en habit et haut de forme... Il hurla de bonheur lorsqu'elle lança sa bottine en avant en lui montrant ses dentelles. De la pointe du pied, elle fit sauter son chapeau comme un bouchon de champagne."
    "Le public était de feu ce soir !"
    C'est la fin du spectacle, les lumières s'éteignent, Monsieur Lautrec sort du Moulin Rouge pas avant de jeter "un regard possessif vers la salle enfumée. Elle lui appartient... C'est lui le maître des lieux..."
    Ta plume, Alain, est dans l'histoire de la peinture, dans la vie des peintres et de leurs modèles. Ton écriture chante, danse et dessine, s'émeut surtout au souvenir d'une vie de génie, de ses joies et de ses malheurs, de la création qui en est née et qui vit encore. La silencieuse puissance de la peinture nous happe et nous nous laissons aller avec bonheur. Un héritage à garder précieusement.
    Cher Alain, maître-ami, un très grand merci !

     

     deux petits tableaux

     

     

    08 juillet 2021

    Comment décrire un grand moment de plaisir ? Celui de l'amitié, du livre, de la peinture, d'un humour qui pointe son nez, des clins d'oeil à attraper au vol, et d'une complicité que j'ai partagée tout au long de la lecture et bien après.
    C'est le livre d'Alain Yvars Deux petits tableaux qui m'a offert tout ça. Avant de l'ouvrir, la couverture, douce et veloutée, m'a parlé un moment dans un silence mystérieux de cette oeuvre sublime et de son créateur, m'a rappelé les centaines de fois que je suis allée la regarder, avec beaucoup de monde autour ou quand la salle se dépeuplait, au moment de la fermeture du musée.
    Alain Yvars, en bon guide, m'a prise par la main pour me faire redécouvrir cette merveille de peinture, où l'intime et l'émotion sont très profonds et parlent tout bas : La dentellière de Vermeer. La magie opère à nouveau, car Alain a l'oeil, le regard du peintre, et cet arrêt du coeur quand la beauté est au rendez-vous.
    L'Astronome n'est pas loin, il tient compagnie à La Dentellière, deux oeuvres sublimes de lumière, le souffle est coupé.
    Les pages arrêtent de tourner, mais Alain m'entraîne, les peintres nous attendent, me dit-il. Renoir est présent, en pas de danse à Bougival, et au bal sur la Butte avec une bande de copains. Grâce et jeux de lumières. Nous sommes électrisés.

    Le noir joyeux de Manet, somptueux et sensuel reste dans les souvenirs les plus chers de Berthe Morisot. le "barbouillage malpropre et barbare" du peintre génial est resté comme un des plus grands tournants dans la peinture française.
    Alain Yvars est fasciné et fascinant, sa passion pour la peinture, pour la création de la beauté est sans limites. Il nous la transmet, et partage avec nous, amis lecteurs, connaissances, émotions, regards, nous sommes complices et copains avec les peintres qui nous accueillent, ce n'est que naturel. Nous sommes dans la peinture avec ses créateurs. Visite inespérée.
    Alain est acteur et spectateur à la fois et invite tout un chacun à se joindre à lui et partager ses émotions dans le monde des pinceaux géniaux, d'une matière qui garde son parfum, sa sensualité, son éclat, et son histoire.
    Delacroix et sa fougue, ses touches nerveuses s'enflamment comme lui et comme nous, et accompagnent La liberté guidant le peuple.
    Le cri de Vincent van Gogh est ressenti par L'église d'Auvers, "elle souffre cette église,... dégage comme une douleur, elle se plaint... On dirait qu'elle veut parler, exprimer quelque chose sans y parvenir... La force des couleurs et des lignes déformées lui donnait un rythme... la présence passive de la paysanne... donnait vie à son église. Celle-ci était humaine : un être fait de chair et de sang."
    Mon commentaire là-dessus serait superflu.
    Le Cirque de Toulouse Lautrec nous rappelle la virtuosité exceptionnelle de son crayon, la maîtrise de son art et, peut-être, les questions du peintre sur son propre monde, "celui d'un périlleux équilibriste tentant de comprendre son infortune, sa raison de vivre..."
    Arrivée à la dernière page je ferme le livre, ferme les yeux et sourit à tous ces génies, et à ce qu'ils nous ont laissé à nous héritiers chanceux et je remercie la plume d'Alain Yvars d'avoir créé ce moment de plaisir et de l'avoir partagé, et je souris à la bouffée d'amitié. Merci.
    C'est connu, mais je tiens à le mentionner, le geste admirable d'Alain : ses droits d'auteur sont versés à l'association Rêves qui soutient les enfants atteints de maladies graves.

     

         Que dire devant deux chroniques de ce niveau ?

        Elles confortent mes recherches depuis que j’écris sur l’art : parler de peinture autrement et simplement en laissant s’exprimer les peintres et leurs œuvres.
         Merci. Tu m’as touché, Diana.

     

     

  • Eugène DELACROIX écrivain

     

    Journal - 5.  La liberté guidant le peuple, 1830, Louvre

     

     

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         Le 23 juillet 2018 se terminait la grande exposition consacrée au peintre Eugène Delacroix.

        A cette occasion, comme je l’avais déjà fait pour les correspondances de Vincent Van Gogh et Gustave Courbet, j’avais publié une série d’extraits choisis du journal de jeunesse du peintre. Au début de l’été dernier ma publication de ce journal de jeunesse s’arrêtait à la fin de l’année 1824 et l'exposition au Salon de « Scènes des massacres de Scio ».    

       Delacroix a 24 ans lorsqu’il entreprend d’écrire un journal. Il le tiendra assidument durant deux ans de septembre 1822 à octobre 1824, puis cessera brusquement. Il ne le reprendra que 23 années plus tard, sans interruption du 1er janvier 1847 jusqu’à sa mort en 1863. En mars 1854, il note : « Il me semble que ces brimborions, écrits à la volée, sont tout ce qui reste de ma vie, à mesure qu’elle s’écoule. Mon défaut de mémoire me les rend nécessaires. »

     

       Pendant cette période d’absence de journal, l’artiste effectuera un voyage au Maroc en 1832 et peindra nombre de toiles et des décorations pour des salles du Palais Bourbon et de la bibliothèque du Sénat au Palais du Luxembourg à Paris. Je cite quelques toiles célèbres de cette période : « La mort de Sardanapale » (1827) ; « Les Femmes d’Alger dans leur appartement » (1834) ; « Médée » (1838) ; « Madeleine dans le désert » (1845).

       Une des toiles les plus connues du peintre « La liberté guidant le peuple » fut exposée au Salon de 1831. Comme souvent pour les toiles du maître, car cette femme aux seins nus coiffée d’un bonnet phrygien était loin de faire l’unanimité, les critiques furent nombreuses. Le mot « dévergondée » revenait souvent pour qualifier cette Liberté. D’autres s’indignèrent : « Dieu qu’elle est sale » ; « poissarde » ; « fille publique, faubourienne ».

         Dans un prochain article, je publierai à nouveau des extraits choisis du journal de la maturité qui ne reprendra qu'en 1847. Auparavant, je republie aujourd'hui un récit (nouvelle) écrit anciennement se rapportant à ce tableau qui montre une scène des combats qui renversèrent la royauté de Charles X en juillet 1830. Je le présente sous une forme épurée et raccourcie :

     

     

    Une odeur de poudre

     

     

     

         Le baron Louis-Auguste Schwiter s’avança vers la toile.

       Eugène Delacroix sourit en regardant l’étrange allure de son ami. Perché sur des jambes de héron, celui-ci se dandine plus qu’il ne marche. Grand et mince, il personnifie par sa mise élégante et son côté exquis le vrai gentleman anglais. Un dandy… Eugène l’apprécie.

         Le baron s’exclama, envieux :

         — Tu es un prétentieux, Eugène ! J’admets que tu es un grand peintre. De là à te représenter au premier plan de ton tableau, un fusil à la main, montant à l’assaut de cette barricade… La redingote, le haut-de-forme, la cravate soigneusement nouée… Et ce teint pâle, ces cheveux noirs, un regard de feu… Superbe ! Tu as de la chance, cher Eugène, d’être beau naturellement ! « Une tête de prince », m’a dit récemment un ami en parlant de toi.

     

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         Delacroix éclata de rire devant cette description.

        — Je n’avais pas de modèle sous la main, dit-il. Et puis je me sentais bien dans la peau de ce bourgeois fier et déterminé…

         Depuis qu’ils se connaissaient, Louis-Auguste enviait la finesse des traits d’Eugène. Il attirait les femmes comme des mouches dans les soirées mondaines. Le jeune aristocrate observa le tableau et lança sarcastique :

      — Vous, les artistes romantiques, cherchez à vous approprier ces « Trois Glorieuses » qui ont vu la mort de centaines d’hommes en juillet de l’année dernière. Combien étiez-vous de romantiques sur les barricades ? Il n’y avait que des pauvres gens encadrés par de rares bourgeois… Même Victor Hugo, le romantisme personnifié, est resté chez lui prétextant que sa femme accouchait !

         Eugène le fixa sévèrement.

         — Et toi où étais-tu ? Absent, comme les autres !…

         Le peintre cherchait les mots justes.

       — Je sais, Louis… Les jeunes romantiques que nous sommes s’exaltent. Leur enfance a été bercée par les récits d’héroïsme et de grandeur de l’Empire… Un de mes frères est tombé à Friedland… Ils rêvent de liberté, d’évasion et de rêve, mais n’ont pas le courage de se battre en vrai. Leur combat est culturel avant tout. C’est pour cela que j’ai peint ce tableau, mon ami !

         Louis-Auguste effleura d’un doigt léger le beau profil du peintre sur la toile. Une pensée le fit se retourner, excité.

         — Hugo a livré sa bataille à la première théâtrale d’Hernani l’année dernière. Tu t’en souviens ? Quel combat ! Je me suis colleté avec des classiques à coups de poing et de bâton. C’était sanglant !

         Les deux amis s’assirent face au tableau.

       — Je l’envoie au Salon la semaine prochaine, dit Eugène en se versant du vin de Loire. Beaucoup d’artistes ont choisi ces trois jours de combat comme thème d’inspiration. Louis-Philippe, notre nouveau roi, sera là. Tu sais qu’il tente d’apaiser les esprits révolutionnaires en aidant les veuves et les orphelins. Il distribue même des médailles aux combattants des barricades.

         Louis-Auguste sourit :

       — Forcément, il doit son trône à cette courte révolution ! Combien de temps le gardera-t-il ? Il se définit comme un « roi citoyen ». J’en doute…

         Un silence s’installa. Le tableau, immense, les impressionnait.

         Tous ces jeunes hommes voués à mourir, pensa Delacroix en examinant la fureur du combat décrite dans son tableau…                                                       

         Emporté par l’image de cette révolution en marche, le baron Louis-Auguste s’écria :

       — Beau travail Eugène ! Quelle dureté dans le regard de ces travailleurs qui avancent dans la lueur du soleil couchant en chantant la Marseillaise. Ils enjambent des soldats morts. Encore des gamins… Ces ouvriers de tous métiers ne supportent plus la pauvreté et la faim. Ils veulent se battre. L’énergie farouche de cette femme aux seins nus, fusil à la main, coiffée d’un bonnet rouge symbolisant la liberté, agitant le drapeau tricolore pour entraîner ces hommes vers la victoire, va en offusquer certains au Salon !

         Brusquement, le jeune baron se leva et se mit à marcher dans la grande pièce les mains dans le dos, son buste frêle courbé en avant. Parfois, il se redressait, regardait la toile furtivement, puis repartait soucieux. Il s’approcha d’Eugène et lui envoya une bourrade amicale.

         — Trinquons au romantisme, Eugène !

         Il avala son verre d’un trait. Un éclair sombre passa dans ses yeux.

     

     

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         — Pauvres gens, dit-il d’un coup ! Comme en 89, savent-ils qu’ils se battent et souffrent pour rien. Ils ont renversé Charles X pour le remplacer par son cousin Louis-Philippe. La belle affaire… Que vont devenir leurs rêves de réformes, de progrès, d’égalité. L’autorité et l’ordre revenus, leur vie misérable reprendra comme avant.

         Louis-Auguste tourna son regard vers le gamin aux pistolets.

       — Tu vois, ce jeune garçon déluré à côté de la femme au drapeau, pistolets de cavalerie dans les mains… Enfant de Paris, il symbolise la jeunesse de tout temps révoltée pas l’injustice. Tu as mis de la fougue, du plaisir, de l’envie, dans son œil. Son père, qui s’est battu dans la Grande Armée, lui a conté ses exploits. A son tour, il s’enivre de l’odeur de la poudre et exhorte les insurgés. Il n’a pas peur. Peut-il se douter qu’il va mourir dans peu de temps ?

       Eugène se taisait, attristé par la mélancolie que son tableau inspirait à Louis-Auguste. Celui-ci hésita à se resservir un verre de vin. Il finit par dire, fataliste :

       — Eugène, une nouvelle fois, comme souvent dans notre histoire, c’est le petit peuple qui se bat, mais ce sont toujours les puissants qui gagnent !

         Delacroix vint vers son ami et le prit par les épaules.

       — Tu as raison Louis-Auguste. Mais, à chaque nouveau combat, ils continuent d’espérer…

     

     

     

  • VAN GOGH écrivain : Projet

     

     

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    Vincent Van Gogh – Nature morte avec 3 livres, 1887, Van Gogh Museum, Amsterdam

     

     

     

          Vincent Van Gogh était un peintre de génie. Aujourd’hui, ses tableaux sont recherchés, admirés.

          Sait-on que Van Gogh était également un grand écrivain ?

          Georges-Louis Leclerc de Buffon disait : « Le style est l’homme lui-même ». Cette phrase pourrait parfaitement correspondre à Van Gogh dont la personnalité forte se manifestait aussi bien dans sa peinture que dans son écriture.

     

          La correspondance de l’artiste, qui durera 18 ans, comprend plus de 800 lettres. L’essentiel de celles-ci ont été échangées avec son frère Théo, mais aussi avec sa sœur Willemien, ou des peintres comme Paul Gauguin et Emile Bernard.

          La première lettre est envoyée à Théo en août 1872.Vincent a 19 ans et son frère 15 ans. Il ne cessera plus d’écrire jusqu’à son décès à 37 ans dans le petit village d’Auvers-sur-Oise, non loin de Paris.

          Vincent était doué. Il écrivait vite, bien souvent tard le soir après une dure journée de peinture en plein air. Dans ses courriers, il s’exprimait en néerlandais, très souvent en français dont il utilisait la langue avec une étonnante agilité, parfois en anglais. Quand il commença à peindre, il prit l’habitude d’illustrer fréquemment sa narration de dessins croqués spontanément.

          La plupart des lettres de Vincent renferment des pépites, des petits trésors d’écriture, au style évocateur, sur ses émotions et sa propre condition humaine. Il avait une étonnante capacité pour utiliser des mots expressifs afin d’évoquer une scène, un paysage. Ses textes sont riches d’enseignements sur lui-même, ses idées sur la peinture, les peintres qu’il aimait, son travail, ses goûts littéraires, son amour de la nature. Ses phrases étaient souvent poétiques, son humour, décapant et drôle.

     

          Les lettres de Vincent, entre autres livres et revues, m’ont servi de documentation lorsque j’ai écrit le récit romancé publié dans ce blog : « Van Gogh à Auvers ». En étudiant ces lettres, j’avais laissé de nombreuses annotations sur les pages des 3 volumes de « Van Gogh – Correspondance » parus dans la collection Biblos de Gallimard.

          Aujourd’hui, je souhaite mettre en valeur le talent littéraire de Vincent dévoilé par ses lettres qui sont un document humain sans équivalent. J’ai donc pensé utiliser ces courriers et mes propres annotations pour présenter un nouveau projet qui entrerait dans la catégorie dénommée : Van Gogh écrivain.

          De nombreuses éditions ont déjà reproduit les courriers du peintre en intégralité. C’est pourquoi, j’envisagerais de publier un choix personnel (toujours subjectif) d’extraits, piochés dans les lettres, dont le style, l’intérêt documentaire ou humoristique, m’auront séduit.

          Le problème était de faire un choix dans une production littéraire aussi importante, mais non exceptionnelle en quantité : Delacroix, Monet, Whistler, ou même Voltaire, ont largement dépassé le nombre de 800 lettres dans leur correspondance.

          Dans un premier temps, je couvrirais seulement les deux années de la dernière période du peintre (de 1888 à 1890), celles qui ont suivi son séjour à Paris chez son frère Théo où il resta de février 1886 à février 1888.

           Vincent arrive à Arles le 21 février 1888 dans un état de santé assez fâcheux auquel l’absinthe n’est pas étrangère. On suppose qu’il est parti sur les conseils de son ami Toulouse-Lautrec. Il compte sur le midi pour rétablir cette santé chancelante et y trouver la nature exaltée et colorée à laquelle il aspire.

          Ces deux années d’intense création artistique vont voir sa peinture s’épanouir pleinement, mais son parcours sera chaotique : il ne restera que 14 mois à Arles, 12 mois à Saint-Rémy-de-Provence, et 2 mois, ensuite, à Auvers-sur-Oise où son existence se terminera le 29 juillet 1890 à l’auberge Ravoux.

          La première lettre de Vincent à Arles est datée du jour de son arrivée, le 21 février 1888, et est envoyée à son frère Théo :

    Durant le voyage, j’ai pour le moins autant pensé à toi, qu’au nouveau pays que je voyais. […] Il me semble presque impossible de pouvoir travailler à Paris, à moins que l’on n’ait une retraite pour se refaire, et pour reprendre son calme et son aplomb. Sans cela on serait fatalement abruti.

    [...] Mais ici à Arles, le pays paraît plat. J’ai aperçu de magnifiques terrains rouges plantés de vignes, avec des fonds de montagnes du plus fin lilas. Et les paysages dans la neige avec les cimes blanches contre un ciel aussi lumineux que la neige, étaient bien comme les paysages d’hiver qu’ont fait les Japonais.

     

          Mes "extraits choisis" de la correspondance de Vincent Van Gogh seraient présentés suivant un ordre chronologique de l’envoi des lettres et s'intercaleraient, en fil rouge, entre divers autres écrits et nouvelles.

          Vos commentaires sur ce projet seraient appréciés.

          A bientôt.

     

                                                                                       Alain

     

          Je profite de cette note pour informer mes lecteurs que je possède, depuis peu, une newsletter.

     

     

  • Johannes Vermeer : La jeune fille à la perle, 1665, Mauritshuis, La Haye

     

    BONNE ANNÉE - HAPPY NEW YEAR 

      

         Ce tableau est l’un des plus célèbre au monde. A l’aube de cette nouvelle année 2015, j’ai pensé que la vision du regard chaleureux et pur de cette jeune fille vous apporterait un de ces petits moments de bonheur qui donnent un sens à la vie.

    This painting is one of the most famous in the world. At the dawn of this new year 2015, I thought that the vision of pure and warm look of that young girl would bring you one of those small moments of happiness that give meaning to life. (for Facebook readers)

     

    peinture, écriture, Vermeer, Delft, Hollande

    Johannes Vermeer – La jeune fille à la perle, 1665, Cabinet royal des peintures, Mauritshuis, La Haye

     

     

     Récit modifié et réédité

     

     

         Elle jaillit, éblouissante sur mon écran d’ordinateur : La jeune fille à la perle, me fait face, souriante, dans l’éclat de sa jeunesse insolente. J’observe ébahi… 

         Je me souvenais avoir ressenti la même émotion lors de ma dernière visite au musée de La Haye où elle demeure. Comme aujourd’hui, elle se tournait vers moi. Elle me fixait, surprise d'avoir été dérangée. Les plis de l’étrange turban bleu et jaune frémissaient.

         Son regard croise le mien. Son souffle est parfumé. Mon rythme cardiaque s’est accéléré.

         Par la pensée, je ne peux m’empêcher de remercier le français Thoré-Bürger. Johannes Vermeer était tombé dans l’oubli lorsqu’il fut redécouvert par ce critique d’art en plein milieu du 19ème siècle. Aujourd’hui, le Mauritshuis a le bonheur de posséder dans ses collections permanentes cette inestimable peinture qui lui fut léguée par un collectionneur hollandais l’ayant acquise en 1881, en mauvais état, pour le prix faramineux de… 2 florins… C’est à dire rien !

          Les spécialistes n’ont pas hésité à comparer cette toile à La joconde de Léonard de Vinci, le tableau du Louvre le plus célèbre au monde, devant laquelle des visiteurs venus du monde entier se pressent uniquement pour que Mona Lisa leur fasse l’aumône d’un sourire. La Jeune fille à la perle a même été appelée la « Joconde du Nord » ou « Joconde hollandaise ». 

         Impossible de se tromper, pensai-je : l’aspect flou des toiles de Vermeer ont bien un petit air de famille avec le célèbre « sfumato » cette étrange graduation de la lumière utilisée par Léonard…

         Elle m’observe… Va-t-elle me parler ?

         Pourquoi emploierait-on des qualificatifs pompeux pour décrire un portrait qui présente une telle simplicité apparente ? La jeune fille paraît très jeune, pétillante de vie. De grands yeux brillants, une bouche humide entrouverte avec deux petites perles de lumière rosée aux commissures des lèvres.

         La figure aux traits indéfinis rayonne. Les contours du visage, de la bouche, du nez fondu dans la joue droite, sont imprécis. L’artiste semble l’avoir voulu ainsi pour nous inciter à pénétrer dans son tableau et compléter les parties manquantes. La peinture est lisse, fluide, aérienne. Les couleurs, tout en glacis superposés, glissent progressivement, sans à coup, de l’ombre profonde vers cette fabuleuse lumière de Vermeer qui irradie naturellement d’elle-même. Des gouttes blanches dans les yeux et sur la perle se répondent. L’harmonie est totale…

         Qui peut bien être cette femme enrubannée, mystérieuse : une femme de Delft ? Une jeune servante ? Vermeer ne peut dissimuler la tendresse qui l’a animé en peignant ce visage infiniment précieux et fragile. Je m’interroge : ce portrait ne présente aucune affinité avec ceux peints à cette époque, il aurait presque pu être peint de nos jours ? La fantaisie du vêtement et du turban exotique, ce visage lumineux aux contours indécis, cette beauté irréelle, en font un portrait hors du temps.

         Incontestablement, le peintre a laissé dans cette image qui me sourit, ce regard qui transperce, un message que je m’efforce de décrypter : beauté… pureté… chasteté…  éphémérité… quelque chose d’indéfinissable qui nous transporte au-delà même de notre propre existence…

         Que dire devant un tel spectacle ? Jamais une peinture ne m’a autant troublé…

         Sur mon écran d’ordinateur la lumière tressaute un long moment.

         Je l’éteins. 

     

     

     

  • La collection Beistegui au Louvre

     

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         Que deviendrait le Louvre sans ses nombreux donateurs qui permettent au musée de s’agrandir et d’exister ?

        Carlos de Beistegui en fait partie. Grand amoureux de la peinture il plaçait en premier le genre du portrait. Héritier d’une fortune importante, il constitua lentement auprès de grands marchands parisiens une collection d’une grande richesse.

         Il donna sa collection à l’État français en 1942. Celle-ci fut acquise définitivement par le Louvre en 1953. Pour les habitués du Louvre, on peut la trouver cachée dans une petite salle, dans le passage Mollien qui mène à la Grande Galerie.

     

     

         Plusieurs chefs-d’œuvre de grande qualité sont présents dans cette collection Beistegui dont une peinture de Goya « La Comtesse del Carpio, marquise de la Solana » qui est considérée comme la perle de la collection.

     

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    Francisco de Goya y Lucientes - La Comtesse del Carpio, marquise de la Solana, 1794, musée du Louvre, Paris

     

         Le propriétaire ne voulant s’en défaire à aucun prix, Beistegui parvint finalement à l’acquérir après la mort de celui-ci pour une très grosse somme.

         Grande dame de la cour du roi d’Espagne, femme de lettres âgée de 38 ans, Goya, en maître portraitiste, restitue sa silhouette gracile et les traits ingrats d’une femme malade qui se savait condamnée. Il lui restait un an à vivre. Le peintre lui donne un charme accentué par des touches rapides, symphonie de gris et des fameux noirs de Goya. Un nœud de ruban rose, immense, appelé « caramba », coiffure à la mode en Espagne à la fin du 18e siècle, semble éclairer le visage.

         A l’entrée de la collection en 1945 au Louvre, un journaliste trace un croquis de la toile dans le journal Le Monde : « Cette femme n’est pas jolie, elle a même l’air d’une peste malgré sa mantille pudique et la retenue hypocrite de son éventail. Mais sur sa personne joue des gris souverains, des satins argentés, et parmi ses cheveux, oh génie ! l’audace d’un nœud rose. »

     

         Plusieurs autres chefs-d’œuvre sont particulièrement intéressants :

    — « Madame Isaac Cuthbert » de Thomas Lawrence : un gracieux portrait de femme feuilletant un volume des poèmes de William Cowper.

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    Thomas Lawrence - Madame Isaac Cuthbert, 1817, musée du Louvre, Paris

     

    — Le très important portrait inachevé « Le Général Bonaparte » de Jacques Louis David : Seul la tête et le haut des épaules sont esquissés. Ce portrait de jeunesse est souvent représenté dans les livres sur Napoléon.

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    Jacques Louis David - Le général Bonaparte, 1798 , musée du Louvre, Paris

     

    — « Portrait de Charles Jérôme Bréa » par Jean Honoré Fragonard : la touche nerveuse et rapide du maître inspira les impressionnistes, dont Renoir qui s’en sentait proche.

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    Jean Honoré Fragonard - Portrait de Charles Paul Jérôme Bréa, 1769 , musée du Louvre, Paris


    — « La mort de Didon » de Pierre Paul Rubens : Une peinture monumentale particulièrement représentative des nus débordant de sensualité des robustes femmes flamandes peintes pas l'artiste.

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    Pierre Paul Rubens - La mort de Didon, 1636, musée du Louvre, Paris

     

    — « Madame de Verninac » de Jacques Louis David : L’expression lointaine, 17 ans seulement, assise sur une chaise en acajou, la jeune femme se présente comme une vestale habillée d’une tunique à la romaine découvrant les épaules. C’est un des costumes officiels du temps de la Convention. La femme respire, se libère, bien souvent très dénudée. Le drapé fluide de sa longue robe blanche vibre de lumière. Ce tableau de la sœur ainée du peintre Delacroix qu'il aimait tendrement resta dans son appartement jusqu’à sa mort.

     

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    Jacques Louis David - Portrait de madame de Verninac, 1799, musée du Louvre, Paris

     

    Je profite de cet article pour signaler que « La Belle Jardinière » de Raphaël a été restaurée à l'occasion des 500 ans de la mort de l'artiste. Elle est considérée comme la plus accomplie des nombreuses madones du peintre. Lorsque je la voyais au Louvre, je la trouvais très belle mais un peu terne, la restauration lui a donné une nouvelle vie : « Le ciel a retrouvé sa teinte d’un bleu lapis-lazuli éclatant, sur lequel le visage blanc et rose de la Vierge se détache avec davantage de relief. Toutes les carnations ont regagné leur éclat divin. La technique picturale virtuose du maître s’impose à nouveau, avec sa matière souple et généreuse et sa palette lumineuse. – Vincent Delieuvin »

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    Raphaël - La Belle Jardinière, 1508, musée du Louvre, Paris

     

    Comment ne pas penser à la récente éblouissante restauration de la Sainte-Anne de Léonard de Vinci de la même période : la toile avait retrouvé ses transparences dans les robes et les voilages, ses teintes vives et froides. Les bleus de lapis-lazuli s’exprimaient à nouveau. L’exquis modelé des figures apparaissait dans son état de fraicheur initial.

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    Léonard de Vinci - Sainte Anne, 1513, musée du Louvre, Paris

     

     

  • L'homme rapaillé

     

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         En juillet dernier, j’avais écouté sur France Culture une soirée exceptionnelle de poésies dites par Jean-Louis Trintignant sur une musique d'Astor Piazzolla. Cette lecture d'extraits du poème « La marche à l'amour », de Gaston Miron, dédié à sa fille Marie, m'avait profondément touché.

          « L’homme rapaillé », « œuvre vie » que j’ai relue, la plus célèbre du Québec et de la francophonie, était considérée par son auteur comme inachevée avant son décès en 1996.

     

     

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         Une tornade… Il s’agit du mot utilisé par l’auteur de la préface du livre, Édouard Glissant, pour désigner la poésie de Miron. Cette tornade en forme de poète est un débordement, une tornade aimante, tendre, qui se fait militante et gueulante parfois :

    « Vous pouvez me bâillonner, m’enfermer

    je crache sur votre argent en chien de fusil

    sur vos polices et vos lois d’exception

    je vous réponds non »

     

         La langue de Miron rapaille, rassemble les objets éparpillés, fragmentés et s’adresse à tous les rapaillés du monde, ceux qui souffrent, qui crient. L’auteur utilise de nombreux mots québécois : homme croa-croa, batèche, raqué, garroche, tête de tocson, peau de babiche… Je me suis laissé séduire par ces phrases décousues qui claquent, transpercent, et infusent un intense bonheur au lecteur.

     

         Tous les thèmes sont abordés dans cette poésie bouleversante : luttes sociales, amours présents ou évanouis, histoire, turbulences du monde. L’homme doute : « Je suis un homme simple avec des mots qui peinent et je ne sais pas écrire en poète éblouissant ». Pourtant, le rythme, la syntaxe, le timbre, nous emportent dans un souffle puissant, sans retenue ni ménagement :

    « J’ai fait de plus loin que moi un voyage abracadabrant »

     

         La terre natale de Miron est le Québec. « Je n’ai voyagé vers autres pays que toi mon pays ».

    « Nous te ferons Terre de Québec

    lit des résurrections

    et des mille fulgurances de nos métamorphoses ».

    J’ai souvent pensé à Aimé Césaire et sa poésie, long cri d’amour pour sa terre : « terre dont je ne puis comparer la face houleuse qu'à la forêt vierge et folle que je souhaiterais pouvoir en guise de visage montrer aux yeux indéchiffreurs des hommes »

     

        C’est dans l’expression amoureuse que les mots de Gaston Miron sont magnifiques :

    « Amour, sauvage amour de mon sang dans l'ombre

    mouvant visage du vent dans les broussailles

    femme, il me faut t'aimer femme de mon âge

    comme le temps précieux et blond du sablier »

     

    « Je n’ai pas peur de pleurer en d’autres fois

    je suis un homme irrigué, irrigant

    de nouveau je m’avance vers toi, amour, je te demande

    passage, amour je te demande demeure »

     

        « La Marche à l’amour », le plus beau de ses poèmes, écrit par Gaston Miron entre 1954 et 1958, m’a à nouveau ensorcelé. Jean-Louis Trintignant en lisait encore des extraits avant de mourir. Joies et échecs amoureux sont rassemblés. Ce passage ne figure pas dans l’extrait dédié à sa fille Marie :

     

    « Qu’importe je serai toujours si je suis seul

    cet homme de lisière à bramer ton nom

    éperdument malheureux parmi les pluies de trèfles

    mon amour ô ma plainte

    de merle-chat dans la nuit buissonneuse

    ô fou feu froid de la neige

    beau sexe léger ô ma neige 

    mon amour d'éclairs lapidée

    morte

    dans le froid des plus lointaines flammes »

     

         En mai 1981, Bernard Pivot accueille ce poète rebelle, sur le plateau d’Apostrophes. Miron crève l’écran : généreux, truculent, convaincant. Il lit quelques poèmes. Il parle avec des mots simples, une voix solide, roulant l’accent de son pays. Il se définit comme « le militant d’une langue et d’une culture », qui ressent la poésie comme « une passion d’être, un combat ».

     

         Je ne suis pas près d’oublier l’exceptionnelle force évocatrice des mots du poète.

     

    « Je suis sur la place publique avec les miens

    La poésie n’a pas à rougir de moi

    J’ai su qu’une espérance soulevait ce monde jusqu’ici »

     

  • Vermeer à Amsterdam

     

    Vermeer, Amsterdam

    Johannes vermeer – Vue de Delft, 1660, Mauritshuis, La Haye

     

         La grande exposition Vermeer a ouvert ses portes cette semaine au Rijksmuseum à Amsterdam. Elle réunit les trois-quarts des œuvres connues du maître. On parle d’exposition du siècle…

     

         Passionné d’art hollandais de cette période, je place Vermeer en premier dans ma hiérarchie personnelle de l’histoire de l’art. J’ai eu la chance, en 1996, d’assister à la précédente exposition du Sphinx de Delft qui se tint au musée du Mauritshuis à La Haye. Elle rassemblait la presque totalité des œuvres peu nombreuses de Johannes Vermeer et était qualifiée, elle aussi, d’exposition du siècle.

    Lors de ma visite, accompagné par Flo, de cette grande exposition de 1996, Vermeer m'a inspiré un court récit sur le superbe tableau de la « Vue de Delft ».

     

    « La clarté rase qui enveloppe la « Vue de Delft » est incroyablement lumineuse. Coincée entre l’immensité du ciel et l’eau sombre du canal, cette ville toute en longueur, comme une frise, aimantait le regard. Au premier plan du tableau, des petits personnages bavardaient sur la bande de sable rosée.

    — Tu sens la respiration de la ville, dis-je à Flo ? Imprègne-toi de cette présence physique étonnante… Regarde bien les maisons, la muraille, les portes de la ville et le pont au centre.

    Elle m’écoute, attentionnée.

    — La matière des murs en briques et des vieilles pierres déformées est exprimée par des empâtements rugueux de différentes tonalités dispersés un peu partout… Tu distingues l’ondulation des tuiles sur les toits rouges dans l’ombre, sur la gauche ?  Du sable a été mélangé exprès à la peinture pour donner du relief... Remarque ces bateaux très sombres à droite. L’aspect granuleux de leurs coques s’oppose fortement à la transparence lisse de l’eau. Le peintre les a bombardées de petits points lumineux clairs et de rehauts bleutés. N’est-ce pas que cette ville respire ?

    Flo tentait de comprendre, soucieuse. Au bout d’un moment, elle se hasarda : « Tu as raison, elle vit… Cette lumière éparpillée un peu partout… C’est quoi le petit pan de mur jaune de Proust dont tu m’as parlé ? »

    ­On ne sait pas bien... C’est peut-être la fin du mur d’enceinte qui longe le canal, là, devant toi, à côté de la porte de Rotterdam sur la droite. À moins que ce ne soit tout simplement un de ces toits dorés, juste au-dessus, en pleine lumière.

    Quelques instants encore, je contemplai la Delft du 17e siècle qui n’existe plus aujourd’hui. Vermeer n’avait peint qu’un seul grand paysage comme celui-ci, mais c’était un coup de maître unique. Aucun paysage de ses contemporains n’approchait cette luminosité exceptionnelle.

    J’entraîne Flo dans les petites salles suivantes. Rien que des chefs-d’œuvre sur tous les murs. »

     

     

    La « Vue de Delft » appartient au Mauritshuis à La Haye. Elle est la toile la plus recherchée du musée avec « La jeune fille à la perle » qui se trouve face à elle dans la même pièce. On pourrait rester des heures en immersion en ce lieu devant ces deux toiles du grand Johannes. 

     

    Pour les amoureux de Vermeer, j’ai remarqué que le magnifique catalogue de cette première exposition « Johannes Vermeer » consacrée uniquement à l'œuvre de mon peintre préféré, accompagné d'une superbe iconographie en couleur, pouvait se trouver aujourd’hui d’occasion pour 4 €… Incroyable !

      

  • Balade au Louvre

     

    Une belle journée (samedi 22 mars 2008)

     

     

         La pyramide scintillait de toutes ses facettes lorsque nous fîmes connaissance. Louvre-passion avait préparé cette visite de blogueurs depuis plusieurs mois déjà et 9 personnes étaient réunies, un peu perdues au milieu de cette foule déjà nombreuse et pressée.

         Je donne le nom des blogs dans un ordre aléatoire : Louvre-passion ; Lunettes rouges ; L’opéra farfelu ; Détours des mondes ; Si l’art était conté ; De l’art à l’œuvre. Que des passionnés…

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         L’organisateur de notre expédition a affiché sur son blog une photo du groupe en laissant planer un mystère sur nos visages « dévoilés ». Dans les premiers commentaires qu’il a reçus, j’ai constaté que, évidemment, il était bien difficile de trouver qui était qui, d’autant que nous étions 9 personnes pour 6 blogs.

         Allez, en ce qui me concerne, je vous aide un peu !… Sur la photo, je porte des lunettes et je tiens un objet… Facile, vous avez déjà trouvé un blogueur !

     

        Il l’avait bien préparé sa visite, Louvre-passion ! Et il le connaît son Louvre ! Il nous a tout fait : couloirs tortueux, escaliers en colimaçon, galeries sans fin, chemins de traverse, salles immenses. Que du beau et du bon !

         Puisque, dans son blog, Louvre-passion a déjà conté l’essentiel de notre balade (ainsi que dans le blog De l’art à l’œuvre), je me contenterai de quelques coups de cœurs. Il y en a beaucoup, je vais donc me limiter à quelques-uns :

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         - En premier, le cours magistral de Lyliana de Détours des mondes, dans le Pavillon des sessions, l’antenne du musée des arts premiers du quai Branly. Pour un néophyte en arts premiers comme moi, j’eus, par moment, l’impression de connaître intimement ces statuettes, masques colorés, êtres grimaçants, tête en pierre de l’île de Pâques au regard lointain.

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         - Le sourire énigmatique de la Joconde étant inapprochable, je pus vérifier que le fameux « sfumato » de Léonard ne s’était pas dissipé sur le 2108279981.jpgvisage de son Saint Jean-Baptiste, plus accessible.

     

     

     

         - L’impressionnante reconstitution du monastère de Baouit de l’Egypte Copte, agrémentée des commentaires éclairés de Louvre-passion.

     

     

         - Le chapiteau monumental d’une colonne de la salle d’audiences du palais de Darius 1er. Il suffit de voir les gens sur la photo pour se 99349501.jpgrendre compte de ce que devait être ce lieu à l’origine qui comportait 36 colonnes comme celle-ci…

     

     

     

    948689485.jpg     - La statue humaine la plus ancienne du musée (7000 ans avant J.C.), étrange personnage en plâtre au nez pointu, au corps sans hanches, ressemblant aux pâtes à modeler que l’on faisait étant enfant.

     

     

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         - La Vénus de Milo toujours aussi séduisante, même sans bras.

     

     

         - La Pietà de Villeneuve lès Avignon par Enguerrand Quarton, peintre provençal du milieu du 15e siècle. Voir le blog de Au fil de l’art qui en fait une formidable analyse.

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         - Le Saint Joseph charpentier de Georges de la Tour, dont le clair-obscur animé par la lueur dansante d’une bougie traversant la main d’un enfant me ravit à chaque visite.

     

     

     

     

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    Une petite halte :

     

     

     

     

     

     

         C’est toujours le même problème au Louvre. On voudrait tout voir et, finalement, l’on ne voit que peu de choses. Il n’y a que des chefs-d’œuvre et l’on passe souvent au pas de course devant des toiles ou objets qui doivent s’interroger sur les raisons d’une telle indifférence pressée.

         Un seul regret… Etant dans l’aile Richelieu, nous n’avons pas eu le temps de pousser jusqu’au Siècle d’or des peintres hollandais du 17e et revoir une nouvelle fois les deux seuls Vermeer que la France possède. Enfin… je les connais si bien.

         Nous faillîmes perdre quelques blogueurs. Heureusement, on les retrouva sain et sauf. Mais ils auraient pu disparaître à tout jamais dans ce Louvre immense. Les gardiens du musée les auraient peut-être vu errer le soir, tel Belphégor, dans de sombres couloirs.

         Un petit restaurant sympa, face au musée, nous permit de retrouver le calme, de reprendre des forces et de faire mieux connaissance. L’on put parler autrement que virtuellement devant un ordinateur et ce fut très agréable. La Dragonne de L'opéra farfelu, ma voisine de table, fut à l'image de son blog : inattendue et drôle.

              
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         Nous nous séparâmes en milieu d’après-midi. 

       Incité par un soleil discret et un état de fraîcheur inattendu, devinez ce que je fis ensuite ?... Je suis retourné au Louvre voir l’expo « Babylone » qui venait de commencer.

        En rentrant le soir, fatigué, je ne pus que dire à ma femme en franchissant le seuil de la porte : « Ce fut une belle journée ! ».

     

                                                                                                                                                              Alain

     

    Photos: Louvre-passion et Alain

                                                               

     

     

     

  • Les jumelles

     

     

          Je n’arrive pas à trouver ce qui cloche ?

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        Encore humide, allongé paresseusement sur ma serviette de plage, je les reluque avec un intérêt croissant. Avant de partir faire mes longueurs de bassin, je les avais déjà remarquées installées à 3 mètres de ma serviette.

         Je cherche. Le petit jeu de la différence m’amuse… Je n’ai jamais cru aux sosies parfaits. Il y a toujours un petit détail, quelque chose qui permet de distinguer deux personnes, même des jumeaux.

         Ces filles sont incroyablement semblables ? Les bustes sont courts, ramassés. Les jambes petites et galbées. Des visages sans âge, un peu vieillot malgré leur jeunesse certaine. Une épaisse tignasse brune frisée tirée en arrière est maintenue par un large turban noir en harmonie avec les maillots deux pièces de même couleur.

         Les jumelles arborent un teint cuivré du plus bel effet sur leurs serviettes de bain bleu fluo alignées pile poil à la même hauteur, côte à côte. Le soleil tape et je transpire copieusement.

     

     

         J’avais remarqué qu’elles changeaient de position toutes les vingt minutes. Etrange mimétisme…

         Actuellement, elles sont aplaties sur le ventre, les bras dans le prolongement du corps, les pieds recroquevillés. Seules leurs fesses au galbe sans défaut surmontent les serviettes. Rien ne bouge. Cela ne devrait guère tarder…

         Effectivement, elles entament la phase de retournement. La synchronisation est parfaite entre les deux sœurs, réglée au millimètre. La main droite s’appuie d’abord sur le sol, le bras plié, puis, dans le même mouvement, le buste suivi des jambes effectue une bascule arrière, une sorte de roulé boulé que le bras gauche amorti sans heurt. Elles se retrouvent aplaties sur le dos face au soleil. L’exercice s’est effectué avec une souplesse étonnante.

          Cette ressemblance totale, y compris dans des mimiques gestuelles, m’intrigue de plus en plus.

         D’un bloc, elles se lèvent et se dirigent vers l’eau qu’elles tâtent du pied avant de s’asseoir au bord du bassin. Leurs têtes tournées sur le côté, elles regardent je ne sais quoi qui semble les amuser. J’en profite pour examiner leurs deux profils qui se découpent dans la lumière solaire. Les lèvres sont entrouvertes. J’aperçois même les canines. Elles esquissent une sorte de grimace…un peu comme les tigres lorsqu’ils sentent une proie… Un sourire carnassier...

         Je meurs d’envie d’aller me rafraîchir à nouveau. Néanmoins, je continue d’observer ces jumelles trop parfaites.

         La plus à gauche plonge, suivie comme son ombre par la seconde. Elles se rejoignent en surface et amorcent un crawl peu vigoureux 07_07_61.JPEGparallèlement à la piscine. La nage manque de souplesse. De loin, je ne vois que leurs dos bronzés et leurs bras écopant l’eau maladroitement, en cadence.

         Une des sœurs a disparu. Se serait-elle noyée ? Non, je l’aperçois un peu plus loin ! Ai-je la berlue ? Elle s’est séparée de son sosie. Son mouvement de bras se précipite et elle entame une longueur de bassin avec, cette fois, un crawl dévastateur qui n’épargne guère les nageurs passifs alentour surpris par cette énergie soudaine. Un homme dont le crâne rasé dépasse se prend une superbe claque au passage. Je l'entends hurler un "pouffiasse !" en lui jetant un regard assassin qui la laisse indifférente.

         Les clones se rejoignent et sortent de l’eau. Elles reprennent la position allongée, le corps dans le prolongement exact du soleil. Etendues, elles me font penser à ces sarcophages égyptiens en bois peint que je vois parfois au Louvre.

     

         J’en ai marre de les observer. Elles n’ont même pas remarqué l’attention que je leur porte ?

         Maintenant, les fesses calées au centre de leurs serviettes, assises, les mains accrochées à leurs genoux, elles contemplent l’onde verte. Petits bouddhas mystérieux aux regards lointains…

         Le petit jeu finit par m’énerver. Il faut que je trouve la faille. Il y a bien un défaut dans ces silhouettes trop calquées ? Je les contemple discrètement une dernière fois de la tête aux pieds. Rien… C’est du copié collé ! Même les ongles sont peints de la même couleur : nacrée blanche sur les mains, rouge carmin sur les pieds. Pas une tache de rousseur ou le moindre grain de beauté apparent pour les différencier…

         Leurs copains ne doivent pas être à la fête, pensai-je, réjoui. Confrontés à une telle ressemblance, il devait bien arriver à ces pauvres garçons de se tromper, de les confondre l’une l’autre ? Peut-être même que les coquines, pour s’amuser, s’intervertissaient leurs hommes qui n’y voyaient que du feu ?

        Une des jeunes femmes sort son portable. Evidemment, le sosie fouille dans son sac de plage et se saisit du sien. J’examine les modèles : des Motorola argentés récents. Les mêmes… Elles composent un numéro. J’entends leurs voix suaves : « Allo ! Maman... » C’en est trop ! Ces filles appellent leur mère sur deux portables différents. Mais elles ont la même mère !...

     

         Mon cerveau bouillonne furieusement. Peut-être le soleil ? J’aurais dû prendre une casquette avant de venir.

         Dégoûté, je me lève et me dirige d’un pas mal assuré vers les vestiaires. Je me retourne. Je les vois à distance. Elles n’ont pas bougé, l’oreille collée au portable. Avec la mère…

         Troublé, je loupe la marche de l’entrée qui mène au bassin intérieur et m’étale lourdement sur le carrelage vert citron. Ma tête a cogné. Je reste un moment étendu, groggy.

         Je commence à retrouver mes esprits. Une jolie main manucurée m’aide à me relever. Une autre, accrochée à mon bras, me soutient…

         Le sourire carnassier…

         - Vous ne vous êtes pas fait mal, me lancent-elles d’un élan commun !

              

                                                                     Alain       

                                                                                                                                                                                                                   

                                                                                                                                                                    

     

  • Gustave Courbet, le maître d'Ornans : 9. Juin 1862/août 1864

     

    CORRESPONDANCE - EXTRAITS CHOISIS

     

     

     

         « La nature a doué ce jeune homme des dons les plus rares ! Né avec des qualités que tant d’autres acquièrent si rarement ; il les possède épanouies dès son premier coup de pinceau ; ce prélude jette avec une sorte de bravade une œuvre magistrale sur les points les plus difficiles : le reste qui est l’art, échappe absolument. Il n’a rien donné de lui-même et il avait tout reçu ! Quelles valeurs perdues ! Quels dons sacrifiés ! »

     

    Jean-Auguste-Dominique Ingres - Artiste peintre         

     

     

         L’opinion d’Ingres sur Courbet semble sans appel. Pourtant, je soupçonne Courbet de s’être inspiré d’Ingres pour peindre « La Source » ci-dessous, dans un style qui rappelle le maître. Une façon ironique utilisée par Courbet pour montrer qu’il peut, lui-aussi, peindre avec élégance ?

     

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    Gustave Courbet – La Source, 1862,  The Metropolitan Museum of Art, New York

     

    Lettre à Léontine Renaude  – Saintes, vers juin 1862

     

         Curieuse lettre qui paraît avoir plongé Courbet dans un grand embarrât. Cette Léontine, une grisette qui le trompait, semble avoir été une actrice peut-être liée au théâtre des Variétés à Paris.

      

     

    […] Madame, Si vous avez crû me rendre jaloux, je vous jure que vous vous êtes trompée… Avec vous je savais bien que j’étais au bordel et dans ces cas-là on ne peut jamais savoir après qui on passe. C’est ainsi qu’un soir en rentrant chez vous l’édredon était par terre au milieu de la chambre, on avait marché dessus, le lit était froissé et découvert, il y avait eu une passe dans la journée. Un autre soir j’avais froid à la tête ; vous me donnez le foulard, je ne peux plus le mettre ; celui qui avait couché la nuit précédente avait une tête plus petite que la mienne et l’avait rétréci de cinq ou six points.

    Je n’ai jamais avec vous été jaloux que de ma dignité personnelle et je la sauvais par tous les moyens que je pouvais parce que j’ai eu la sottise de vous aimer comme un honnête homme fait pour une femme quelconque quand il la fréquente. C’est pour cela qu’il m’a fallu un an pour me convaincre malgré moi que vous étiez dans un état d’abjection.

    Je ne sais comment faire pour rattraper différents objets de moi qui sont chez vous et qui peuvent établir pour le public que vous recevez que j’ai eu des relations intimes avec vous. Je vous offre de les acheter. Faites-les estimer ou estimez-les vous-même. Je tiens surtout aux deux portraits, le vôtre et celui de votre chien.

     

           Il semble que Courbet fait, dans la dernière phrase de cette lettre, allusion à "La femme nue au chien". 

     

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    Gustave Courbet – Femme nue au chien, 1862, musée d’Orsay, Paris

     

     

    Lettre à Albert de la Fizelière – Saintes, le 23 avril 1863

      

         Courbet envoie au Salon de 1863 un tableau montrant des curés éméchés revenant d’une conférence. Il sera refusé pour outrage à la morale religieuse. L’artiste le considère comme une « bombe » : « J’espère qu’on n’a pas encore vu un tableau de cette audace-là » ; « On m’accuse d’immoralité. Cependant on autorise les lithographies représentant de gros curés à cheval, emmenant en croupe des filles dont la robe se retrousse jusqu’au-dessus des jarretières ».

     

     

    […] J’avais voulu savoir le degré de liberté que nous accorde notre temps. J’avais envoyé un tableau de curés, bien senti : le Retour de la conférence. Ca correspondait pas mal avec l’insulte que l’empereur m’a faite l’an passé (le refus de la Légion d’honneur), d’autre part avec ce qui se passe vis à vis des cléricaux (politique romaine de Napoléon III).

    Le tableau a porté juste, est allé droit à son auteur. Il a été dépendu et rependu trois ou quatre fois. J’avais fait le tableau pour qu’il soit refusé. J’ai réussi. C’est comme cela qu’il me rapportera de l’argent. Pourtant, considérant l’effroi qu’il produit, il serait comique de forcer la main à l’administration.

     

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    Reproduction du tableau détruit  de Gustave Courbet « Le retour de la conférence », 1863

     

     

     

    Lettre à Champfleury – Paris, mi-juin 1863

     

         Courbet, ulcéré, répond à un courrier que lui a adressé Champfleury accusant l’artiste d’avoir un style lâche, et des parties à la fois grossières et faibles. Il lui reproche également de parler trop, ne plus peindre et de se laisser corrompre par le gouvernement.

     

    […] Mon cher, je ne veux pas prendre le ton magistral, doctoral, que vous prenez dans votre lettre, et pourtant il me semble que j’aurais le champ libre si je voulais.

    Votre lettre est entièrement inadmissible, et décèle au fond un homme infiniment plus boursouflé que je ne le suis quoi que vous disiez. Elle est sentencieuse et vise à chaque mot à être blessante, mais comme elle manque essentiellement de vérité elle n’est que prétentieuse et je ne puis m’en formaliser.

    Je ne donne pas de conseil à personne, avec moi chacun s’arrange comme il l’entend pourvu que cette manière d’être n’entrave pas ma liberté. Le gouvernement n’achète pas tant d’hommes qu’on le dit. Je n’approfondirai pas cette idée qui m’émotionne !

    […] Mon cher ami, j’espère que vous regretterez une lettre aussi légère. Je vous parle sans aigreur, non seulement comme un ami, mais encore comme un parent. Je vous aimerai toujours malgré tout parce que je connais votre nature.

     

         Malgré cette dernière phrase aimable, à partir de ce jour, la brouille entre les deux hommes sera définitive.

     

     

     

    Lettre à Max Buchon – Paris, août 1863

     

         Le philosophe Pierre-Joseph Proudhon écrivit « Du principe de l’art et de sa destination sociale ». Il ne sera publié qu’en 1865, après sa mort survenue la même année. Pour cela, il demanda à Courbet de lui donner quelques idées sur son art.

     

    Proudhon entreprend de résumer l’art de ce temps-ci, résumé que je lui ai suggéré. Il avait pensé, ignorant (ou à peu près) de cette matière, s’en tirer en quelques pages. Voici ce qu’il m’écrit :

    « Vous m’écrivez que je vous ai fait peur lorsque je vous ai écrit que je pensais me débarrasser de cette bluette en deux ou trois jours. Vous aviez parfaitement raison. En deux ou trois jours j’aurais pu écrire 10 à 12 pages, sans signification et sans portée. Au lieu de cela voilà près de trois semaines que je suis à la besogne et je suis bien loin d’avoir fini. Mon travail formera un petit traité de 160 pages au moins, dont j’espère que le public se contentera, si ce n’est pas très brillant comme c’est assez l’habitude dans ces sortes d’ouvrages sur l’art, au moins ce sera fortement raisonné et je ne crois pas qu’on essaye d’y répondre sérieusement. »

    Nous allons enfin avoir un traité de l’art moderne arrêté, et la voie indiquée par moi correspond à la philosophie proudhonienne. Jamais je n’ai tant écrit de ma vie. Si tu me voyais c’est à crever de rire, je suis noyé dans les paperasses. J’écris à Proudhon chaque jour mes 8 ou 10 pages d’esthétique sur l’art qui se fait et l’art que j’ai fait, et que je veux établir.

     

         En réalité, Proudhon se plaignit à Max Buchon des notes de Courbet. Il lui disait que ces lettres de huit pages, écrites avec la manière personnelle de Courbet d’écrire et d’argumenter, le tuaient.

        J’ai lu une des ces longues notes du peintre envoyées à Proudhon. Elles sont constituées d’aphorismes sur l’art, la morale et la politique et m’ont paru plutôt ennuyeuses. Néanmoins, il semble que le philosophe lisait les lettres du peintre attentivement car certains de ses aphorismes ont été utilisés dans son essai.

     

     

    Lettre à Alfred Verwée (peintre belge) – Ornans, août 1864

     

    […] Vous me demandez un tableau sérieux, je n’ai jamais rien fait, je crois, de comparable au tableau des femmes que j’ai fait cette année.

    Je vous assure qu’il n’y a aucune indécence.

    […] Si votre vertu s’effarouche, il vous sera loisible de le mettre dans une salle à part, pourtant avec discrétion pour ne pas encourager le blâme incompréhensible qu’on a voulu donner à ce tableau. Le sujet est Vénus poursuivant Psyché de sa jalousie.

    Il faut absolument que vous voyiez, dans votre pays où l’on aime encore la peinture, ce tableau que je préfère à ce que j’ai fait. C’est deux femmes nues, grandes comme nature, l’une dormant, l’autre venant la voir dans sa jalousie. Celle qui dort est blonde, et celle qui la regarde pendant son sommeil est brune, elles ont des draperies qui cachent toutes nudités. Il n’y a pas un seul tableau de la tradition qui soit si peu indécent que ce tableau.

     

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    Photo du tableau détruit de Gustave Courbet « Vénus et Psyché, 1864 »

     

            Ce thème de deux disciples de Sapho était cher à la littérature du 19e, de Balzac à Gauthier et Baudelaire.

         Cette « Vénus et Psyché » (détruite à Berlin au cours des bombardements de la seconde guerre mondiale) est la deuxième toile de Courbet, après « Le retour de la conférence », à être refusé au Salon pour inconvenance, immoralité. 

     

     

     

  • Van Gogh : Assassinat ou suicide? - Thèse de l'assassinat

     

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    Vincent Van Gogh – Paysage avec le château d’Auvers au coucher de soleil – juin 1890, Van Gogh Museum, Amsterdam

     

     

     

    Troisième partie 

     

    THÈSE DE L’ASSASSINAT

     

     

     

         J’ai publié le 15 janvier dernier la première partie de mon dossier enquête sur le décès du peintre Vincent Van Gogh à Auvers-sur-Oise. Celle-ci se nommait : « Thèse officielle : Celle du Van Gogh Museum ». Après la deuxième partie : « Souvenirs d’Adeline Ravoux », publiée le 21 janvier, j’en arrive aujourd’hui à la troisième partie du dossier : La thèse de l’assassinat.

         Cette thèse récente de l’assassinat repose essentiellement sur le livre publié en 2011 « VAN GOGH : The Life » de deux journalistes américains à succès Steven Naifeh et Gregory White Smith pour lesquels la version officielle du suicide de Vincent Van Gogh n’est pas crédible.

         Le livre de ces journalistes est une volumineuse biographie sur le peintre qui expose leur version de l’assassinat, résultat d’une longue enquête découvrant des incohérences dans ce que l’histoire a reconnu comme étant un suicide. D’autres biographies et romans sont apparus ensuite reprenant cette même thèse de l’assassinat.

      

         Simple passionné du peintre, je me suis beaucoup documenté sur l’homme et sa vie pour écrire récemment le roman QUE LES BLÉS SONT BEAUX – L’ultime voyage de Vincent Van Gogh : Vincent raconte au jour le jour les deux derniers mois de sa vie à Auvers-sur-Oise.

        J’ai toujours été étonné des nombreuses polémiques engendrées par l’œuvre, la vie et, maintenant, la mort de Vincent. Il n’en aurait pas demandé autant, le pauvre !

     

     

         GARDIEN DE LA FLAMME… Les auteurs américains considèrent les tenants de la thèse du suicide comme des gardiens d’une flamme déjà ancienne commençant à s’éteindre à la suite de leurs révélations.

          Je n’ai pas lu leur importante biographie, mais les lecteurs qui voudront connaître l’ensemble des arguments avancés par les auteurs du livre réfutant la thèse du suicide pourront les retrouver dans l’article très détaillé du magazine Vanity Fair daté du 6 mars 2015 qui est signé par les auteurs du livre. ICI Je vais lire cette biographie que j'ai commandée et qui semble faire référence en la matière parmi les nombreux ouvrages concernant le peintre.  

          Je me contente de revenir, ci-dessous, sur quelques principaux points permettant, selon les auteurs, de se convaincre de l’assassinat de Van Gogh le 27 juillet 1890 dans un champ à Auvers-sur-Oise. Ceux-ci parlent de "preuves si convaincantes qu’elles ne pouvaient être passées sous silence".

         Des points essentiels, aux yeux de ces auteurs, étayent la thèse : aucun mot d’adieu ; la direction hasardeuse prise par la balle de revolver au moment du tir ; une scène de western ; les dires précis confirmant le suicide rapportés par Emile Bernard, grand ami de Vincent ; les Souvenirs d’Adeline Ravoux, fille de l’aubergiste Ravoux.

         Après chacun de ces arguments, je donnerai un ressenti personnel qui sera le plus objectif possible, et n’engage évidemment que moi, sur cette sombre histoire.

       Je fais remarquer que la plupart de ces arguments ont été, et sont toujours, sujets à controverses de la part de nombreux experts et historiens d’art.

     

    1) Van Gogh n’a pas laissé de mot d’adieu

         Les griffonnages, prétendument retrouvés dans ses vêtements après sa mort, n’étaient en réalité que le brouillon d’une dernière lettre à son frère Théo, postée le jour du coup de feu, le 27 juillet 1890. Le texte était enjoué, pour ne pas dire optimiste.

     

         On nous parle de griffonnages, brouillon d’une dernière lettre à Théo postée le jour du coup de feu le 27 juillet 1890… Vincent a effectivement écrit un brouillon de sa toute dernière lettre à son frère Théo, mais celle-ci ne peut avoir été postée le jour de la mort car elle a été écrite le 23 juillet, date confirmée plus tard par Johanna, la femme de Théo, et aussi par Théo qui envoya une lettre le 25 juillet à sa femme au sujet de cette lettre de Vincent (elle a donc été postée le 23 ou le 24).

         Cette dernière lettre du 23 juillet était normale, sans pessimisme particulier. Par contre, le brouillon, ces griffonnages ensanglantés, (prétendument retrouvés disent les auteurs ?) dans les vêtements après la mort par Théo, n’était pas du tout optimiste, se terminant par : « Eh bien, mon travail à moi, j’y risque ma vie et ma raison y a sombré à moitié »… Ne serait-ce pas une lettre d’adieu ? Théo retrouva ce brouillon sur Vincent le jour de sa mort, soit le 29 juillet 1890 et l’annota de sa main. (Je montrerai ce brouillon intégralement dans le prochain article concernant ma « Conviction personnelle »).

     

    2) Personne ne semble avoir vu Van Gogh lors de son suicide. Qui pourrait tenter de se tuer d’une balle dans le ventre ? Pourquoi se traîner jusqu’à sa chambre, sur plusieurs kilomètres, tordu par la douleur, au lieu de s’achever d’une seconde balle ?

     

         Je défie quiconque qui veut se suicider de calculer avec précision l’endroit exact pour se tirer une balle… Et, s’il se loupe, avoir envie de recommencer, de se finir comme on dit…

     

    3) Assassinat par deux jeunes garçons qui se prenaient pour Buffalo Bill

         René Secrétan (16 ans) et son frère Gaston, fils d’un bourgeois parisien, passaient des vacances d’été à Auvers. René avait vu sur scène à Paris Buffalo Bill, et avait acheté en souvenir un costume et un vieux revolver de petit calibre qui s’enrayait souvent. Vincent se serait pris d’amitié avec ces garçons qui le suivaient partout et se moquaient de lui. Bien plus tard, René Secrétan, très âgé, maintenait que sa seule implication dans la mort de Van Gogh avait été de fournir une arme défaillante. « Le revolver fonctionnait quand il le voulait bien », plaisantait-il. Et seul le « destin » avait décidé qu’il marche le jour où le peintre reçut la balle.

      

         Les auteurs américains disent à ce sujet avoir reçu beaucoup de critiques positives et éloges gratifiants. « Nous avons été pris au sérieux par beaucoup de gens bien intentionnés. » Qui sont ces gens bien intentionnés ?

         La présence des frères Secrétan a effectivement été rapportée par différents témoins à cette époque. L’historien d’art John Rewald a recueilli dans les années 1930 des rumeurs auversoises dans ce sens, mais ces témoignages sont tardifs et de seconde main.

         Cette histoire de cow-boy paraît rocambolesque et n’est fondée que sur des on-dit, des rumeurs, et les paroles peu claires de l’un des frères, René Secrétan, très longtemps après les faits (il avait plus de 80 ans).

         Vincent n’a jamais dans ses courriers à Théo - à qui il racontait presque chaque jour et longuement ses journées - parlé de gamins qui l’ennuyaient et l’empêchaient de peindre. Il me paraît difficile de penser qu’un artiste comme Van Gogh, un homme gentil et doux, travailleur acharné, peignant parfois plus d’une toile par jour, se soit laissé distraire comme il est rapporté grossièrement dans le livre. Et d’avoir joué au cow-boy avec un vieux revolver enrayé…

     

    4) Les circonstances de la mort

        L’hypothèse du livre est que la balle a été tirée dans le flanc gauche. Van Gogh étant droitier « il serait extrêmement difficile de se tirer une balle à cet endroit de la main gauche », une trajectoire oblique de la balle paraissant peu probable si Vincent s’était tiré lui-même dessus.

        Un médecin spécialiste américain apporte des éléments contradictoires au sujet d’une plaie entourée d’un « halo brun violacé », vue par le fils du docteur Gachet venu avec son père le soir du drame, prouvant que le « coup de feu avait été tiré à bout portant ». Ce docteur américain, présenté comme l’un des plus grands médecins légistes au monde, expert des blessures à l’arme à feu, a étudié les preuves médicales se rapportant à la blessure de Van Gogh. Son rapport d’expertise conclut que le canon se situait à plus de 30 cm de sa cible. « D’après moi dit le médecin, et selon toute vraisemblance médicale, Van Gogh n’a pu s’infliger cette blessure. En d’autres termes, il ne s’est pas tiré dessus. »

     

        Des zones d’ombre entourent les circonstances de la blessure et de la mort qui est devenue une bataille confuse entre experts, médecins-légistes et historiens d’art se perdant en conjonctures.

         Il n’y a pas eu d’autopsie du corps, seuls deux médecins assistaient Vincent le soir du 27 juillet : un médecin de la région (obstétricien) et le docteur Gachet (spécialité homéopathie). Le lendemain 28 juillet, Vincent resta assis sur son lit fumant sa pipe et attendant son frère qui arriva dans l’après-midi. Aucun de ces médecins ne tenta de faire quelque chose pour le sauver…

         Je n’ai aucune compétence en la matière pour émettre un avis sur la direction de la balle et la distance de tir. Toutefois, il apparaît possible de penser que la balle, tirée dans la direction du cœur, a pu ricocher sur une côte et toucher l’abdomen…

        Peut-on, de nos jours, plus de 120 ans après le décès, dans la confusion qui régna les deux jours du drame, entre les aubergistes Ravoux affolés, les médecins circonspects, et Théo effondré, conclure aussi facilement : « Il ne s’est pas tiré dessus »…

     

    5) Le peintre Emile Bernard serait « le principal colporteur de la thèse du suicide »

         « Emile Bernard a écrit la première version du suicide dans une lettre à un critique dont il convoitait les faveurs » ; « Deux ans plus tôt il avait déjà employé cette ruse quand Van Gogh s’était coupé un bout de l’oreille gauche » ; « Emile Bernard cherche à se donner le beau rôle, persuadé jusqu’à sa mort que Van Gogh avait accaparé la gloire qui devait être la sienne. » ; « Fable d’Emile Bernard » (concernant cette lettre du 2 août 1890 au critique commentant le suicide).

     

         Emile Bernard, qui a le premier parlé par écrit du suicide de Vincent, prend des coups dans ce livre qui lui auraient fait très mal s’il avait été encore vivant… Il faut dire que c’est violent.

        Le peintre Emile Bernard était le meilleur ami de Vincent Van Gogh qu’il avait connu à Paris durant l’hiver 1886/1887. Beaucoup plus jeune que Vincent, il fut le seul peintre avec lequel Vincent entretint une correspondance régulière de franche camaraderie, d’échange et de conseils. Par la suite, Emile Bernard fut l’un des plus grands collectionneurs des toiles de son ami et organisa la première exposition posthume de Van Gogh. Il consacra de nombreuses publications à la vie et l’art de celui-ci.

         Emile Bernard fait la connaissance du critique d'art Albert Aurier en 1887. A cette époque, il lui montre les dessins d’un inconnu : Vincent Van Gogh. Ce critique connaît bien Théo et découvre les toiles de Vincent chez celui-ci en 1888. Le 1er janvier 1889, une lettre de Bernard lui apprend la crise de folie de Van Gogh à Arles et l’épisode de l’oreille coupée : « Je suis tellement peiné que j’ai besoin de quelqu’un pour m’écouter un peu et me comprendre. Mon meilleur ami, mon cher Vincent est fou… ». Bernard s’est évidemment affolé en apprenant cette nouvelle et la maladie de son ami. Il continuera ensuite à écrire et soutenir Vincent jusqu’à la fin. Le 1er janvier 1890, soit un an après la crise du peintre qui a demandé à entrer à l’Hospice de Saint-Rémy-de-Provence, Albert Aurier publiera la première critique élogieuse sur Van Gogh « Les isolés » dans le Mercure de France. Vincent le remerciera longuement de l’hospice de Saint-Rémy et lui offrira un tableau. Les deux hommes se rencontreront au cours de ce dramatique dimanche du 5 juillet chez Théo, 3 semaines avant le décès de Vincent (j'en parlerai dans la quatrième partie de l'enquête "Ma conviction personnelle").

         Revenons sur la lettre du 2 aout 1890 qui pose problème aux auteurs : quatre jours après le décès, Emile Bernard décrit au critique d’art l’enterrement de Van Gogh le 30 juillet à Auvers en expliquant avec émotion les circonstances du suicide. Je reprends des passages de cette lettre : « Mon cher Aurier Votre absence de Paris a dû vous priver d'une affreuse nouvelle que je ne puis différer pourtant de vous apprendre. Notre cher ami Vincent est mort depuis quatre jours. Je pense que vous avez deviné déjà qu'il s'est tué lui-même… […] Mais en voilà bien assez mon cher Aurier, bien assez n'est ce pas de cette triste journée. Vous savez combien je l'aimais et vous vous doutez de ce que j'ai pu pleurer. Ne l'oubliez donc pas et tachez, vous son critique, d'en dire encore quelques mots pour que tous sachent que son enterrement fut une apothéose vraiment digne de son grand cœur et de son grand talent. »

       Cette lettre décrivant l’enterrement serait donc selon le livre : « une fable d’Emile Bernard » ; « une lettre à un critique dont il convoitait les faveurs ». Et encore : « deux ans plus tôt, Bernard avait déjà employé cette ruse pour l’épisode de l’oreille coupée en échafaudant un récit imaginaire le plaçant au cœur de cette histoire sensationnelle ».

         A mes yeux, les affirmations gratuites des auteurs du livre sont incompréhensibles…

     

    6) Paul, fils du docteur Gachet, a suggéré que le coup de feu a eu lieu dans les champs de blés près d’Auvers

         Même le fils de Théo Van Gogh, filleul de Vincent, qui a fondé le musée (musée Van Gogh aujourd’hui), a qualifié le jeune Paul Gachet de source « extrêmement douteuse ». Mais la fable d’Emile Bernard avait déjà marqué la légende Van Gogh, grâce à Irving Stone et à son épopée fortement romancée. (La vie passionnée de Vincent Van Gogh, 1934 devenant un film en 1956 avec Kirk Douglas).

     

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         Paul Gachet rapporta effectivement que Vincent s’était tiré une balle derrière le château d’Auvers. Il en fit d’

  • Gustave Courbet, le maître d'Ornans : 4. Janv. 1852/13 mai 1853

     

    CORRESPONDANCE - EXTRAITS CHOISIS

     

     

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    Gustave Courbet – La fileuse endormie (sa sœur Zélie), 1853, Musée Fabre, Montpellier

     

     

    « Assise, la fileuse au bleu de la croisée

    Où le jardin mélodieux se dodeline ;

    Le rouet ancien qui ronfle l’a grisée.

    Lasse, ayant bu l’azur, de filer la câline

    Chevelure, à ses doigts si faible évasive,

    Elle songe, et sa tête petite s’incline. […]

    Mais la dormeuse file une laine isolée ;

    Mystérieusement, l’ombre frêle se tresse

    Au fil de ses doigts longs et qui dorment, filée.

    Le songe se dévide avec une paresse

    Angélique, et sans cesse, au doux fuseau crédule,

    La chevelure ondule au gré de la caresse... »

     

                                         Paul Valéry – « La fileuse » dans "La Conque", 1891

     

         Le tableau "La fileuse endormie" de Gustave Courbet a inspiré ce magnifique poème à Paul Valéry.

     

     

    Lettre à Champfleury – Ornans, vers janvier 1852

     

    […]

    Il m’est difficile de vous dire ce que j’ai fait cette année pour l’exposition, j’ai peur de mal m’exprimer. Vous jugeriez mieux que moi si vous voyiez mon tableau. D’abord, j’ai dévoyé mes juges, je les mets sur un terrain nouveau : j’ai fait du gracieux. Tout ce qu’ils ont pu dire jusqu’ici ne sert à rien.

     

    * Le tableau « Les demoiselles de village » sont ce que Courbet appelle du « gracieux ». Il reprend le motif de ses 3 sœurs qu’il représente allant à la peinture,courbet,ornans,réalismerencontre d’une jeune vachère dans un décor de plein air.

    Comme toujours les "Demoiselles" font l’objet de railleries. Les caricaturistes s’en donnent à cœur joie.  Théophile Gautier, dans La presse, remarque : « L’auteur de « L’enterrement à Ornans » […] semble, cette année, avoir reculé devant les conséquences de ses principes ; la toile qu’il a exposée sous le titre des « Demoiselles de village » est presque une idylle à côté des monstrueuses trognes et des caricatures sérieuses de « L’enterrement ». Il y a comme une intention de grâce dans ses trois figures, et si monsieur Courbet eût osé, il les aurait faites complètement jolies. »

     

      

    Lettre à ses parents– Paris, vers le 15 juin 1852

     

         Dans cette lettre à ses parents, Courbet laisse parler un ego que son récent succès a largement développé.

     

    Si je ne vous ai pas écrit plus tôt c'est que je fais dans ce moment un tableau des lutteurs qui étaient cet hiver à Paris. C'est un tableau grand comme les Demoiselles de village, mais en hauteur. C'est pour faire du nu que j'ai fait cela, et aussi les apaiser de ce coté-là. On a bien des maux pour contenter chacun. C'est impossible de dire tout ce que m'a valu d'insultes mon tableau de cette année, mais je m’en moque car quand je ne serai plus contesté je ne serai plus important.

     

    * Au Salon de l’année suivante, l’artiste va exposer un nu féminin, sur lequel il travaille, qui va faire un immense scandale.

      

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     Gustave Courbet – Les lutteurs, 1853, Musée des Beaux-Arts, Budapest

    […]

    Je suis allé rendre une visite à M. de Morny (demi-frère de l’Empereur Napoléon III et son fidèle conseiller) qui m’a très bien reçu. Nous avons parlé peinture. II n'y connaît rien, c’est égal, il croît très bien s'y connaître. Je lui ai dit qu'on exigeait trop de choses de moi ; que je n’avais pas le moyen de répondre à toutes ces exigences ; que j’avais fait mon devoir puisque je savais peindre mieux que quiconque dans notre société ; que c'était à lui maintenant, ainsi qu'a tous ceux qui comprenaient ce que je faisais, à me commander des tableaux. II m'a répondu qu'il parlerait de cela au gouvernement. II m'a promis qu'on me ferait des commandes. D'autre part M. Romieu, qui est directeur des Beaux-Arts, a déclaré qu'il ne m'en ferait point du tout ; que le gouvernement ne pouvait pas soutenir un homme comme moi ; que, quand je ferais de l’autre peinture, il verrait ce qu'il a à faire ; que du reste j’étais posé en puissance politique et qu'on me ferait voir qu'on ne me craignait pas.

    […] Enfin je ne sais vraiment pas dans ce moment ce qu’il en adviendra. Je ne les crains toujours pas, mon affaire va bien, ma réputation s'agrandit et un jour j’aurai raison : ils avaleront tous le réalisme.

    Le tableau de cette année (Les demoiselles de village)  m’a conquis toute une classe de monde qui n'était pas pour moi l'an passé. Les peintres sont furieux. […] Ils ne viennent plus me voir comme l’an passé, ils se trouvent dupés et enfoncés et il n'y a pas jusqu’à Delacroix qui va au ministère pour détruire ma peinture. Cet homme se trouve étonné qu’on parle moins de lui. *

     

    * Dans son Journal, Delacroix admire la manière vigoureuse de Courbet, mais trouve ses sujets vulgaires et ses types hideux.

     

     

    Lettre à Adolphe Marlet (ami d’enfance) – Paris, vers janvier 1853

     

         Courbet commence à exposer régulièrement à Francfort : « Il paraît que les journaux allemands ont beaucoup parlé de moi. Il y avait dans ceux de Berlin que, depuis le Titien, on n’avait jamais vu un coloriste de ma force. »

    […]

    Il paraît qu’à Francfort comme à Paris j’ai des détracteurs et des partisans terribles. Les discussions étaient si violentes qu’au Casino on s’est vu forcé de placer un écriteau ainsi conçu : « Dans ce cercle il est défendu de parler des tableaux de M. Courbet. » Chez un banquier fort riche, qui avait réuni à dîner une société nombreuse, chaque invité trouva dans le pli de sa serviette un petit billet où il était écrit : « Ce soir, on ne parlera pas de M. Courbet. »

     

     

    Lettre à ses parents – Paris, vers le 13 mai 1853

     

         En cette année 1853, le Salon va ouvrir ses portes le 15 mai.

     

    Mes tableaux ont été reçus ces jours passés par le jury sans aucune espèce d’objection. J’ai été considéré comme admis par le public et hors de jugement. Ils m’ont enfin laissé la responsabilité de mes œuvres. J’empiète tous les jours. Tout Paris s’apprête pour les voir et entendre le bruit qu’ils feront. Pour Les baigneuses, çà épouvante un peu, quoique depuis vous j’y aie ajouté un linge sur les fesses. Le paysage de ce tableau a un succès général.

      

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    Gustave Courbet – Les baigneuses, 1853, musée Fabre, Montpellier

     

     

         On est très loin de la tradition néoclassique pour laquelle le nu était l’incarnation de la pureté morale.

         Une nouvelle escalade dans la provocation ? Courbet ou le goût du laid ? Il peint le nu comme il fait ses autoportraits : sans psychologie particulière. Il met en pièce l’idée même de sujet, pour mieux affirmer la présence brute, crue, du corps exhibé. Avec Courbet, le corps ne raconte rien, il montre.

         La  réprobation est générale :

         Dans son Journal du 15 avril 1853, Eugène Delacroix explose : « La vulgarité des formes ne ferait rien ; c’est la vulgarité et l’inutilité de la pensée qui sont abominables. »

         L’Impératrice Eugénie vient au Salon. Elle admire, comme il convient, le « Marché aux chevaux » de Rosa Bonheur, et on lui fait observer la fidélité avec laquelle l’artiste a su rendre la plus belle de nos races, la race percheronne. Arrivée devant les «  Baigneuses », l’Impératrice ne peut retenir un cri de surprise.

    - Est-ce aussi une Percheronne, fait-elle ?

         Théophile Gautier parle dans « La Presse » le 21 juillet 1853 : « Rompre violemment avec l’antique et les traditions du beau, peindre dans toute leur disgrâce les laideurs les plus rebutantes avec une grossièreté volontaire de touche, tel est le programme que s’est imposé M. Courbet, et il le suit fidèlement. A propos des « Baigneuses » il écrit : « Figurez-vous une sorte de Vénus hottentote sortant de l’eau, et tournant vers le spectateur une croupe monstrueuse et capitonnée de fossettes au fond desquelles il ne manque que le macaron de passementerie.

     

         Aux yeux de Courbet, outre le rôle des « Baigneuses » dans son processus d’émancipation artistique, le tableau lui apparaît comme un jalon essentiel dans son œuvre. Le scandale est son plaisir et sa façon d’avancer. Notre homme s’amuse, il rigole...