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Rechercher : un pastelliste heureux

  • 1874 - Première exposition impressionniste

     

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           La première rétrospective présentée à Paris depuis 1941 de l’œuvre de Berthe Morisot s’est ouverte le 8 mars dernier au Musée Marmottan à Paris. Je suis un amoureux fervent, et depuis longtemps, de cette femme impressionniste aux talents multiples. On la disait austère, triste, mélancolique. Elle peignait le bonheur…

          Ayant visité l’expo sans tarder, j’en parlerai dans une prochaine note.

          Dans un article déjà ancien, j’avais imaginé une lettre écrite par Berthe à sa sœur Edma, habitant à Lorient depuis son mariage. Elle lui parlait de cette importante exposition d'avril 1874 organisée par les peintres avant-gardistes que le Salon officiel s’obstinait à refuser.

          A l’occasion de cette brillante rétrospective parisienne, j’ai eu envie de modifier et publier à nouveau ce courrier que Berthe Morisot aurait pu avoir rédigé elle-même…

       

     

    Je suis impressionné…

     

     

     

    10 mai 1874.        (Berthe Morisot - peintre)

     

    Très chère Edma

     

          Je te donne enfin quelques nouvelles. Je n’en ai guère eu le temps jusqu’ici. Notre exposition des artistes indépendants se termine dans cinq jours, le 15 mai prochain. Déjà trois semaines… La foule n’est pas au rendez-vous. Enfin… une moyenne de cent visiteurs chaque jour qui viennent plus par curiosité que par goût réel pour notre nouvelle peinture.

          Je ne regrette pas d’avoir renoncé définitivement à me présenter au Salon officiel. L’académisme y règne toujours en maître. Les peintres avant-gardistes y sont ridiculisés chaque année. Avec ce jury de vieux tromblons !

          Malgré mon insistance, notre ami Edouard Manet n’a pas souhaité se joindre à notre groupe. « La Société Anonyme des Artistes Peintres, Sculpteurs et Graveurs… Berthe, ne fréquente pas ces marginaux, m’a-t-il dit d’un ton courroucé ! » Le lâche !… Evidemment, il vient d’obtenir des médailles aux derniers Salons et ne veut pas se mettre mal avec un jury qui daigne enfin le considérer. S’il continue à renier les peintres avant-gardistes, qui sont pourtant ses amis et dont il apprécie la peinture, je cesserai de poser pour lui ! L’amitié cela se mérite…

          Puvis de Chavannes aussi m’a déconseillé de participer à cette exposition. « Le public se fera une joie de ne pas venir, m’a-t-il lancé ! Cette « exhibition », comme il la nomme, sera un fiasco ! ».

          Le jour de l’ouverture de l’exposition, le 15 avril, nous étions une trentaine à accrocher environ 200 toiles sur les murs rouges de l’atelier du photographe Nadar, boulevard des Capucines à Paris. C’est un artiste original ce Nadar. Il peint à ses heures et les causes perdues le touchent. Avec nous, il peut dire qu’il a réussi ! « Il est bon comme le bon pain » m’avait chuchoté Monet au vernissage en parlant de notre mécène. Il nous a offert généreusement ses locaux tout en sachant que le nombre d’entrées serait insuffisant pour couvrir les frais. Que le dieu des peintres lui réserve une place dans son paradis !

          Ma petite sœur, pourquoi t’es-tu arrêtée de peindre ? Degas aurait tant aimé que tu fasses partie de la bande. Comme tous nos amis, il appréciait ta peinture… Enfin, puisque tu préfères t’occuper de ton mari et de tes filles… J’aurais aimé qu’une autre femme se joigne à moi. Je suis un peu perdue au milieu de tous ces hommes. Il y a beaucoup de respect dans leur regard. Ils ne me considèrent pas comme une muse anonyme mais comme une peintre de qualité qu’ils reconnaissent comme une des leurs.

          L’ambiance a été chaude pour accrocher ses toiles aux meilleures places. Etant la seule femme, mes amis, très galants, m’ont laissé un bon emplacement, bien éclairé. Tu les connais tous : Monet, Pissarro, Sisley, Degas, Renoir, Cézanne, Guillaumin… Ils sont l’avenir de la peinture.

          peinture,berthe morisot,impressionnismeRassure-toi, soeurette, tu es bien représentée ! J’ai exposé 9 œuvres pour lesquelles tu m’avais servi 7 fois de modèle. Il y avait trois aquarelles, deux pastels, dont ton portrait de 1871, Madame Pontillon, alors que tu étais enceinte de Blanche, et quatre huiles : La lecture, Le port de Cherbourg, Cache-cache et, mon préféré, Le berceau. Cette dernière toile, où je te représente au chevet du berceau de Blanche qui venait de naître, a beaucoup plu. Monet ne cessait de venir la voir. « C’est délicieux, disait-il ».

     

     

     

     

     Berthe Morisot – pastel, Portrait de Madame Pontillon, 1871, musée d’Orsay, Paris

        3237d584f5c5877887cf1f596cd388ff.jpg Berthe Morisot - Le berceau, 1872, Paris, Musée d’Orsay

     

          Pour une première exposition de notre nouvelle Association, Renoir avait insisté pour que les toiles soient uniquement de moyens ou petits formats, et disposées à hauteur des yeux. Te souviens-tu des Salons officiels où les tableaux, serrés les uns contre les autres, couvraient les murs jusqu’au plafond ? Chez Nadar, chaque œuvre, isolée, dégage sa propre lumière. Plus de scènes d’histoires ou mythologiques. Rien que des paysages, des portraits ou des scènes intimistes. Des couleurs joyeuses, des touches légères, des tons francs, comme nous aimons toi et moi.

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          Renoir a eu un vrai succès avec sa Loge. Il faut absolument que tu voies cette toile : une jeune femme à la robe floconneuse, au visage très pâle, assiste à une représentation théâtrale. Les couleurs bleu clair et noires étaient un hommage au « noirs » de Manet. Quel peintre ce Renoir !

     

     

     

     

     

     

     

    Auguste Renoir – La Loge, 1874, Courtauld Institute galleries, Londres

     

          Edma, je me sens chez moi au milieu de ces artistes. Nous parlons le même langage !

          Mère doute toujours de moi. Récemment, elle m’a dit gentiment mais fermement qu’elle ne croyait pas en mon talent et que j’étais incapable de ne rien faire de sérieux. « Tu ne vendras jamais rien, ma fille ! » Evidemment, une femme qui peint… et dans un style non conventionnel… Je n’aurai jamais la touche léchée de Rosa Bonheur qui vend tout ce qu’elle veut avec ses représentations d’animaux où le moindre poil est apparent.

          Pauvre mère… Inquiète de me voir fréquenter cette « bande de peintres bohèmes », elle en a parlé à Joseph Guichard, notre ancien professeur de peinture. Sans prévenir, il est venu le soir du vernissage et s’est promené dans les salles. Je l’ai vu faire des mouvements de tête et des moues offusquées devant la plupart des toiles et repartir très rapidement sans me dire un mot. Quelques jours après, maman m’a rapporté les termes de la lettre qu’il lui écrivit le lendemain : « A mon entrée, un serrement de cœur m’a pris en voyant les œuvres de votre fille exposées dans ce milieu délétère. J’ai pensé, ce sont des fous. ».

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          Guichard s’indigna ensuite que mon Berceau, si délicat, jouxte « à le toucher ! » une peinture douteuse et ludique de Cézanne appelée Le Rêve du célibataire. Il termina son courrier par ces mots : « Votre fille doit rompre avec cette nouvelle école dite de l’avenir. »

              

     

     

    Paul Cézanne : Le rêve du célibataire ou Une moderne Olympia, 1873- 1874, Paris, Musée d’Orsay   

                                      

          Des fous… Edma, on nous prend pour des fous ! Les railleries pleuvent : « Ils ont déclaré la guerre à la beauté ! ». Nos toiles sont comparées à des « croûtes ». Heureusement, un journaliste, ami des Manet, a eu des mots aimables pour moi dans son journal : « Elle a de l’esprit jusqu’au bout des ongles, surtout jusqu’au bout des ongles. »

          Ma chère sœur, je te réserve le meilleur pour la fin.     

          Une dizaine de jours après le vernissage, le fameux critique du Charivari, Louis Leroy, s’est moqué dans un article d’un petit tableau de Claude Monet représentant un lever de soleil sur la mer que le peintre avait croqué de sa fenêtre d’hôtel devant le port du Havre. Une charmante toile avec un gros soleil rouge s’infiltrant au milieu des brumes et se reflétant dans l’eau. Monet ne sachant quel titre donner à « cette chose » pour le catalogue de l’exposition l’appela Impression, soleil levant.

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     Claude Monet : Impression, soleil levant, 1872,  Paris, Musée Marmottan

     

          Ce joyeux critique, se croyant sans doute très drôle, eut ces mots ironiques : « Je me disais aussi puisque je suis impressionné, il doit y avoir de l’impression là-dedans… ». Il titra d’ailleurs sa chronique « L’exposition des impressionnistes ». Nous étions catalogués, Edma… Impressionnistes…

     

          J’ai vu Monet hier matin contemplant son tableau. Il m’a reparlé de cet article. Il ne semblait pas mécontent de cette moquerie. « Ne vous inquiétez pas Berthe, m’a-t-il dit, ce journaliste voulant faire un bon mot, sans le savoir a peut-être trouvé le terme qui nous caractérise le plus. Il n’a pas tort… Nous peignons sur le motif la lumière changeante. Nous utilisons des couleurs pures et une touche divisée pour capter les vibrations lumineuses, les émotions troubles. Nous peignons l’instant, la fugacité des choses. Ce Leroy nous a parfaitement compris, Berthe, nous couchons sur la toile nos impressions visuelles… »

          Cet après-midi, Monet est passé à la galerie pour rencontrer un éventuel acheteur. Il m’a confié : « La nuit porte conseil. Je voudrais en parler avec les peintres du groupe… Pourquoi ne garderions-nous pas ce terme « d’impressionnistes » pour désigner notre bande de fous ? ».

          Je te quitte Edma. Je dois retourner chez Nadar. Je n’ai rien vendu mais je suis tellement heureuse d’avoir participé à cette première exposition de notre nouvelle association. J’espère bien recommencer l’année prochaine avec tous ces peintres de talents qui resteront mes amis. Peut-être que, dans un an, tu accepteras de reprendre tes pinceaux ? Tu ne peux laisser ta sœur seule parmi tous ces hommes…

          Comment vont les petites Paule et Blanche qui me manquent ? Donne-leur pleins de gros baisers de leur tante qui les aime. Je pense à vous.

    Ton attentionnée Berthe.

     

     

                                                                                              Alain

     

     

  • L’écriture du maître : Frans Hals

     

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    Frans Hals – Portrait de mariage de Isaac Massa et Beatrix van der laen ,1622, Rijksmuseum, Amsterdam

     

     

         La Hollande au Siècle d’or… Je ne m’en lasse pas… 

        Il est regrettable que l’on parle si peu de l’un des trois plus talentueux peintres de cette période avec Rembrandt et Vermeer : Frans Hals.

         Né en 1582, l’art novateur du peintre Caravage va bientôt révolutionner la peinture en Italie, Frans Hals est le plus âgé des trois : il a 24 ans à la naissance de Rembrandt et 50 ans lorsque Vermeer voit le jour dans sa bonne ville de Delft.

     

         Citoyen d’Haarlem, Frans Hals pratique comme ses collègues la peinture de genre, mais est avant tout un portraitiste. Il se spécialise dans les portraits individuels de personnalités issues le plus souvent de milieux bourgeois, et les portraits collectifs de groupe en vogue à cette époque : citoyens des villes, banquets d’officiers et miliciens regroupant leurs membres sur de grands tableaux montrant chaque personnage dont le portrait est particulièrement convaincant et reconnaissable.

         J'admire les magnifiques portraits individuels de l’artiste.

        Contrairement à la plupart des artistes contemporains, Hals n’oblige pas les modèles à de longues séances de pose afin de capter chaque détail. Il brosse ses modèles à grands traits. Sa technique est toute en vivacité, spontanéité. Le style est léger, rapide, nerveux. Une liberté de touche sans rivale. Les personnages peints semblent sortir du cadre, saisis sur le vif de manière si expressive que l’on ne voit pas un portrait mais une personne bien vivante. Avec deux siècles d’avance, l’artiste recherche-t-il l’impression fugitive des modèles à la manière des futurs peintres impressionnistes ? Déroutant… Ses contemporains parlaient « d’écriture du maître » pour qualifier sa technique audacieuse, si naturelle.

     

         Il n’est pas question pour moi de faire une apologie du peintre à la façon d’un historien d’art que je ne suis pas. Le but de cet article est de montrer la qualité des toiles de Frans Hals. J'y viens...

         Auparavant, je ne peux passer sous silence l’influence que l’artiste exercera, plus tard, sur Vincent Van Gogh. Celui-ci, dans sa lettre du 30 juillet 1888 à son ami Emile Bernard, consacre un long passage au peintre de Haarlem :

     

    « Ce qui me navre au Louvre, c’est de voir leurs Rembrandt se gâter et les crétins de l’administration abîmer beaucoup de beaux tableaux.

    Parlons de Frans Hals. Jamais il n’a peint de Christ, d’Annonciations aux bergers, d’anges ou de crucifixions et résurrections, jamais il n’a peint de femmes nues voluptueuses et bestiales. Il a fait des portraits, rien que cela : Portraits de soldats, réunions d’officiers, portraits de magistrats assemblés pour les affaires de la république, portraits de matrones à peau rose ou jaune, de blancs bonnets coiffées, de laine et de satin noir habillées, discutant le budget d’un orphelinat ou d’un hospice. Il a fait le portrait de bons bourgeois en famille, l’homme, la femme, l’enfant.

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    Frans Hals – Le joyeux buveur, 1630, Rijksmuseum, Amsterdam

     

    Il a peint le buveur gris, la vieille marchande de poisson en hilarité de sorcière,

     

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    Frans Hals – Malle Babbe (Babbe la folle ou La Sorcière de Haarlem), 1633, Gemäldegalerie, Berlin

     

     la belle putain bohémienne,

     

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    Frans Hals – La Bohémienne, 1630, Musée du Louvre, Paris

    Comment oublier La bohémienne et son regard coquin du Louvre !

     

    les bébés au maillot, le crâne gentilhomme bon vivant, moustachu, botté et éperonné. Il s’est peint lui et sa femme, jeunes, amoureux, dans un jardin, sur un banc de gazon, après la première nuit de noce (Van Gogh s’est trompé car il s’agit du tableau débutant cet article du mariage de Isaac Massa et Beatrix van der laen). Il a peint les voyous et les gamins riants,

     

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    Frans Hals – Enfant riant, 1620, Los Angeles County Museum of Art

     

    il a peint les musiciens

     

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    Frans Hals – Bouffon au luth, 1624, Rijksmuseum, Amsterdam

     

    et il a peint une grosse cuisinière.

    Il n’en sait pas plus long que cela ; mais cela vaut bien le Paradis du Dante et les Michel-Ange et les Raphaël, et les Grecs même. C’est beau comme Zola, et plus sain et plus gai, mais aussi vivant, parce que son époque était plus saine et moins triste.

    […]

    Mais, je t’en supplie, suis bien ce raisonnement droit que je m’efforce de te présenter d’une façon fort simple.

    Fourre-toi dans la tête ce Maître, Frans Hals, peintre de portraits divers, de toute une république crâne et vivante et immortelle. Fourre-toi dans la tête le non moins grand et universel maître peintre de portraits de la république hollandaise : Rembrandt Harmensz van Rijn, homme large et naturaliste, et sain autant que Hals lui-même. Et après nous verrons de cette source, Rembrandt, découler les élèves directs et vrais : Vermeer de Delft, Fabritius, Nicolas Maes, Pieter de Hooch, Bol, et les influencés par lui, Potter, Ruysdael, Ostade, Terburg. »

     

          Dans une autre lettre, Van Gogh montrera à nouveau son admiration envers l’artiste : « J’ai surtout admiré les mains de Hals, des mains qui vivaient, mais qui n’étaient pas « terminées », dans le sens que l’on veut donner maintenant par force au mot « finir ». Et les têtes aussi, les yeux, le nez, la bouche, faits des premiers coups de brosse, sans retouches quelconques. Peindre d’un seul coup, autant que possible, en une fois ! Quel plaisir de voir ainsi un Frans Hals ! »

     

         Ci-dessous, je montre un chef d’œuvre du genre. A l’aide de rapide coup de pinceau, Hals d'une touche relâchée et souple, saisit le caractère aristocratique et l'élégance de l'homme. La virtuosité du rendu de la collerette et de l’habit impressionne... Une légère ironie est perçue dans le sourire et le regard qu’il nous adresse.

     

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    Frans Hals – Le cavalier riant, 1624, Wallace Collection, Londres

     

         Ce garçon riant joyeusement avec les yeux scintillants et les cheveux en désordre n’est pas un portrait, mais un « tronie » - une étude d'un enfant riant. Les figures rieuses sont inhabituelles, car le rire est une des expressions les plus difficiles à capturer. Hals, en virtuose, a peint le garçon directement et spontanément en utilisant des pinceaux remarquablement lâches qui savaient exactement ce qu'il fallait faire. La voute du nez de l'enfant, par exemple, est peinte d'un seul trait blanc placé au bon endroit.

     

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    Frans Hals – L’enfant rieur, 1625, Mauritshuis, La Haye

     

         Ce très grand peintre vivra plus de 80 ans. L’hospice municipal dont il avait peint, jeune, les régents, lui alloua une maigre pension.

     

     

  • Fêtes galantes/2 - Paul Verlaine

     

    Watteau

    Antoine Watteau – L’Embarquement pour Cythère, 1709, Städelsches Kunstinstitut und Städtische Galerie, Francfort-sur-le-Main

     

    « C’est fort bizarre, très drôle ; mais vraiment, c’est adorable » pensait Arthur Rimbaud du recueil de Paul Verlaine « Fêtes galantes » publié en 1869.

     

    Rosalba Carriera

    Rosalba Carriera – Portrait d'Antoine Watteau, 1721, Musée Luigi Ballo, Trévise

     

         Les amoureux de la poésie de Paul Verlaine éprouveront certainement beaucoup de plaisir en lisant les 22 poèmes de son recueil que je vais présenter en plusieurs articles accompagnés des tableaux de Watteau que j’ai choisis pour les accompagner.

         Dans ce deuxième article, pour accompagner les poèmes, j’utiliserai parfois certains passages de l’essai de Patrick Godfard « Les fêtes galantes ou les rêveries de Watteau et Verlaine » que j’ai chroniqué dans un premier article.

     

    Verlaine

    Couverture originale des Fêtes Galantes de Paul Verlaine

     

     

         

       Les poèmes de Verlaine s’inspirent du « peintre en feste galante » Antoine Watteau, qualificatif utilisé par L’Académie royale de peinture à l’occasion de l’inauguration en 1717 de son tableau « Pèlerinage à l’Île de Cythère ». Certaines scènes sont souvent identiques aux toiles du peintre. À part ce tableau qu’il a dû voir au Louvre, Paul Verlaine connaît-il vraiment Watteau à la publication du recueil ? D’autant que ce peintre avait été fraîchement redécouvert. Le poète a probablement lu le fascicule des frères Goncourt « L’art au 18e siècle » paru en 1864, et s’est familiarisé avec le peintre.

        Derrière l’évocation des plaisirs chers à Watteau, certains paysages reflètent l’âme du poète, sa propre sensibilité, une profonde mélancolie qui va aller en s’amplifiant au fil des poèmes.

     

     

    CLAIR DE LUNE

     

         Lors de la première publication de l’ouvrage de Verlaine le 20 février 1867 dans « La gazette rimée », le poème d’ouverture avait pour titre « Fêtes galantes ». Après avoir donné ce titre à l’ensemble du recueil, le poète renomma ce premier poème « Clair de lune ».

     

    Watteau

    Antoine Watteau – Les plaisirs du bal, 1717, Dilwich Picture Gallery, Londres

     

     

    Votre âme est un paysage choisi
    Que vont charmant masques et bergamasques,
    Jouant du luth et dansant et quasi
    Tristes sous leurs déguisements fantasques.

    Tout en chantant sur le mode mineur
    L’amour vainqueur et la vie opportune,
    Ils n’ont pas l’air de croire à leur bonheur
    Et leur chanson se mêle au clair de lune,

    Au calme clair de lune triste et beau,
    Qui fait rêver les oiseaux dans les arbres
    Et sangloter d’extase les jets d’eau,
    Les grands jets d’eau sveltes parmi les marbres.

     

     

    PANTOMIME

     

    Watteau

    Antoine Watteau – Les comédiens italiens, 1720, National Gallery of Art, Washington

     

    Pierrot, qui n’a rien d’un Clitandre,
    Vide un flacon sans plus attendre,
    Et, pratique, entame un pâté.

    Cassandre, au fond de l’avenue,
    Verse une larme méconnue
    Sur son neveu déshérité.

    Ce faquin d’Arlequin combine
    L’enlèvement de Colombine
    Et pirouette quatre fois.

    Colombine rêve, surprise
    De sentir un cœur dans la brise
    Et d’entendre en son cœur des voix.

     

     

    SUR L’HERBE

     

         « Verlaine n’hésite pas à faire entendre directement ces voix. « Sur l’herbe » est constitué de dialogues libertins dont la cacophonie est à l’image de l’ivresse partagée. » P. Godfard

     

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    Antoine Watteau - Les Amusements champêtres, 1720, collection privée

     

     

    L’abbé divague. — Et toi, marquis,
    Tu mets de travers ta perruque.
    — Ce vieux vin de Chypre est exquis
    Moins, Camargo, que votre nuque.

    — Ma flamme… — Do, mi, sol, la, si.
    — L’abbé, ta noirceur se dévoile.
    — Que je meure, mesdames, si
    Je ne vous décroche une étoile.

    — Je voudrais être petit chien !
    — Embrassons nos bergères, l’une
    Après l’autre. — Messieurs, eh bien ?
    — Do, mi, sol. — Hé ! bonsoir la Lune !

     

     

    FANTOCHES

     

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    Antoine Watteau – La Sérénade italienne, 1717, Musée National, Stockholm, Suède

     

    Scaramouche et Pulcinella,
    Qu’un mauvais dessein rassembla,
    Gesticulent, noirs sur la lune.

    Cependant l’excellent docteur
    Bolonais cueille avec lenteur
    Des simples parmi l’herbe brune.

    Lors sa fille, piquant minois,
    Sous la charmille en tapinois
    Se glisse demi-nue, en quête

    De son beau pirate espagnol,
    Dont un langoureux rossignol
    Clame la détresse à tue-tête.

     

     

    CYTHÈRE

     

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    Antoine Watteau – Voulez-vous triompher des belles ? 1720, The Wallace collection, Londres

     

     

    Un pavillon à claires-voies
    Abrite doucement nos joies
    Qu’éventent des rosiers amis ;

    L’odeur des roses, faible, grâce
    Au vent léger d’été qui passe,
    Se mêle aux parfums qu’elle a mis ;

    Comme ses yeux l’avaient promis,
    Son courage est grand et sa lèvre
    Communique une exquise fièvre ;

    Et l’Amour comblant tout, hormis
    La Faim, sorbets et confitures
    Nous préservent des courbatures.

     

      

    À LA PROMENADE

     

         « Non seulement l’atmosphère, les personnages et le cadre (le bassin, les tilleuls) sont wattesques, mais le regard suit le même chemin que dans un tableau ou une gravure de Watteau. » - P. Godfard

     

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    Antoine Watteau – Plaisirs d'amour, 1719, Gemäldegalerie, Dresden

     

     

    Le ciel si pâle et les arbres si grêles
    Semblent sourire à nos costumes clairs
    Qui vont flottant légers avec des airs
    De nonchalance et des mouvements d’ailes.

    Et le vent doux ride l’humble bassin,
    Et la lueur du soleil qu’atténue
    L’ombre des bas tilleuls de l’avenue
    Nous parvient bleue et mourante à dessein.

    Trompeurs exquis et coquettes charmantes
    Cœurs tendres mais affranchis du serment
    Nous devisons délicieusement,
    Et les amants lutinent les amantes

    De qui la main imperceptible sait
    Parfois donner un soufflet qu’on échange
    Contre un baiser sur l’extrême phalange
    Du petit doigt, et comme la chose est


    Immensément excessive et farouche,
    On est puni par un regard très sec,
    Lequel contraste, au demeurant, avec
    La moue assez clémente de la bouche.

     

      

    LES INGÉNUS

     

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    Antoine Watteau – La perspective, 1715, musée des Beaux-Arts, Boston

     

     

    Les hauts talons luttaient avec les longues jupes,
    En sorte que, selon le terrain et le vent,
    Parfois luisaient des bas de jambe, trop souvent
    Interceptés ! — et nous aimions ce jeu de dupes.

    Parfois aussi le dard d’un insecte jaloux
    Inquiétait le col des belles, sous les branches,
    Et c’était des éclairs soudains de nuques blanches
    Et ce régal comblait nos jeunes yeux de fous.

    Le soir tombait, un soir équivoque d’automne :
    Les belles, se pendant rêveuses à nos bras,
    Dirent alors des mots si spécieux, tout bas,
    Que notre âme depuis ce temps tremble et s’étonne.

     

     

    Suite des poèmes des Fêtes Galantes dans un prochain article.

     

  • Mon quinquennat

     

          Le soleil pénètre déjà, mince filet lumineux encadrant la porte qui s’ouvre sur le jardin. J’ouvre les volets de la maison. Un vacarme mélodieux m’envahit les tympans. J’avais l’impression que tous les oiseaux de la région s’étaient donnés rendez-vous devant ma fenêtre pour une aubade matinale.

          Je m’installe à mon bureau. Je venais de m’apercevoir que j’avais complètement oublié un anniversaire… le mien... Mon blog avait atteint, le 17 mars dernier, l’âge respectable de 5 années. Un quinquennat… Un petit bilan serait le bienvenu, pensai-je…

     

      

    anniversaire

     

          J’ai remarqué que, depuis quelques mois, de nombreux blogs amis mettaient la clef sous la porte. Plusieurs avaient débuté en même temps que moi, ou même avant. La lassitude ? Certains partaient sans prévenir en laissant l’image de leur dernière note éternellement inerte. D’autres tiraient leur révérence en faisant des adieux émouvants à leurs lecteurs, sorte de séparation à l’amiable avec agitation des mouchoirs. La plupart d’entre eux étaient de vrais passionnés : je pense à « Louvre-Passion » dont la passion s’est éteinte brusquement par une triste journée d’automne.

          Tout récemment, un blog que je trouvais d’une belle qualité littéraire a également cessé d’émettre. Un message final était affiché qui m’avait surpris : « …lassitude de l’égocentrisme des blogueurs qui au-delà de leur petit nombril n’ont aucune notion de ce que signifie le partage mais se targuent et gonflent leur gosier en se vantant de leur extrême générosité et intérêt pour les autres… ». C’était dur. On y sentait de la rancœur, un amour déçu…

          Je songe. La blogosphère…

          Nous profitons d’une des innovations technologiques majeures du 20e siècle permettant des échanges d'informations sur des ordinateurs répartis aux 4 coins du globe. Quel outil formidable donné aux internautes pour générer des contenus numériques ! La blogosphère était née. Aujourd’hui nous pouvons être lus dans le monde entier, exprimer nos passions, dialoguer, apprendre des autres. Nous devenons tour à tour écrivain, journaliste, éditorialiste mordant, critique acerbe, professeur parfois, mais toujours avec deux mots en tête : plaisir et partage.

          Qui n’a pas connu des moments de cafard dans sa confrontation solitaire avec cet étrange nouveau monde virtuel permettant de communiquer sans frontières ? J’ai eu mes instants de doutes, surtout dans ces périodes d’handicap visuel qui gênait ma production. Je suis toujours là. J’aime écrire et parler de peinture. J’ai besoin de palper les mots, de les sentir rouler sous ma plume, d’entendre leur sonorité, et de me dire enfin, satisfait : « Cette phrase là sonne bien ! ».  Durant ces années, le blog n’était jamais devenu pour moi une addiction, mais un plaisir qui m’enrichissait.

          Si je dois faire un bilan quinquennal, celui-ci m’apparaît largement positif. J’ai rencontré des amis sur la toile. On s’apprécie. Nos échanges sont courts mais de qualité, parfois plus chaleureux et riches que dans le monde réel. Derrière la façade virtuelle de l’internet, je me suis aperçu qu’il y avait des êtres… bien vivants. Sans les voir, dans leurs mots, j’ai décelé leurs sentiments.

          Au loin, le clocher de l’église sonne déjà les douze coups de midi. J’ai le souvenir qu’à la fin de la première année suivant la création du blog je m’étais offert une bouteille de champagne. Pas une virtuelle… J’en ouvre une à nouveau, m’en verse une coupe, contemple longuement les bulles effervescentes.

          Il m’arrive de regarder les statistiques du blog. D’où viennent tous ces visiteurs anonymes qui parcourent mes articles ? Cela m’intrigue. Narcissique, je me demande s’ils lisent réellement ma prose ? Certains doivent, comme je le fais moi-même sur des blogs, débouler par hasard chez moi au détour d’une recherche, prendre une image, ou s’attarder. Les plus curieux parcourent mes textes nonchalamment, peut-être se disent-ils : « C’est pas si mal ce que fait ce type ! ». Je retrouve parfois mes récits introduits dans les pages de certains blogs. « Ils pourraient me demander, je ne refuserais pas, me dis-je courroucé ! », puis je souris… ils aiment… Après leur passage, tous ces gens repartent silencieusement dans leur monde, sur la pointe des pieds.

          A l’occasion de mon anniversaire, quel plaisir ce serait… on peut toujours rêver… si ces personnes anonymes qui liront cet article me laissaient une petite ligne de commentaire, un simple mot, un signe de vie indiquant que la blogosphère n’est pas qu’un lieu de passage…

          Je savoure la coupe de champagne à petites gorgées. J’en verse une autre coupe que je pose sur mon bureau, juste à côté de l’écran d’ordinateur. Je l’offre au petit monde de la blogosphère : « 5 ans, c’est le bel âge… ».

     

                                                                                                   Alain

     

      

  • Elisabeth Vigée Le Brun : Conseils

     

         Dans ses « Souvenirs », Elisabeth Vigée Le Brun a écrit quelques conseils pouvant être utiles aux femmes se destinant à la peinture du portrait.

         Il m’a paru intéressant d’en relater quelques extraits.

     

     

    CONSEILS SUR LA PEINTURE DU PORTRAIT

     

    Il faut toujours être prête une demi-heure avant que le modèle arrive, afin de se recueillir : c’est une chose nécessaire pour plusieurs raisons.

    1° Il ne faut pas faire attendre ; 2° Il faut que la palette soit préparée et faire en sorte de ne pas être tracassée par le monde et des détails d’affaire.

    Règle nécessaire – Il faut placer le modèle assis, plus haut que soi ; il faut que les femmes le soient commodément ; qu’elles aient de quoi s’appuyer, et un tabouret sous les pieds.

    Il faut le plus possible s’éloigner de son modèle, c’est le vrai moyen de bien saisir le juste ensemble des traits et l’aplomb des lignes, tant pour la tournure du corps que pour ses habitudes qu’il est nécessaire d’observer, même pour la ressemblance totale ; ne reconnaît-on pas les personnes par derrière, même sans apercevoir leur visage ?

     

    Pour faire le portrait d’un homme (surtout s’il est jeune) il faut le faire un instant debout, avant de commencer, pour tracer plus juste les signes généraux et extérieurs. Si on traçait le personnage assis, le corps n’aurait pas d’élégance, et la tête paraîtrait trop rapprochée des épaules. Pour les hommes surtout cette observation est nécessaire, les voyant plus souvent debout qu’assis.

    Il ne faut pas placer la tête trop haut dans la toile, cela grandit trop le modèle, et trop bas cela le rapetisse : on doit placer la figure de manière qu’il y ait plus d’espace du côté où est tourné le corps.

    Il faut avoir derrière soi une glace, placée de manière à apercevoir son modèle et son portrait, pour pouvoir le consulter très souvent, c’est le meilleur guide, il explique nettement les défauts.

    Avant de commencer, causez avec votre modèle ; essayez plusieurs attitudes, et choisissez non seulement la plus agréable, mais celle qui convient à son âge et à son caractère (ce qui peut ajouter à la ressemblance), faites de même pour sa tête : placez-la de face ou de trois quarts, cela ajoute plus ou moins à la vérité des traits, surtout pour le public ; le miroir peut aussi décider à ce sujet.

     Il faut tâcher de faire la tête (le masque surtout) dans trois ou quatre séances d’une heure et demie chaque, deux heures au plus ; car le modèle s’ennuie, s’impatiente (ce qu’il faut éviter) son visage change visiblement ; c'est pourquoi il faut le faire reposer, et le distraire le plus possible.

     

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    Elisabeth Vigée Le Brun – Giovanni Paisiello, 1791, chateau de Versailles

     

    Tout cela est d’expérience avec les femmes ; il faut les flatter, leur dire qu’elles sont belles, qu’elles ont le teint frais, etc., etc. Cela les met en belle humeur, et les fait tenir avec plus de plaisir. Le contraire les changerait visiblement. Il faut aussi leur dire qu’elles posent à merveille ; elles se trouvent engagées par là à se bien tenir. Il faut leur recommander de ne point amener de sociétés. Toutes veulent donner leur avis, et font tout gâter. Quand aux artistes et aux gens de goût, on peut les consulter ? Ne vous rebutez pas si quelques personnes ne trouvent aucune ressemblance à vos portraits ; il y a tant de gens qui ne savent point voir.

     

    Tant que vous travaillez à la tête d’une femme, si elle est vêtue de blanc, mettez sur elle une draperie de couleur absente (gris ou verdâtre) afin de ne pas distraire les rayons visuels et qu’ils puissent se reposer seulement sur la tête du modèle ; si cependant vous la peignez en blanc, laissez-en un peu pour la tête, qui doit en être reflétée.

    La première [zone de lumière] est en haut du front, peu de distance après les cheveux. Elle s’interrompt un peu et vient s’asseoir près du sourcil, ce qui fait céder le ton de la tempe, où se décrit souvent la veine bleue, surtout aux peaux délicates. Après cette lumière est d’un ton chair entier, qui se dégrade vers le milieu ; la lumière se rappelle faiblement sur cette même forme de l'os frontal. Après cette ombre, il existe un reflet plus ou moins doré, selon la couleur des cheveux : dessous le sourcil, le ton se prépare un peu plus chaud : les poils du sourcil multipliés font le même effet que les boucles de cheveux qui retomberaient sur un front éclairé. L’ombre en est chaude. Il faut bien observer les passages de cheveux qui se verront en chair, afin de les rendre aussi vrais que possible ; qu’il n’y ait jamais de dureté, et que les cheveux se mêlent bien avec la chair, tant par le contour que par la couleur ; afin que cela n’ait point l’air d’une perruque, ce qui arriverait immanquablement si l’on ne faisait pas ce que je viens d’expliquer.

     

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    Elisabeth Vigée Le Brun – La comtesse Skavronskaïa, 1796, musée du Louvre, Paris

     

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    Elisabeth Vigée Le Brun – La comtesse Skavronskaïa, 1790, musée Jacquemart-André, Paris

     

         Les deux toiles ci-dessus représentent la comtesse Skavronskaïa, peinte en 1790 à Naples, puis, plus tard, en 1796 à Saint-Pétersbourg.

         Souvenir d’Elisabeth Vigée Le Brun sur la comtesse Skavronskaïa :

         « Je me souviens qu’elle m’a conté que, pour s’endormir, elle avait une esclave sous son lit, qui lui racontait tous les soirs la même histoire. Le jour, elle restait constamment oisive ; elle n’avait aucune instruction, et sa conversation était des plus nulle ; en dépit de tout cela, grâce à sa ravissante figure et à une douceur angélique, elle avait un charme invincible. »

     

     

    Les ombres doivent être vigoureuses et transparentes à la fois, c’est-à-dire point empâtées, mais d’un ton mûr, accompagné de touches fermes et sanguines dans les cavités, telles que l’orbite de l’œil, l’enfoncement des narines, et dans les parties ombrées et internes de l’oreille, etc. Les couleurs des joues, si elles sont naturelles, doivent tenir de la pêche dans la partie fuyante, et de la rose dorée dans la saillante, et se perdre insensiblement, avec les lumières occasionnées par la saillie des os (elles sont d’un ton doré), où les lumières doivent toujours être.

     

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    Elisabeth Vigée Le Brun – Portrait dit “aux rubans cerise” (détail), 1782, Kimbell Art Museum, Fort Worth

     

     

     

  • VERMEER AU LOUVRE

         

    Introduction

         

     

         Une exposition exceptionnelle « Vermeer et les maîtres de la peinture de genre » vient d’ouvrir ses portes au musée du Louvre à Paris.

         80 peintures des maitres hollandais de la peinture de genre du 17ème siècle, siècle d’or hollandais qui va voir s’épanouir quelques-uns des peintres les plus importants de l’histoire de la peinture, sont réunies. Pour la première fois à Paris depuis 1966, douze chefs-d’œuvre de Johannes Vermeer, soit le tiers de ses tableaux connus, ont pu être rassemblés dans le musée. Un exploit…

         L’exposition est conçue afin de permettre une confrontation directe entre la peinture de Johannes Vermeer et celle de ses contemporains. A cette époque, la plupart des grands peintres de genre se connaissaient, s’appréciaient, et s’inspiraient les uns des autres : leur rivalité leur permettait de se surpasser pour aboutir à une remarquable richesse dans la qualité.

         Passionné d’art hollandais de cette période, je place Vermeer en premier dans ma hiérarchie personnelle de l’histoire de l’art. J’ai eu la chance, en 1996, d’assister à la spectaculaire exposition, qui se tint à La Haye, dans laquelle 23 œuvres du maître sur 35 connues étaient présentées.

         Je ne pense pas pouvoir, à mon grand regret, pour cause de troubles oculaires, me rendre à l’exposition. Toutefois, je viens de recevoir la lettre mensuelle des "Amis du Louvre", dont je fais partie, m'informant, d'une part de l'affluence record de l'exposition, ce qui ne m'étonne guère : compte tenu de la petite taille des toiles il va être difficile de les voir confortablement, d'autre part que quelques dates spéciales sont dédiées aux adhérents, surtout celles du matin, les moins encombrées. Alors... je vais voir, car Vermeer est unique.   

         Pour en avoir vues la plupart en Hollande ou à Paris, pour certaines plusieurs fois, je connais chacune des peintures de l'artiste exposées au Louvre. J’ai donc l’intention, dans les semaines à venir, de proposer des visites, ou pérégrinations virtuelles, dans l’exposition. Ainsi, je vous montrerai les toiles du « Sphinx de Delft », celles que j'aime, qui sont exposées et les rapprocherai de toiles d’autres artistes hollandais présentes également. Les mêmes thèmes reviennent régulièrement dans la peinture de genre : correspondances amoureuses, la musique, la broderie, la toilette, les métiers...

         Puissent ces visites virtuelles permettre à ceux qui ne pourront voir l’exposition de découvrir la beauté intemporelles des œuvres de Johannes Vermeer « le maître de la lumière ». Peut-être serez-vous incités, malgré le nombre des visiteurs qui vont venir nombreux, à venir les contempler au Louvre…

     

     

         Avant de commencer la semaine prochaine la visite de mes toiles préférées du maître présentes dans l’exposition, je souhaite vous montrer un des plus beaux tableaux de l’artiste, appartenant à la collection de la Reine d’Angleterre, qui sera malheureusement absent : La leçon de musique.

     

     

     

    VERMEER Johannes – La leçon de musique, 1663, Collection Royale, Palais de Buckingham, Londres

     

     

    La signature est dans le miroir

     

     

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        De biais, j’observe La leçon de musique. Les visiteurs se dispersent et ce magnifique tableau devient accessible. Cette toile est la seule qui soit entrée dans une collection royale. D’ailleurs, son attribution à Johannes Vermeer ne fut seulement reconnue définitive que lors de son exposition à la Royal Academy à Londres en 1876.

         La séduction opère de suite. Quiétude… Harmonie... Silence...

         Quelques notes de musique me parviennent…

        Dans un intérieur élégant, une femme joue du virginal. Je la vois de dos : une robe de velours peinture,vermeer,louvre,peinture hollandaisenoir sur une jupe rouge, concentrée sur le clavier. Les deux personnages se tiennent un peu raides debout de chaque côté du dossier de la chaise bleutée à tête de lion qui les sépare. Le gentilhomme regarde affectueusement la jeune femme… Un professeur ou un amant ? A moins que ce ne soit l’amour de la musique qui les rapproche comme le suggère l’inscription en latin inscrite sur le couvercle du virginal aux éléments décoratifs d’une extrême finesse : MUSICA LAETITIAE COMES, MEDICINA DELORUM (La musique, compagne de la joie, médecine de la douleur).

     

     

     

     

         Des diagonales invisibles partent dans toutes les directions. Elles agrandissent la pièce et lui donnent sa profondeur. Je remarque que toutes les lignes, y compris le joli dallage noir et blanc, convergent toutes vers le point central de la toile : le miroir...

         Malin, Vermeer ! Il a laissé une discrète signature dans le haut du miroir, juste au-dessus du peinture,vermeer,louvre,peinture hollandaisevisage de la jeune femme : les pieds de son chevalet sur lequel il est en train de peindre la scène, planqué au fond de la pièce. Il ne se montre pas, mais il est bien présent…

     

     

     

     

     

     

     

     

         La lumière du jour, éclair bleuté qui transperce les larges vitraux, paraît intentionnellement stoppée sur le mur du fond ocre et bleu pâle afin de mieux renvoyer l’image de la femme dans le miroir.

         La basse de viole posée à terre semble avoir été rajoutée par l’artiste sur le dallage entre la chaise bleue et la jupe rouge de la femme. Aurait-elle été peinte au dernier moment pour rompre la perspective et protéger l’intimité du couple ?

     

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         Un petit bijou de délicatesse ! La cruche en céramique blanche, lisse, contraste fortement avec le tapis d’orient bariolé sur lequel elle est posée, en s’éclairant par endroit sous le reflet peinture,vermeer,louvre,peinture hollandaisedes vitraux.

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

        Quelle chance inouïe a la Reine d’Angleterre de pouvoir contempler à satiété cette merveilleuse peinture, phare de sa collection !

        Je contemple longuement le tableau en silence. Inutile de chercher une intention quelconque, morale ou philosophique, dans ce tableau placé dans un intérieur bourgeois, pensai-je : seule l'art de la peinture a de l’importance pour l’artiste… 

           Les notes de musique se sont envolées.

        Dans un dernier regard pour la jeune femme reflétée dans le miroir, celle-ci semble me remercier de ma présence en m’adressant un discret clignement d'oeil…

     

     

  • Une idée pour Noël

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    Avez-vous terminé de remplir votre hotte de Noël ? Pour les hésitants, j’ai ma petite idée à ce sujet.

    Dans cette période où la culture passe au second plan, je suis persuadé que quelques livres d’art feraient plaisir à vos proches. J’ai ce qu’il vous faut :

    - Un roman : QUE LES BLÉS SONT BEAUX

    Vincent m’a aidé à l’écriture du livre en me racontant sa vérité à Auvers-sur-Oise, ses journées, sa technique et sa passion pour la peinture qui lui faisait dire : « Il y a du bon de travailler pour les gens qui ne savent pas ce que c’est qu’un tableau ».

    - Un recueil de nouvelles : CONTER LA PEINTURE

    Courtes fictions en images mettant en scène quelques grands peintres de l’histoire de l’art et leurs oeuvres.

     

    Je pense que ces publications seront d’autant mieux accueillies que tous les bénéfices résultant de leur vente sont intégralement reversés à l’association RÊVES venant en aide aux enfants gravement malades.

     

    Cliquez sur la couverture du livre souhaité dans la colonne de droite du blog.

     

    Encore merci pour les enfants. Plus que nous, ils ont besoin de rêver.

     

    Heureuses fêtes de fin d'année à tous.

     

    Alain


  • Marguerite Gachet au piano

     

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    Vincent Van Gogh – Marguerite Gachet au piano, 1890, Kunstmuseum, Bâle, Suisse

     

     

         Furtivement, la jeune fille se tourna vers moi. Ses yeux azur pétillèrent un instant. Elle m’offrit à nouveau son profil.

         Je changeai de brosse pour accentuer la pâleur du visage. Les mains furent allongées. Esquissées à peine, elles paraissaient plus légères sur le clavier. La qualité des mains dans mes portraits était essentielle. « Elles sont aussi importantes que l’ovale du visage ou l’expression d’un regard, elles causent, disais-je souvent à Théo ».

         Mon travail avançait. Je peignais avec l’entrain d’un Marseillais mangeant de la bouillabaisse. Goulûment…

         Le pinceau imbibé de laque géranium borda le haut du vêtement, puis rosit ensuite les plis de la robe dans le frais de la couleur blanche. J’en profitai pour accentuer le rouge de la ceinture avec cette laque déposée pure.

         Chaque détail était important. Je ne cessais de tourner autour de Marguerite. « Arrêtez Vincent, cria-t-elle en riant, vous me donnez mal au cœur ! »

         Le tableau me satisfaisait. Les contrastes étaient puissants, les couleurs s’équilibraient. Des teintes séparées posées librement sur la robe lui donnaient de la souplesse.

         Quelques touches finales achevèrent mon travail. 

     

     

    Extrait du roman « Que les blés sont beaux – L’ultime voyage de Vincent Van Gogh », publié sur Bookelis

     

     

  • Des tournesols à la tomate

     

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    Vincent Van Gogh – Tournesols, 1888, National Gallery of Art, Londres

     

         Le tableau de Vincent Van Gogh, une des nombreuses versions de ses tournesols, a été recouvert vendredi dernier de soupe à la tomate par des militants écologistes.

         Vincent Van Gogh peignit cette toile dans la « Maison Jaune » où il habitait à Arles durant l’été 1888. Il le destinait à la décoration de la chambre de son ami Paul Gauguin qui arriva à Arles en octobre 1888. La séparation entre les deux hommes survint en décembre de cette même année après une dispute violente qui vit Vincent se trancher le lobe d’une oreille et Gauguin quitter définitivement Arles.

         L’année suivante Paul Gauguin demanda à Vincent de lui donner ce tableau qu’il considérait dans un courrier comme un style « Vincent » essentiel. Mais Vincent ne voulut pas lui envoyer. Il écrivit à son frère Théo « Le tournesol est à moi » et le garda.

         Durant son séjour à Arles, Gauguin peignit son ami dans un tableau le représentant peignant des tournesols : « Van Gogh peignant des tournesols ».

     

    Gauguin

    Paul Gauguin – Vincent Van Gogh peignant des tournesols, 1888, Van Gogh Museum, Amsterdam

     

  • Fêtes galantes /1

     

    Watteau

    Antoine Watteau - Pèlerinage à l'île de Cythère, 1717, Musée du Louvre, Paris

     

         Je me suis lancé avec appétit dans la lecture du livre « Les Fêtes galantes ou les rêveries de Watteau et Verlaine » de Patrick Godfard, qui m’avait été offert à Noël, un beau livre magnifiquement illustré par de nombreux tableaux et dessins.

         L’auteur a dû ressentir une profonde délectation en écrivant cet essai, étude croisée entre la peinture de Watteau et la poésie de Verlaine. Son érudition atteint des sommets. Presque trop, avais-je pensé… Je redoute souvent que ce genre de livre passe à côté de l’essentiel : expliquer clairement les liens qui unissent les deux artistes et montrer la beauté de leur art.

         Sans toujours comprendre les figures de style de certains mots utilisés par l’auteur, j’ai dépassé cette difficulté de lecture apparente et, finalement, je me suis laissé embarquer par la qualité de l’analyse et la beauté des textes et reproductions de tableaux.

     

     

        Après la mort de Louis XIV, une folie de plaisir s’installe au moment de la Régence. Le peintre Antoine Watteau montre des personnages de la haute société s’adonnant au badinage dans la pénombre de bois ou parcs, au son de mandolines, au milieu de statues suggestives. Le théâtre et la danse sont présents. Il s’agit d’une sorte de chronique du temps : robes à panier, perruques poudrées, visages pâles agrémentés de touches rouges, attitudes outrancières. En 1712, le peintre est reçu à l’Académie royale de peinture avec le tableau « Pèlerinage à l’île de Cythère ». Ce genre pictural est appelé par les académiciens « peintre en festes galantes ».

        Un siècle et demi plus tard, en 1869, le jeune Paul Verlaine fait paraître son recueil de poèmes « Fêtes galantes » directement inspiré de l’œuvre de Watteau.

         « Qui d’autre mieux que Verlaine a compris qu’un poème est de la musique avant toute chose. » Elle est constante dans ses vers : sonorité, répétitions, pas de danse, sensations.

    Watteau se fait lui-même musicien dans ses tableaux : « Fêtes vénitiennes ».

    Watteau

    Antoine Watteau - Fêtes vénitiennes, 1717, Galeries nationales d'Écosse, Édimbourg

     

         Des musiciens apparaissent dans la plupart de ses toiles : « Les charmes de la vie, « La gamme d’amour », « Le donneur de sérénade ».

    watteau

    Antoine Watteau - La gamme d'amour, 1717, National Gallery, Londres

         watteauLa peinture elle-même est musique et rythme la composition : les personnages de « Pèlerinage à l’île de Cythère » s’invitent, se lèvent, discutent, s’enlacent, au rythme d’un menuet.

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

         L’on s’étourdit dans la danse du poème « Mandoline » de Verlaine.

    Extrait :
    "Leurs courtes vestes de soie,
    Leurs longues robes à queues,
    Leur élégance, leur joie
    Et leurs molles ombres bleues,

    Tourbillonnent dans l’extase
    D’une lune rose et grise,
    Et la mandoline jase
    Parmi les frissons de brise."

     

        « Les « Fêtes galantes » sont un éternel bijou », écrit Mallarmé. Watteau a introduit la grâce musicale en peinture, Verlaine est le poète qui a musicalisé la langue française. Il nous invite au songe dans le poème « L’allée » .  

    Extrait :

    "Fardée et peinte comme au temps des bergeries

    Frêle parmi les nœuds énormes de rubans

    Elle passe, sous les ramures assombries

    Dans l’allée où verdit la mousse des vieux bancs »."

     

         Un poète grec Simonide de Céos et le peintre Léonard de Vinci comparèrent la peinture à la poésie.

        Un chapitre du livre s’interroge : "des « Fêtes galantes » préimpressionnistes ?" On peut se poser cette question, car Verlaine est contemporain de la plupart des peintres avant-gardistes. Lorsque paraît le recueil en 1869, Monet et Renoir créent l’impressionnisme en allant peindre ensemble la guinguette La Grenouillère sur l’île de Croissy, proche de Paris. La peinture de Watteau et la poésie de Verlaine cherchent, eux aussi, à rendre la sensation, la fugacité des choses. D’ailleurs, Monet affectionnait « L’embarquement pour Cythère » et Renoir a été influencé par des scènes de Watteau dans ses toiles « La Promenade » ou « Les amoureux ».

    Renoir

    Auguste Renoir - Les amoureux, 1875, Galerie Nationale de Prague

     

         On pourrait alors parler de signes avant-coureurs de l’impressionnisme... Pourtant l’auteur ne retient pas l’image impressionniste : pour lui, Watteau et Verlaine proposent une perception de la réalité alors que les impressionnistes créent un univers onirique. J’ai un avis différent de l’auteur sur la poésie de Verlaine dans laquelle je retrouve tout ce que j’aime chez mes amis peintres : spontanéité, atmosphère trouble, vivacité de la touche …

     

         Rubens… Watteau s’inspira de ses toiles en visitant le Palais du Luxembourg àwatteau,verlaine Paris. Nous retrouvons les tonalités colorées du peintre flamand dans son œuvre où la couleur prime : un jeu des contrastes s’intègre dans l’ensemble et les touches de couleur vibrent et fusionnent en mêlant les personnages au paysage.

     

     

     

     

     

     

     

     

         Deux vers de Verlaine « Car nous voulons la Nuance encore / Pas la couleur, rien que la nuance ! » peuvent s’appliquer à la façon dont Watteau travaille la couleur : non pour elle-même, mais comme nuance, par touches légères, dans un jeu global où tout est lié.

     

         « Le Verlaine des Fêtes galantes peut nous aider à mieux saisir Watteau : à côté du chantre des plaisirs et de la nonchalance, il y a le Watteau peintre de la mélancolie. »

         Les deux artistes ont en commun une même vision de l’homme où le libertinage n’est finalement qu’une illusion visant à refuser d’affronter la réalité.

    watteau

    Antoine Watteau - Pierrot, 1719, Musée du Louvre, Paris

     

         Derrière l’évocation des plaisirs chers à Watteau, certains paysages reflètent l’âme du poète, sa propre sensibilité, laissant entrevoir un spleen baudelairien qui va en s’amplifiant au fil des poèmes. 

    Extrait « En sourdine » :

    « Et quand, solennel, le soir

    Des chênes noirs tombera,

    Voix de notre désespoir,

    Le rossignol chantera. »

     

         Le ton devient sombre dans « Colloque sentimental ».

    Extrait :

    « Dans le vieux parc solitaire et glacé,

    Deux formes ont tout à l’heure passé.

    Leurs yeux sont morts et leurs lèvres sont molles,

    Et l’on entend à peine leurs paroles.

    Dans le vieux parc solitaire et glacé,

    Deux spectres ont évoqué le passé. »

     

         Comme je l’avais fait pour Charles Baudelaire il y a quelques années pour son recueil des « Fleurs du mal », je publierai en plusieurs articles des poèmes des Fêtes galantes de Verlaine que j’illustrerai de tableaux choisis dans l’œuvre de Watteau.

     

  • La liberté guidant le peuple

     

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    Eugène Delacroix - La liberté guidant le peuple, 1831, musée du Louvre

    Crédit: Photo (C) RMN Grand Palais (musée du Louvre/ Michel Urtado

     

     

    « — Trinquons au romantisme, Eugène

    Il avala son verre d’un trait. Un éclair sombre passa sans ses yeux.

    — Pauvres gens ! dit-il d’un coup. Comme en 89, savent-ils qu’ils se battent et souffrent pour rien ? Ils ont renversé Charles X pour le remplacer par son cousin Louis-Philippe. La belle affaire… Que vont devenir leurs rêves de réformes, de progrès, d’égalité. L’autorité et l’ordre revenus, ils récolteront quelques médailles et leur vie misérable reprendra.

    Louis-Auguste regarda le gamin aux pistolets.

    — Tu vois, ce jeune garçon à côté de la femme au drapeau, pistolets de cavalerie dans les mains… Enfant de Paris, il symbolise la jeunesse de tout temps révoltée par l’injustice. Tu as mis de la fougue, du plaisir, dans son œil. Son père, qui s’est battu dans la Grande Armée, lui a conté ses exploits. À son tour, il s’enivre de l’odeur de la poudre et exhorte les insurgés. Il n’a pas peur. Peut-il se douter qu’il va mourir dans peu de temps ?

     

    Eugène se taisait, attristé par la mélancolie que son tableau inspirait à Louis-Auguste. Celui-ci finit par dire fataliste :

    — Eugène, comme souvent dans notre histoire, c’est le petit peuple qui se bat, mais ce sont toujours les puissants qui gagnent !

    Delacroix vint vers son ami et le prit tendrement par les épaules.

    — Tu as raison Louis-Auguste. Mais, à chaque nouveau combat, ils continuent d’espérer... »

     

    Extrait du recueil "Deux petits tableaux"  publié chez BOD

    AUJOURD'HUI, LE PEUPLE DOIT TOUJOURS SE BATTRE POUR CONSERVER SA LIBERTÉ.