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Rechercher : un pastelliste heureux

  • Parme Ceriset sauvage et ardente

     

    Parme Ceriset, éditions du Cygne, poésie

    Parme Ceriset n’en finit pas de m’étonner. Son dernier recueil « Boire la lumière à la source » était légèreté, renaissance. Elle jouissait de sa nouvelle vie après avoir connu les affres de cette maladie qui, il y a quelques années, faillit la détruire. Elle semblait heureuse, écrivait des poèmes rafraichissants, son aventure de vie la conduisait au gré de ses envies et plaisirs.

    Parme Ceriset, éditions du Cygne, poésie

    Je lis la quatrième de couverture de ce dernier recueil : elle parle « d’ambiance incandescente ». Je feuillète les premiers poèmes. Les mots qui, dans le précédent recueil, célébraient la vie retrouvée, devenaient, cette fois, durs, agressifs. « La beauté de l’éphémère », « l’éclat limpide des cieux » se transformait en explosion, combat : un « vent glacé qui emporte tout ».

     

     

    La femme se transforme en « Amazone », avançant dans la nuit profonde. Reprenant le poème de Rimbaud, une attaque va la laisser avec « deux trous rouges au côté droit ». Que se passe-t-il ? Pourquoi « La mort gronde ». Son amour est au loin : « Il est parti affronter la Nuit en zone de grand danger ». Elle l’attend, ses yeux fixant le ciel : « Elle hurle à la mort, à la vie, et elle entend dans le lointain l’immémorial chant des louves, et elle devient ce chant… ».  

     

    Le recueil s’enfle dans un long cri sensuel et ardent.

    L’homme est revenu : « Il approche de ses crocs de louve… Elle effleure sa peau d’homme hâlée d’or et d’épice ». Elle veut assouvir son désir : « Elle l’attire dans la nuit, dans la danse brûlante de leurs corps et le mord, délicieuse pénombre ».

    La femme redevient panthère, animal déchainé : « Elle cueille du miel sur sa langue, peint l’amour sur son corps, le rend ivre de gingembre, le fait hurler : encore ! ». Un érotisme latent, une flamme, embrase les mots, les êtres : « Embrasse-moi, dit-elle, jusqu’à épuisement, jusqu’à la déraison »

     

    Parme Ceriset, éditions du Cygne, poésieLa sensualité intense de cette poésie m’a fait repenser au magnifique texte érotique que Paul Valéry écrivit en songeant au peintre des danseuses, son ami Edgar Degas. Il est fasciné par une grande Méduse excitante et séductrice : « Jamais danseuse humaine, femme échauffée, ivre de mouvement du poison de ses forces excédées, de la présence ardente de regards chargés de désir, n’exprima l’offrande impérieuse du sexe, l’appel mimique du besoin de prostitution, comme cette grande Méduse, qui, par saccades ondulatoires de son flot de jupes festonnées, qu’elle trousse et retrousse avec une étrange et impudique insistance, se transforme en Éros ; et tout à coup, rejetant tous ses falbalas vibratiles, ses robes de lèvres découpées, se renverse et s’expose, furieusement ouverte. »

     

    Le mot liberté revient constamment dans les phrases de l’auteure. Elle s’en abreuve : « Elle est libre aujourd’hui… Nul ne la domptera. Nul ne lui dictera le bien et le mal, nul ne choisira pour elle ce que doit être son idéal. »

     

    Dans un de mes recueils de nouvelles « Conter la peinture », j’imaginais un couple d’homme et femme, à l’époque des cavernes, qui découvraient leurs premiers émois artistiques devant le dessin d’un bison et l’empreinte de leurs mains animant la paroi d’une grotte, lui insufflant une présence, une vie nouvelle. Je retrouve la même pensée dans une phrase : « Quelque chose de la Nuit les relie aux premières lueurs de l’Art, aux mains gravées dans la roche comme une marque de leur passage. »

     

    La fin du recueil est un vibrant cri d’amour désespéré face à la mort qui s’annonce. La femme sent sa morsure sur sa peau, la guerre les a rattrapés : « Les voilà unis dans la mort, ils sont tombés aux jardins de l’Éden perdu… Assassinés… » Elle n’est pas prête à cette fin brutale : « Elle aurait voulu faire l’amour une dernière fois, le serrer encore dans ses bras… »

     

    Parme Ceriset nous a offert un très beau recueil, puissant, fort, brulant, qui va faire date dans sa trajectoire. L’émotion nous pénètre et ne nous quitte pas une fois le livre refermé. C’est un vibrant hommage à l’humanité tout entière : l’homme, la femme, la nature, la vie, l’amour, et le passage du temps.

    J’ai noté cette jolie phrase : « Chaque femme qui s’envole nous laisse un peu de lumière »

    Parme Ceriset, éditions du Cygne, poésie

    « Nous passerons, légers, laisserons dans le vent

    l’empreinte de nos vies

    et l’écho de nos pas,

    le reflet de nos actes et le chant de nos voix

    et un peu de nos mots dans le ciel étoilé. »

     

    Un grand merci, Parme Ceriset.

    (J’espère qu’elle ne m’en voudra pas de lui avoir emprunté des photos)

     

  • Claude Monet sur le port du Havre

     

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    Claude Monet - Impression, soleil levant, 1874, musée Marmottan, Paris

     

    Il s'agit du tableau-phare de l'impressionnisme : Impression, soleil levant, que Monet peignit au petit matin sur le port du Havre en 1874. Il est le symbole de ce nouveau style avant-gardiste, oeuvre majeure de l'exposition actuelle au musée d'Orsay.    

     

    " Le 13 novembre 1872, vers 7 heures du matin, installé sur le quai du Havre à une fenêtre de l’hôtel de l’Amirauté, Monet tourne la tête en direction du sud-est. Il est face à l’avant-port, en surplomb du quai et du bassin, et peint le lever du soleil qui s’offre à lui. Il observe le port industrialisé et la brume dissolvant les formes. Des grues indiquent des travaux d’agrandissement du quai sur la droite, une cheminée fume vers la gauche. L’eau et le ciel, noyés dans un gris perle, se distinguent à peine l’un de l’autre.
         L’artiste est particulièrement satisfait de ce petit tableau qu’il a saisi rapidement. « Il ne paye pas de mine », pense-t-il, mais il renferme tout ce qu’il recherche depuis ses débuts de paysagiste. Il y voit un condensé de sa vision de la nouvelle peinture : lumière changeante modifiant les couleurs, aspect vaporeux, sensation fugitive et éphémère des choses. "

     

    Extrait du roman Camille muse de Claude Monet, publié chez BOD

     

     

  • Gustave Courbet, le maître d'Ornans : 1. 21 juin 1840/avr. 1846

    CORRESPONDANCE - EXTRAITS CHOISIS

     

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    Gustave Courbet – Portrait de Régis Courbet, père de l’artiste, 1843,  musée du Petit Palais, Paris

     

         20 ans, une beauté physique époustouflante. Il ne sera pas, comme le souhaite son père, polytechnicien, inventeur, notable, ou chef d’industrie. Cette ambition n’est pas à la mesure de Gustave Courbet. Il a soif d’idéal et est bien décidé à mordre la vie et la peinture passionnément.

    Lettre à son père – Paris, vers le 21 juin 1840

     

         La conscription militaire à cette époque se faisait par tirage au sort. Apparemment, Courbet avait tiré un numéro qui l’obligeait à accomplir son service militaire. Il cherchait à se faire réformer et ne manquait déjà pas d’imagination…

     

    Mon cher Papa, 

     

    Je te dirai que j’ai passé au conseil de révision samedi matin le 20. J’ai si bien joué mon rôle que ces messieurs n’ont rien pu décider. Si les certificats que tu m’avais envoyés avaient été plus appuyés, s’ils avaient été légalisés par le préfet, je crois que je serais réformé. Maintenant ils ont décidé que je passerais une seconde fois dans mon pays où l’on me connaissait mieux et, à cet effet, ils m’ont signifié de partir de suite. Je ne sais vraiment pas comme j’ai pu bégayer de cette façon car je ne leur ai pas dit un seul mot comme il faut. Ils m’ont dit que j’exagérais mais cela ne m’a pas empêché de continuer mon rôle. Il est bon de te dire par exemple que j’avais fait de fameux préparatifs pour cela. Je ne me suis d’abord pas couché, puis ensuite j’ai fait monter dans ma chambre une bouteille d’eau-de-vie de cognac que j’ai bu en punch et j’ai fumé plus de 20 pipes et ajouté à tout cela 2 ou 3 tasses de café. C’est avec ces décoctions-là que je me suis présenté devant eux étant aussi de sang froid que je le suis à présent. Je vais donc partir aussitôt que j’aurai reçu ta réponse que tu m’enverras par poste. Cependant, je te donnerais bien un jour pour examiner si j’aurais des chances d’être refusé ou reçu car tu dois sentir que ce ne serait pas amusant pour moi de perdre les deux plus beaux mois de l’année.

     

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    Photo de Gustave Courbet – 1852, BNF, Paris

     

     

    Lettre à ses grands-parents – Paris, mars 1844

     

         Les mots du grand-père maternel, adoré vétéran de la vraie révolution, celle de 89 : « Crie fort et marche droit », ne seront pas oubliés par le jeune homme confronté au durs combats parisiens qui l’attendent.

     

    Je profite de l’occasion pour vous donner de mes nouvelles qui ne sont pas grandes car, quand on travaille, tous les jours se ressemblent. Je vous dirai seulement que le tableau que j’ai à l’exposition (salon de 1844) a été mis au salon d’honneur, ce qui est très avantageux pour moi car c’est une place réservée aux meilleurs tableaux de l’exposition. Et si au lieu d’un portrait j’avais eu un tableau plus considérable, j’aurais eu une médaille, c’eût été un début magnifique. Chacun m’en fait compliment.

     

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    Gustave Courbet – Courbet au chien noir, 1842, musée du Petit Palais, Paris

     

    Lettre à ses parents – Paris, vers le 20 avril 1845

     

         L’été dernier à Ornans, Gustave retrouve sa région natale et ses deux sœurs Zélie et Juliette, deux très belles jeunes filles. Elles l’inspirent et ils les peint. Zélie à 18 ans et il n’hésite pas à la représenter en partie dévêtue, offerte. Un portrait de frère voyeur, de « faiseur de chair » dira Emile Zola. Le portrait de sa sœur Juliette semble mal foutu, tête trop grosse avec un regard de femme d’une trentaine d’années alors qu’elle a à peine 14 ans. Il la présente, pour rire, au Salon sous le titre « La baronne de M. ». Les deux portraits seront refusés au Salon de 1845.

     

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    Gustave Courbet – Le Hamac (sa sœur Zélie), 1844, Musée Oskar Reinhart, Suisse

     

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    Gustave Courbet – Portrait de sa sœur Juliette, 1844, Musée du Petit Palais, Paris

     

    […] Je vous écrivais donc qu’on ne m’avait reçu qu’un tableau et malgré cela je n’ai pas peinture,courbet,ornans,réalismele droit d’être mécontent car on en a refusé à une foule d’hommes célèbres qui certainement avaient plus de droit que moi. Ils m’ont reçu mon Guitarrero et au Salon il a trouvé des amateurs. J’attends réponse, malgré tout cela j’ai peur de ne pas le vendre.

    […] Quand on n’a pas encore de réputation on ne vend pas facilement et tous ces petits tableaux ne font pas de réputation. C’est pourquoi il faut que l’an qui vient je fasse un grand tableau qui me fasse décidément connaître sous mon vrai jour, car je veux tout ou rien. […) J’entends la peinture plus en grand, je veux faire de la grande peinture. Ce que je dis là n’est pas seulement de la présomption car toutes les personnes qui m’approchent et qui se connaissent en art me le prédisent. 

     

     

     

     

     

    Gustave Courbet –  Le guitarrero, 1844, collection particulière

     

    J’ai fait l’autre jour une tête d’étude et, lorsque je l’ai fait voir à M. Hesse (peintre prix de Rome ayant de nombreux élèves), il m’a dit devant tout son atelier qu’il y avait très peu de maîtres à Paris capables d’en faire une pareille. Puis de suite il m’a dit que si je faisais pour l’an qui vient un tableau peint comme cela, qu’il m’assurerait un beau rang parmi les peintres. J’admets qu’il y a de l’exagération dans ces paroles mais ce qui est sûr, c’est qu’il faut qu’avant cinq ans j’aie un nom dans Paris.

     

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    Gustave Courbet – Le désespéré, 1843, Collection privée

     

     

    Lettre à ses parents – Paris, vers le 16 mars 1846

     

         Courbet ne supporte plus le jugement du jury du Salon. Il se fait déjà une très haute idée de sa peinture…

     

    Les vents me sont contraires pour le moment. De tous les tableaux que j'ai envoyés à l’exposition, je n'en ai qu'un de reçu, c'est mon portrait*. II est vrai que c'était comme art la chose principale, mais au dire de bien du monde et des artistes de ma connaissance ce qu'ils m'ont refusé ne lui était pas inférieur. Il y a de la mauvaise volonté, c'est évident. II y a pour juges un tas de vieux imbéciles qui n'ont jamais rien pu faire dans leurs vies et qui cherchent à étouffer les jeunes gens qui pourraient leur passer sur le corps. Aussi on ne s'en rapporte plus à Paris au jugement de ces gens-là. Ca devient un honneur d'être refusé car ça prouve que vous ne pensez pas comme eux. Ce qu'ils n'ont pu me refuser, ils l'ont perché au plafond, si bien qu'on ne peut le voir, mais malgré cela je suis convaincu avec tous les artistes mes amis, qu'il est dans les trois meilleurs portraits de l’exposition. C'est très contrariant, ne le voyant pas, on ne peut en parler et cependant trois ou quatre journaux de Paris allaient s'occuper de moi, ça m'était promis. Il faut espérer qu'on le descendra. En attendant je vais exposer autre part ce qu'ils m'ont refusé. Je ne suis pas le seul. Chacun se plaint et les plus grands noms ont été refusés tout comme moi. C'est une vraie loterie. Pensez qu'ils en ont à juger 400 par jour, deux à la minute. Vous pouvez voir avec quelle conscience cela se fait.

     

    * Tout en suivant les cours de l’Académie suisse, Courbet copie au Louvre les grands maîtres qui ont fait l’histoire de la peinture. Les peintres espagnols : Vélasquez, Ribera, Zurbaran et les flamands du Siècle d’or, en particulier Rembrandt, ont sa préférence. La technique des Italiens de la Renaissance l’intéresse et il se fait un autoportrait à la manière du Titien.

     

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                   Gustave Courbet – Autoportrait, l’homme à la ceinture de cuir (inspiré du Titien), 1845, musée d’Orsay, Paris

     

     

    Lettre à Théophile Gautier – Paris, vers avril 1846

     

    Monsieur,

    En exposant on s’expose non seulement à être refusé, mais encore, lorsqu’on échappe à ces censeurs ridicules, à se voir suspendu à des hauteurs prodigieuses où l’on est certainement à l’abri de la critique, mais à une place qui ne fait pas, je l’avoue, à beaucoup près mon affaire. Car si je fais de l’art, ou plutôt, si je cherche à en faire, c’est d’abord pour tâcher d’en vivre, ensuite c’est pour mériter la critique de quelques hommes tels que vous, qui jouiront d’autant mieux de mes progrès qu’ils auront apporté plus de sollicitude à me guérir de mes traverses. Or depuis tantôt sept ans que je fais de la peinture à travers le dédale de toutes les écoles, n’ayant eu pour maître et pour guide que mon sentiment, il me tarde singulièrement de savoir où j’en suis et où mes efforts ont abouti.

    Privé que je suis dans le milieu où je vis de conseils profitables et de réciprocité artistique, j’ose m’adresser à vous, confiant dans la pensée que vous ne me refuserez pas votre avis.

     

         Théophile Gautier, critique artistique redoutable et redouté, n’écrira pas une ligne sur la peinture de Courbet.

     

     

    Lettre à ses parents – Paris, vers avril 1846

     

    Il n’y a rien de plus difficile que de se faire une réputation en peinture et de se faire admettre du public, et plus on se distingue des autres et plus c’est difficile. Pensez bien que pour changer le goût et la manière de voir d’un public, ce n’est pas une petite besogne. Car c’est ni plus ni moins renverser ce qui existe et le remplacer. Vous pouvez croire qu’il y a des jaloux et des intérêts froissés.

     

          Van Gogh ainsi que les impressionnistes, plus tard, auraient pu écrire la même chose.

         La peinture académique du Salon était considérée comme la peinture officielle. En dehors du Salon, un peintre ne peut vendre un tableau. Un jury, soumis au pouvoir politique, fait le tri entre les toiles qui peuvent être exposées et les refusées.

        

     

     

  • Van Gogh : Assassinat ou suicide? - Les souvenirs d'Adeline Ravoux

     

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    Paul van Ryssel (Paul Gachet) – dessin de Vincent Van Gogh sur son lit de mort, 29 juillet 1890

     

     

    Deuxième partie

     

     

    LES CAHIERS DE VAN GOGH

     

    Souvenirs d’Adeline Ravoux « La jeune fille en bleu » sur le séjour de Vincent van Gogh à Auvers-sur-Oise - 1953

     

     

     

         La première partie de mon dossier-enquête sur le décès de Van Gogh, publiée le 15 janvier dernier, concernait la thèse officielle : celle du Van Gogh Museum.

         Aujourd’hui, pour la deuxième partie de l’enquête, de la longue interview d’Adeline Carrié, née Ravoux, agée de 76 ans, je publie, ci-dessous, uniquement la partie de ses propos se rapportant au décès de l’artiste :

     

     

        Madame Carrié née Adeline Ravoux m’a dressé ses Souvenirs sur Vincent Van Gogh avec l’autorisation de les publier.

        Les lecteurs des Cahiers de Van Gogh y trouveront l’atmosphère de l’après-midi du 1er mai 1953 au cours duquel, à Mesnières-en-Bray, elle évoqua devant moi un Vincent Van Gogh qui n’était pas celui qu’une légende torturée m’avait exposé. Ceux qui mettent la vérité au-dessus de toute préoccupation secondaire apprécieront le souffle d’air pur que Madame Carrié fait passer sur la mémoire de Vincent. Elle a droit, à ce titre, à l’expression de la reconnaissance des amis de Van Gogh.

     

     

     

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    Voici ce que je sais sur sa mort. 

    Ce dimanche-là, il était sorti aussitôt après le déjeuner, ce qui était inhabituel. 

    Au crépuscule, il n’était pas encore rentré, ce qui nous surprit fort, car extrêmement correct dans ses relations avec nous, il arrivait toujours aux heures régulières des repas. Nous étions alors tous assis à la terrasse du café, ce qui ne nous arrivait que le dimanche après la bousculade d’une journée plus fatigante que les jours de semaine. Lorsque nous vîmes arriver Vincent, la nuit était tombée, il devait être environ neuf heures. 
    Vincent marchait courbé, se tenant le ventre, exagérant encore son habitude de se tenir une épaule plus haute que l’autre. Mère lui demanda : « Monsieur Vincent, nous étions inquiets nous sommes contents de vous voir rentrer ; vous serait-il arrivé quelque chose de fâcheux ? » 
    Il répondit d’une voix souffrante : non, mais je me…Il n’acheva pas, traversa la salle, prit l’escalier et monta à sa chambre. J’ai été témoin de cette scène. 
    Vincent nous fit une si étrange impression que Père se leva et alla dans l’escalier pour écouter s’il se passait quelque chose d’insolite. Il crut entendre des gémissements, monta rapidement et trouva Vincent sur son lit, couché en chien de fusil, les genoux au menton, geignant fortement : « Qu’avez-vous, demanda Père, êtes-vous malade ? » Vincent leva alors sa chemise et lui montra une petite plaie dans la région du cœur. Père s’écria : « Malheureux, qu’avez-vous fait ? » 
    « J’ai voulu me tuer » lui répondit Van Gogh. 
    Ces précisions, nous les tenons de notre père qui les évoqua maintes fois devant mes sœurs et moi, car la mort tragique de Vincent Van Gogh est restée pour notre famille, un des évènements les plus marquants de notre vie. Sur ses vieux jours, Père devenu aveugle repassait volontiers ses souvenirs, et le suicide de Vincent était l’un des faits qu’il racontait le plus souvent et avec grande précision. 
    J’ouvre ici une parenthèse pour qu’on ne puisse douter de la fidélité de la mémoire de Père, qui était prodigieuse. 

    [Cette digression vient à l’appui du récit des événements fait par la famille Ravoux, et qui s’oppose à celui présenté par la famille Gachet.] 
    Il
    (le père d’Adeline) racontait quelquefois aux clients de notre café, ses souvenirs de la guerre de 1870. Certains furent portés à la connaissance d’un chroniqueur du Petit Parisien, spécialiste des questions historiques – il s’appelait M. de Saint-Yves, je crois - et celui-ci vérifia les dires de Père ; tous les détails qu’il donnait étaient confirmés : jamais on ne put surprendre sur ses lèvres une erreur. 

     

    La valeur du témoignage de Père étant ainsi bien établie, je continue le récit de ses souvenirs sur la mort du grand peintre. J’avoue que la manière dont certains biographes ont parlé de Père m’a beaucoup choqué. Père n’était pas un homme vulgaire. Sa réputation d’honnêteté était proverbiale : jamais on ne l’a appelé « le père Ravoux ». Il commandait le respect. 
    Je continue donc le récit des confidences que Vincent Van Gogh fit à Père au cours de la nuit du dimanche au lundi qu’il passa près de lui. 
    Vincent s’était rendu vers le champ de blé où il avait peint précédemment, qui était situé derrière le château d’Auvers, appartenant alors à M. Gosselin habitant Paris, rue Messine. Le château se trouvait à plus d’un demi kilomètre de notre maison. On y parvenait en montant une côte assez raide, ombragée de grands arbres. Nous ne savons pas s’il s’éloigna beaucoup du château. Au cours de l’après-midi, dans le chemin creux qui longe le mur du château – a cru comprendre mon père - Vincent se tira un coup de revolver et s’évanouit. La fraicheur du soir le ranima. A quatre pattes, il chercha le revolver pour s’achever, mais ne put le retrouver (on ne l’a pas davantage retrouvé le lendemain). Alors Vincent se releva puis redescendit la côte pour regagner notre maison. 
    Je n’ai pas, évidemment, assisté à l’agonie de Van Gogh, mais j’ai été témoin de la plupart des faits que je vais relater maintenant. 
    Après avoir constaté sa blessure dans la région du cœur, Père descendit rapidement de la chambre où Vincent gémissait et il demanda à Tom Hirschig (un peintre qui vivait à l’auberge) d’aller à la recherche d’un médecin. Il y avait à Auvers, un médecin de Pontoise qui avait un pied-à-terre où il donnait des consultations. 
    Ce médecin était absent. Père envoya alors Tom chez le Dr Gachet qui habitait en haut du bourg, mais n’exerçait pas à Auvers. 
    Le Dr Gachet était-il en relations avec Van Gogh ? Père l’ignorait totalement, le médecin n’était jamais venu à la maison, et la scène à laquelle notre père assista ne put le lui faire supposer, bien au contraire. 


    [Gachet exerçait à Paris, mais il soignait aussi des amis et des pauvres gens à Auvers.] 

    Après la visite du médecin Père nous dit : « Le Dr Gachet a examiné M. Vincent et lui a fait un pansement sommaire avec des bandages qu’il avait lui-même apportés » (on l’avait prévenu qu’il s’agissait d’un blessé). Il jugea le cas désespéré et repartit aussitôt. Je suis absolument certaine qu’il ne revînt pas : ni le soir, ni le lendemain. Père nous dit encore : « Pendant l’examen et lorsqu’il lui a fait le pansement, le Dr Gachet n’a pas dit un mot à M. Vincent ». 
    Après avoir reconduit le médecin, Père remonta près de M. Vincent et le veilla toute la nuit. Tom Hirschig resta près de lui. 
    Avant l’arrivée du médecin, Vincent avait réclamé sa pipe à Père et fuma ainsi une partie de la nuit. 
    [Selon le fils du Dr Gachet, après avoir allumé la pipe de Vincent, le médecin aurait quitté le peintre pour prévenir Théo (il le fit par une lettre datée du 27 juillet 1890), tandis que lui-même veillait le blessé à l’auberge.] 

    Il paraissait souffrir beaucoup et par moments geignait. Il pria Père d’approcher son oreille pour entendre, lui disait-il, le glouglou de l’hémorragie interne. Presque toute la nuit il resta silencieux, s’assoupissant parfois. 
    Dans la matinée du lendemain, deux gendarmes de la brigade de Méry, prévenus par la rumeur publique probablement, se présentèrent à la maison. L’un d’eux nommé Rigaumon interpella Père d’un ton déplaisant : « C’est ici qu’il y a eu un suicide ? » Père, après l’avoir prié d’adoucir ses manières, l’invita à monter près du moribond. Il précéda les gendarmes dans la chambre, expliqua à Vincent que la loi française prescrivait dans ce cas une enquête que venaient faire les gendarmes. Ceux-ci entrèrent, et Rigaumon, toujours sur le même ton, interpella Vincent : « C’est vous qui avait voulu vous suicider ? » 
    - Oui, je crois répondit Vincent sur le ton doux qui lui était habituel. 
    - Vous savez que vous n’en avez pas le droit. 
    Toujours sur le même ton égal, Van Gogh reprit : « Gendarme, je suis libre de mon corps et libre d’en disposer à mon gré. N’accusez personne, c’est moi qui ai voulu me suicider». 
    Père pria alors les gendarmes, un peu vertement, de ne pas insister davantage. 
    Dès l’aube, Père s’était préoccupé de faire prévenir Théo, le frère de Vincent. Le blessé étant alors assoupi ne pouvait donner de renseignements précis. (Il avait eu un sursaut d’énergie qui l’avait beaucoup fatigué lors de la visite des gendarmes.) Mais, sachant que le frère de Vincent était vendeur de tableaux Boussod Valadon, boulevard Montmartre, à Paris, Père envoya un télégramme à cette adresse dès l’ouverture du bureau de poste. Théo arriva par le train dans le milieu de l’après-midi. Je me rappelle l’avoir vu arriver en courant. La gare était d’ailleurs assez proche de chez nous. C’était un homme un peu moins grand que Vincent, mieux tenu, de physionomie agréable et qui paraissait très doux. Mais son visage était décomposé par le chagrin. Il monta aussitôt près de son frère qu’il embrassa en lui parlant dans leur langue natale. Père se retira et n’assista pas à leur entretien. Il ne les rejoignit qu’à la nuit. Après l’émotion qu’il avait éprouvée en voyant son frère, Vincent était tombé dans le coma. Théo et mon père veillèrent sur le blessé jusqu’à sa mort qui survint à une heure du matin. 
    C’est Père qui, avec Théo, fit dans la matinée la déclaration du décès à la mairie. 
    La maison prit le deuil comme pour le décès d’un des nôtres. La porte du café resta ouverte mais les volets furent mis à la devanture. Dans l’après-midi, après la mise en bière, le corps fut descendu dans la « salle des peintres ». Tom était allé cueillir de la verdure pour décorer la pièce, et Théo avait disposé tout autour les toiles qu’y avait laissées Vincent : L’église d’Auvers, Les Iris, Le Jardin de Daubigny, L’Enfant à l’orange, etc. Au pied du cercueil, on avait disposé la palette et les pinceaux. Les tréteaux avaient été prêtés par notre voisin, M. Lever, le menuisier. L’enfant de ce dernier, âgé de deux ans, avait été peint par Van Gogh dans le tableau l’Enfant à l’orange. C’est également M. Levert qui avait fait le cercueil.
    (Les nouvelles littéraires ont publié une photographie de notre maison d’Auvers où l’on peut voir Père, ma sœur Germaine, l’enfant Levert et moi-même.)
    L’inhumation eut lieu le surlendemain du décès, dans l’après-midi. 


    [En fait, il fut enterré le lendemain, 30 juillet, dans l’après-midi. Le service religieux fut annulé lorsque le curé de l’Eglise Notre Dame d’Auvers-sur-Oise apprit que Vincent van Gogh s’était suicidé, ce qui explique la rayure du lieu de recueillement sur le faire-part.

     

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    Une vingtaine d’artistes suivirent le corps jusqu’au cimetière du village. Père y assista ainsi que Tom et Martinez et des voisins qui voyaient chaque jour M. Vincent lorsqu’il partait peindre. 
    Au retour, Père était accompagné de Théo, de Tom, du Dr Gachet et du fils de ce dernier, Paul, qui pouvait avoir alors seize ans. Ils entrèrent dans la « salle des artistes » d’où le cercueil venait de partir et où étaient exposées les toiles. Théo voulant remercier ceux qui s’étaient occupés de son frère leur offrit de prendre, en souvenir, quelques toiles de l’artiste qui venait de disparaître. Père se contenta de mon portrait et de la Mairie d’Auvers que M. Vincent lui avait donnés de son vivant. Lorsque la proposition fut faite au Dr Gachet, celui-ci se choisit de nombreuses toiles et les passait à son fils Paul : « Roulez Coco », disait-il pour en faire un paquet. 


    [Ces toiles font partie du très important legs Gachet donné au Louvre en 1954.] 

    Puis Théo emmena ma sœur Germaine pour choisir un jouet : ce fut un panier de copeaux entrelacés contenant une petite batterie de cuisine en fer. Enfin, Théo emporta ce qui avait appartenu à son frère. 
    Nous ne l’avons jamais revu. 
    Longtemps après, nous avons appris qu’il était tombé gravement malade presque aussitôt le suicide de son frère et qu’il était mort quelques mois après. Son corps a été ramené à Auvers où il est inhumé près de son frère. 


    Quels furent les mobiles du suicide de Vincent ? 


    Voici quel était l’avis de Père : Théo venait d’avoir un petit garçon et Vincent adorait son neveu. Il craignait que son frère marié et ayant une charge supplémentaire ne puisse plus le soutenir comme il l’avait fait jusqu’alors. C’est le motif que Théo exprima à Père et il lui dit que la dernière lettre écrite par Vincent était dans ce sens. 
    Celle qui a été publiée porte le n°652
    (il s’agit du brouillon de la lettre inachevée, ensanglantée, que Vincent avait sur lui ; elle fut annotée par Théo : « La lettre qu'il avait sur lui le 29 juillet, le jour (illisible). » dans la série des Lettres de Vincent à Théo ; a-t-elle été portée à notre connaissance dans son entier ? Le motif du suicide n’y est pas discernable. 
    De cette confidence sur les embarras d’argent de Vincent, faite par Théo à Père, on n’en trouve aucune trace dans les lettres, ce qui tend à faire penser qu’il existe des lacunes dans la publication de ces lettres. La correspondance de Vincent van Gogh poserait-elle des problèmes qu’on a voulu éluder ? 
    De ses déboires amoureux ou du peu de succès de sa peinture, de son vivant, nous n’en avons jamais rien su et nous aurions certainement ignoré ses difficultés financières si Théo n’en avait parlé à Père lorsqu’ils veillèrent Vincent, car celui-ci payait sa pension régulièrement.

     
    J’en ai fini de mon récit. J’aimerais qu’il soit publié intégralement et sans qu’on en modifie le texte. J’ai été en effet, dans ces derniers temps, interviewée par des journalistes qui ont rapporté mes propos avec plus ou moins de fidélité ou qui mêlaient à mes déclarations leurs propres appréciations personnelles, parfois désobligeantes, allant même jusqu’à déformer ce que je leur avais dit, ou qui ont utilisé mes souvenirs à des fins qui, si je les avais connues, m’auraient fait décliner l’interview.

    Je suis sans doute l’ultime survivante ayant connu personnellement à Auvers Vincent van Gogh, et certainement le dernier témoin vivant de ses derniers jours. 
    Il m’apparaît donc que mon témoignage, duquel toute préoccupation littéraire est exclue, a une valeur essentielle pour l’histoire de la vie de Vincent van Gogh à Auvers, et ne saurait être confondu avec les fantaisies qui, depuis de longues années, ont été propagées on ne sait par qui, ni dans quel but. J’ajoute que mon témoignage ne peut être exploité de façon valable pour écrire l’histoire, à Auvers, de la vie de Vincent, qu’à la condition d’en respecter intégralement la teneur. 
    Il se peut que ces authentiques souvenirs de témoins oculaires aillent à l’encontre de certaine légende maintenant discutée. 

    [La version des évènements de la famille Gachet en général reprise par les commentateurs depuis la publication par V. Doiteau et E. Leroy de La Folie de Van Gogh (1928.] 

    Mais, ceux qui les premiers (et les auteurs suivants se sont référés à leurs dires) ont écrit l’histoire de la vie de Vincent van Gogh doivent admettre que ce n’est qu’en 1953, à l’occasion du centenaire de la naissance du grand artiste, que la presse s’en est occupée, puis à découvert celle à laquelle elle a donné le nom de La Dame en bleu (Adeline Ravoux). Ainsi, pendant soixante-trois ans, aucune évocation «  souvenirs » par un témoin de la vie de Vincent à Auvers-sur-Oise n’avait été recherchée. On a donc bâti sur des fondements discutables une légende de la vie de Van Gogh à Auvers-sur-Oise
    En conscience, j’ai dit ce que j’ai vu, puis rapporté ce que j’ai entendu par mon père qui, seul près de Vincent, a vécu la nuit tragique du 27 juillet 1890. Je désire rester absolument en dehors des controverses des historiens de l’art. Mais je reste persuadée que mon récit est un document qu’il est utile de conserver et auquel il sera nécessaire de se reporter lorsqu’on voudra écrire l’histoire véridique du séjour de Vincent van Gogh à Auvers-sur Oise.

    Adeline Carrié (née Ravoux).

     

     

         La troisième partie de cette enquête, se rapportant à la thèse de l’assassinat évoquée dans le livre « VAN GOGH : The Life » en 2011, sera publiée la semaine prochaine.

         Avant d'évoquer cette dernière thèse dans le prochain article, je veux signaler que l’un des principaux ar

  • Elle offense la pudeur !

     

         En 1863, Napoléon III, étonné du grand nombre de refusés au Salon vint en voisin des Tuileries pour se rendre compte par lui-même. Surpris par la sévérité du jury, il demanda que l’on ouvre, à côté du Salon officiel, une exposition montrant les œuvres rejetées afin que le public puisse juger : le Salon des Refusés. Certains contestataires appelleront ce salon « La chambre des horreurs ».

         Edouard Manet y expose son « Déjeuner sur l’herbe » refusé au Salon officiel. Les dimensions de la toile sont exceptionnelles : 2,08 m sur 2,64 m. Ce genre de format était habituellement réservé aux sujets historiques ou mythologiques. Cette fois, rien de cela… Banalement, l’artiste se contente de reprendre des genres comme le portrait, le paysage et la nature morte.

         « Elle offense la pudeur » dit l’Empereur en voyant la toile. Le public se gausse. C’est un tollé général.

     

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    Edouard Manet – Le déjeuner sur l’herbe, 1863, musée d’Orsay, Paris

     

     

         Edouard Manet avait bien préparé son coup.

         Antonin Proust, dans ses « Souvenirs » de 1897 rapporte la conception du tableau :

         « A la veille du jour où il fit le Déjeuner sur l’herbe et l’Olympia (exposée deux années plus tard) nous étions un dimanche à Argenteuil, étendus sur la rive, regardant les yoles blanches sillonner la Seine […] Des femmes se baignaient. Manet avait l’œil fixé sur la chair des femmes qui sortaient de l’eau. « Il paraît, me dit-il, qu’il faut que je fasse un nu. Eh bien, je vais leur en faire, un nu. Quand nous étions à l’atelier, j’ai copié les femmes de Giorgione, les femmes avec les musiciens (Concert champêtre). Il est noir ce tableau. Les fonds ont repoussé. Je veux refaire cela et le faire dans la transparence de l’atmosphère, avec des personnages comme ceux que nous voyons là-bas. On va m’éreinter. On dira que je m’inspire des Italiens après m’être inspiré des Espagnols. » »

     

     

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    Titien (ancienne attribution à Giorgione) – Concert champêtre, 1509, musée du Louvre, Paris

     

         Manet va se mettre au travail. Une nouvelle fois Victorine Meurant est utilisée. Il la montre nue comme un ver, dans un sous-bois, coincée entre deux jeunes hommes de la bohème élégante, dont l’un d’eux est le frère de Manet, Eugène. Le « pique-nique » est sympathique mais totalement irréaliste.

         Les critiques sont évidemment particulièrement salées :

     

    Ernest Chesneau, 1864

    « Manet aura du talent, le jour où il saura le dessin et la perspective, il aura du goût le jour où il renoncera à ses sujets choisis en vue du scandale […] nous ne pouvons trouver que ce soit une œuvre parfaitement chaste que de faire asseoir, entourée d’étudiants en béret et en paletot, une fille vêtue seulement de l’ombre des feuilles. C’est là une question très secondaire, et je regrette, bien plus que la composition elle-même, l’intention qui l’a inspirée […] M. Manet veut arriver à la célébrité en étonnant le bourgeois […] Il a le goût corrompu par l’amour du bizarre. »

     

    Louis Etienne, 1863

    « Une Bréda quelconque, aussi nue que possible, se prélasse effrontément entre deux gardiens aussi habillés et cravatés […] ces deux personnages ont l’air de collégiens en vacances, commettant une énormité pour faire les hommes ; et je cherche en vain ce que signifie ce logogriphe peu séant. »

     

    Théophile Thoré, 1863

    « Le Bain est d’un goût bien risqué. La personne n’a pas de belle forme malheureusement […] et on n’imaginerait rien de plus laid que le monsieur étendu près d’elle […] Je ne devine pas ce qui a pu faire choisir à un artiste intelligent et distingué une composition si absurde. »

     

     

         En 1867, Emile Zola, ami de l'artiste, écrit une défense en forme d’éloge :

     

     « Le Déjeuner sur l'herbe est la plus grande toile d'Edouard Manet, celle où il a réalisé le rêve que font tous les peintres : mettre des figures de grandeur naturelle dans un paysage. On sait avec quelle puissance il a vaincu cette difficulté. Il y a quelques feuillages, quelques troncs d'arbres, et, au fond une rivière dans laquelle se baigne une femme en chemise ; sur le premier plan, deux jeunes gens sont assis en face d'une seconde femme qui vient de sortir de l'eau et qui sèche sa peau nue au grand air. Cette femme nue a scandalisé le public, qui n'a vu qu'elle dans la toile. Bon Dieu ! quelle indécence : une femme sans le moindre voile entre deux hommes habillés ! Cela ne s'était jamais vu. Et cette croyance était une grossière erreur, car il y a au musée du Louvre plus de cinquante tableaux dans lesquels se trouvent mêlés des personnages habillés et des personnages nus. Mais personne ne va chercher à se scandaliser au musée du Louvre. La foule s'est bien gardée d'ailleurs de juger Le Déjeuner sur l'herbe, comme doit être jugée une véritable oeuvre d'art; elle y a vu seulement des gens qui mangeaient sur l'herbe, au sortir du bain, et elle a cru que l'artiste avait mis une intention obscène et tapageuse dans la disposition du sujet, lorsque l'artiste avait simplement cherché à obtenir des oppositions vives et des masses franches. Les peintres, surtout Edouard Manet, qui est un peintre analyste, n'ont pas cette préoccupation du sujet qui tourmente la foule avant tout ; le sujet pour eux est un prétexte à peindre tandis que, pour la foule, le sujet seul existe. Ainsi, assurément, la femme nue du Déjeuner sur l'herbe n'est pas là que pour fournir à l'artiste l'occasion de peindre un peu de chair. Ce qu'il faut voir dans le tableau, ce n'est pas un déjeuner sur l'herbe, c'est le paysage entier, avec ses vigueurs et ses finesses, avec ses premiers plans si larges, si solides, et ses fonds d'une délicatesse si légère ; c'est cette chair ferme modelée à grands pans de lumière, ces étoffes souples et fortes, et surtout cette délicieuse silhouette de femme en chemise qui fait dans le fond une véritable tache blanche au milieu des feuilles vertes, c'est enfin ce vaste ensemble, plein d'air, ce coin de la nature rendu avec une simplicité si juste, toute cette page dans laquelle un artiste a mis tous les éléments particuliers et rares qui étaient en lui. »

     

    Emile Zola, " Edouard Manet, 1867 - La Revue du XIXe siècle "

     

         Plus tard, Zola rajoutera dans une étude sur Edouard Manet: « J’ai répondu aux critiques d’art qui prétendaient que Manet avait outrageusement souillé le temple du beau. J’ai répondu que le destin avait sans doute déjà marqué au musée du Louvre la place future de l’Olympia et du Déjeuner sur l’herbe.

     

         En 1884, au lendemain de la mort d’Edouard, sa famille et ses amis organisèrent une exposition posthume. Son frère, Eugène Manet, demanda à Zola d’écrire une petite notice biographique qui sera placée en tête du catalogue. En guise de notice, celui-ci fera une longue analyse sur l’oeuvre de l’artiste et la terminera par ces mots : « […] Qu’ils le confessent ou non, les jeunes artistes ont tous subi l’influence de Manet ; et s’ils prétendent qu’il y a simplement rencontre, il n’en reste pas moins évident qu’il a le premier marché dans la voie, en indiquant la route aux autres. Son rôle de précurseur ne peut plus être nié par personne. Après Courbet, il est la dernière force qui se soit révélée, j’entends par force une nouvelle expansion dans la manière de voir et de rendre. »

     

     

  • Maximilien Luce (1858-1941) à Giverny

     

     

     Un pointilliste méconnu

     

      maximilien-luce - delannoy.jpg

     Delannoy – Maximilien Luce, Les hommes du jour n°60, 1909

     

           Je pousse les portes de ce charmant musée normand de Giverny proche de la maison rose de Claude Monet située à une centaine de mètres.

          Je me suis violenté pour ne pas arriver, comme trop souvent, le dernier jour de cette exposition…

          Il s’agit de la première rétrospective consacrée au peintre néo-impressionniste Maximilien Luce. 70 œuvres, dessins et peintures sont exposées jusqu’au 31 octobre au Musée des impressionnismes de Giverny.

          J’aime ces peintres du petit point et de la division des couleurs…

     

     

           Au moment où les impressionnistes commençaient seulement à être appréciés, Georges Seurat allait devenir le chef de file d’une nouvelle école néo-impressionnistes en présentant, en 1886, lors de la huitième et dernière exposition commune du groupe des impressionnistes, un tableau intitulé Un Dimanche à la Grande Jatte qui était son manifeste.

          Le système divisionnisteSeurat - grande jatte 1886.jpg des tons de Seurat était rigoureusement scientifique. La technique paraissait simple : couvrir le tableau de petits points juxtaposés de couleurs pures soucieuses les unes des autres selon le principe des complémentaires. Ainsi, les couleurs ne se mêlaient plus sur la toile, mais dans l’œil du spectateur. La toile vibrait sous le regard. Certains critiques de l’époque utilisaient des expressions imagées en parlant de « confettisme », de « semis de menues touches colorantes » ou de « tourbillonnantes cohues de menues macules ».

    Georges Seurat – Un dimanche à la Grande Jatte, 1886, Art Institute, Chicago

     

              La luminosité du mélange optique obtenu allait ainsi rallier à cette théorie de grands peintres comme Paul Signac et Camille Pissarro. Plusieurs autres, moins connus, allaient suivre : Cross, Angrand, le belge Van Rysselberghe et, un certain… Maximilien Luce.

          Je ne connaissais guère ce Maximilien Luce dont j’avais aperçu trop rapidement quelques toiles au musée d’Orsay. C’est pourquoi j’ai pris soin, avant de venir, de faire sa connaissance en me procurant le catalogue de l’expo.

          Je vous invite à me suivre.

      

    Des portraits

               

    Luce - la toilette 1887 genève.jpg

    M. Luce – La toilette, 1887, Association des amis du Petit Palais, Genève

         

          Pour sa première exposition au Salon des Artistes Indépendants de 1887, Luce fait la connaissance de Paul Signac qui lui achète La toilette représentant un homme torse nu se lavant dans une bassine. Cette toile fut qualifiée de « rude morceau de peinture ». Un critique lança : « monsieur Luce peint des prolétaires ». Une grande amitié allait ainsi naître entre Signac et Luce.

    Luce - portrait de paul signac 1890 particulier.jpg 

     

         Luce a souvent peint ses amis. J’apprécie le superbe portrait qu’il fait de Paul Signac, représenté de profil à contre-jour penché sur sa toile.

     

     

     

      

     

     M. Luce – Portrait de Paul Signac, 1890, Collection particulière 

     

           Je reconnais le seul portrait de femme du catalogue de l’expo. Luce - femme se peignant 1901 - mantes la jolie.jpg

          Luce vit depuis plusieurs années avec Ambroisine Bouin lorsqu’il peint en 1901 la sœur de celle-ci, Eugénie Bouin, âgée de 24 ans. Le peintre s’est inspiré de Jo, la belle irlandaise de Courbet qu’il a vue chez Durand-Ruel. Eugénie peigne ses longs cheveux bruns. Le corsage très décolleté, la jupe en tissu épais et son visage poupin lui donnent un physique sensuel bien différent de celui de sa sœur, la fine et élégante Ambroisine dont j’ai vu une photo. Malheureusement, Eugénie, malade, mourra l’année suivante.

     

      

    M. Luce – Madame Bouin à sa toilette, 1901, Musée de l’Hôtel-Dieu, Mantes-la-Jolie

     

     Des paysages somptueux

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     M. Luce – Vue de Montmartre, 1897, Kröller-Müller Museum, Otterlo

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                                                   M. Luce – Le Port de Saint-Tropez, 1893, Collection particulière

     

          Je suis frappé par la puissance coloriste du peintre. La qualité de son pinceau illumine une vue montmartroise et des quais de Saint-Tropez éclaboussés de soleil, grouillant de monde.

           luce - louvre et carrousel 1890 brown.jpg

          M. Luce – Le Louvre et le pont du Carrousel, effet de nuit, 1890, Collection M. et Mme Walter F. Brown

     

    Je circule un long moment devant toute une série de « nocturnes » aux tonalités mauves et vertes. Un coup de foudre… Les crépuscules marins contrastés et les effets d’éclairage urbain sont somptueux.

     

     Luce - bord de mer 1893.JPEG

     M. Luce – Bord de mer Pointe du Toulinguet, 1893, Amis du Petit Palais, Genève

                                                         

    Luce - quai à camaret 1894.JPEG

                                                M. Luce – Quai à Camaret, Finistère, 1894, Springfield, Massachusetts

     

          Je contemple un long moment ces chefs-d’œuvre. Une question me taraudait l’esprit : comment avait-on pu oublier un artiste aussi talentueux ?... Peut-être ces convictions politiques anarchistes ?

      luce - louvre et pont neuf nuit, éventail 1892 orsay.jpg

                            M. Luce – Le Louvre et le Pont Neuf, la nuit, éventail, 1892, musée d’Orsay, Paris

      

     

     Un dessinateur de talent

    Luce - la famill pissarro 1890 mantes la jolie.jpg

                   Luce - louise michel 1905 - musée de saint-denis.jpg         M. Luce – La Famille Pissarro, 1890, musée de l’Hôtel-Dieu, Mantes-la-jolie

     

          Des nombreux dessins et lithographies sont exposés. Je remarque, crayonné sur une même feuille, toute la famille du peintre Pissarro, ami de Luce, et un portrait expressif  de Louise Michel, héroïne de la Commune, à son retour de déportation en Nouvelle Calédonie.

     

     

       M. Luce – Louise Michel à son retour de Nouméa, 1905, d’après une photo, musée d’Art et d’Histoire, Saint-Denis

     

     Un univers industriel

      Luce - l'aciérie 1895 genève.jpg

          Maximilien Luce s’intéresse au monde du travail. En 1895, il découvre le Pays noir du Borinage à Charleroi où la production du charbon et de l’acier se fait dans la vallée de la Sambre. De grandes toiles montrent la fascination du peintre pour ce spectacle de hauts fourneaux impressionnant de beauté.

           « Partout des feux de Bengale multicolores, des étincelles. Les ouvriers ne sont plus rien, je vois le règne du feu ! Jamais je le crois je n’ai

  • Eugène DELACROIX écrivain

     

    Journal – 4.2 Année 1824, Scio : L’oeuvre

     

     

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    Eugène Delacroix – Scènes des massacres de Scio, 1824, musée du Louvre, Paris

     

     

          Eugène Delacroix a vraiment beaucoup de chance…

       Pour son premier envoi au Salon en 1822, son tableau « Dante et Virgile aux Enfers » avait été acheté par l’Etat français, ce qui lui avait permis d’entrer dans le tout nouveau musée des artistes vivants au Luxembourg. Malgré le scandale annoncé de sa nouvelle toile « Scènes des massacres de Scio », le comte de Forbin, directeur des Musées royaux, une nouvelle fois, fait acheter le grand tableau, non pas à l’issue du Salon, mais au début de celui-ci.

        Comme prévu, dès l’ouverture du Salon, la polémique enfle et les critiques sont peinture,delacroix,louvre,romantismeparticulièrement violentes. Rien n’est épargné à l’artiste : « massacre de la peinture » ; « il agglomère de la couleur, il peint avec une brosse » ; « peintre barbare dont l’imagination déréglée n’enfante que des blessures hideuses, des contorsions, des agonies, et craint toujours de ne point verser assez de sang ». Ceux qui ne comprennent pas, assimilent le tableau, comme Stendhal et Thiers, à une scène de peste. La confrontation brutale des spectateurs avec des corps étalés au premier plan, dans le tiers inférieur de la toile, alors que le grand paysage derrière occupe les deux tiers de la composition, surprend : « on ne trouve ici qu’un assemblage confus de figures, ou plutôt de demies figures, car aucune n’offre un développement complet ».

     

        Peu de spectateurs dans le Salon ont compris la méthode de travail du jeune artiste. Il s’en explique dans son journal du 7 mai alors que son tableau prend forme.

     

     

    Paris, 7 mai 1824

    (…)

    Mais quand une chose t’ennuiera, ne la fais pas. Ne cours pas après une vaine perfection. Il est certains défauts pour le vulgaire qui donnent souvent la vie. 

    Mon tableau acquiert une torsion, un mouvement énergique qu’il faut absolument y compléter. Il y faut ce bon noir, cette heureuse saleté, et de ces membres comme je sais, et comme peu les cherchent. Le mulâtre fera bien.

    Il faut remplir ; si c’est moins naturel, ce sera plus fécond et plus beau. Que tout cela se tienne ! O sourire d’un mourant ! Coup d’œil maternel ! étreintes du désespoir, domaine précieux de la peinture ! Silencieuse puissance qui ne parle qu’aux yeux, et qui gagne et s’empare de toutes les facultés de l’âme ! Voilà l’esprit, voilà la vraie beauté qui te convient, belle peinture, si insultée, si méconnue, livrée aux bêtes qui t’exploitent. Mais il est des cœurs qui t’accueilleront encore religieusement ; de ces âmes que les phrases ne satisfont point, pas plus que les inventions et les idées ingénieuses. Tu n’as qu’à paraître avec ta mâle et simple rudesse, tu plairas d’un plaisir pur et absolu. Plus de donquichotteries (petit tableau qu’il vient de terminer) indignes de toi ! Avouons que j’y ai travaillé avec la passion. Je n’aime point la peinture raisonnable ; il faut, je le vois, que mon esprit brouillon s’agite, défasse, essaye de cent manières, avant d’arriver au but dont le besoin me travaille dans chaque chose. Il y a un vieux levain, un fond tout noir à contenter. Si je ne me suis pas agité comme un serpent dans la main d’une pythonisse, je suis froid ; il faut le reconnaître et s’y soumettre, et c’est un grand bonheur. Tout ce que j’ai fait de bien a été fait ainsi.

    Recueille-toi profondément devant ta peinture et ne pense qu’au Dante. C’est ceci que j’ai toujours senti en moi !

     

         Delacroix s’attache moins à la forme, à la structure des objets ou des corps offerts à son regard qu’à leur surface, leur couleur.

        La couleur des corps a été obtenue par de longues séances d’observation de nus qu’il a fait poser dans différentes études. La diversité des couleurs de peau, l’idée du « sang mêlé », n’a plus rien à voir avec l’idéal des puretés néoclassiques influencées par la statuaire gréco-romaine.

     

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    Eugène Delacroix – Aspasie la mauresque, 1824, musée Fabre, Montpellier

     

         En exposant sa toile, Delacroix a rédigé une notice : « Scènes des massacres de Scio. Familles grecques attendant la mort ou l’esclavage (voir les relations diverses et les journaux du temps ». Il laisse au spectateur le soin de se laisser gagner par la sensation produite par une facture volontairement chaotique provenant, en partie, de la façon dont l’artiste a conçu son tableau essentiellement à partir du modèle.

        L’artiste a peint, non des héros antiques, mais des hommes, des femmes et des enfants de son temps. Il peint un peuple luttant pour sa liberté et non une scène de peste comme beaucoup l’ont interprété. Le mur de personnages prostrés au bas de la toile devant ce grand paysage ne peut espérer aucun secours : ils attendent la mort ou l’esclavage qui leur est promis. La dramaturgie du tableau doit faire comprendre qu’ils appellent à l’aide : celle du spectateur.

       Quel spectacle nous offre l’artiste ? : celui d’un désenchantement, d’une impuissancepeinture,delacroix,louvre,romantisme que la figure christique de l’homme mort au centre de la composition semble personnifier.

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

      

         A l’issue du Salon, peu de personnes avaient compris le tableau de Delacroix. Le peintre belge François-Joseph Navez, élève du très classique David, donne une critique peu aimable, mais intéressante, à laquelle Delacroix sera sensible :

         « Le massacre de Scio n’est qu’une intention, cela n’est ni dessiné, ni peint, mais il est impossible de donner une idée plus juste du malheur… »

     

     

         Deux années plus tard, en 1826, Delacroix ne quittera pas la Grèce et peindra une nouvelle toile qui, cette fois, sera d’apparence « beaucoup plus raisonnable ».

       En 1823, alors que la Grèce est en révolution contre l’empire Ottoman, le poète anglais Lord Byron s’engage par les armes, dépense beaucoup d’argent pour porter secours aux insurgés. A cette époque le poète est une star, certainement l’écrivain le plus célèbre en Europe. Il meurt d’une fièvre dans la ville de Missolonghi en 1824 à 36 ans. Dans son sillage, toute une jeunesse romantique, enflammée par ses écrits, avide de gloire, ne pense plus qu’à se battre pour l’indépendance du peuple grec. Victor Hugo écrit « Frères, Missolonghi fumante nous réclame » dans un poème des « Orientales ».

     

    peinture

    Théodoros Vryzakis – Lord Byron à Missolonghi, 1826, Galerie Nationale, Athènes

     

         Deux après ses « Scènes des massacres de Scio » Delacroix décide audacieusement de peindre une allégorie : « La Grèce sur les ruines de Missolonghi ». Dans son esprit il s’agit d’une réflexion sur le sens de l’histoire. Les habitants de cette ville, où meurt Byron, avaient résisté pendant un an aux troupes ottomanes. La famine et la maladie les décimèrent, mais ils préférèrent se faire exploser plutôt que se livrer. Les survivants furent massacrés ou déportés.

     

     

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    Eugène Delacroix – La Grèce sur les ruines de Missolonghi, 1826, musée des Beaux-Arts, Bordeaux

     

     

        Une Pietà… Debout sur un bloc de pierre ensanglanté, l’attitude de la femme, isolée, représente à elle seule tous les malheurs de la ville détruite et de la Grèce. Le combat est terminé : un soldat d’une division égyptienne de l’armée turc paraît à l’arrière plan, peu belliqueux. Effigie statique, poitrine découverte et les bras écartés, elle semble résignée à offrir son corps en martyr.

       Quelques années plus tard, dans sa « Liberté guidant le peuple », le peintre reprendra ce modèle de femme avec la poitrine dénudée menant le peuple sur les barricades parisiennes lors de la révolution de 1830.

     

     

     

         Ce premier journal de jeunesse de Delacroix se termine en cette fin de l’année 1824 avec l’exposition au Salon de « Scènes des massacres de Scio ». Il ne sera repris qu’en 1847. Cela n’empêchera pas l’artiste de noter sur des carnets ses pensées, réflexions, ou des extraits de lectures, qui lui serviront pour le journal de la maturité.

     

     

     

  • Van Gogh écrivain : St-Rémy - 3. 19 sept./3 nov. 1889

     CORRESPONDANCE - EXTRAITS CHOISIS

     

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    Vincent Van Gogh –  Demi-silhouette d’un ange (d’après Rembrandt), sept. 1889, collection privée

     

    Ah ! Comme il a compris l'âme exquise des fleurs ! Comme sa main, qui promène les torches terribles dans les noirs firmaments, se fait délicate pour en lier les gerbes parfumées et si frêles ! Et quelles caresses ne trouve-t-il pas pour en exprimer l'inexprimable fraîcheur et les grâces infinies ?

    Et comme il a compris aussi ce qu'il y a de triste, d'inconnu et de divin dans l'œil des pauvres fous et des malades fraternels !  

                                                                                     

    Octave MirbeauL'Écho de Paris, 31 mars 1891

     

     

     

           La santé de Vincent s’est améliorée, mais il souffre d’être entouré de malades atteints de graves troubles psychologiques. Il souhaiterait se rapprocher de Paris. Le 18 septembre, Théo l’approuve, mais l’installation éventuelle chez les peintres Pissarro ou Jouve ne lui paraît pas réalisable car son frère doit être sous la surveillance d’un médecin. Il lui conseille de travailler avec plus de modération : « J’ai peur quand tu travailles comme cela avec rage car forcément tu t’épuises. Je comprends que l’oisiveté te pèse surtout quand tu n’as pas de société à ton goût. »    

          Faute de modèles, sortant peu dans la campagne environnante, l’artiste va copier des toiles de ses peintres préférés.

    « De la façon de sentir de Van Gogh, nous avons une indication très précieuse : ce sont les copies qu’il exécute d’après divers tableaux de Rembrandt, de Delacroix, de Millet. Elles sont admirables. Mais ce ne sont pas, à proprement parler, des copies, ces exubérantes et grandioses restitutions. Ce sont plutôt des interprétations, par lesquelles le peintre arrive à recréer l’oeuvre des autres, à la faire sienne, tout en lui conservant son esprit original et son spécial caractère - Octave Mirbeau »

     

     

     Lettre à Théo – vers le 20 septembre 1889

      

     C’est drôle, juste au moment où je faisais cette copie de « La pietà » de Delacroix, j’ai peinture,van gogh,saint-rémy,st paul moselée, delacroixtrouvé où est passée cette toile.

     Elle appartient à une reine de Hongrie ou d’un autre pays par là qui a écrit des poésies sous le nom de Carmen Sylva. L’article qui parlait d’elle et du tableau était de Pierre Loti, qui faisait sentir que cette Carmen Sylva était comme personne encore plus touchante que ce qu’elle écrit – et elle écrit pourtant des choses comme ça : une femme sans enfant est comme une cloche sans battant ; le son de l’airain serait peut-être fort beau, mais on ne l’entendra point.

     

     

    Vincent Van Gogh –  La Pietà (d’après Delacroix), sept. 1889, Van Gogh Museum, Amsterdam

     

    J’ai à présent 7 copies sur les dix des « travaux des champs » de Millet.

    Je peux t’assurer que cela m’intéresse énormément de faire des copies et que n’ayant pour le moment pas de modèles cela fera que pourtant je ne perdrai pas de vue la figure.peinture,van gogh,saint-rémy,st paul moselée, millet

    En outre cela me fera une décoration d’atelier pour moi ou un autre.

    Je désirerais copier aussi le « semeur » et les « bêcheurs ».

    C’est une étude dont j’ai besoin car je veux apprendre.

    Tu seras surpris quel effet prennent les travaux des champs par la couleur, c’est une série bien intime de lui. (Van Gogh copie d’après des gravures de tableaux en noir et blanc qu'il s'est procuré)

     

     

     

     

     

     

     

     

    Vincent Van Gogh –  Le faucheur (d’après Millet), sept. 1889, Van Gogh Museum, Amsterdam

     

    Ce que je cherche là-dedans et pourquoi il me semble bon de les copier, je vais tâcher peinture,van gogh,saint-rémy,st paul moselée, milletde te le dire. On nous demande à nous autres peintres toujours de composer nous-mêmes et de n’être que compositeurs.

     Soit – mais dans la musique il n’en est pas ainsi et si telle personne jouera du Beethoven elle y ajoutera son interprétation personnelle – en musique et alors surtout pour le chant l’interprétation d’un compositeur est quelque chose, et il n’est pas de rigueur qu’il n’y a que le compositeur qui joue ses propres compositions.

     Bon – moi, surtout à présent étant malade, je cherche à faire quelque chose pour me consoler, pour mon propre plaisir.

     

     

    Vincent Van Gogh –  Paysanne liant des gerbes (d’après Millet), sept. 1889, Van Gogh Museum, Amsterdam

     

    Je pose le blanc et noir de Delacroix ou de Millet, ou d’aprèpeinture,van gogh,saint-rémy,st paul moselée, millets eux, devant moi comme motif. Et puis j’improvise de la couleur là-dessus, mais bien entendu pas tout à fait étant moi, mais cherchant des souvenirs de leurs tableaux. Mais le souvenir, la vague consonance de couleurs qui sont dans le sentiment sinon justes, ça c’est une interprétation à moi.

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Vincent Van Gogh –  Le moissonneur avec faucille (d’après Millet), sept. 1889, Van Gogh Museum, Amsterdam

     

    Un tas de gens ne copient pas, un tas d’autres copient – moi je m’y suis mis par hasard et je trouve que cela apprend et surtout parfois console. Aussi alors mon pinceau va entre mes doigts comme serait un archet sur le violon et absolument pour mon plaisir.

    Aujourd’hui j’ai essayé « la tondeuse de moutons » dans une gamme allant du lilas au peinture,van gogh,saint-rémy,st paul moselée, milletjaune.

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Vincent Van Gogh –  La tondeuse de moutons (d’après Millet), sept. 1889, Van Gogh Museum, Amsterdam

    […]

    Bernard et Gauguin ne demanderont pas du tout la forme juste d’un arbre, mais ils veulent absolument qu’on dise si la forme est ronde ou carrée – et ma foi, ils ont raison, exaspérés par la perfection photographique et niaise de certains. Ils ne demanderont pas le ton juste des montagnes, mais ils diront : nom de Dieu les montagnes étaient-elles bleues, alors foutez-y du bleu et n’allez pas me dire que c’était un bleu un peu comme-ci comme-ça, c’était bleu n’est-ce pas ? Bon – faites les bleues et c’est assez !  Gauguin est quelquefois génial lorsqu’il explique cela mais le génie qu’a Gauguin, il est bien timide de le montrer et c’est touchant comme il aime à dire une chose vraiment utile à des jeunes. Quel drôle d’être tout de même.

    […]

    Je sens tellement que l’histoire des gens est comme l’histoire du blé, si on n’est pas semé en terre pour y germer, qu’est-ce que ça fait, on est moulu pour devenir du pain.

    La différence du bonheur et du malheur ! Tous les deux sont nécessaires et utiles et la mort ou la disparition... c’est tellement relatif – et la vie également.

    […]

    Je voudrais bien voir des reproductions de Millet dans les écoles, je crois qu’il y aurait des enfants qui deviendraient des peintres si seulement ils voyaient des bonnes choses.

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    Vincent Van Gogh –  Le batteur de blé (d’après Millet), sept. 1889, Van Gogh Museum, Amsterdam

     

     

          Le 4 octobre, Théo annonce à Vincent qu’il a eu la visite du docteur Peyron. Il dit : « Ton voyage à Arles ayant provoqué une crise récemment, il faudrait voir avant de changer de demeure, si tu peux maintenant supporter les changements. Si tu supportes bien ces épreuves, il n’y voit pas d’inconvénient que tu le quittes. Pissarro m’a dit que, chez lui, ce n’était pas possible mais qu’il connaît quelqu’un à Auvers qui est médecin et qui fait de la peinture dans ses moments perdus. Il me dit que c’est un homme qui a été en rapport avec les impressionnistes. Il croit que chez celui-là tu pourrais probablement rester. Il doit aller le voir et lui parlera de l’affaire ». Le 22 octobre, Théo écrit : « Pissarro doit s’occuper de ce brave homme à Auvers. J’espère qu’il réussira et qu’au printemps prochain, sinon plus tôt, tu viennes nous voir ».

     

    Lettre à Willemien – vers le 21 octobre 1889

     

    Ne te gènes pas pour accrocher mes toiles dans un corridor, dans la cuisine, dans un escalier. Ma peinture est faite pour être vue surtout sur un fond simple. Je cherche à peindre de façon que cela fasse bien dans une cuisine, alors parfois je m’aperçois que cela fait bien dans un salon aussi, mais de cela je ne me préoccupe jamais.

    […] surtout aussi je voudrais que Margot Begemann eût un tableau de moi.*  Mais le lui faire parvenir par ton intermédiaire est plus discret que le lui envoyer directement.

     * En 1884, lorsque Vincent habite chez ses parents à Nuenen, Margot Begemann, plus âgée que lui, s’attache à lui et une liaison commence discrètement. Il est attendri par la jeune femme. Elle le fait penser à « un violon de Crémone qui aurait été abîmé par des réparateurs incapables ». La famille de Margot s’oppose à leur mariage. Lors d’une promenade avec Vincent, elle s’évanouit. Elle avouera que, désespérée, elle avait tenté de se suicider avec des médicaments. Vincent regrettera cette affection : « Je demeurerai son ami : nous nous sommes peut-être trop attachés l'un à l'autre ».    

     […]

    J’ai encore lu une pensée de Carmen Sylva qui est bien juste : Lorsque vous souffrez beaucoup – vous voyez tout le monde à une grande distance et comme au bout d’une immense arène – les voix mêmes paraissent venir de loin.– J’ai éprouvé cela dans ces crises à tel point que tous les gens que je vois alors me paraissent, même si je les reconnais – ce qui n’est pas toujours le cas – arriver de très loin et être tout différents de ce qu’ils sont en réalité, tant il me semble y voir alors des ressemblances agréables ou désagréables avec des personnes que j’ai connues autrefois et ailleurs.

     

    Lettre à Théo – vers le 25 octobre 1889

     

    La mélancolie me prend fort souvent avec une grande force, et plus d’ailleurs la santé revient au normal, plus j’ai la tête capable à raisonner très froidement, plus faire de la peinture qui nous coûte tant et ne rapporte rien, même pas le prix de revient, me semble comme une folie, une chose tout à fait contre la raison. Alors je me sens tout triste et le mal est qu’il est à mon âge bigrement difficile de recommencer autre chose.

    J’ai commencé ce matin « les bêcheurs » sur une toile de 30. Sais tu que cela pourrait être intéressant de chercher à faire les dessins de Millet en peinture, ce serait une collection de copies toute spéciale. Peut-être moi je serais plus utile en faisant cela, que par ma propre peinture.

  • Si les lecteurs parlaient

     

         Je ne peux résister à l’immense plaisir que m’a causé mon amie Diana Auzou sur le réseau littéraire Babelio.

         À quelques jours d’intervalle, elle a lu et chroniqué mes deux recueils de nouvelles en images parus dans une collection que j’ai appelé : « Si les œuvres parlaient » et qui reprendra en série d’éventuels futurs nouveaux recueils.

     

    Conter la peinture

    12 juillet 2021

    Au bout du pinceau des histoires se racontent, au bout de la plume elle continuent à vivre.
    Alain Yvars nous raconte ces histoires. Comment ? En nous invitant à faire un voyage à l'intérieur de la peinture en copains qu'elle aime accueillir, en amis de longue date qu'elle est contente de revoir. C'est chaleureux et très intime.
    Découvrir et redécouvrir la peinture avec le même bonheur, car l'enthousiasme est le même pour le novice comme pour l'averti. Si je le dis, c'est que c'est vrai, car ceux à qui j'ai fait découvrir ce livre, tous très loin de la peinture, se sont rapprochés avec curiosité, intérêt et un énorme plaisir. Alain conte la peinture en tant que peintre, ami, hôte et complice.
    Modigliani, peintre maudit, a quitté la vie à 35 ans, mais nous a laissé une vie intense qui se dégage des ses corps stylisés et dépouillés, des regards qui gardent les secrets mélancoliques de quelques rêves non avoués.
    Alain, notre hôte et guide, tu nous racontes les couleurs : de loin, certaines sont "des taches floues baignées d'ombre et de lumière", dans la Nuit d'été de Winslow Homer, de près, elles se transforment en jeunes filles, et comme elles, nous lecteurs sommes aussitôt transfigurés. La beauté peut être si proche et, avec elle, la poésie. Timides et silencieuses elles nous murmurent : ouvrez les yeux et la porte de vos sens, laissez-les se balader entre lignes, lumières, et couleurs, à l'intérieur des histoires de fougue, de douleur, d'exaltation, d'attente patiente, d'acharnement, de don de sa vie à la peinture, de passion. Ecoutez avec le coeur.
    Liée depuis la nuit des temps au destin de l'homme, et sûrement pour longtemps encore, la peinture n'a rien perdu de son mystère, elle nous appelle depuis la grotte d'Altamira, depuis des siècles qui se sont écoulés, des chefs d'oeuvres du passé restent nos contemporains.
    Vermeer et le monde de l'intime, à peine dévoilé, souvent laissé avec son secret. A pas de velours, je suis Alain jusque dans la pièce où la femme n'ouvrira jamais la lettre d'amour. Malicieux, Alain nous prête la curiosité de l'enfant qui regarde par la serrure de la porte et nous fait découvrir la construction et la composition de la toile, les couleurs qui n'ont rien perdu de leur harmonieuse beauté, et la lumière, magique. Ça fait de longues années depuis ma dernière visite au Rijksmuseun, à Amsterdam, et là j'y suis, j'entre dans l'histoire, je veux apprendre plus et j'y crois, je suis spectateur et acteur à la fois.
    Toujours sans souffle devant l'immense peinture des Nymphéas de Monet. Tellement intime. La salle de l'Orangerie est arrondie, les murs ont reçu le don de Monet. L'hypnose est totale. A nouveau me revient en mémoire la silencieuse puissance de la peinture. Peindre l'instant, si fugitif, si changeant, et l'enlacement avec d'autres qui viennent et s'en vont, tout aussi éphémères. "La couleur se libère dans une vaste abstraction." La peinture, avant toute chose, est une émotion, elle touche, secoue, arrête le souffle, donne la chair de poule et bien des fois arrache une larme, celle que la beauté a touchée.
    Saskia, la femme de Rembrandt est très malade. le temps, lui laissera-t-il le bonheur de voir le tableau terminé ? La ronde de nuit.
    Samuel, un des élèves du maître, exprime avec conviction son excitation intérieure :
    "- Cette oeuvre survivra à toutes les autres !... Vivacité... puissance... lumière... ce dynamisme, cette furie gestuelle qui emporte votre tableau !"
    La peinture de Rembrandt me touche au plus profond par tout ce qu'elle dépasse, le sublime. Elle nous regarde depuis un lointain passé, elle est notre contemporaine et elle nous survivra.
    Et Alain, toujours avec ses lecteurs, s'extasie devant cette harmonieuse discordance où chaque élément, - masse de peinture, lignes, couleurs - est mis en valeur par l'ensemble, la lumière est plus éclatante, plus subtile, plus surprenante et plus émouvante quand elle est entourée d'obscurité, quand elle prend naissance de l'ombre.
    Regarder l'harmonie des formes et des couleurs, peser le poids, en valeur rajoutée, du vide rehausseur d'équilibre, entrer dans le rythme intérieur et la musique silencieuse, aucunement muette d'une toile, la regarder de près, pour le détails surprenants et la facture, et de loin pour se laisser combler par l'ensemble de sa force ou de sa douceur, écouter sa poésie ou son cri de désespoir.
    Je sens le grincement des dents d'Alain devant l'injuste procès qu'a dû subir la toile de Whistler Nocturne en noir et or.
    Les phrases prennent le rythme du cancan, courent, tourbillonnent s'essoufflent autour des jambes, rubans, soies et dentelles et... d'un seul coup se figent devant la Mélinite, l'impériale 
    Jane Avril. Gros plan. Le trait de Lautrec est précis, "il fixe sur le papier l'arabesque du geste, l'acuité des regards, l'expression des visages rougis par l'effort."
    La Goulue arrive aussi, "saute en l'air et retombe sur le sol les jambes cassées en deux parties", après, elle se relève et "d'un geste soudain, elle soulève ses jupons jusque la taille. La Goulue guette sa proie... ses petits yeux durs se plantent sur un homme en habit et haut de forme... Il hurla de bonheur lorsqu'elle lança sa bottine en avant en lui montrant ses dentelles. De la pointe du pied, elle fit sauter son chapeau comme un bouchon de champagne."
    "Le public était de feu ce soir !"
    C'est la fin du spectacle, les lumières s'éteignent, Monsieur Lautrec sort du Moulin Rouge pas avant de jeter "un regard possessif vers la salle enfumée. Elle lui appartient... C'est lui le maître des lieux..."
    Ta plume, Alain, est dans l'histoire de la peinture, dans la vie des peintres et de leurs modèles. Ton écriture chante, danse et dessine, s'émeut surtout au souvenir d'une vie de génie, de ses joies et de ses malheurs, de la création qui en est née et qui vit encore. La silencieuse puissance de la peinture nous happe et nous nous laissons aller avec bonheur. Un héritage à garder précieusement.
    Cher Alain, maître-ami, un très grand merci !

     

     deux petits tableaux

     

     

    08 juillet 2021

    Comment décrire un grand moment de plaisir ? Celui de l'amitié, du livre, de la peinture, d'un humour qui pointe son nez, des clins d'oeil à attraper au vol, et d'une complicité que j'ai partagée tout au long de la lecture et bien après.
    C'est le livre d'Alain Yvars Deux petits tableaux qui m'a offert tout ça. Avant de l'ouvrir, la couverture, douce et veloutée, m'a parlé un moment dans un silence mystérieux de cette oeuvre sublime et de son créateur, m'a rappelé les centaines de fois que je suis allée la regarder, avec beaucoup de monde autour ou quand la salle se dépeuplait, au moment de la fermeture du musée.
    Alain Yvars, en bon guide, m'a prise par la main pour me faire redécouvrir cette merveille de peinture, où l'intime et l'émotion sont très profonds et parlent tout bas : La dentellière de Vermeer. La magie opère à nouveau, car Alain a l'oeil, le regard du peintre, et cet arrêt du coeur quand la beauté est au rendez-vous.
    L'Astronome n'est pas loin, il tient compagnie à La Dentellière, deux oeuvres sublimes de lumière, le souffle est coupé.
    Les pages arrêtent de tourner, mais Alain m'entraîne, les peintres nous attendent, me dit-il. Renoir est présent, en pas de danse à Bougival, et au bal sur la Butte avec une bande de copains. Grâce et jeux de lumières. Nous sommes électrisés.

    Le noir joyeux de Manet, somptueux et sensuel reste dans les souvenirs les plus chers de Berthe Morisot. le "barbouillage malpropre et barbare" du peintre génial est resté comme un des plus grands tournants dans la peinture française.
    Alain Yvars est fasciné et fascinant, sa passion pour la peinture, pour la création de la beauté est sans limites. Il nous la transmet, et partage avec nous, amis lecteurs, connaissances, émotions, regards, nous sommes complices et copains avec les peintres qui nous accueillent, ce n'est que naturel. Nous sommes dans la peinture avec ses créateurs. Visite inespérée.
    Alain est acteur et spectateur à la fois et invite tout un chacun à se joindre à lui et partager ses émotions dans le monde des pinceaux géniaux, d'une matière qui garde son parfum, sa sensualité, son éclat, et son histoire.
    Delacroix et sa fougue, ses touches nerveuses s'enflamment comme lui et comme nous, et accompagnent La liberté guidant le peuple.
    Le cri de Vincent van Gogh est ressenti par L'église d'Auvers, "elle souffre cette église,... dégage comme une douleur, elle se plaint... On dirait qu'elle veut parler, exprimer quelque chose sans y parvenir... La force des couleurs et des lignes déformées lui donnait un rythme... la présence passive de la paysanne... donnait vie à son église. Celle-ci était humaine : un être fait de chair et de sang."
    Mon commentaire là-dessus serait superflu.
    Le Cirque de Toulouse Lautrec nous rappelle la virtuosité exceptionnelle de son crayon, la maîtrise de son art et, peut-être, les questions du peintre sur son propre monde, "celui d'un périlleux équilibriste tentant de comprendre son infortune, sa raison de vivre..."
    Arrivée à la dernière page je ferme le livre, ferme les yeux et sourit à tous ces génies, et à ce qu'ils nous ont laissé à nous héritiers chanceux et je remercie la plume d'Alain Yvars d'avoir créé ce moment de plaisir et de l'avoir partagé, et je souris à la bouffée d'amitié. Merci.
    C'est connu, mais je tiens à le mentionner, le geste admirable d'Alain : ses droits d'auteur sont versés à l'association Rêves qui soutient les enfants atteints de maladies graves.

     

         Que dire devant deux chroniques de ce niveau ?

        Elles confortent mes recherches depuis que j’écris sur l’art : parler de peinture autrement et simplement en laissant s’exprimer les peintres et leurs œuvres.
         Merci. Tu m’as touché, Diana.

     

     

  • Eugène DELACROIX écrivain

     

    Journal - 5.  La liberté guidant le peuple, 1830, Louvre

     

     

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         Le 23 juillet 2018 se terminait la grande exposition consacrée au peintre Eugène Delacroix.

        A cette occasion, comme je l’avais déjà fait pour les correspondances de Vincent Van Gogh et Gustave Courbet, j’avais publié une série d’extraits choisis du journal de jeunesse du peintre. Au début de l’été dernier ma publication de ce journal de jeunesse s’arrêtait à la fin de l’année 1824 et l'exposition au Salon de « Scènes des massacres de Scio ».    

       Delacroix a 24 ans lorsqu’il entreprend d’écrire un journal. Il le tiendra assidument durant deux ans de septembre 1822 à octobre 1824, puis cessera brusquement. Il ne le reprendra que 23 années plus tard, sans interruption du 1er janvier 1847 jusqu’à sa mort en 1863. En mars 1854, il note : « Il me semble que ces brimborions, écrits à la volée, sont tout ce qui reste de ma vie, à mesure qu’elle s’écoule. Mon défaut de mémoire me les rend nécessaires. »

     

       Pendant cette période d’absence de journal, l’artiste effectuera un voyage au Maroc en 1832 et peindra nombre de toiles et des décorations pour des salles du Palais Bourbon et de la bibliothèque du Sénat au Palais du Luxembourg à Paris. Je cite quelques toiles célèbres de cette période : « La mort de Sardanapale » (1827) ; « Les Femmes d’Alger dans leur appartement » (1834) ; « Médée » (1838) ; « Madeleine dans le désert » (1845).

       Une des toiles les plus connues du peintre « La liberté guidant le peuple » fut exposée au Salon de 1831. Comme souvent pour les toiles du maître, car cette femme aux seins nus coiffée d’un bonnet phrygien était loin de faire l’unanimité, les critiques furent nombreuses. Le mot « dévergondée » revenait souvent pour qualifier cette Liberté. D’autres s’indignèrent : « Dieu qu’elle est sale » ; « poissarde » ; « fille publique, faubourienne ».

         Dans un prochain article, je publierai à nouveau des extraits choisis du journal de la maturité qui ne reprendra qu'en 1847. Auparavant, je republie aujourd'hui un récit (nouvelle) écrit anciennement se rapportant à ce tableau qui montre une scène des combats qui renversèrent la royauté de Charles X en juillet 1830. Je le présente sous une forme épurée et raccourcie :

     

     

    Une odeur de poudre

     

     

     

         Le baron Louis-Auguste Schwiter s’avança vers la toile.

       Eugène Delacroix sourit en regardant l’étrange allure de son ami. Perché sur des jambes de héron, celui-ci se dandine plus qu’il ne marche. Grand et mince, il personnifie par sa mise élégante et son côté exquis le vrai gentleman anglais. Un dandy… Eugène l’apprécie.

         Le baron s’exclama, envieux :

         — Tu es un prétentieux, Eugène ! J’admets que tu es un grand peintre. De là à te représenter au premier plan de ton tableau, un fusil à la main, montant à l’assaut de cette barricade… La redingote, le haut-de-forme, la cravate soigneusement nouée… Et ce teint pâle, ces cheveux noirs, un regard de feu… Superbe ! Tu as de la chance, cher Eugène, d’être beau naturellement ! « Une tête de prince », m’a dit récemment un ami en parlant de toi.

     

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         Delacroix éclata de rire devant cette description.

        — Je n’avais pas de modèle sous la main, dit-il. Et puis je me sentais bien dans la peau de ce bourgeois fier et déterminé…

         Depuis qu’ils se connaissaient, Louis-Auguste enviait la finesse des traits d’Eugène. Il attirait les femmes comme des mouches dans les soirées mondaines. Le jeune aristocrate observa le tableau et lança sarcastique :

      — Vous, les artistes romantiques, cherchez à vous approprier ces « Trois Glorieuses » qui ont vu la mort de centaines d’hommes en juillet de l’année dernière. Combien étiez-vous de romantiques sur les barricades ? Il n’y avait que des pauvres gens encadrés par de rares bourgeois… Même Victor Hugo, le romantisme personnifié, est resté chez lui prétextant que sa femme accouchait !

         Eugène le fixa sévèrement.

         — Et toi où étais-tu ? Absent, comme les autres !…

         Le peintre cherchait les mots justes.

       — Je sais, Louis… Les jeunes romantiques que nous sommes s’exaltent. Leur enfance a été bercée par les récits d’héroïsme et de grandeur de l’Empire… Un de mes frères est tombé à Friedland… Ils rêvent de liberté, d’évasion et de rêve, mais n’ont pas le courage de se battre en vrai. Leur combat est culturel avant tout. C’est pour cela que j’ai peint ce tableau, mon ami !

         Louis-Auguste effleura d’un doigt léger le beau profil du peintre sur la toile. Une pensée le fit se retourner, excité.

         — Hugo a livré sa bataille à la première théâtrale d’Hernani l’année dernière. Tu t’en souviens ? Quel combat ! Je me suis colleté avec des classiques à coups de poing et de bâton. C’était sanglant !

         Les deux amis s’assirent face au tableau.

       — Je l’envoie au Salon la semaine prochaine, dit Eugène en se versant du vin de Loire. Beaucoup d’artistes ont choisi ces trois jours de combat comme thème d’inspiration. Louis-Philippe, notre nouveau roi, sera là. Tu sais qu’il tente d’apaiser les esprits révolutionnaires en aidant les veuves et les orphelins. Il distribue même des médailles aux combattants des barricades.

         Louis-Auguste sourit :

       — Forcément, il doit son trône à cette courte révolution ! Combien de temps le gardera-t-il ? Il se définit comme un « roi citoyen ». J’en doute…

         Un silence s’installa. Le tableau, immense, les impressionnait.

         Tous ces jeunes hommes voués à mourir, pensa Delacroix en examinant la fureur du combat décrite dans son tableau…                                                       

         Emporté par l’image de cette révolution en marche, le baron Louis-Auguste s’écria :

       — Beau travail Eugène ! Quelle dureté dans le regard de ces travailleurs qui avancent dans la lueur du soleil couchant en chantant la Marseillaise. Ils enjambent des soldats morts. Encore des gamins… Ces ouvriers de tous métiers ne supportent plus la pauvreté et la faim. Ils veulent se battre. L’énergie farouche de cette femme aux seins nus, fusil à la main, coiffée d’un bonnet rouge symbolisant la liberté, agitant le drapeau tricolore pour entraîner ces hommes vers la victoire, va en offusquer certains au Salon !

         Brusquement, le jeune baron se leva et se mit à marcher dans la grande pièce les mains dans le dos, son buste frêle courbé en avant. Parfois, il se redressait, regardait la toile furtivement, puis repartait soucieux. Il s’approcha d’Eugène et lui envoya une bourrade amicale.

         — Trinquons au romantisme, Eugène !

         Il avala son verre d’un trait. Un éclair sombre passa dans ses yeux.

     

     

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         — Pauvres gens, dit-il d’un coup ! Comme en 89, savent-ils qu’ils se battent et souffrent pour rien. Ils ont renversé Charles X pour le remplacer par son cousin Louis-Philippe. La belle affaire… Que vont devenir leurs rêves de réformes, de progrès, d’égalité. L’autorité et l’ordre revenus, leur vie misérable reprendra comme avant.

         Louis-Auguste tourna son regard vers le gamin aux pistolets.

       — Tu vois, ce jeune garçon déluré à côté de la femme au drapeau, pistolets de cavalerie dans les mains… Enfant de Paris, il symbolise la jeunesse de tout temps révoltée pas l’injustice. Tu as mis de la fougue, du plaisir, de l’envie, dans son œil. Son père, qui s’est battu dans la Grande Armée, lui a conté ses exploits. A son tour, il s’enivre de l’odeur de la poudre et exhorte les insurgés. Il n’a pas peur. Peut-il se douter qu’il va mourir dans peu de temps ?

       Eugène se taisait, attristé par la mélancolie que son tableau inspirait à Louis-Auguste. Celui-ci hésita à se resservir un verre de vin. Il finit par dire, fataliste :

       — Eugène, une nouvelle fois, comme souvent dans notre histoire, c’est le petit peuple qui se bat, mais ce sont toujours les puissants qui gagnent !

         Delacroix vint vers son ami et le prit par les épaules.

       — Tu as raison Louis-Auguste. Mais, à chaque nouveau combat, ils continuent d’espérer…

     

     

     

  • VAN GOGH écrivain : Projet

     

     

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    Vincent Van Gogh – Nature morte avec 3 livres, 1887, Van Gogh Museum, Amsterdam

     

     

     

          Vincent Van Gogh était un peintre de génie. Aujourd’hui, ses tableaux sont recherchés, admirés.

          Sait-on que Van Gogh était également un grand écrivain ?

          Georges-Louis Leclerc de Buffon disait : « Le style est l’homme lui-même ». Cette phrase pourrait parfaitement correspondre à Van Gogh dont la personnalité forte se manifestait aussi bien dans sa peinture que dans son écriture.

     

          La correspondance de l’artiste, qui durera 18 ans, comprend plus de 800 lettres. L’essentiel de celles-ci ont été échangées avec son frère Théo, mais aussi avec sa sœur Willemien, ou des peintres comme Paul Gauguin et Emile Bernard.

          La première lettre est envoyée à Théo en août 1872.Vincent a 19 ans et son frère 15 ans. Il ne cessera plus d’écrire jusqu’à son décès à 37 ans dans le petit village d’Auvers-sur-Oise, non loin de Paris.

          Vincent était doué. Il écrivait vite, bien souvent tard le soir après une dure journée de peinture en plein air. Dans ses courriers, il s’exprimait en néerlandais, très souvent en français dont il utilisait la langue avec une étonnante agilité, parfois en anglais. Quand il commença à peindre, il prit l’habitude d’illustrer fréquemment sa narration de dessins croqués spontanément.

          La plupart des lettres de Vincent renferment des pépites, des petits trésors d’écriture, au style évocateur, sur ses émotions et sa propre condition humaine. Il avait une étonnante capacité pour utiliser des mots expressifs afin d’évoquer une scène, un paysage. Ses textes sont riches d’enseignements sur lui-même, ses idées sur la peinture, les peintres qu’il aimait, son travail, ses goûts littéraires, son amour de la nature. Ses phrases étaient souvent poétiques, son humour, décapant et drôle.

     

          Les lettres de Vincent, entre autres livres et revues, m’ont servi de documentation lorsque j’ai écrit le récit romancé publié dans ce blog : « Van Gogh à Auvers ». En étudiant ces lettres, j’avais laissé de nombreuses annotations sur les pages des 3 volumes de « Van Gogh – Correspondance » parus dans la collection Biblos de Gallimard.

          Aujourd’hui, je souhaite mettre en valeur le talent littéraire de Vincent dévoilé par ses lettres qui sont un document humain sans équivalent. J’ai donc pensé utiliser ces courriers et mes propres annotations pour présenter un nouveau projet qui entrerait dans la catégorie dénommée : Van Gogh écrivain.

          De nombreuses éditions ont déjà reproduit les courriers du peintre en intégralité. C’est pourquoi, j’envisagerais de publier un choix personnel (toujours subjectif) d’extraits, piochés dans les lettres, dont le style, l’intérêt documentaire ou humoristique, m’auront séduit.

          Le problème était de faire un choix dans une production littéraire aussi importante, mais non exceptionnelle en quantité : Delacroix, Monet, Whistler, ou même Voltaire, ont largement dépassé le nombre de 800 lettres dans leur correspondance.

          Dans un premier temps, je couvrirais seulement les deux années de la dernière période du peintre (de 1888 à 1890), celles qui ont suivi son séjour à Paris chez son frère Théo où il resta de février 1886 à février 1888.

           Vincent arrive à Arles le 21 février 1888 dans un état de santé assez fâcheux auquel l’absinthe n’est pas étrangère. On suppose qu’il est parti sur les conseils de son ami Toulouse-Lautrec. Il compte sur le midi pour rétablir cette santé chancelante et y trouver la nature exaltée et colorée à laquelle il aspire.

          Ces deux années d’intense création artistique vont voir sa peinture s’épanouir pleinement, mais son parcours sera chaotique : il ne restera que 14 mois à Arles, 12 mois à Saint-Rémy-de-Provence, et 2 mois, ensuite, à Auvers-sur-Oise où son existence se terminera le 29 juillet 1890 à l’auberge Ravoux.

          La première lettre de Vincent à Arles est datée du jour de son arrivée, le 21 février 1888, et est envoyée à son frère Théo :

    Durant le voyage, j’ai pour le moins autant pensé à toi, qu’au nouveau pays que je voyais. […] Il me semble presque impossible de pouvoir travailler à Paris, à moins que l’on n’ait une retraite pour se refaire, et pour reprendre son calme et son aplomb. Sans cela on serait fatalement abruti.

    [...] Mais ici à Arles, le pays paraît plat. J’ai aperçu de magnifiques terrains rouges plantés de vignes, avec des fonds de montagnes du plus fin lilas. Et les paysages dans la neige avec les cimes blanches contre un ciel aussi lumineux que la neige, étaient bien comme les paysages d’hiver qu’ont fait les Japonais.

     

          Mes "extraits choisis" de la correspondance de Vincent Van Gogh seraient présentés suivant un ordre chronologique de l’envoi des lettres et s'intercaleraient, en fil rouge, entre divers autres écrits et nouvelles.

          Vos commentaires sur ce projet seraient appréciés.

          A bientôt.

     

                                                                                       Alain

     

          Je profite de cette note pour informer mes lecteurs que je possède, depuis peu, une newsletter.

     

     

  • Johannes Vermeer : La jeune fille à la perle, 1665, Mauritshuis, La Haye

     

    BONNE ANNÉE - HAPPY NEW YEAR 

      

         Ce tableau est l’un des plus célèbre au monde. A l’aube de cette nouvelle année 2015, j’ai pensé que la vision du regard chaleureux et pur de cette jeune fille vous apporterait un de ces petits moments de bonheur qui donnent un sens à la vie.

    This painting is one of the most famous in the world. At the dawn of this new year 2015, I thought that the vision of pure and warm look of that young girl would bring you one of those small moments of happiness that give meaning to life. (for Facebook readers)

     

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    Johannes Vermeer – La jeune fille à la perle, 1665, Cabinet royal des peintures, Mauritshuis, La Haye

     

     

     Récit modifié et réédité

     

     

         Elle jaillit, éblouissante sur mon écran d’ordinateur : La jeune fille à la perle, me fait face, souriante, dans l’éclat de sa jeunesse insolente. J’observe ébahi… 

         Je me souvenais avoir ressenti la même émotion lors de ma dernière visite au musée de La Haye où elle demeure. Comme aujourd’hui, elle se tournait vers moi. Elle me fixait, surprise d'avoir été dérangée. Les plis de l’étrange turban bleu et jaune frémissaient.

         Son regard croise le mien. Son souffle est parfumé. Mon rythme cardiaque s’est accéléré.

         Par la pensée, je ne peux m’empêcher de remercier le français Thoré-Bürger. Johannes Vermeer était tombé dans l’oubli lorsqu’il fut redécouvert par ce critique d’art en plein milieu du 19ème siècle. Aujourd’hui, le Mauritshuis a le bonheur de posséder dans ses collections permanentes cette inestimable peinture qui lui fut léguée par un collectionneur hollandais l’ayant acquise en 1881, en mauvais état, pour le prix faramineux de… 2 florins… C’est à dire rien !

          Les spécialistes n’ont pas hésité à comparer cette toile à La joconde de Léonard de Vinci, le tableau du Louvre le plus célèbre au monde, devant laquelle des visiteurs venus du monde entier se pressent uniquement pour que Mona Lisa leur fasse l’aumône d’un sourire. La Jeune fille à la perle a même été appelée la « Joconde du Nord » ou « Joconde hollandaise ». 

         Impossible de se tromper, pensai-je : l’aspect flou des toiles de Vermeer ont bien un petit air de famille avec le célèbre « sfumato » cette étrange graduation de la lumière utilisée par Léonard…

         Elle m’observe… Va-t-elle me parler ?

         Pourquoi emploierait-on des qualificatifs pompeux pour décrire un portrait qui présente une telle simplicité apparente ? La jeune fille paraît très jeune, pétillante de vie. De grands yeux brillants, une bouche humide entrouverte avec deux petites perles de lumière rosée aux commissures des lèvres.

         La figure aux traits indéfinis rayonne. Les contours du visage, de la bouche, du nez fondu dans la joue droite, sont imprécis. L’artiste semble l’avoir voulu ainsi pour nous inciter à pénétrer dans son tableau et compléter les parties manquantes. La peinture est lisse, fluide, aérienne. Les couleurs, tout en glacis superposés, glissent progressivement, sans à coup, de l’ombre profonde vers cette fabuleuse lumière de Vermeer qui irradie naturellement d’elle-même. Des gouttes blanches dans les yeux et sur la perle se répondent. L’harmonie est totale…

         Qui peut bien être cette femme enrubannée, mystérieuse : une femme de Delft ? Une jeune servante ? Vermeer ne peut dissimuler la tendresse qui l’a animé en peignant ce visage infiniment précieux et fragile. Je m’interroge : ce portrait ne présente aucune affinité avec ceux peints à cette époque, il aurait presque pu être peint de nos jours ? La fantaisie du vêtement et du turban exotique, ce visage lumineux aux contours indécis, cette beauté irréelle, en font un portrait hors du temps.

         Incontestablement, le peintre a laissé dans cette image qui me sourit, ce regard qui transperce, un message que je m’efforce de décrypter : beauté… pureté… chasteté…  éphémérité… quelque chose d’indéfinissable qui nous transporte au-delà même de notre propre existence…

         Que dire devant un tel spectacle ? Jamais une peinture ne m’a autant troublé…

         Sur mon écran d’ordinateur la lumière tressaute un long moment.

         Je l’éteins.