Vincent Van Gogh – Paysage avec le château d’Auvers au coucher de soleil – juin 1890, Van Gogh Museum, Amsterdam
Troisième partie
THÈSE DE L’ASSASSINAT
J’ai publié le 15 janvier dernier la première partie de mon dossier enquête sur le décès du peintre Vincent Van Gogh à Auvers-sur-Oise. Celle-ci se nommait : « Thèse officielle : Celle du Van Gogh Museum ». Après la deuxième partie : « Souvenirs d’Adeline Ravoux », publiée le 21 janvier, j’en arrive aujourd’hui à la troisième partie du dossier : La thèse de l’assassinat.
Cette thèse récente de l’assassinat repose essentiellement sur le livre publié en 2011 « VAN GOGH : The Life » de deux journalistes américains à succès Steven Naifeh et Gregory White Smith pour lesquels la version officielle du suicide de Vincent Van Gogh n’est pas crédible.
Le livre de ces journalistes est une volumineuse biographie sur le peintre qui expose leur version de l’assassinat, résultat d’une longue enquête découvrant des incohérences dans ce que l’histoire a reconnu comme étant un suicide. D’autres biographies et romans sont apparus ensuite reprenant cette même thèse de l’assassinat.
Simple passionné du peintre, je me suis beaucoup documenté sur l’homme et sa vie pour écrire récemment le roman QUE LES BLÉS SONT BEAUX – L’ultime voyage de Vincent Van Gogh : Vincent raconte au jour le jour les deux derniers mois de sa vie à Auvers-sur-Oise.
J’ai toujours été étonné des nombreuses polémiques engendrées par l’œuvre, la vie et, maintenant, la mort de Vincent. Il n’en aurait pas demandé autant, le pauvre !
GARDIEN DE LA FLAMME… Les auteurs américains considèrent les tenants de la thèse du suicide comme des gardiens d’une flamme déjà ancienne commençant à s’éteindre à la suite de leurs révélations.
Je n’ai pas lu leur importante biographie, mais les lecteurs qui voudront connaître l’ensemble des arguments avancés par les auteurs du livre réfutant la thèse du suicide pourront les retrouver dans l’article très détaillé du magazine Vanity Fair daté du 6 mars 2015 qui est signé par les auteurs du livre. ICI Je vais lire cette biographie que j'ai commandée et qui semble faire référence en la matière parmi les nombreux ouvrages concernant le peintre.
Je me contente de revenir, ci-dessous, sur quelques principaux points permettant, selon les auteurs, de se convaincre de l’assassinat de Van Gogh le 27 juillet 1890 dans un champ à Auvers-sur-Oise. Ceux-ci parlent de "preuves si convaincantes qu’elles ne pouvaient être passées sous silence".
Des points essentiels, aux yeux de ces auteurs, étayent la thèse : aucun mot d’adieu ; la direction hasardeuse prise par la balle de revolver au moment du tir ; une scène de western ; les dires précis confirmant le suicide rapportés par Emile Bernard, grand ami de Vincent ; les Souvenirs d’Adeline Ravoux, fille de l’aubergiste Ravoux.
Après chacun de ces arguments, je donnerai un ressenti personnel qui sera le plus objectif possible, et n’engage évidemment que moi, sur cette sombre histoire.
Je fais remarquer que la plupart de ces arguments ont été, et sont toujours, sujets à controverses de la part de nombreux experts et historiens d’art.
1) Van Gogh n’a pas laissé de mot d’adieu
Les griffonnages, prétendument retrouvés dans ses vêtements après sa mort, n’étaient en réalité que le brouillon d’une dernière lettre à son frère Théo, postée le jour du coup de feu, le 27 juillet 1890. Le texte était enjoué, pour ne pas dire optimiste.
On nous parle de griffonnages, brouillon d’une dernière lettre à Théo postée le jour du coup de feu le 27 juillet 1890… Vincent a effectivement écrit un brouillon de sa toute dernière lettre à son frère Théo, mais celle-ci ne peut avoir été postée le jour de la mort car elle a été écrite le 23 juillet, date confirmée plus tard par Johanna, la femme de Théo, et aussi par Théo qui envoya une lettre le 25 juillet à sa femme au sujet de cette lettre de Vincent (elle a donc été postée le 23 ou le 24).
Cette dernière lettre du 23 juillet était normale, sans pessimisme particulier. Par contre, le brouillon, ces griffonnages ensanglantés, (prétendument retrouvés disent les auteurs ?) dans les vêtements après la mort par Théo, n’était pas du tout optimiste, se terminant par : « Eh bien, mon travail à moi, j’y risque ma vie et ma raison y a sombré à moitié »… Ne serait-ce pas une lettre d’adieu ? Théo retrouva ce brouillon sur Vincent le jour de sa mort, soit le 29 juillet 1890 et l’annota de sa main. (Je montrerai ce brouillon intégralement dans le prochain article concernant ma « Conviction personnelle »).
2) Personne ne semble avoir vu Van Gogh lors de son suicide. Qui pourrait tenter de se tuer d’une balle dans le ventre ? Pourquoi se traîner jusqu’à sa chambre, sur plusieurs kilomètres, tordu par la douleur, au lieu de s’achever d’une seconde balle ?
Je défie quiconque qui veut se suicider de calculer avec précision l’endroit exact pour se tirer une balle… Et, s’il se loupe, avoir envie de recommencer, de se finir comme on dit…
3) Assassinat par deux jeunes garçons qui se prenaient pour Buffalo Bill
René Secrétan (16 ans) et son frère Gaston, fils d’un bourgeois parisien, passaient des vacances d’été à Auvers. René avait vu sur scène à Paris Buffalo Bill, et avait acheté en souvenir un costume et un vieux revolver de petit calibre qui s’enrayait souvent. Vincent se serait pris d’amitié avec ces garçons qui le suivaient partout et se moquaient de lui. Bien plus tard, René Secrétan, très âgé, maintenait que sa seule implication dans la mort de Van Gogh avait été de fournir une arme défaillante. « Le revolver fonctionnait quand il le voulait bien », plaisantait-il. Et seul le « destin » avait décidé qu’il marche le jour où le peintre reçut la balle.
Les auteurs américains disent à ce sujet avoir reçu beaucoup de critiques positives et éloges gratifiants. « Nous avons été pris au sérieux par beaucoup de gens bien intentionnés. » Qui sont ces gens bien intentionnés ?
La présence des frères Secrétan a effectivement été rapportée par différents témoins à cette époque. L’historien d’art John Rewald a recueilli dans les années 1930 des rumeurs auversoises dans ce sens, mais ces témoignages sont tardifs et de seconde main.
Cette histoire de cow-boy paraît rocambolesque et n’est fondée que sur des on-dit, des rumeurs, et les paroles peu claires de l’un des frères, René Secrétan, très longtemps après les faits (il avait plus de 80 ans).
Vincent n’a jamais dans ses courriers à Théo - à qui il racontait presque chaque jour et longuement ses journées - parlé de gamins qui l’ennuyaient et l’empêchaient de peindre. Il me paraît difficile de penser qu’un artiste comme Van Gogh, un homme gentil et doux, travailleur acharné, peignant parfois plus d’une toile par jour, se soit laissé distraire comme il est rapporté grossièrement dans le livre. Et d’avoir joué au cow-boy avec un vieux revolver enrayé…
4) Les circonstances de la mort
L’hypothèse du livre est que la balle a été tirée dans le flanc gauche. Van Gogh étant droitier « il serait extrêmement difficile de se tirer une balle à cet endroit de la main gauche », une trajectoire oblique de la balle paraissant peu probable si Vincent s’était tiré lui-même dessus.
Un médecin spécialiste américain apporte des éléments contradictoires au sujet d’une plaie entourée d’un « halo brun violacé », vue par le fils du docteur Gachet venu avec son père le soir du drame, prouvant que le « coup de feu avait été tiré à bout portant ». Ce docteur américain, présenté comme l’un des plus grands médecins légistes au monde, expert des blessures à l’arme à feu, a étudié les preuves médicales se rapportant à la blessure de Van Gogh. Son rapport d’expertise conclut que le canon se situait à plus de 30 cm de sa cible. « D’après moi dit le médecin, et selon toute vraisemblance médicale, Van Gogh n’a pu s’infliger cette blessure. En d’autres termes, il ne s’est pas tiré dessus. »
Des zones d’ombre entourent les circonstances de la blessure et de la mort qui est devenue une bataille confuse entre experts, médecins-légistes et historiens d’art se perdant en conjonctures.
Il n’y a pas eu d’autopsie du corps, seuls deux médecins assistaient Vincent le soir du 27 juillet : un médecin de la région (obstétricien) et le docteur Gachet (spécialité homéopathie). Le lendemain 28 juillet, Vincent resta assis sur son lit fumant sa pipe et attendant son frère qui arriva dans l’après-midi. Aucun de ces médecins ne tenta de faire quelque chose pour le sauver…
Je n’ai aucune compétence en la matière pour émettre un avis sur la direction de la balle et la distance de tir. Toutefois, il apparaît possible de penser que la balle, tirée dans la direction du cœur, a pu ricocher sur une côte et toucher l’abdomen…
Peut-on, de nos jours, plus de 120 ans après le décès, dans la confusion qui régna les deux jours du drame, entre les aubergistes Ravoux affolés, les médecins circonspects, et Théo effondré, conclure aussi facilement : « Il ne s’est pas tiré dessus »…
5) Le peintre Emile Bernard serait « le principal colporteur de la thèse du suicide »
« Emile Bernard a écrit la première version du suicide dans une lettre à un critique dont il convoitait les faveurs » ; « Deux ans plus tôt il avait déjà employé cette ruse quand Van Gogh s’était coupé un bout de l’oreille gauche » ; « Emile Bernard cherche à se donner le beau rôle, persuadé jusqu’à sa mort que Van Gogh avait accaparé la gloire qui devait être la sienne. » ; « Fable d’Emile Bernard » (concernant cette lettre du 2 août 1890 au critique commentant le suicide).
Emile Bernard, qui a le premier parlé par écrit du suicide de Vincent, prend des coups dans ce livre qui lui auraient fait très mal s’il avait été encore vivant… Il faut dire que c’est violent.
Le peintre Emile Bernard était le meilleur ami de Vincent Van Gogh qu’il avait connu à Paris durant l’hiver 1886/1887. Beaucoup plus jeune que Vincent, il fut le seul peintre avec lequel Vincent entretint une correspondance régulière de franche camaraderie, d’échange et de conseils. Par la suite, Emile Bernard fut l’un des plus grands collectionneurs des toiles de son ami et organisa la première exposition posthume de Van Gogh. Il consacra de nombreuses publications à la vie et l’art de celui-ci.
Emile Bernard fait la connaissance du critique d'art Albert Aurier en 1887. A cette époque, il lui montre les dessins d’un inconnu : Vincent Van Gogh. Ce critique connaît bien Théo et découvre les toiles de Vincent chez celui-ci en 1888. Le 1er janvier 1889, une lettre de Bernard lui apprend la crise de folie de Van Gogh à Arles et l’épisode de l’oreille coupée : « Je suis tellement peiné que j’ai besoin de quelqu’un pour m’écouter un peu et me comprendre. Mon meilleur ami, mon cher Vincent est fou… ». Bernard s’est évidemment affolé en apprenant cette nouvelle et la maladie de son ami. Il continuera ensuite à écrire et soutenir Vincent jusqu’à la fin. Le 1er janvier 1890, soit un an après la crise du peintre qui a demandé à entrer à l’Hospice de Saint-Rémy-de-Provence, Albert Aurier publiera la première critique élogieuse sur Van Gogh « Les isolés » dans le Mercure de France. Vincent le remerciera longuement de l’hospice de Saint-Rémy et lui offrira un tableau. Les deux hommes se rencontreront au cours de ce dramatique dimanche du 5 juillet chez Théo, 3 semaines avant le décès de Vincent (j'en parlerai dans la quatrième partie de l'enquête "Ma conviction personnelle").
Revenons sur la lettre du 2 aout 1890 qui pose problème aux auteurs : quatre jours après le décès, Emile Bernard décrit au critique d’art l’enterrement de Van Gogh le 30 juillet à Auvers en expliquant avec émotion les circonstances du suicide. Je reprends des passages de cette lettre : « Mon cher Aurier Votre absence de Paris a dû vous priver d'une affreuse nouvelle que je ne puis différer pourtant de vous apprendre. Notre cher ami Vincent est mort depuis quatre jours. Je pense que vous avez deviné déjà qu'il s'est tué lui-même… […] Mais en voilà bien assez mon cher Aurier, bien assez n'est ce pas de cette triste journée. Vous savez combien je l'aimais et vous vous doutez de ce que j'ai pu pleurer. Ne l'oubliez donc pas et tachez, vous son critique, d'en dire encore quelques mots pour que tous sachent que son enterrement fut une apothéose vraiment digne de son grand cœur et de son grand talent. »
Cette lettre décrivant l’enterrement serait donc selon le livre : « une fable d’Emile Bernard » ; « une lettre à un critique dont il convoitait les faveurs ». Et encore : « deux ans plus tôt, Bernard avait déjà employé cette ruse pour l’épisode de l’oreille coupée en échafaudant un récit imaginaire le plaçant au cœur de cette histoire sensationnelle ».
A mes yeux, les affirmations gratuites des auteurs du livre sont incompréhensibles…
6) Paul, fils du docteur Gachet, a suggéré que le coup de feu a eu lieu dans les champs de blés près d’Auvers
Même le fils de Théo Van Gogh, filleul de Vincent, qui a fondé le musée (musée Van Gogh aujourd’hui), a qualifié le jeune Paul Gachet de source « extrêmement douteuse ». Mais la fable d’Emile Bernard avait déjà marqué la légende Van Gogh, grâce à Irving Stone et à son épopée fortement romancée. (La vie passionnée de Vincent Van Gogh, 1934 devenant un film en 1956 avec Kirk Douglas).
Paul Gachet rapporta effectivement que Vincent s’était tiré une balle derrière le château d’Auvers. Il en fit d’