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Rechercher : un pastelliste heureux

  • Marguerite Gachet

     

    VAN GOGH Vincent - Marguerite Gachet au piano, 1890, Kunstmuseum Basel, Suisse

     

     

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         - Mettez-vous en place, Marguerite !

        La jeune fille ne semblait guère pressée de reprendre la pose. Elle avait enfin tenu sa promesse. Depuis mon arrivée dans la région, je la relançais régulièrement pour qu’elle me permette de faire son portrait devant son piano. Le soir, dans ma chambre, j’imaginais la pose, les couleurs, la forme.

        Paul m’aida à déménager la table au centre de la pièce. Le piano fut installé près de la fenêtre, en pleine lumière. J’avais besoin d’espace autour du chevalet pour travailler.

         Hier, après un premier croquis préparatoire à la pierre noire, j’avais attaqué la peinture. Le mur blanchâtre et le parquet en chêne de la pièce étaient trop ternes pour être repris à l’identique. J’avais recréé le fond du décor en étalant une première couche de peinture très diluée : une laque de géranium sur le sol et un vert Véronèse mixé de jaune sur le mur. Au soir, la toile était déjà bien avancée, surtout dans les teintes claires : la blondeur des cheveux, la robe blanche, les mains.

        J’installai la toile étroite encore fraîche de la veille sur le chevalet. Cette semaine j’avais utilisé pour les paysages un nouveau format de 1 mètre de haut sur 50 cm de large. Il m’avait été inspiré par les estampes japonaises. Ce format allongeait les formes du modèle, ainsi je l’avais gardé pour le portrait tout en hauteur.

       Marguerite s’assit devant le piano. Je ne lui avais guère laissé le choix pour sa tenue peinture,van gogh,marguerite gachet,auvers-sur-oisevestimentaire. Je tenais à ce qu’elle revête sa robe blanche serrée à la taille, avec cette ceinture rouge qui lui moulait les hanches à ravir. Sa chevelure claire relevée en chignon très haut placé dégageait son fin profil.

         Les teintes posées la veille sur la toile s’étaient raffermies en séchant. Je voulais terminer le fond du décor, les autres éléments se mettraient en place d’eux-mêmes. De la pointe du pinceau, je piquai le mur verdâtre de petits points orangés très fins, puis, avec un pinceau plat, le tapis rouge fut couvert de bâtonnets vert olive placés dans le sens de la hauteur. Les couleurs complémentaires vertes et rouges posées près l’une de l’autre s’exprimaient pleinement. La relation qui existait entre les couleurs me surprenait toujours. 

         La tension habituelle montait en moi. Je savais que le résultat de mon travail dépendait des minutes à venir.

         Ma brosse trempée dans le bleu de Prusse enroula délicatement le bas de la robe pour ne pas lapeinture,van gogh,marguerite gachet,auvers-sur-oise salir. Avec la même couleur, je fignolai le dessin du piano, la bougie, le cahier de musique et le tabouret sur lequel Marguerite, assise, pianotait, rêveuse, la tête légèrement penchée sur le clavier. Furtivement, elle se tourna vers moi. Ses yeux azurs pétillèrent un instant. Elle m’offrit à nouveau son profil.

       Je changeai de brosse pour accentuer la pâleur du visage. Avec le même ton, les mains furent allongées. Esquissées à peine, elles paraissaient plus légères sur le clavier. La qualité des mains dans mes portraits était essentielle. « Elles sont aussi importantes que l’ovale du visage ou l’expression d’un regard, elles causent, disais-je souvent à Théo ».

      Mon travail avançait. Je peignais avec l’entrain d’un marseillais mangeant de la bouillabaisse. Goulûment…

        Le pinceau imbibé de laque géranium borda le haut du vêtement, puis rosit ensuite les plis de la robe dans le frais de la couleur blanche. La laque déposée pure accentua le rouge de la ceinture.

       Je voulais vérifier chaque détail et ne cessait de tourner autour de Marguerite. « Arrêtez Vincent, cria-t-elle en riant, vous me donnez mal au cœur ! » Le tableau me satisfaisait. Les contrastes étaient puissants, les couleurs s’équilibraient. Mes bâtonnets répartis fermement sur l’ensemble de la toile remplaçaient le modelé et suggéraient le mouvement. Quelques touches finales achevèrent mon travail. 

       En mouchetant le mur de points orangés, j’avais pensé à mon vieux copain Paul Signac, adepte de cette technique. Elle était déjà loin l’époque où je le suivais dans la campagne proche de Paris, vers Asnières et Clichy, en bord de Seine. Je tentais de pratiquer son style fait de petites touches accolées. Trop rigoureux pour moi ! Mon art avait besoin de respirer, sans contrainte.

         - Vous pouvez quitter la pose Marguerite, dis-je joyeusement !

         La jeune fille se leva pour voir mon œuvre. Son image sur la toile lui plut instantanément.

         - Merci Vincent. Vous savez faire chanter les couleurs.

         - Vous aimez ?

         Dans le « oui » étouffé de sa réponse, je sentis de l’émotion.

       - Les japonais m’ont tout appris, Marguerite. A l’étude de leurs toiles, j’ai compris que l’utilisation des couleurs pures pouvait donner un résultat harmonieux. Il suffit simplement de les mettre en musique comme vous le faites si bien avec les notes sur votre piano.

        Je me disais que cette toile aux tonalités roses ferait très bien avec une autre, de blés, peinte en largeur récemment dans des tons vert pâle. J’avais encore en mémoire des paroles anciennes écrites à Théo : « Nous sommes encore loin avant que les gens comprennent les curieux rapports qui existent entre un morceau de la nature et un autre, qui pourtant s’expliquent et se font valoir l’un l’autre ».

        - Cette toile est à vous, Marguerite ! Je vous l’offre en remerciement de ces deux jours de plaisir ! Accrochez-là au mur pour le séchage. N’oubliez pas que vous m’avez promis de poser à nouveau ces jours prochains, avec un petit orgue…

       « Promis, Vincent, dit-elle tout bas en s’approchant de moi. » Elle refoula sa timidité habituelle et me déposa un baiser rapide sur la joue.

     

     

    Texte extrait du roman qui sera publié et offert le 15 décembre prochain : QUE LES BLES SONT BEAUX - L'ultime voyage de Vincent Van Gogh

     

     

  • Théodore GERICAULT, confidences

     

    L’ultime passion amoureuse d’un romantique

     

     

         Le romantisme… Par l’exaltation de ses sentiments, Théodore Géricault, ami de Delacroix qui l’admirait, l’incarne à lui seul.

         A 17 ans, il entre dans l’atelier du peintre Carle Vernet dont la spécialité est les dessins de chevaux. Il étudie ensuite dans l’atelier de Pierre-Narcisse Guérin où il rencontre Eugène Delacroix. Le cheval devient sa passion et il aime monter à cheval. Trois chutes successives l’affaibliront. Cette passion du cheval causera son décès prématuré trop jeune.

        En 1819, l’immense scène de naufrage « Le radeau de la Méduse » utilise un fait divers récent et épuise le peintre par l'ampleur du travail. Souffrant, il n’arrive plus à honorer ses commandes et part à Londres exposer son Radeau.

     

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    Théodore Géricault – Le radeau de la Méduse, 1819, musée du Louvre, Paris

     

     

         Une dernière passion amoureuse, plus pour les chevaux cette fois, avec madame Trouillard rencontrée durant l’hiver 1820-1821 à un bal masqué, l’enflamme.

         Il en parle dans les deux lettres ci-dessous, dont la dernière est adressée à madame Trouillard :

     

    Lettre à Pierre Joseph Dedreux-Dorcy (peintre, ami de l’artiste, qui permettra au «Radeau » d’entrer au Louvre) – Londres, le 12 février 1821

     

    Mon cher Dorcy

    […]

    Je ne m’amuse pas du tout et ma vie est absolument celle que je mène à Paris, travaillant beaucoup dans ma chambre et rôdant ensuite, pour me délasser, dans les rues où il y a toujours un mouvement et une variété si grande que je suis sûr que vous n’en sortiriez pas. Mais le motif qui vous y retiendrait m’en chasse. La sagesse je le sens devient de jour en jour mon lot, sans cesser malgré cela d’être le plus fou de tous les sages car mes désirs sont toujours insatiables et quoi que je fasse c’est toujours autre chose que je voudrais faire. Je lithographie à force. Me voilà voué pour quelque temps à ce genre qui, étant neuf à Londres, y a une vogue considérable. Avec un peu plus de ténacité que je n’en ai, je suis sûr qu’on pourrait faire une fortune considérable.

    […]

    Une conquête aussi mon cher Dorcy, car je dois tout vous dire, une femme qui n’est pas de la première jeunesse mais belle encore et entourée de tout le prestige de la fortune s’est fourrée dans la tête d’être folle de moi, folle à la lettre en vérité. Je serai violé incontestablement. Il me faut autant d’art pour lui échapper qu’il en faut souvent pour obtenir de certaines femmes les plus légères faveurs. Elle n’est ni précieuse ni bégueule je vous assure, elle m’appelle le dieu de la peinture et elle m’adore à ce titre.

    Je voudrais pour tout au monde vous tenir ici pour vous conter à loisir toutes ses folies. L’autre jour elle me disait qu’elle voudrait m’élever un autel pour y déposer tous les jours son offrande. Mais c’est qu’elle me respecte vous n’avez pas d’idée et me regarde quelques fois avec un air qui me ferait crever de rire si je ne craignais de la mortifier. Ce qui me désole est que son mari est un excellent homme qui a mille bontés pour moi. […]

    Un silence absolu sur ma passion je vous prie parce qu’elle est probablement connue à Paris.

    Votre dévoué Géricault 

       

    Lettre à Madame Trouillard – Paris, vers mai-juin 1822

     

    Samedi soir.

    C’est après bien des embarras de toute espèce qu’il m’est permis enfin de venir me prosterner à vos pieds, car véritablement vous êtes une créature divine, et en conscience je ne puis pas moins faire. Comment vous témoigner dignement en effet ma reconnaissance pour les deux propositions toutes charmantes que vous me faites, ayant toutes deux pour but de me procurer l’agréable vue de votre personne ; cependant j’hésite, non pas à choisir, cela est facile : s’il vous était possible de vous mettre à la place d’un chétif mortel, de descendre jusqu’à lui ! alors…

    Supposons un instant que Vénus elle-même, feignant un sincère attachement, me fit demander à la recevoir, jugez pour moi quel embarras où me laissait le choix de la visiter chez elle. Je ne suis jamais monté là-haut, je l’avoue et je ne sais trop quelle figure vous y faites ; mais la recevoir chez moi est plus effrayant, s’il est possible, cependant c’est le plus sage : aussi je lui fais répondre que j’aurai l’honneur de l’attendre. J’attends, j’espère, je désire et redoute sa vue. Quelle anxiété. Enfin elle arrive, mon trouble augmente, je m’agite et me remue sans projet. Tout haletant, j’offre un siège mais point assez doux pour elle.

    Belle et riante déesse, car il faut enfin dire quelque chose, aimable sirène des amours, consolation des pâles humains, à quoi puis-je attribuer une faveur si grande, je n’ai rien vous le savez, je ne suis pas.

    Sot, dit-elle aussitôt en se tournant pour que je n’entendisse pas, mais je l’ai entendue ou plutôt vraiment j’ai deviné ; tout déconcerté, j’essaye à continuer, car je sais le respect qu’on doit à tout ce qui habite l’Olympe ; illustre mère d’Anchise, tendre amante d’Enée (ici je perds la tête tout à fait), épouse fidèle de Jupiter, daigne avoir pour moi les soins touchants que tu prodiguais à Adonis, tes plus chères délices ou bien à...: Sot, trois fois sot, faquin !

    A cette grêle d’injures où seulement d’épithètes peu flatteuses, ad libitum, que je n’attendais pas puisque je faisais de mon mieux, je suis tombé atterré, anéanti…

    La pensée seule fait frémir : ne frémissez-vous pas ?

    A propos qu’allez-vous faire à la mer, est-ce raison de santé qui vous y porte ou bien seulement y allez-vous par plaisir ? Les voyages de ce genre durent six semaines ou deux mois tout au plus. Si nous attendions votre retour ?

     

    L’écriture de cette lettre est pleine de passion. Celle-ci va s’achever de façon déchirante peu avant le décès de l'artiste en 1824 à 33 ans.

     

  • Monet une vie dans le paysage

     

    monet,marianne alphant

     

         Marianne Alphant a réalisé un très gros travail dans ce livre de 700 pages publié en 2010. Cette superbe biographie, illustrée de nombreuses documentations et photos en noir et blanc, est, à mes yeux, la meilleure de l’artiste, la plus complète. Je souhaite lui redonner la place qui lui revient dans l’histoire de l’art.

       La vie de l’artiste nous est restituée au jour le jour, mais pas de façon uniquement chronologique comme beaucoup de biographies. L’auteur nous entraîne dans un itinéraire littéraire au gré de son inspiration. Nous sommes aux côtés de Monet, je dirais même en lui. De nombreuses citations ponctuent chaque phrase. La vie du peintre nous apparaît avec son environnement, ses amours, ses difficultés, son époque, et sa vision de cet art nouveau qui va bousculer irrémédiablement la peinture de cette fin du 19 siècle en France.

       Installez-vous confortablement amis lecteurs. L’érudition de l’auteur est immense. Laissez-vous accompagner par la présence de Monet.

     

     

    fantin-Latour

    Henri Fantin-Latour - Un atelier aux Batignolles, 1870, Musée d'Orsay, Paris

     

          « Un atelier aux Batignolles ». Un groupe d’hommes est rassemblé sur cette célèbre toile peinte par Henri Fantin-Latour en 1870. Le peintre Edouard Manet est assis devant son chevalet. Autour de lui, semblant s’ennuyer, des écrivains et trois peintres encore peu connus. Ces trois là peuvent-ils savoir qu’ils vont bientôt bouleverser l’ordre esthétique et devenir les fers de lance de la nouvelle peinture : Auguste Renoir, Frédéric Bazille et, coincé derrière la haute silhouette de celui-ci, Claude Monet, les cheveux bruns qui bouclent. Bazille mourra l’année suivante à la guerre contre la Prusse. L’aventure picturale va commencer pour les deux autres que rejoindront Sisley, Cézanne, Pissarro, Degas, Morisot, et d’autres qui complèteront cette jeune génération des futurs impressionnistes.

     

         Au Havre, un jeune homme de seize ans dessine toutes ces journées, le plus souvent des caricatures de bourgeois de la ville. Il a du succès. Il rencontre Eugène Boudin qui lui parle : « Je regarde tous les jours vos croquis, c’est amusant, c’est enlevé, vous êtes doué. » Boudin l’emmène peindre avec lui. Plus tard, Monet dira : « Je fus saisi d’une profonde émotion » ; « Je fus illuminé » ; « Ah quelle révélation !... La lumière venait de jaillir."

     

     monet

    Claude Monet - Camille, la femme à la robe verte, 1866, Kunsthalle museum

     

         Monet est devenu peintre. Ce sera ensuite l’atelier Gleyre avec ses amis, « Le déjeuner sur l’herbe", déjà la touche fragmentée, les vibrations lumineuses. Un premier amour, Camille, qui devient « La femme à la robe verte », « Femmes au jardin ». Un petit Jean nait. En juin 1870, Claude se marie avec Camille. Il a 30 ans et elle 25. Courbet est venu. Claude va vivre avec Camille les années heureuses d’Argenteuil. Son bateau-atelier lui permet de naviguer, peindre l’eau, les berges, les ponts. Il peint quelque chose de nouveau qui l’éblouit. Son oeil recompose le paysage qui est saisi avec les accidents que l’atmosphère lui donne. Il ne cesse de croquer sa femme, sa source d’inspiration, dans tous les coins du jardin.

     

    monet

    Claude Monet - Impression, soleil levant, 1874, Musée Marmottan, Paris

     

         « Quand on a cessé de faire de la marine, c’est le diable, cela change à tout instant et ici le temps varie plusieurs fois dans la même journée ». Monet tente de nombreuses fois de peindre le port du Havre. Peut-il se douter que la toile qu’il appelle « Impression, soleil levant » sera la vedette de l’exposition des artistes indépendants en Juin 1874 chez Nadar où tous ses amis avant-gardistes sont présents. Elle est moquée par un journaliste du « Charivari » qui trouve qu’il y a de l’impression là-dedans. Le mot impressionniste est né.

    La jeunesse du peintre va se terminer en 1879. Sa Camille donne naissance à un second enfant, et décède dans la maison de Vétheuil. Rien ne sera jamais plus jamais comme avant.

     

         Les longues promenades de Monet dans la compagne environnante lui ont fait découvrir Giverny sur la rive gauche de la Seine entre Bonnières et Vernon. La région l’inspire, il se sent capable d’y « faire des chefs-d’oeuvre ». Il s’y installe définitivement, aménage, bâtit et embellit son domaine. Il s’est remarié avec Alice.

     

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    Claude Monet - Le jardin de l'artiste à Giverny, 1900, musée d'Orsay, Paris

     

         Un curieux jardin prend forme qu’il créé lui-même. Des fleurs de toutes sortes forment une palette multicolore où toutes les teintes se côtoient de façon un peu désordonnée et apportent la touche de folie de l’artiste… Monet reproduit sur ses toiles toute cette beauté qui l’entoure. Il aime peindre plusieurs toiles en même temps aux diverses heures du jour, comme les meules ou peupliers aux alentours. « Regarde la nature et peins ce que tu vois, comme tu peux. » donne-t-il comme unique conseil à Blanche, sa belle-fille, qui plante souvent son chevalet à ses côtés.

     

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    Claude Monet - Nymphéas, 1906, The Art Institute of Chicago

     

         Une allée mène à l’étang. Il a planté des nénuphars et les reproduit, ses yeux fatigués fouillant inlassablement l’horizon liquide : la ligne d’horizon est supprimée, la perspective disparaît, les formes se dissolvent. L’apparence éphémère des choses… Il peint de grands panneaux de nymphéas, dont il a promis à son ami Georges Clemenceau de faire don à la France. Après sa mort en 1926, ils orneront les murs des immenses salles de L’Orangerie de Paris.

    « J’ai fait comme peintre ce que j’ai pu et cela me semble assez. »

     

         Le style de Marianne Alphant est un enchantement : foisonnement de connaissances, sens littéraire de la description picturale. L’étude du processus créatif du peintre cherchant l’impossible donne parfois le tournis. Ce n’est pas une biographie mais de la poésie.

     

     

     

  • La jeune fille en bleu

     

    VAN GOGH Vincent - Adeline Ravoux, 1890, collection privée

     

    Van gogh - portrait d'adeline ravoux 1890 collection privée.jpg

     

    Texte extrait du roman à venir sur décembre: QUE LES BLES SONT BEAUX - L'ultime voyage de Vincent Van Gogh

     

     

         - Vous êtes très belle Adeline habillée ainsi !

         Elle sourit timidement. Elle qui portait habituellement des tenues amples et légères de son âge paraissait engoncée dans cette robe de dame qui lui serrait le buste. Elle hésitait à bouger, m’interrogeant du regard.

         La clarté de la fenêtre derrière elle l’entourait d’un halo lumineux qui dessinait les courbes de sa gracieuse silhouette. Dans le contre-jour, ses yeux, habituellement très clairs, étaient bleu foncé, presque violet, assortis à la robe. Je voyais une symphonie en bleu que son teint pâle et ses cheveux dorés accentuaient.

         - C’est ma première robe, dit-elle en faisant plusieurs tours sur elle même au risque de se prendre les pieds dans la jupe trop longue.

         C’était un jour de fête pour elle : une première robe de jeune fille et un peintre qui allait faire son portrait. J’appréciais qu’elle se soit faite belle exprès pour moi…

         Adeline s’amusait à voir me voir presser les tubes sur la palette. Elle imaginait cette pâte liquide, pure, se transformant en un personnage de chair et de sang qui serait elle.

         J’invitai la jeune fille à s’asseoir sur une chaise en paille et l’orientai de profil par rapport à moi. La lumière s’infiltrait dans ses cheveux et morcelait sa robe de petits éclats de feu. Je saisis ses épaules et lui tournai à peine le buste afin de ne voir que son oeil droit. « Relevez les manches de votre robe sur vos avant-bras et reposez les mains librement sur vos genoux. J’ai besoin de voir vos mains en pleine lumière. Bougez le moins possible ! ». Docile, elle se laissait faire.

         Le dessin préparatoire fut exécuté avec une brosse trempée dans du bleu de prusse. Avec un pinceau plus fin, je cernai l’ovale du visage d’un mince liseré vermillon. De profil, le nez d’Adeline m’apparaissait assez long, légèrement bombé au milieu. Je coupai la robe sous ses genoux. Elle posait comme une professionnelle, détendue, les bras souples, la tête bien droite, sans raideur.

       C’était le moment que je préférais. L’excitation montait en moi. Seule l’élaboration de l’œuvre occupait mon esprit.

         Sur la palette, je mélangeai le jaune de cadmium avec un soupçon de rouge, puis balayai la
    peinture,van gogh,adeline ravoux,auverschevelure avec la pâte ocre obtenue. J’étalai ensuite un mauve moyen sur l’ensemble de la robe et couvrit de jaune mixé d’une pointe de vert le visage, les avant-bras et les mains. Des bâtonnets bleu cobalt lacérèrent la robe. Les volumes étaient suggérés uniquement par l’inflexion des bâtonnets : verticaux dans l’épaisseur de la jupe, incurvés sur la pliure du bras, courbés sur la poitrine. Des traits arrondis terminèrent l’ondulation des cheveux.

       Aucune touche n’était posée au hasard. Ma main dirigeait le pinceau, imprimait le mouvement, la direction.

        La jeune fille montrait des signes évidents de fatigue. La tension due à l’immobilité rosissait ses joues. Sa robe trop étroite comprimait sa respiration et son léger corsage s’animait de mouvements oppressés.

         - L’essentiel est fait ! Levez-vous pour remuer les jambes, dit-je à Adeline qui semblait en état d’asphyxie avancée. Vous pouvez desserrer le haut de votre robe.

         Avec un plaisir non dissimulé, elle se redressa et alla inhaler de l’air frais à la fenêtre. Elle se précipita ensuite vers mon chevalet pour contempler son portrait. Une moue perplexe retroussait sa lèvre inférieure.

         - Vous avez terminé, dit-elle apparemment peu satisfaite de son image ? Ma robe est bien… Tous ces petits traits qui partent dans tous les sens ? Les peintres qui viennent à l’auberge me montrent parfois les portraits qu’ils font dans la campagne… Cela ne ressemble pas à ça ! Ai-je vraiment ce menton en galoche et ce nez pointu ?

         - Vous êtes jolie comme un cœur, Adeline ! Reprenez la position. Allongez bien les mains sur vos genoux tout en gardant la tête bien droite. J’espère que la fumée de ma pipe ne vous gêne pas trop ? C’est ma drogue. Elle m’aide à trouver l’inspiration.

         La tension des dernières touches me rendait nerveux. Je repris la forme des mains en les allongeant exagérément. Le fond de la toile qui avait été laissé nu fut badigeonné d’une couchepeinture,van gogh,adeline ravoux,auvers d’outremer bien dilué. Des traits fins plus foncés, posés horizontalement, en sens inverse des bâtonnets verticaux de la robe, zébrèrent ce fond à peine sec. Un point sombre s’enfonça dans la pupille de l’œil. Pour faire plaisir à Adeline, je rétrécis légèrement son menton.

        La toile était entièrement bleue. Pour réchauffer peinture,écriture,van gogh,adeline ravoux,auversl’ensemble, je posai un ton orangé lumineux sur le dossier de la chaise et signai « Vincent » en rouge cru sur le bas de la robe, à gauche de la toile.

         - Fini ! Vous pouvez vous détendre ! Merci de ne pas avoir bougé ! Vous avez été d’une sagesse que n’ont pas tous mes modèles.

         Adeline rosit de plaisir sous les compliments. Elle s’approcha à pas menus. Son expression devant la toile fut plus positive que la première fois. Elle s’observa longuement. L’exclamation jaillit :

         - Vous me voyez comme ça ? Ce n’est pas moi ! Je fais plus vieille que mon âge !

       Sa déception me chagrinait. Pourtant, la toile que je voyais à distance me ravissait. Je réfléchis… Il y avait longtemps que je n’avais pas eu un aussi joli modèle ?

         … Peut-être que, tout à mon plaisir de peindre, je n’avais pas vu la toute jeune fille qu’était Adeline mais la femme qu’elle allait devenir ?

     

     

  • Rembrandt et Bethsabée

     

    Rembrandt, Bethsabée, Hollande,

    Rembrandt – Bethsabée au bain, 1654, Louvre

     

    « On ne peut voir un Rembrandt sans croire en Dieu », écrit Vincent Van Gogh à son frère Théo

    Historienne de l’art et conférencière des Musées Nationaux, Marie-Laure Ruiz-Maugis est fascinée depuis longtemps par la grande toile « Bethsabée au bain tenant la lettre de David » que l’on découvre au Louvre dans la salle unique destinée aux œuvres de Rembrandt. Après avoir participé en 2005 à un documentaire télévisé sur « Les héroïnes de la Bible dans la peinture », elle a attendu la restauration récente de la toile pour écrire ce petit essai « Rembrandt et Bethsabée », interprétation personnelle sur le tableau de Rembrandt dans l’histoire de l’art :

    https://editionsmacenta.fr/

     

    Rembrandt, Bethsabée, Hollande,

     

    Cette « Bethsabée » est le plus grand nu du maître, l’un des plus importants peintres du siècle d’or néerlandais. Il y a quelques années, en entrant dans la salle du Louvre, j’étais resté impressionné lorsque j’avais vu cette femme nue, enceinte, grandeur nature, pour la première fois. La scène du tableau, peinte en 1654, était tirée de la Bible à laquelle Rembrandt avait consacré près d’un tiers de son œuvre.

    Bethsabée sort du bain. Une servante, agenouillée devant elle, lui essuie les pieds. Bethsabée, épouse d’un soldat nommé Urie, est très songeuse : la lettre qu’elle tient dans sa main droite provient du roi David. Celui-ci l'invite à son palais après l'avoir observée durant son bain. La douce lumière qui la recouvre souligne son indécision et sa réflexion sur cette invitation qu'elle va finir par accepter et qui aura ensuite de graves répercussions sur son soldat de mari qui mourra au combat. David la prendra pour épouse et elle perdra l’enfant qu’elle attendait. Plus tard, son mariage avec David donnera naissance au futur roi d’Israël, Salomon.

     

    Rembrandt a bien vieilli lorsqu’il peint « Bethsabée au bain » à l’âge de 48 ans. Sa première femme Saskia est décédée depuis plusieurs années après avoir mis au monde quatre enfants dont trois sont morts en bas âge. Je me souviens de la Saskia qui était son modèle préféré. Gracieuse, il l’habillait, la dénudait : elle devenait Danaé, Artémis, Flore. Jeune mariée, un jour de ripaille, il la fit poser petite et mince sur ses genoux en levant un verre de vin à notre santé.

    La notoriété de l’artiste attire de nombreux élèves qui viennent se former dans son atelier où il règne en maître. Dans les Provinces-Unies, à cette époque, le marché de l’art est libre. Rembrandt fixe des prix très élevés et s’enrichit. Ambitieux et dépensier, il est rapidement accablé de dettes. Il a déjà peint plusieurs autres « Bethsabée » avant d’entreprendre celle de 1654 d’après un modèle vivant : on reconnaît aisément le visage de sa nouvelle compagne, Hendrickje Stoffels. Poursuivi par ses créanciers, l’artiste va entreprendre une nouvelle manière de peindre, vision instinctive de son art qui va donner des chefs-d’œuvre dont la « Bethsabée » du Louvre.

     

    Contrairement aux nombreuses représentations de Bethsabée chez d’autres peintres, comme « Bethsabée à la fontaine » de Rubens mettant en valeur les appâts du corps féminin, chez Rembrandt, l’impression générale de la toile est bien différente. Bethsabée est plongée dans une méditation profonde empreinte de tristesse et de résignation, hantée par l’image de l’adultère qu’elle s’apprête à commettre. Le charme du tableau réside dans le mouvement de la tête présentant une douce inclinaison et dans l’expression du regard qui se perd douloureusement dans le vide. L’intensité dramatique semble être la recherche essentielle de l’artiste à laquelle le puissant clair-obscur participe. Cet effet est encore renforcé par la chemise blanche dont elle s’est dévêtue : la matière picturale se superpose en d’innombrables couches retravaillées dans l’épaisseur avec le manche du pinceau qui accrochent la lumière pour mettre en valeur la beauté du corps de Hendrickje.

    Malgré les signes de relâchement naissant de la chair, malgré quelques imperfections du ventre et des cuisses, le corps de la femme est illuminé par un rayonnement intérieur d’une grâce touchante que, en tant que spectateurs, nous ressentons profondément. Elle est vivante. La récente restauration du tableau a dévoilé étonnement des traces de jarretières sur les jambes de Bethsabée…

    Au passage, je remarque que le visage des deux femmes est plongé dans la même méditation. Le geste de la servante rappelle celui de la Madeleine lavant les pieds du Christ.

     

    La fin de vie de Rembrandt approche. Il est usé par les épreuves du temps. Ses dernières œuvres révèlent le souci d’exprimer des qualités morales et spirituelles. La même année 1654, il va peindre une deuxième fois sa compagne dans une toile magnifique libérée du poids de l’histoire : « Femme se baignant dans une rivière ». Hendrickje entre dans l’eau la chemise relevée jusqu’en haut des cuisses, un léger sourire coquin sur les lèvres.

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    Rembrandt – Femme se baignant dans une rivière, 1654, National Gallery, Londres

     

    Peu de temps avant sa mort en 1669, le vieil artiste va animer une dernière fois la matière picturale de l’une de ses plus belles toiles d’une exaltation d’or et de rouge : « La fiancée juive ».

     

    Rembrandt, Bethsabée, Hollande,

    Rembrandt – La fiancée juive, 1666, Rijksmuseum, Amsterdam

     

    Je viens de parcourir un petit livre, très bien écrit et illustré. Il s’agit du troisième livre des Éditions Macenta que je critique. J’apprécie toujours la qualité de leurs ouvrages sur le monde des arts. J’ai aimé les annexes du livre fournissant de nombreux renseignements sur la restauration récente de la « Bethsabée » et sur la richesse économique, scientifique et intellectuelle de cette hollande foisonnante du 17e siècle. Un seul petit regret pour les lecteurs : il n’est pas fait assez mention des plus grands peintres de l’histoire mondiale de la peinture qui, avec Rembrandt, vont s’épanouir dans ce siècle d’or néerlandais. Vermeer, Hals, Steen, Ter Borch, De Hooch accompagneront un bouquet de peintres exceptionnels aux talents variés qui feront de cette période hollandaise la plus brillante picturalement en Europe.

    L’auteure termine son livre par une question : pourquoi ce tableau me bouleverse-t-il autant ?

     

  • Genèse de l'impressionnisme

     

    4. Berthe Morisot – Courrier à Edma

     

     

     

          En ce 15 avril 1874, l’exposition des jeunes peintres avant-gardistes prétendant représenter une nouvelle école de peinture s’est ouverte pour un mois, boulevard des Capucines à Paris. Des fous, dit-on de ces rebelles combattant l’art académique…

         La critique a été sévère. Le public venait pour se moquer, « rigoler ».

     

     

     

        Lettre imaginaire de Berthe Morisot, peintre, à sa sœur Edma, au sujet de la première exposition des futurs « Impressionnistes » de 1874 dont elle faisait partie. L’artiste aurait fort bien pu avoir rédigé ce courrier…

     

    10 mai 1874

     

    Très chère Edma

         Je te donne enfin quelques nouvelles. Je n’en ai guère eu le temps jusqu’ici. Notre exposition des artistes indépendants se termine dans cinq jours. Trois semaines déjà… La foule n’a pas été au rendez-vous : une moyenne de cent visiteurs chaque jour qui venaient plus par curiosité que par goût réel pour notre peinture…

         Je ne regrette pas d’avoir renoncé définitivement à me présenter au Salon officiel. L’académisme y règne toujours en maître. Les peintres avant-gardistes y sont ridiculisés chaque année. Avec ce jury de vieux tromblons !

        Comme tu le sais, malgré mon insistance, notre ami Edouard Manet n’avait pas souhaité se joindre à notre groupe : la Société Anonyme des Artistes Peintres, Sculpteurs et Graveurs. « Berthe, ne fréquente pas ces marginaux, m’avait-t-il dit d’un ton courroucé ! ». Le lâche ! Evidemment, il vient d’obtenir des médailles aux derniers Salons et ne veut pas se mettre mal avec un jury qui daigne enfin le considérer. S’il continue à renier les peintres qui sont ses amis et dont il apprécie la peinture, je cesserai de poser pour lui ! L’amitié cela se mérite !

         Puvis de Chavannes, aussi, m’avait déconseillé de participer à cette exposition. « Le public se fera une joie de ne pas venir, m’avait-il lancé ! Cette « exhibition » - comme il la nomme - sera un fiasco ! ».

        Nous étions une trentaine à accrocher environ 200 toiles sur les murs rouges de l’atelier du photographe Nadar, boulevard des Capucines à Paris. Un artiste original ce Nadar ! Il peint à ses heures et les causes perdues le touchent. Avec nous, il a réussi ! « Il est bon comme le bon pain, m’avait chuchoté Monet le jour du vernissage en parlant de notre mécène ». Celui-ci nous avait offert généreusement ses locaux tout en sachant que le nombre d’entrées serait insuffisant pour couvrir les frais. Que le dieu des peintres lui réserve une place dans son paradis !

        Ma petite sœur, pourquoi as-tu cessé de peindre ? Degas aurait tant aimé que tu fasses partie de la bande. Il appréciait ta peinture… Mais, puisque tu préfères t’occuper de ton mari et de tes filles… J’aurais aimé qu’une autre femme se joigne à moi car je suis un peu perdue au milieu de tous ces hommes. Il y a beaucoup de respect dans leur regard. Ils ne me considèrent pas comme une muse anonyme mais comme un peintre de qualité qu’ils reconnaissent comme un des leurs.

        L’ambiance a été chaude pour accrocher nos toiles aux meilleures places. Etant la seule femme, mes amis, très galants, m’avaient laissé un bon emplacement, bien éclairé. Tu les connais presque tous : Monet, Pissarro, Sisley, Degas, Renoir, Cézanne, Guillaumin… Ils sont l’avenir de la peinture.

         J’avais apporté trois aquarelles, deux pastels et quatre huiles : La lecture, Le port de Cherbourg, Cache-cache et, mon préféré, Le berceau. Cette dernière toile, où je te représente au chevet du berceau de Blanche qui venait de naître, a beaucoup plu. Monet ne cessait de venir la voir.

     

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    Berthe Morisot– Le berceau, 1872, musée d’Orsay, Paris

     

         Pour une première exposition de la nouvelle Association, Renoir avait fortement insisté pour que les toiles soient de moyen ou petit format, et disposées à hauteur des yeux. Te souviens-tu des Salons officiels où les tableaux, serrés les uns contre les autres, couvraient les murs jusqu’au plafond ? Chez Nadar, chaque œuvre, isolée, dégageait sa propre lumière. Pas de scènes d’histoires ou mythologiques, rien que des paysages, des portraits ou des scènes intimistes. Et, surtout, des couleurs joyeuses, des touches légères, des tons francs, comme nous aimons toi et moi.

         Renoir a eu un vrai succès avec sa Loge. Il faut que tu voies cette toile : une jeune femme à la robe floconneuse, au visage très pâle, assiste à une représentation théâtrale. Les couleurs bleu clair et noires sont un hommage à Manet. Quel peintre de talent ce Renoir !

     

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    Auguste Renoir – La Loge, 1874, Courtauld Institute Galleries, Londres

     

     

        Edma, je me sens chez moi au milieu de ces artistes. Nous parlons le même langage.

        Mère doute toujours de moi. Récemment, elle m’a dit, gentiment mais fermement, qu’elle ne croyait pas en mon talent et que j’étais incapable de ne rien faire de sérieux. « Tu ne vendras jamais rien, ma fille ! ». Que suis-je à ses yeux : une femme qui peint… et dans un style non conventionnel ? Je n’aurai jamais la touche léchée de Rosa Bonheur qui vend tout ce qu’elle veut avec ses représentations d’animaux où le moindre poil est apparent.

       Pauvre mère… Elle s’inquiète de me voir fréquenter cette « bande de peintres bohèmes » et en a parlé à Joseph Guichard notre ancien professeur de peinture. Sans prévenir, celui-ci est venu le soir du vernissage et s’est promené dans les salles. Je l’ai vu faire des mouvements de tête et des moues offusquées devant la plupart des toiles et repartir très rapidement sans me dire un mot. Maman m’a rapporté les termes de la lettre qu’il lui écrivit le lendemain : « A mon entrée, un serrement de cœur m’a pris en voyant les œuvres de votre fille exposées dans ce milieu délétère. J’ai pensé, ce sont des fous. » Il s’indigna ensuite que mon Berceau, si délicat, jouxte, « à le toucher ! », une peinture douteuse et ludique de Cézanne appelée Le Rêve du célibataire ou Moderne Olympia. Il termina son courrier par ces mots : « Votre fille doit rompre avec cette nouvelle école dite de l’avenir… »

     

     

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    Paul Cézanne– Une moderne Olympia, 1874, musée d'Orsay, Paris

     

         Des fous ! Edma, on nous prend pour des fous ! Heureusement, un journaliste, ami des Manet, a eu des mots aimables pour moi dans son journal : « Elle a de l’esprit jusqu’au bout des ongles, surtout jusqu’au bout des ongles. »

         Ma chère sœur, je te réserve le meilleur pour la fin.

       Une dizaine de jours après le vernissage, le fameux critique du Charivari, Louis peinture,impressionnisme,monetLeroy, s’est moqué dans un article d’un petit tableau de Claude Monet représentant un lever de soleil sur la mer que le peintre avait croqué de sa fenêtre d’hôtel devant le port du Havre. Une charmante toile avec un gros soleil rouge s’infiltrant au milieu des brumes et se reflétant dans l’eau. Monet ne sachant quel titre donner à « cette chose » pour le catalogue de l’exposition, l’appela Impression, soleil levant.

        Ce joyeux critique, se croyant sans doute très drôle, eut ces mots ironiques : « Je me disais aussi puisque je suis impressionné, il doit y avoir de l’impression là-dedans… ». Il titra d’ailleurs sa chronique « L’exposition des impressionnistes ». Nous étions catalogués : impressionnistes…   

     

         J’ai vu Monet hier matin contemplant son tableau. Il m’a reparlé de cet article et ne semblait pas mécontent de cette moquerie. « Ne vous inquiétez pas Berthe, m’a-t-il dit, ce journaliste voulant faire un bon mot, sans le savoir a peut-être trouvé le terme qui nous caractérise le plus… Il n’a pas tort : nous peignons sur le motif la lumière changeante, nous utilisons des couleurs pures et une touche divisée pour capter les vibrations lumineuses, les émotions troubles… Ne peignons-nous pas l’instant, la fugacité des choses ? Leroy nous a parfaitement compris, Berthe, nous couchons sur la toile nos impressions visuelles… ».

        Cet après-midi, Monet est passé à la galerie pour rencontrer un éventuel acheteur. Il m’a confié : « La nuit porte conseil. Je voudrais en parler avec les peintres du groupe… Pourquoi ne garderions-nous pas ce terme « Impressionnistes » pour désigner notre bande de fous ? ».

       Je te quitte Edma. Je dois retourner chez Nadar. Je n’ai rien vendu mais je suis tellement heureuse d’avoir participé à cette première exposition de notre nouvelle association. Recommencerai-je l’année prochaine avec tous ces peintres de talents qui sont mes amis ? Peut-être que, dans un an, tu accepteras de reprendre tes pinceaux ? Tu ne peux laisser ta sœur dans toutes ces mains masculines…

       Comment vont Paule et Blanche qui me manquent ? Donne-leur pleins de gros baisers de leur tante qui les aime. Je pense à vous.

     

         Ton attentionnée Berthe.

     

     

  • Eugène DELACROIX écrivain

     

    Journal - 3. Extraits choisis, année 1823

     

     

     

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    Eugène Delacroix – La Vierge du Sacré-Cœur, 1821, Cathédrale d’Ajaccio

     

     

    Une « LIBERTÉ GUIDANT LE PEUPLE » en « TRIOMPHE DE LA RELIGION »

     

     

         Une bien curieuse histoire…

     

         En 1820 Eugène Delacroix est totalement inconnu. Le 28 juillet, il écrit une lettre à sa sœur Henriette de Verninac dont je donne un extrait : « Il vient de m’arriver une commande qui pourra me rapporter de l’argent. C’est un tableau pour un évêque de Nantes. Je ne sais pas encore la somme : mais ce sera bien payé. Cela pourrait peut-être m’empêcher de partir aussi vite que je l’aurai voulu avec Charles ; que parce qu’il faut, non pas avoir fait le tableau d’ici là ; mais en avoir fait des esquisses peintes et des ébauches pour les soumettre au dit évêque. Cependant je crois pouvoir m’en débarrasser à temps."

         Il se trouve que la commande de ce tableau avait été adressée primitivement à Théodore Géricault. Ce sujet religieux ne l’inspirant guère, il avait pensé que son jeune ami Eugène Delacroix, alors âgé de 22ans, ayant constamment des problèmes financiers, et dont il connaissait la qualité de peintre, pourrait exécuté la toile à sa place, tout en se gardant le privilège de la signature.

         Et Delacroix se met au travail comme il l’écrit à sa sœur. En mal d’inspiration, l’artiste écrit à son ami Pierret en octobre 1820 : « L’idée de ce tableau que j’ai à faire me poursuit comme un spectre. (…) Tout ce que j’ai voulu chercher n’a été que misérable. » Delacroix se devait d’imiter la palette de son ami et s’inspire donc de son style. Il en fait d’abord une esquisse, puis termine, fin 1821, la très grande toile qui devait représenter la Dévotion au Sacré-Cœur de Jésus et de Marie et était destinée à la cathédrale de Nantes. 

         A la réception du tableau, les autorités religieuses rejettent la peinture qui va être envoyée en 1827 avec un nouveau nom « Le triomphe de la religion » à la cathédrale d’Ajaccio, comme peinte par Géricault. Seulement en 1842, un critique d’art révèlera la supercherie et donnera le nom du véritable auteur : Delacroix. Ce sera sa première œuvre monumentale, quelques mois avant « La barque de Dante » qui entrera bientôt au Luxembourg.

       Le tableau, non signé, dont les historiens ne connaissaient que des études préparatoires, restera dans la cathédrale d’Ajaccio pendant un siècle, jusqu’à sa localisation en 1930…

         Aujourd’hui, cette « Vierge du Sacré-Cœur » est toujours conservée jalousement dans la cathédrale d’Ajaccio et il est hors de question pour les conservateurs de la collectivité territoriale Corse de se séparer de l’œuvre.

         Lorsque que l’on regarde ce tableau peint en 1821, l’on peut s’apercevoir que celui-ci préfigure, dans la composition de la figure féminine et la lumière, la célèbre toile qu'Eugène Delacroix peindra 9 années plus tard, en 1830 : LA LIBERTÉ GUIDANT LE PEUPLE.

     

     

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    LE JOURNAL

     

     

    Paris – mai 1823

     

    A 24 ans, Eugène Delacroix, dans ses courriers et son journal, décrit toujours avec autant de passion les nombreuses aventures amoureuses qu’il recherche constamment :

    […]

    En rentrant, ma petite Fanny (une grisette, voisine de Delacroix) était chez la portière ; je m’installe, je cause une grande heure et je m’arrange pour remonter en même temps qu’elle. Je sentais par tout mon cœur le frisson favorable et délicieux qui précède les bonnes occasions. Mon pied pressait son pied et sa jambe. Mon émotion était charmante. En mettant le pied sur la première marche de l’escalier, je ne savais encore ce que je dirais, ce que je ferais, mais je pressentais qu’il y aurait quelque chose de décisif ; je la pris doucement par la taille. Arrivé sur son palier, je l’embrassai avec ardeur et je pressai sur ses lèvres ; elle ne me repoussa point. Elle craignait, disait-elle, d’être vue. Aurais-je dû pousser plus avant ? Mais que les mots sont froids pour peindre les émotions ! Je la baisais et la rebaisais, je la tirais sans cesse à moi ; enfin je l’abandonnai me promettant de la revoir le lendemain. Hélas ! c’est aujourd’hui, je n’ai eu tout le jour que cette pensée ; je l’ai vue, je ne sais où elle veut en venir. Elle a paru se dérober à moi ou feindre de ne pas me voir… Ce soir, dans ce moment, ma porte est entr’ouverte… J’espère je ne sais quoi,… ce qui peut arriver. J’entrevois une infinité d’obstacles. Mais que ce serait doux !… Ce n’est pas de l’amour. Ce serait trop pour elle ; c’est un singulier chatouillement nerveux qui m’agite, quand je pense qu’il est question d’une femme, car elle n’est vraiment pas séduisante… Je conserverai cependant le souvenir délicieux de ses lèvres serrées par les miennes.

     

    Paris – 16 mai 1823

    (…)

    Voici quelques-unes des folies que j’écrivais, il y a quelques jours, au crayon, tout en travaillant à mon tableau de Phrosine et Melidor (inachevé). C’était à la suite d’une narration de jouissances éprouvées qui m’avait donné une dose passable de mauvaise humeur.

    « Pourquoi ne m’avez-vous pas reçue froidement comme vous m’aimez ? * Quels droits ai-je sur vous ? Pourquoi avoir demandé de m’amener ? Vous me dites de vous aller voir ! Quel partage, ô ciel ! Quelle folie ! en sortant de vous voir, je me suis flatté que vos yeux m’avaient dit vrai. Il fallait me traiter en ami : c’était bien le moins. D’ailleurs qu’ai-je demandé ? Je serais un misérable, si j’étais revenu chez vous avec l’espoir de vous aimer et d’être aimé. Je croyais avoir tout surmonté ; je comptais surtout sur votre aide. Qu’est-ce qu’ont voulu dire vos yeux ? Vous avez eu la cruauté de me donner un baiser ! Pensez-vous que je vivrai avec cet homme, si je me mets à vous aimer ?… et que je le souffrirai près de vous ? Ou par pitié, sans doute, vous lui accorderez tout ? Cette pitié-là n’accommode pas un cœur aimant… mon cœur n’est pas si compatissant… Vous me méprisez donc ? »

    * il s’agit d’une femme J… dont le nom reste inconnu. C’était une femme du monde. Elle était la maîtresse de son ami Soulier, et pendant le séjour de celui-ci à Florence, elle flirta avec Delacroix.

     

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    Eugène Delacroix - Autoportrait dit en Ravenswood ou en Hamlet, 1823, musée Delacroix, Paris

     

     

    Paris – 30 décembre 1823

     

    […]

    Il y a quelques jours, j’ai été le soir chez Géricault. Quelle triste soirée ! il est mourant ; sa maigreur est affreuse ; ses cuisses sont grosses comme mes bras ; sa tête est celle d’un vieillard mourant. Je fais des vœux bien sincères pour qu’il vive, mais je n’espère plus. Quel affreux changement ! Je me souviens que je suis revenu tout enthousiasmé de sa peinture : surtout une étude de tête du carabinier… s’en souvenir ; c’est un jalon. Les belles études ! Quelle fermeté ! quelle supériorité ! et mourir à côté de tout cela, qu’on a fait dans toute la vigueur et les fougues de la jeunesse, quand on ne peut se retourner sur son lit d’un pouce sans le secours d’autrui !…

     

         peinture,géricaultLe romantique Théodore Géricault, son ami, va s’éteindre en janvier 1824 des suites d’un accident de cheval. Il n’avait que 33 ans. Delacroix le considérait comme le peintre qui se rapprochait le plus de lui.

     

     

     

     

     

     

     

     

    Théodore Géricault – Tête de cheval blanc, 1815, musée du Louvre, Paris

     

     

    Sans date - fin 1823 début 1824

     

    Une longue réflexion sur la question du « Beau »

     

    La question sur le beau se réduit à peu près à ceci : Qu’aimez-vous mieux d’un lion ou d’un tigre ? Un Grec et un Anglais ont chacun une manière d’être beau qui n’a rien de commun.

    C’est l’idée morale des choses qui nous effraye ; un serpent nous fait horreur dans la nature, et les boudoirs de jolies femmes sont remplis d’ornements de ce genre : tous les animaux en pierre que nous ont laissés les Égyptiens, des crapauds, etc.

    Souvent une chose, dans la nature, est pleine de caractère, par le peu de prononcé ou même de caractère quelle semble avoir au premier coup d’œil.

    Le docteur Bailly met en principe : « La preuve que nos idées sur la beauté de certains peuples ne sont pas fausses, c’est que la nature semble donner plus d’intelligence aux races qui ont davantage ce que nous regardons comme la beauté. » Mais les arts ne sont pas ainsi ; car si le Grec était plus beau à représenter que l’Esquimau, l’Esquimau serait plus beau que le cheval, qui a moins d’intelligence dans l’échelle des êtres. Mais tout est si bien né dans la nature que notre orgueil est extrême. Nous bâtissons un monde sur chaque petit point qui nous entoure. La rage de tout expliquer nous jette dans d’étranges bévues. Nous disons que nos voisins ont mauvais goût, et le juge en cela, c’est notre propre goût ; car nous savons aussi que tous les autres voisins nous condamnent.

    Nos peintres sont enchantés d’avoir un beau idéal tout fait et en poche qu’ils peuvent communiquer aux leurs et à leurs amis. Pour donner de l’idéal à une tête d’Égyptien, ils la rapprochent du profil de l’Antinoüs. Ils disent : « Nous avons fait notre possible, mais si ce n’est pas plus beau encore, grâce à notre correction, il faut s’en prendre à cette nature baroque, à ce nez épaté, à ces lèvres épaisses, qui sont des choses intolérables à voir. » Les têtes de Girodet sont un exemple divertissant dans ce principe ; ces diables de nez crochus, de nez retroussés, etc., que fabrique la nature, le mettent au désespoir. Que lui coûtait-il… de faire tout droit ? Pourquoi des draperies se permettent-elles de ne pas tomber avec la grâce horizontale des statues antiques ?… Telle n’était pas la méthode antique. Ils exagéraient au contraire, pour trouver l’idéal et le grand. Le laid souverain, ce sont nos conventions et nos arrangements mesquins de la grande et sublime nature… Le laid, ce sont nos tètes embellies, nos plis embellis, l’art et la nature corrigés par le goût passager de quelques nains, qui donnent sur les doigts aux anciens, au moyen âge, et à la nature enfin.

     

     

  • HYMNE À LA BEAUTÉ

     

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    Vincent Van gogh - Nuit étoilée sur le Rhône, septembre 1888, musée d’Orsay, Paris

     

     

    « Ci inclus petit croquis d’une toile de 30 carrée, enfin le ciel étoilé peint la nuit même sous un bec de gaz. Le ciel est bleu vert, l’eau est bleue de roi, les terrains sont mauves. La ville est bleue et violette, le gaz est jaune et ses reflets sont or roux et descendent jusqu’au bronze vert. Sur le champ bleu vert du ciel, la Grande Ourse a un scintillement vert et rose, dont la pâleur discrète contraste avec l’or brutal du gaz.

    Deux figurines colorées d’amoureux à l’avant plan.

     

    Lettre de Vincent à Théo, le 30 septembre 1888

     

     

    Hymne à la beauté - Charles Baudelaire

     

     

    Viens-tu du ciel profond ou sors-tu de l’abîme,
    O Beauté ? Ton regard, infernal et divin,
    Verse confusément le bienfait et le crime,
    Et l’on peut pour cela te comparer au vin.

    Tu contiens dans ton œil le couchant et l’aurore ;
    Tu répands des parfums comme un soir orageux ;
    Tes baisers sont un philtre et ta bouche une amphore
    Qui font le héros lâche et l’enfant courageux.

    Sors-tu du gouffre noir ou descends-tu des astres ?
    Le Destin charmé suit tes jupons comme un chien ;
    Tu sèmes au hasard la joie et les désastres,
    Et tu gouvernes tout et ne réponds de rien.

    Tu marches sur des morts, Beauté, dont tu te moques,
    De tes bijoux l’Horreur n’est pas le moins charmant,
    Et le Meurtre, parmi tes plus chères breloques,
    Sur ton ventre orgueilleux danse amoureusement.

    L’éphémère ébloui vole vers toi, chandelle,
    Crépite, flambe et dit : Bénissons ce flambeau !
    L’amoureux pantelant incliné sur sa belle
    A l’air d’un moribond caressant son tombeau.

    Que tu viennes du ciel ou de l’enfer, qu’importe,
    O Beauté ! monstre énorme, effrayant, ingénu !
    Si ton œil, ton souris, ton pied, m’ouvrent la porte
    D’un Infini que j’aime et n’ai jamais connu ?

    De Satan ou de Dieu, qu’importe ? Ange ou Sirène,
    Qu’importe, si tu rends, — fée aux yeux de velours, 
    Rythme, parfum, lueur, ô mon unique reine ! —
    L’univers moins hideux et les instants moins lourds ?

      

    Charles BAUDELAIRE - Les Fleurs du mal (1868)

     

     

     

         J’ai écouté une émission de France Culture « Les discussions du soir », discussion entre Leili Anvar et l’historienne de l’art Paule Amblard concernant la remarquable exposition actuellement au musée d’Orsay : AU DELA DES ETOILES – LE PAYSAGE MYSTIQUE de Monet à Kandinsky.

         L’historienne Paule Ablard, avec sensibilité et passion, nous parle remarquablement de quelques toiles présentes dans l’exposition. Le mystère contenu dans ces œuvres d’art nous fait toucher, par le regard, une spiritualité, une réalité invisible qui devient sacrée et nous ramène vers notre propre intérieur.

         La toile de Van Gogh ci-dessus "Nuit étoilée sur le Rhône" figure à la fin de l'exposition.

         J’ai beaucoup aimé.

     

         A écouter, Sur les sentiers des « paysages mystiques » du Musée d’Orsay... https://www.franceculture.fr/emissions/les-discussions-du-soir-avec-leili-anvar/paysages-mystiques

     

    Pour que la « Beauté » selon Baudelaire « Rende l’univers moins hideux et les instants moins lourds », il faudrait que, enfin, elle soit enseignée, montrée, comprise, afin que tous les enfants du monde voient les autres avec un regard d’amour et non de haine…

     

     

  • Le Van Gogh nouveau va arriver

     

         J’ai presque terminé la présentation, la mise en page et l’iconographie de mon nouveau roman : 

    Que les blés sont beaux  

    L’ultime voyage de Vincent Van Gogh

     

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         Mes anciens lecteurs se doutent qu’il s’agit d’un remake du roman-feuilleton publié par chapitre dans mon blog au cours des années 2009-2010 et qui avait pour titre « Van Gogh à Auvers ». Dans cette publication, je contais la vie du peintre durant ses deux derniers mois à Auvers-sur-Oise. Il se racontait lui-même. Je me contentais de le suivre au jour le jour, pas à pas dans les rues d’Auvers, les chemins et collines de la région. Je le regardais peindre 75 toiles en deux mois. Et puis vivre, jusqu’à…

       Que les blés sont beaux, nouvelle version du roman, modifie, dégrossit, épure l'ancienne version. Certains chapitres ont été peu changés et d'autres profondément remaniés. Les tableaux de l’artiste insérés dans le texte d’origine, qui gênaient la lecture, ont été enlevés. J’ai seulement laissé, au début de chacun des 26 chapitres du roman (au lieu de 30 primitivement), une toile du peintre réalisée durant son séjour à Auvers.

         Je me suis beaucoup interrogé : passer par une maison d’édition pour la publication de ce livre qui me paraît abouti aujourd’hui ? Cela aurait été possible et j’ai été tenté de le faire afin que celui-ci ait une diffusion plus large. Puis, les problèmes inhérents à cette forme de parution, qui m’ont toujours rebutés dans le passé, me sont revenus à l’esprit :

         - Contraintes liées à un engagement dans un cycle commercial, ce que je ne recherche pas.

         - Difficultés et coûts, donc quasi impossibilité pour un éditeur, d’insérer des images de tableaux d’un peintre célèbre dans le texte. Pouvais-je publier un roman sur Van Gogh sans montrer quelques-uns de ses meilleurs tableaux d’Auvers ?

          Alors… Plus tard peut-être…

         Mon but essentiel en créant cet ouvrage était, comme pour tous les écrivains, de se faire plaisir en premier, et, ensuite, de faire partager cette histoire par le plus grand nombre de lecteurs.

         J’ai donc choisi de rester fidèle au site de partage numérique Calaméo dans lequel j’ai déjà publié deux recueils de nouvelles. Ainsi toutes les contraintes de l’édition s’effacent : je fais moi-même la mise en page du texte ; j’insère 26 tableaux auversois, mes préférés, de celui qui, depuis le temps que je le côtoie, est devenu mon ami ; je partage gratuitement, en consultation libre, le roman sur mon blog.

         Qu’en pensez-vous amis lecteurs ?

         J’avais également l’intention d’effacer de mon blog mon ancienne publication Van Gogh à Auvers. J’ai relu les commentaires qui suivaient les chapitres que je publiais régulièrement durant plus d’une année. La qualité et la gentillesse de ceux-ci m’ont touché. J’ai donc décidé de garder le tout. Il y aura donc dans le blog deux versions différentes de la dernière aventure de Van Gogh dans le petit village d’Auvers-sur-Oise : ancienne version par chapitre ; nouvelle version en livre Calaméo. Quand on aime…

         Le mois prochain, je publierai donc ce roman numérique terminé. Tous les visiteurs du blog, y compris d'éventuels historiens ou étudiants en histoire de l'art qui souhaiteraient se documenter sur cette période, pourront le lire en profitant d’une présentation agréable de « livre à feuilleter », et des possibilités interactives : zoom, marquage de pages, recherches plein texte, vue défilante ou diapositives, mode plein écran. Ce qui manque, évidemment, à l'édition papier...

         Avant cette publication à venir, mes prochains articles seront consacrés à quelques portraits en textes courts de tableaux peints par Van Gogh durant les 70 jours de son séjour à Auvers. J’extrairai ces textes du roman. Un avant-goût de celui-ci…

         A bientôt avec Vincent.

     

  • Nadine et QUE LES BLÉS SONT BEAUX

         Nadine Doyelle, chroniqueuse sur Facebook, à qui j'avais envoyé mon roman l'a lu avec une vitesse remarquable et m'a fait ce matin dans Facebook une jolie chronique :

     

     

    chroniques, que les blés sont beaux, nadine doyelle

     

    Bonjour à tout le groupe 

    Voici mon ressenti sur le livre d’Alain Yvars

    Que les blés sont beaux

    Une belle découverte, à lire impérativement

    Belle journée 

     

    Que les blés sont beaux.
    Alain Yvars
    250 pages
    Sorti le 28/11/2018

     

    Chez Independently published AMAZON.FR

    Quand Alain Yvars et Vincent Van Gogh me contactent pour une demande de service de presse, je dis oui immédiatement ! Car cette proposition est très originale autant par la formule de la demande que par la lecture.

    Pour une fois, je ne procéderai pas comme d'habitude pour écrire mon ressenti. Je vous dirais simplement que ce roman est divisé en 3 parties débutant le 17/05/1890 jusqu'au 27/07/1890. Deux petits mois où Vincent Van Gogh, qui après un séjour dans le sud de la France et surtout après son hospitalisation dans un asile psychiatrique va rencontrer le docteur Gachet à Auvers-sur-Oise sur la recommandation de son frère Théo. À son arrivée dans ce village, il se sent terriblement bien. Il va rester dans ce village pour se ressourcer et laisser parler son cœur, sa tête et ses mains librement dans ses tableaux. Je ne me suis pas ennuyée une seule seconde pendant cette lecture. Un feu d'artifice haut en couleurs a explosé dans ma tête et mon cœur. L'auteur a une plume fluide, son écriture est tellement bien détaillée que l'on a l'impression de tenir ou d'être le pinceau de l'artiste ! On voyage avec Vincent à travers sa peinture, ses pensées, ses peurs, ses délires ou pas, ses rencontres....... Un énorme travail de documentation a été produit par l'auteur. Une écriture pleine d'émotions, de poésie. J'ai été ravie, heureuse de découvrir et de faire la connaissance de Vincent Van Gogh par ce roman. Même si je n'ai pas beaucoup de connaissance dans la peinture. Cela ne m'a pas empêché d'apprécier cette magnifique lecture.
    De plus les bénéfices de la vente iront intégralement à l'association Rêves, je vous donne le lien si vous voulez faire plus ample connaissance avec cette association : http://www.reves.fr/

    A lire absolument. Tout simplement magnifique

     

    Résumé

    Une prémonition ? : « Je voudrais faire des portraits qui un siècle plus tard aux gens d’alors apparussent comme des apparitions » En écrivant cette phrase à sa sœur Wil, le 5 juin 1890, Vincent Van Gogh pouvait-il se douter que son souhait se réaliserait ? Je me suis rendu dans cette petite commune d’Auvers-sur-Oise où la présence de Vincent Van Gogh est toujours perceptible. Je l’ai rencontré. Il est devenu un ami. Je n’ai eu qu’à l’écouter.Tour à tour joyeux, mélancolique, il m’a raconté, au jour le jour, son activité durant les deux mois qu’il a passés dans cette ville où il était venu pour oublier son mal et se soigner. Intarissable, il m’a fait tout partager : ses joies, ses doutes, ses rencontres, sa tendresse pour son frère Théo. Il m’a décrit ses journées occupées à courir la campagne en quête de motifs et de modèles. Au sommet de son art, il peignait parfois plus d’un tableau par jour. Il m’a expliqué sa technique, sa passion pour cette peinture qui lui faisait dire : « Il y a du bon de travailler pour les gens qui ne savent pas ce que c'est qu'un tableau ».

     

    Le lien pour vous procurer ce roman

    Que les blés sont beaux: L'ultime voyage de Vincent Van Gogh

    https://www.amazon.fr/…/…/ref=cm_sw_r_cp_apa_i_3LfMCbS4A4JGH

     

    Ma réponse ce jour :

    Cette chronique m’a beaucoup surpris. 
    Ce roman sur Vincent Van Gogh parle beaucoup de peinture et décrit souvent l’artiste en train de peindre les magnifiques toiles faites à Auvers-sur-Oise.
    Etonnement Nadine, qui dit avoir peu de connaissance en peinture, a parfaitement compris le but de ce livre : faire connaître la vérité de Van Gogh qu’il nous donne durant ces deux mois. Elle a même eu la sensation d’être le pinceau du peintre… 

    Bravo et merci Nadine pour la rapidité et la qualité de cette chronique.

     

  • Meilleurs voeux 2021

     

    Klimt

    Gustav Klimt - Le baiser, 1908, Österreichische Galerie Belvedere, Vienne, Autriche

     

    Que vous dire ? Toujours les mêmes phrases me revenaient : santé, amour, bonheur, paix, culture, prospérité... J’étais à court d’idées originales…

    J'allais renoncer lorsque mon ami Victor Hugo est venu à mon secours. Il m’a soufflé l’essentiel, et il s'y connaît : ce qu’il faudra mettre en pratique au plus vite, sans attendre d'obscures décisions gouvernementales, dans le courant de cette nouvelle année :

     

     

    Oh ! de mon ardente fièvre

                

    Oh ! de mon ardente fièvre
    Un baiser peut me guérir.
    Laisse ma lèvre à ta lèvre
    S'attacher pour y mourir.

    Ta bouche, c'est le ciel même.
    Mon âme veut s'y poser.
    Puisse mon souffle suprême
    S'en aller dans un baiser !

     

    Victor Hugo - Recueil Dernière Gerbe (Posthume, 1902)    

     

  • Van Gogh écrivain : Arles - 5. Juin/juillet 1888

     

     CORRESPONDANCE - EXTRAITS CHOISIS

     

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    Vincent Van Gogh – Epis de blé vert, juin 1888, The Israël Museum, Jérusalem

     

          Les mois de juin et juillet de Vincent sont presque entièrement occupés à peindre des champs de blés. C’est la période des moissons et l’artiste travaille inlassablement sous un soleil de plomb.

     

    Lettre à Emile Bernard – vers le 26 juin 1888

     

          Vincent se livre dans cette lettre à son copain à une longue pensée sur la Bible, le Christ et la science… Pas simple…

     

    Tu fais très bien de lire la Bible. L’étude du Christ donne inévitablement la névrose artistique, surtout dans mon cas où c’est compliqué par le culottage de pipes innombrables.

    La bible, c’est le christ, car l’ancien testament tend vers ce sommet. Saint Paul et les évangélistes occupent l’autre pente de la montagne sacrée.

    Que c’est petit, cette histoire ! Mon dieu, voilà. Il n’y a donc que ces juifs au monde, qui commencent par déclarer tout ce qui n’est pas eux, impur.

    Les autres peuples sous le grand soleil de là-bas, les Egyptiens, les Indiens, les Ethiopiens, Babylone, Ninive, que n’ont ils leurs annales écrites avec le même soin ! Enfin, l’étude de cela c’est beau, et enfin savoir tout lire équivaudrait presque à ne pas savoir lire du tout.

    Mais la consolation de cette bible si attristante qui soulève notre désespoir et notre indignation – nous navre pour de bon, tout outrés par sa petitesse et sa folie contagieuse – la consolation qu’elle contient, comme un noyau dans une écorce dure, une pulpe amère, c’est le christ.

    […]

    La science – le raisonnement scientifique - me parait être un instrument qui ira bien loin dans la suite.

    Car voici : On a supposé la terre plate. C’était vrai ; elle l’est encore aujourd’hui, de Paris à Asnières, par exemple.

    Seulement n’empêche que la science prouve que la terre est surtout ronde. Ce qu’actuellement personne ne conteste.

    Or, actuellement, on en est encore, malgré ça, à croire que la vie est plate et va de la naissance à la mort.

    Seulement, elle aussi, la vie, est probablement ronde, et très supérieure en étendue et capacité à l’hémisphère unique qui nous est à présent connu.

    Des générations futures, il est probable, nous éclairciront à ce sujet si intéressant ; et alors la Science elle-même pourrait – ne lui déplaise – arriver à des conclusions plus ou moins parallèles aux dictions du christ relatives à l’autre moitié de l’existence.

    […]

     peinture,van gogh,arles,C’est très laid ce que j’ai foutu : un dessin du zouave assis, une esquisse peinte du zouave contre un mur tout blanc, et enfin son portrait contre une porte verte et quelques briques orangées d’un mur. C’est dur et enfin laid et mal foutu. Pourtant, puisque c’est de la vraie difficulté attaquée, ça peut aplanir la route dans l’avenir.

     

     

     

     

     

     

      

    Vincent Van Gogh – Le zouave assis, juin 1888, collection privée

     

    Lettre à Emile Bernard – vers le 27 juin 1888

      

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    Vincent Van Gogh – Coucher de soleil sur des champs de blés près d’Arles, juin 1888, Kunstmuseum, Winterthur

     

     Mais puisque actuellement je peins la même campagne de la Crau et Camargue – quoiqu’à un endroit un peu divergent – toutefois il pourrait y demeurer certains rapports de couleur. Qu’en sais-je ? Involontairement, j’ai de temps en temps pensé à Cézanne, justement lorsque je me suis rendu compte de sa touche si malhabile dans certaines études – passe moi le mot malhabile – vu qu’il a exécuté les dites études probablement lorsque le mistral soufflait.

    Ayant affaire à la même difficulté la moitié du temps, je m’explique la raison pourquoi la touche de Cézanne est tantôt très sûre et tantôt parait maladroite. C’est son chevalet qui branle.

    J’ai quelquefois travaillé excessivement vite. Est-ce un défaut ? Je n’y peux rien. Ainsi une toile de 30, « Le soir d’été », je l’ai peinte en une seule séance.

    Y revenir, pas possible ; la détruire ? Pourquoi ? Puisque je suis sorti dehors, en plein mistral, exprès pour faire cela. N’est-ce pas plutôt l’intensité de la pensée que le calme de la touche que nous recherchons ; et dans la circonstance donnée de travail primesautier, sur place et sur nature, la touche calme et bien réglée est-elle toujours possible ? Ma foi, il me semble, pas plus que l’escrime à l’assaut.

    […]

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    Vincent Van Gogh – Moisson à La Crau avec Montmajour au loin, juin 1888, Van Gogh Museum, Amsterdam

     

     C’est que sa fatigue le soleil d’ici ! Je suis de même entièrement incapable de juger mon propre travail. J’ai sept études des blés, des paysages jaunes vieil or, faits vite, vite, vite et pressé comme le moissonneur qui se tait sous le soleil ardent, se concentrant pour en abattre.

     

    Lettre à Théo – vers le 5 juillet 1888

     

    Hier j’étais au soleil couchant dans une bruyère pierreuse où croissent des chênes très petits et tordus, dans le fond une ruine sur la colline, et dans le vallon du blé. C’était romantique, on ne peut davantage, à la Monticelli, le soleil versait des rayons très jaunes sur les buissons et le terrain, absolument une pluie d’or.

    Et toutes les lignes étaient belles, l’ensemble d’une noblesse charmante. On n’aurait pas du tout été surpris de voir surgir soudainement des cavaliers et des dames revenant d’une chasse au faucon, ou d’entendre la voix d’un vieux troubadour Provençal. Les terrains semblaient violets, les lointains bleus. J’en ai rapporté une étude d’ailleurs, mais qui reste bien en dessous de ce que j’avais voulu faire.

     

    Lettre à Théo – vers le 10 juillet 1888

     

    Les cigales, non pas celles de chez nous mais des comme ceci, on les voit sur les albums japonais. Puis des Cantharides dorées et vertes en essaim sur les oliviers. Ces cigales (je crois que leur nom est cicada) chantent au moins aussi fort qu’une grenouille.

      

    peinture,écrvan gogh,arles,

    Vincent Van Gogh – Croquis d’une cigale, juillet 1888

    […]

    Xantippe, la mère Tanguy et d’autres dames ont, par un caprice étrange de la nature, le cerveau en silex ou pierre à fusil. Certes ces dames sont bien davantage nuisibles dans la société civilisée dans laquelle elles circulent que les citoyens mordus par des chiens enragés qui habitent l’institut Pasteur. Aussi le père Tanguy aurait mille fois raison de tuer sa dame.... mais il ne le fait pas plus que Socrate…

    […]

     

          L’humour si particulier de Vincent m’amuse toujours.

    Te rappelles tu dans Guy de Maupassant le monsieur chasseur de lapins et autre gibier qui avait si fort chassé pendant 10 ans et s’était tellement éreinté à courir après le gibier, qu’au moment où il voulait se marier il ne bandait plus, ce qui lui causait les plus grandes inquiétudes et consternations.

    Sans être dans le cas de ce monsieur en tant que quant à devoir ou vouloir me marier, quant au physique je commence à lui ressembler.

    Selon l’excellent maître Ziem, l’homme devient ambitieux du moment qu’il ne bande plus. Or si cela m’est plus ou moins égal de bander ou pas, je proteste lorsque cela doit fatalement me mener à l’ambition.

    […]

     

          Cette pensée est désarmante de simplicité…

     Les peintres – pour ne parler que d’eux – étant morts et enterrés, parlent à une génération suivante ou à plusieurs générations suivantes par leurs oeuvres. Est-ce là tout ou y a-t-il même encore plus ? Dans la vie du peintre peut-être la mort n’est pas ce qu’il y aurait de plus difficile.

    Moi je déclare ne pas en savoir quoi que ce soit, mais toujours la vue des étoiles me fait rêver aussi simplement que me donnent à rêver les points noirs représentant sur la carte géographique villes et villages. Pourquoi, me dis je, les points lumineux du firmament nous seraient-elles moins accessibles que les points noirs sur la carte de France ?

    Si nous prenons le train pour nous rendre à Tarascon ou à Rouen, nous prenons la mort pour aller dans une étoile.

    Ce qui est certainement vrai dans ce raisonnement, c’est qu’étant en vie nous ne pouvons pas nous rendre dans une étoile, pas plus qu’étant morts nous puissions prendre le train.

    Enfin il ne me semble pas impossible que le choléra, la gravelle, la phtisie, le cancer, soient des moyens de locomotion céleste, comme les bateaux à vapeur, les omnibus et le chemin de fer en soient de terrestres.

    Mourir tranquillement de vieillesse serait y aller à pied.

    Pour le moment je vais me coucher car il est tard et je te souhaite bonne nuit.

     

    Lettre à Emile Bernard – vers le 29 juillet 1888

     

          Réflexions sur la peinture

    Ah !... Rembrandt !.... […] Je viens de trouver et d’acheter ici une petite eau-forte d’après Rembrandt, une étude d’homme nu, réaliste et simple. Il est debout, appuyé contre une porte ou colonne, dans un intérieur sombre, un rayon d’en haut frise la figure baissée et les grands cheveux roux. On dirait un Degas, pour le corps vrai et senti dans son animalité.

    […]

    Ce serait une fête pour moi que de passer une matinée avec toi dans la galerie des Hollandais du Louvre. Tout cela ne se décrit guère, mais, devant les tableaux, je pourrais te montrer des merveilles et des miracles qui pour moi font que les primitifs n’ont pas du tout - en premier lieu et le plus directement - mon admiration.

    Que veux tu, je suis si peu excentrique ; une statue grecque, un paysan de Millet, un portrait hollandais, une femme nue de Courbet ou de Degas, ces perfections calmes et modelées font que bien d’autres choses, les primitifs comme les japonais, me paraissent de l’écriture à la plume. Cela m’intéresse infiniment, mais une chose complète, une perfection nous rend l’infini tangible ; et jouir d’une telle chose, c’est comme le coït, le moment de l’infini.

    peinture,van gogh,arles,vermeerAinsi, connais tu un peintre nommé Vermeer qui, par exemple, a peint une dame hollandaise très belle, enceinte. La palette de cet étrange peintre est : bleu, jaune citron, gris perle, noir, blanc. Certes, il y a dans ses rares tableaux, à la rigueur, toutes les richesses d’une palette complète ; mais l’arrangement jaune citron, bleu pâle, gris perle, lui est aussi caractéristique que le noir, blanc, gris, rose, l’est à Vélasquez.

     

     

     

     

      

    Johannes Vermeer - La femme en bleu lisant une lettre, 1663, Amsterdam, Rijskmuseum

    […]

    Ainsi Rembrandt a peint des anges. Il fait un portrait de soi-même, vieux, édenté, ridé, coiffé d’un bonnet de coton, tableau d’après nature, dans un miroir. Il rêve, rêve et sa brosse recommence son propre portrait, mais de tête, et l’expression en devient plus navrée et plus navrante. Il rêve, rêve encore, et pourquoi ou comment, je ne sais, mais ainsi que Socrate et Mahomet avaient un génie familier, Rembrandt, derrière ce vieillard qui a une ressemblance avec lui-même, peint un ange surnaturel au sourire à la Vinci.