Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Rechercher : un pastelliste heureux

  • Voir la peinture autrement

     

    Un noir joyeux

     

     

        Esperiidae, mon amie donneuse de voix sur Litterature audio.com, site beaucoup fréquenté par les non-voyants et malvoyants, mais aussi par les curieux de littérature, m’a fait le plaisir d’enregistrer pour la quatrième fois une de mes nouvelles qu'elle sait si bien mettre en valeur.

         Hésitant lorsqu’elle m’a proposé ce projet car je m’imaginais que la vision des tableaux était indispensable à une bonne perception de ceux-ci, je découvre, une nouvelle fois, que la seule force de la voix, sa sensibilité, son timbre, ses modulations et son rythme, permettent une nouvelle approche de la peinture. Les mots parlés donnent vie aux tableaux et confirme la phrase d’un peintre suisse enseignant la peinture à des non-voyants, parlant de « Voir autrement »...

         Ce récit : « Un noir joyeux » conte l’étrange complicité unissant Edouard Manet et Berthe Morisot qui lui servit de modèle durant une quinzaine d’années. 

     

         Pour écouter l’enregistrement audio seul, cliquer sur le magnifique et dernier portrait de Berthe Morisot peint par Edouard Manet Berthe Morisot à l’éventail en 1874, ci-dessous :

     

    peinture, écriture, manet, berthe morisot

    Edouard Manet – Berthe Morisot à l’éventail, 1874, musée des Beaux-Arts, Lille

     

     

       Esperiidae a complété cet enregistrement audio par une belle vidéo, montrant les tableaux du peintre tout en écoutant le récit, qui est parue sur Youtube. Cliquez sur l'image ci-dessous :

      

    peinture, manet, berthe morisot, youtube

     

     

         Je vous laisse écouter à nouveau les trois premiers récits audios enregistrés en 2014 en cliquant sur les toiles ci-dessous :

     

    Un aquarium géant : d'après les toiles Les Nymphéas de Claude Monet

     

         Récit qui se veut un hommage à Claude Monet. Je l’imaginais dans son atelier de Giverny, en compagnie de Blanche Hoschedé-Monet, sa belle-fille, à moitié aveugle et craignant une prochaine cécité, souhaitant voir ses « Nymphéas » en place, comme ils seront présentés, après sa mort, dans les grandes salles ovales du musée de l’Orangerie à Paris.

     

    peinture,écriture,manet,berthe morisot,youtube, monet, orangerie 

    Claude Monet - Les Nymphéas (détail), musée de l'Orangerie, Paris

     

    Un poète des flots :  d'après le tableau Nuit d'été de Winslow Homer

     

         Vision poétique d'un couple bercé par les flots par une nuit de pleine lune.

        

    peinture,écriture,manet,berthe morisot,youtube, winslow homer, orsay

    Winslow Homer – Nuit d’été, 1890, Musée d’Orsay, Paris

     

     Un cri : d'après le tableau L'église d'Auvers de Vincent Van Gogh

     

         Vincent transforme cette modeste église de village en un être vivant fait de chair et de sang.

     

    peinture,écriture,manet,berthe morisot,youtube, van gogh, auvers

    Vincent Van Gogh – L’église d’Auvers, juin 1890, Musée d’Orsay, Paris

     

     

  • Le bleu attend son heure

     

     une histoire de bleu, Jean-Michel Maulpoix

    Vincent Van Gogh – Nuit étoilée, 1889, Moma Ney York

     

     

    « Épars dans la lumière du jour, le bleu attend son heure. Il fait le guet, il prend son temps. Jamais il ne perdra patience, car il a tout le temps pour soi. Il mûrit sa couleur en d’interminables aurores. »

    Une histoire de bleu, Jean-Michel Maulpoix

     

     

         Mon ressenti : du très haut niveau ! Cette poésie en prose exprime une maitrise des mots et des phrases proches de la perfection.
        La touche divisée… Pour l'amateur de peinture que je suis, la poésie de Jean-Michel Maulpoix est, sans conteste, impressionniste. Tout au long de ma lecture, des toiles de grands peintres du 19e, maîtres d'une nouvelle esthétique, m'apparaissaient : Monet, Renoir, Sisley, Pissarro… ceux qui peignaient sur le motif la lumière changeante, l'instantanéité, la fugacité des choses, les émotions troubles et fragiles, en utilisant des couleurs pures et une touche divisée.
    Certains mots reviennent le plus souvent pour qualifier ce style de peinture : sensation, touche, lumière, paysage, éphémère, amour, couleurs. Nous les retrouvons dans la magnifique poésie picturale de l'auteur.

     

    COULEURS : Le maître-mot est le bleu, langage de ce recueil de poésie. Parfois, une pointe de rouge ou de jaune, pour le contraste, se mêle au bleu :

    « Les femmes aux yeux noirs ont le regard bleu… Le bleu ne fait pas de bruit, c’est une couleur timide, sans arrière-pensée, présage, ni projet, qui ne se jette pas brusquement sur le regard comme le jaune ou le rouge… Ce bleu n’est guère qu’un signe peint, une minuscule araignée d’encre… L’on regarde le bleu dans les rétines du ciel et de la mer… J’ai allumé une cigarette au milieu de la mer, c’est un minuscule point rouge sur le bleu… L'écriture est une effeuilleuse : le bleu de ses yeux coule au petit matin. » 

     

    ÉPHÉMÈRE, FUGACE : L’écriture de l’auteur répond à la nécessité du bref, de l’inconstance, du fugitif. Il suffit de recueillir au passage les mots qui s’assemblent en fragments, bribes, phrases courtes laconiques :

    « Je n’écris pas, je note furieusement… Tu prends la mer sur des cahiers à gros carreaux où tu traces des lettres rondes qui font des tâches… Comme un linge, le ciel trempe, il passe au bleu. Le bleu d’ici s’estompe quand la nuit tombe. »

     

    LUMIÈRE :

    « Il semble qu’au soleil couchant, le ciel qui se craquelle se reprenne un instant à croire à son bleu… Les beaux jours, le large poudroie… L’azur, certains soirs, a des soins de vieil or. »

     

    PAYSAGE :

    « Mais déjà la nuit dépliait ses velours. Des essaims d’abeilles revenaient du large, un peu de bleu collé aux pattes. On voudrait jardiner ce bleu, puis le recueillir avec des gestes lents dans un tablier de toile. »

     

    SENSATION, ATMOSPHÈRE :

    « Une rumeur de lilas dégringole vers la mer quand, sur les balcons de bois peint, le cœur des marins s’éclabousse… L’infini nous colle aux paupières et nous fait un visage enfariné de clown… Nous accompagnerons du bout des doigts le temps qui passe… Dans les yeux de tes semblables, l’infini n’est jamais monotone. »

     

    TOUCHE : les mots claquent parfois par petites touches impressionnistes :

    « Chaque fois que ton cœur craque, tu prends ton dé, ta trousse et tes aiguilles : des mots encore des mots, bouts de bois, cabanes d’enfants, excès, accès de ciel, fièvres d’encre, une convoitise de bleu, sa mélancolie de jupes claires ; tu es l’ouvrier de l’amour. »

     

    AMOUR

    « Le jour venu, l’illusion de l’amour nous fermera les yeux… Celle qui m’aime a les yeux clairs. Elle ne consent à dénouer que ses cheveux, violets, dit-on, comme sont les tresses des muses où les doigts de l’homme restent pris… Elle écarquille son grand œil bleu et te regarde. »

     

        Ce livre est un parcours de vie, celui d’un humaniste. Des flots de plaisir parcourent toutes les phrases. Il faut parfois stopper son regard, et rêver.

     

          « Il te faut écrire comme si tu devais liquider la mer. Les mots sont tout ce qu’il te reste : lance-toi à l’assaut de ce bleu. »

     

         Jean-Michel Maulpoix a reçu le Goncourt de la Poésie en 2022.

     

     

  • VERMEER AU LOUVRE : Juger c'est peser

     

    VERMEER Johannes – Femme à la balance, 1664, National Gallery of Art, Washington

     

     

    peinture,  hollande, vermeer, louvre

     

     

        - Attention chef-d’œuvre, dis-je en riant à une jeune femme qui fixe intensément le petit tableau !

         Le nez collé sur la toile, elle se recule un instant, puis me regarde bizarrement, dérangée dans son observation. Je m’installe à côté d’elle et, à mon tour, examine le portrait.

        Je suis devant une de mes toiles préférées de Vermeer : La Femme à la balance qui m’attire irrésistiblement.

     

     

         Le moment est d’importance. Je pénètre à nouveau dans la période picturale la plus intime, la plus mystérieuse de Vermeer, celle qui s’impose à l’esprit lorsque l’on évoque son nom : des tableaux de femmes de petits formats représentées dans des intérieurs bourgeois. Au cours des années 1663 – 1665, Vermeer peindra quatre tableaux semblables de femmes seules, debout, pensives, occupées à une activité quotidienne : La femme au collier de perles, La femme à la balance, La femme à l’aiguière, La femme en bleu lisant une lettre. Seuls les deux premiers figurent dans l’exposition du Louvre.

         - C’est trop beau, me dit la jeune femme… Une Vierge…

         Je souris, compréhensif.

        - Ecoutez ce silence quasi religieux, dis-je. La femme semble transpercée par la lueur sortant d’un vitrail dans l’intérieur sombre d’une église. Vermeer… Cette intimité spirituelle se retrouve souvent dans sa peinture. C’est ce qui le différencie des autres.

         J’observe la petite toile et m’attarde sur les détails.

       L’éclairage de la scène très contrasté créé une atmosphère étrange. Sur la droite, dans la peinture,hollande,vermeer,louvrelumière diffuse filtrant à travers un rideau, le mur vide du fond est faiblement éclairé en diagonale d’un halo de blanc pur. La jeune femme se détache, sorte d’apparition dans la pénombre. Clairsemée, la lumière éclabousse le devant de son habit bordé d’une fourrure blanche éclatante, son visage encadré d’un capuchon blanc, la table, la balance. Sa veste n’est plus jaune comme dans plusieurs toiles du peintre, mais bleue, laissant pointer une mignonne petite bosse orangée claire. Attend-elle un enfant ? Serait-ce Catharina, l’épouse de Vermeer ? Un grand tissu bleu sombre recouvre le bord gauche de la table, créant un puissant contraste avec la blancheur des perles et la vaporeuse fourrure.

     

     

     

      

        Sa main droite soulève entre le pouce et l’index les plateaux de la balance qui sont vides. Curieusement, son petit doigt est tendu parallèlement aux plateaux qui sont en équilibre. Attend-t-elle que la balance se stabilise ? Va-t-elle peser les pièces d’or ou les perles disposées sur l’épaisse table devant elle ?

     

    peinture,hollande,vermeer,louvre

     

        J’observe que la tête de la femme est placée juste en dessous du Christ en majesté représenté dans le tableau du Jugement dernier. La lecture devient religieuse : juger c’est peser. Lepeinture,hollande,vermeer,louvre spirituel l’emporterait-il sur le temporel ? Le visage semble transfiguré… Une sainte en extase baissant pudiquement les yeux… Serait-ce la Vierge Marie pesant de l’or comme elle pèserait des âmes… Placée devant l’or et son coffret à bijoux, juge-t-elle la conduite de sa vie et la façon dont elle sera jugée un jour ?

     

     

     

     

     

     

         De Hooch a peint également un tableau intitulé Une peseuse d’or très proche de celui de Vermeer. Les deux hommes se connaissaient bien, ayant été voisins à Delft. Tous deux furent un moment membres de la Guilde des peintres de la ville. Le thème est exactement le même : on ne sait pas qui aurait pu inspirer l’autre… Contrairement à Vermeer, De Hooch ne porte aucun jugement moral sur la scène : la femme est en train de comparer les pièces d’or contre les pièces d’argent qui reposent sur la table. L’activité quotidienne d’une femme hollandaise. Je ne ressens pas dans l’excellente toile de De Hooch la subtilité et l’ambiance si particulière dégagée dans celle de Vermeer.

     

    peinture,hollande,de hooch,louvre

    Pieter de Hooch – Femme pesant de l’or, 1664, Gemäldegalerie, Berlin

     

     

        La femme de Vermeer rayonne sur le mur tristounet. Sur le visage des visiteurs, je discerne une expression d’enchantement. Ils ont tous succombé au charme de cette créature venue d’ailleurs.

        La jeune femme avec laquelle j’avais parlé en arrivant semble perturbée. Elle m’interroge :

       - Je pense que, comme moi, vous avez vu la délicieuse Jeune fille au collier de perles exposée plus loin… Pensez-vous qu’elles auraient pu être exposées côte à côte, en pendant, par le passé ?

         Je fis une moue d’ignorance.

        - Elles ont été peintes à la même période, vers 1665. Peut-être ont-elles séjourné ensemble encore fraîchement peintes dans l’atelier du maître ? A moins qu’elles ne se soient côtoyées à la vente aux enchères de la collection Jacob Dissius qui eut lieu à Amsterdam en mai 1696 ? Imaginez que ce fils d’un imprimeur de Delft, vingt ans à peine après la mort de Vermeer, possédait rien moins que 21 toiles, presque la moitié de la production totale du maître ! Dans l’inventaire de la vente, la toile était décrite ainsi : « Une demoiselle qui pèse de l’or, extraordinairement artistique et peinte avec vigueur ».

         Je rajoutai pour montrer ma science :

         - Dire que cette Femme à la balance aurait pu devenir le troisième "Vermeer" possédé par La France ! Elle appartint quelques années à un ancien Président de la République Française : Casimir Périer, président éphémère durant six mois en 1894. Quelle malchance, elle terminera son parcours aux Etats-Unis…

       Ma voisine, satisfaite de ma réponse, se décida difficilement à quitter la Vierge ensorceleuse. « Peut-être à bientôt dans l’exposition, me dit-elle en partant ».

         La lumière de Vermeer continuait d’irradier, enveloppant la femme d’un halo lumineux : pureté… harmonie… calme… sérénité …

     

     

  • Deux petits tableaux

     

    peinture, nouvelles, oeuvres, Vermeer

     

     

         Un deuxième recueil de nouvelles DEUX PETITS TABLEAUX vient de rejoindre CONTER LA PEINTURE publié en 2020, et le roman QUE LES BLÉS SONT BEAUX en 2018.

         Qui n’a jamais rêvé de se laisser enfermer dans un musée pour retrouver cette sensation que provoque la vision d’une œuvre d’exception ?

         Et si, le temps d’une promenade avec eux, les grands peintres de l’histoire de l’art existaient à nouveau, un court instant, rien que pour vous…

     

     

         Je vous embarque pour onze promenades dans les couleurs chatoyantes de mon musée virtuel. Sorte de prologue, le premier récit du recueil « Balade au Louvre » est une histoire que j’ai entièrement vécue il y a quelques années. Je la rapporte exactement comme elle s’est passée : « Pouvais-je savoir, ce jour-là, qu’une visite au Louvre par un sombre après-midi de novembre allait devenir un des moments importants de ma vie d’amateur d’art ? Deux lumineux petits tableaux de Johannes Vermeer avaient bouleversé ma vision de la peinture. « La Dentellière » méditait sur son ouvrage et je ne voyais qu’elle et ses doigts si fins. Je flottais dans un monde où tout était facile, simple, à son image… »

     

         Je donne, ci-dessous, de courts extraits de quelques autres de mes promenades :

     

         Renoir et ses « Danses » emportent Rose dans leur délire :

    peinture, nouvelles, oeuvres, Renoir« Sa capeline rouge accrochée à son cou par un ruban réchauffait ses joues. Elle nous la lança au passage, puis se colla contre le costume bleu foncé de son cavalier. Dénoué, le ruban qui retenait ses cheveux en arrière libéra sa chevelure qui s’enroula, tournoyante, autour de sa tête. L’homme et Rose allaient de plus en plus vite, le corps bien droit, lovés l’un contre l’autre, ne formant plus qu’un. Les pieds soudés tourbillonnaient leur donnant l’apparence d’une toupie humaine incontrôlable. »

     

         Berthe Morisot est si belle sous le pinceau d’Édouard Manet :

    peinture,nouvelles,oeuvres,morisot,manet« En homme du monde, il avait retiré son haut-de-forme pour me saluer, puis posé nonchalamment sa canne au pommeau en ivoire sur le dossier de ma chaise. Barbe blonde, habillé élégamment, regard vif, le sourire séducteur de cet homme à femmes avait rencontré le mien. »

     

     

     

     

         Un petit chien semble ne pas s’apprécier sur le panneau de Jan van Eyck :

    peinture,nouvelles,oeuvres,van eyck« Je ne supporte plus ce quadrupède placé par Jan aux pieds des époux sur le panneau, tout petit, la queue en l’air, le poil long. Son regard amorphe surveille tous mes mouvements. »

     

     

     

     

        Le bal du Moulin de la Galette à Montmartre est parcouru par un frisson de fête :

    peinture,nouvelles,oeuvres,renoir« Regardez votre robe, Estelle, elle vibre : le tissu rayé de bleu clair et de rose mêlés est traversé d’ondes lumineuses. Votre visage me fait penser à ces larges corolles de fleurs ouvertes dans les champs l’été. »

     

     

     

     

         Devant la montagne Saint-Victoire, un étrange Paul Cézanne s’est installé :

    peinture,nouvelles,oeuvres,vermeer,cézanne« L’homme caresse la toile avec sa brosse, effleure délicieusement le massif et ses formes féminines toutes en rondeur. Une lumière uniforme semble absorber la couleur du ciel, des roches et des végétaux, afin de mieux rayonner. »

     

     

     

         Enfermé, Toulouse-Lautrec dessine son cirque :

    peinture,nouvelles,oeuvres,vermeer,cézanne,renoir,morisot,manet,toulouse-lautrec,chardin,van eyck,delacroix« Il sourit, lâcha la main de Misia, puis se mit à vociférer contre ceux qui l’avaient enfermé :

    — J’me vengerai. J’leur arracherai les côtelettes. C’est sûr…

    Il fit quelques pas sur ses jambes torses en claudiquant.

    — Quand ils verront mes dessins, sûr, ils me laisseront sortir. »

     

     

     

     

         Cette visite virtuelle en ma compagnie, je vous l’offre dans DEUX PETITS TABLEAUX.

     

         Ce nouveau recueil est le frère jumeau du précédent CONTER LA PEINTURE. Leur présentation en mots et en images étant semblable, j’ai pensé qu’ils aimeraient se retrouver ensemble dans une collection, sous l’appellation « Si les œuvres parlaient ». Ils peuvent être lus dans n’importe quel ordre.

     

         Comme pour mes précédents livres, je rappelle que les bénéfices sont destinés à être reversés à l’association RÊVES aidant les enfants gravement malades. Les lecteurs auront ainsi la possibilité d’apporter un peu de joie à un enfant.

     

         Le livre est disponible sous forme de livre broché et ebook. Il suffit de cliquer sur l’image de la couverture.

     

         Belle lecture.

     

    « Les grandes œuvres d’art ne sont grandes que parce qu’elles sont accessibles et compréhensibles à tous. » - Qu’est-ce que l’art ? Léon Tolstoï

     

     

  • Munch

     

    peinture,écriture,munch,orsay,expressionnisme

    Édouard Munch – Vampire, 1895, musée Munch, Oslo

     

         « Dans mon art, j’ai cherché à m’expliquer la vie et son sens – j’ai aussi eu l’intention d’aider les autres à comprendre leur propre vie. »

     

         « Le Cri », tableau d’Édouard Munch peint en 1893, a fait le tour du monde. Pourtant, peu de personnes connaissent ce peintre, en dehors des passionnés ou spécialistes de peinture symboliste et expressionniste. Le superbe catalogue de Claire Bernardi publié pour l’exposition actuelle du musée d’Orsay m’a été offert.

         J’ai voulu en savoir plus.

     

         L’imaginaire du peintre est vaste. Ce qu’il veut exprimer dans ses toiles, plus munch, métabolismeparticulièrement dans un tableau nommé « Métabolisme » faisant écho au motif biblique d’Adam et Eve, est une continuité vitale entre humains et nature qui prend corps dans la relation amoureuse entre un homme et une femme. Ce thème de l’amour est développé dans sa naissance, son développement et sa fin, envisagé de manière cyclique. Selon Munch, la nature serait un corps traversé par des humeurs et des énergies, forces d’animation universelles, image de la vie dans un perpétuel recommencement.

     

     

     

     

    Édouard Munch – Métabolisme, 1898, musée Munch, Oslo

     

         La première exposition de Munch à Berlin en 1892 provoque un tollé devant une peinture totalement incomprise. Il devient le pionnier de l’expressionnisme dans la peinture moderne, s’inscrivant dans la lignée de ces artistes qui inventent une nouvelle esthétique faite de couleurs vives, de lumière, marquant l’évolution de l’art du début du 20e siècle.

     

    « La Frise de la vie » comme il la nomme est son grand projet artistique. Une continuité entre les œuvres est le fondement de sa conception cyclique de l’art. « La frise doit être considérée comme une suite de peintures décoratives qui, prises ensemble, entendent donner une impression de vie. ». Les différents âges de la vie sont exprimés à travers les émotions liant les compositions comme la longue chevelure féminine de la couverture du catalogue évoquant les liens de l’homme à la nature. « Ses cheveux s’étaient enroulés autour de moi comme des serpents rouge sang. »

    Nous retrouvons dans « La frise de la vie » les toiles les plus importantes de l’œuvre : le Cri, la puberté, le baiser, anxiété, désespoir, vampire, mélancolie, jalousie, séparation.

     

    munch,le cri

    Édouard Munch – Le Cri, 1893, musée nationale de Norvège, Oslo

    « Le Cri »

    Dans un carnet de notes, Munch écrit plusieurs textes expliquant la création de ce célèbre tableau qui prit forme à la vue d’un paysage qui l’entourait : « … Le soleil était en train de se coucher - le ciel est soudain devenu rouge sang - j’ai éprouvé comme une bouffée de mélancolie… j’ai regardé les nuages qui flamboyaient comme sang et épée – j’étais là, tremblant d’épouvante - et j’ai ressenti comme un grand cri infini à travers la nature. »

    Ce visage épouvanté, déformé et asexué serait un cri existentiel face au caractère transitoire de la vie, face à l’amour, face au monde et à sa complexité.

     

    En parallèle avec la peinture, tout au long de sa vie, Munch poursuit une activité littéraire : journal, correspondances, essais, poésie en prose. Les thèmes essentiels de sa peinture tirés de sa propre existence, se retrouvent dans ses écrits : maladie, amour, famille, peur, mort.

     

    munch,madone

    Édouard Munch – Madone, 1894, musée nationale de Norvège, Oslo

     

    Le magnifique tableau « Madone », sacre de la beauté féminine, femme source de vie, me paraît correspondre parfaitement au texte de l’artiste écrit ci-dessous :

    « Le clair de lune glisse sur ton visage

    Empli de toute la beauté – et la douleur – du monde

    Tes lèvres sont tels deux serpents rubis

    Et pleines de sang comme le fruit cramoisi

    Elles s’écartent comme sous l’effet de la douleur

    Le sourire d’un cadavre. »

     

    munch,le soleil

    Édouard Munch – Le soleil, 1911, Université d'Oslo

     

    Dans les années 1910, « Le Soleil » occupe la place centrale du mur du fond d’un travail décoratif monumental dans la salle de réception de l’université royale Frederik à Kristiana. Cette peinture symboliste donne une vision de la puissance régénératrice de la lumière.

     

    Munch m’a subjugué par son talent, même s’il a parfois un côté désespérant qui peut ne pas plaire.

    Il peint des personnes vivantes qui respirent, s’émeuvent, souffrent, aiment et meurt. Au-delà de la forme stylisée, ses œuvres explorent les sentiments intérieurs et les expériences de la vie. J’ai repensé à Vincent Van Gogh : « J’ai compris qu’il ne fallait pas dessiner une main, mais un geste, pas une tête parfaitement exacte, mais l’expression profonde qui s’en dégage, comme celle d’un bêcheur reniflant le vent quand il se redresse, fatigué. »

     

    munch,orsay,expressionnisme

    Édouard Munch – Cupid et Psyché, 1907, musée Munch, Oslo

     

     

  • Van Gogh écrivain : Arles - 8. Septembre 1888

     

    CORRESPONDANCE - EXTRAITS CHOISIS

     

    peinture,van gogh,arles

    Vincent Van Gogh – Saules au coucher de soleil, automne 1888, Kröller-Müller Museum, Amsterdam

     

              L’influence du mistral fut certaine sur Vincent Van Gogh. Sa violence se décupla quand il se vit aux prises avec le fougueux vent de Provence. Pas de temps à perdre, peindre vite, en touches brutales, heurtées, mais sûres ; impossibilité de « peloter » le motif, comme disent tous les peintres, à la manière de Renoir. Pas de caresses ; des coups de brosse sautant sur les courtes accalmies. Et défendre encore son chevalet, sa toile, tout cela qui gémit et menace à toute seconde de s'abattre sous les cinglantes lanières de la tempête ! Il écrit à son frère Théo : « Je t'ai déjà dit que j'ai toujours à lutter contre le mistral, qui empêche absolument d'être le maître de sa touche. De là le « hagard » des études. »

                                                                     Gustave Coquiot

     

          L’été se termine à Arles. Vincent Van Gogh peint, peint passionnément. Il y a tant à peindre : les arlésiennes, des paysages empourprés, les tournesols… Son style est maintenant bien en place. Il est au sommet de son art. « Je marche comme une locomotive à peindre ».

          Vincent semble anxieux quand à la venue de son ami peintre Paul Gauguin qui hésite à entreprendre le voyage : « je suis bien chagrin d’être retenu à Pont Aven ; chaque jour la dette augmente et rend mon voyage de plus en plus improbable. » Pourtant, Vincent est en plein préparatif d’aménagement et de décoration de « la maison jaune » de la place Lamartine. Il veut que son ami la trouve agréable.

          Ce mois de septembre allait être pour Vincent d’une richesse exceptionnelle en peintures de nuit qui le préoccupent depuis son arrivée à Arles. La douceur du climat incite enfin l’artiste à la rêverie et au travail nocturne.

     

    Lettre à sa sœur Willemien – vers le 14 septembre 1888

     

    Je viens de terminer une toile qui représente un intérieur de café la nuit éclairé par des lampes. Quelques pauvres rôdeurs de nuit dorment dans un coin. La salle est peinte en rouge et là-dedans, sous le gaz, le billard vert qui projette une immense ombre sur le plancher. Dans cette toile il y a 6 ou 7 rouges différents, depuis le rouge sang jusqu’au rose tendre, faisant opposition à autant de verts pâles ou foncés.

              

    peinture,van gogh,arles

    Vincent Van Gogh – Le café de nuit de la Place Lamartine à Arles, sept. 1888, Yale University Art Gallery, New Haven

     

    […]

    Lorsque tu y feras attention tu verras que certaines étoiles sont citronnées, d’autres ont des feux roses, verts, bleus myosotis. Et sans insister davantage il est évident que pour peindre un ciel étoilé il ne suffise point du tout de mettre des points blancs sur du noir bleu.

    peinture,van gogh,arles

    Vincent Van Gogh –  La maison jaune, sept. 1888, Van Gogh Museum, Amsterdam

    Ma maison ici est peinte en dehors en jaune beurre frais à volets verts cru, et elle est en plein soleil sur la place où il y a un jardin vert, de platanes, de lauriers roses, d’acacias. En dedans elle est toute blanchie à la chaux et le sol est en briques rouges. Et le ciel bleu intense dessus. Là-dedans je peux vivre et respirer, moi, et réfléchir et peindre. Et il me semble que j’irais plus loin dans le Sud plutôt que de remonter vers le nord puisque j’ai trop grand besoin de la forte chaleur pour que mon sang circule normalement. Ici je me porte bien mieux qu’à Paris.

    […]

    J’ai été interrompu justement par le travail que m’a donné de ces jours ci un nouveau tableau représentant l’extérieur d’un café le soir. Sur la terrasse il y a de petites figurines de buveurs. Une immense lanterne jaune éclaire la terrasse, la devanture, le trottoir, et projette même une lumière sur les pavés de la rue qui prennent une teinte de violet rose. Les pignons des maisons, d’une rue qui file sous le ciel bleu constellé d’étoiles, sont bleus foncés ou violets avec un arbre vert. Voila un tableau de nuit sans noir, rien qu’avec du beau bleu et du violet peinture,van gogh,arleset du vert, et dans cet entourage la place illuminée se colore de souffre pâle, de citron vert. Cela m’amuse énormément de peindre la nuit sur place. Autrefois on dessinait et peignait le tableau le jour d’après le dessin. Mais moi je m’en trouve bien de peindre la chose immédiatement.

    Il est bien vrai que dans l’obscurité je peux prendre un bleu pour un vert, un lilas bleu pour un lilas rose, puisqu’on ne distingue pas bien la qualité du ton. Mais c’est le seul moyen de sortir de la nuit noire conventionnelle avec une pauvre lumière blafarde et blanchâtre, alors que pourtant une simple bougie déjà nous donne les jaunes, les orangés les plus riches. Tu ne m’as jamais dit si tu avais lu Bel-Ami de Guy de Maupassant, et ce que tu penses maintenant en général de son talent. Je dis cela parce que le commencement de Bel-Ami est justement la description d’une nuit étoilée à Paris avec les cafés illuminés du Boulevard, et c’est à peu près ce même sujet que je viens de peindre maintenant.

     

    Vincent Van Gogh –  Le café terrasse sur la place du forum, Arles, la nuit, sept. 1888, Kröller-Müller Museum, Otterlo

      […]

    Ma chère soeur je crois qu’actuellement il faut peindre les aspects riches et magnifiques de la nature. Nous avons besoin de gaîté et de bonheur, d’espérance et d’amour.

    Plus je me fais laid, vieux, méchant, malade, pauvre, plus je veux me venger en faisant de la couleur brillante, bien arrangée, resplendissante.

               

     Lettre à Théo – vers le 30 septembre 1888

     

    J’ai écrit à Gauguin en réponse à sa lettre, que s’il m’était permis à moi aussi d’agrandirpeinture,van gogh,arles ma personnalité dans un portrait, j’avais en tant que cherchant à rendre dans mon portrait non seulement moi mais en général un impressionniste, j’avais conçu ce portrait comme celui d’un bonze, simple adorateur du Bouddha éternel.

    [...]

    C’est tout cendré contre du véronèse pâle (pas de jaune). Le vêtement est ce veston brun bordé de bleu, mais dont j’ai exagéré le brun jusqu’au pourpre et la largeur des bordures bleues.

    La tête est modelée en pleine pâte claire contre le fond clair sans ombres presque. Seulement j’ai obliqué un peu les yeux à la japonaise.

            

       Vincent Van Gogh – Autoportrait (dédicacé à Gauguin), sept. 1888, Fogg Art Museum, Cambridge

     

     Lettre à Théo – vers le 30 septembre 1888

     

          La représentation « d’effets de nuit » préoccupe Vincent. Les nuits étoilées de ce mois de septembre sont favorables à son projet : « Souvent il me semble que la nuit est encore plus richement colorée que le jour ».

     

    Ci inclus petit croquis d’une toile de 30 carrée, enfin le ciel étoilé peint la nuit même sous un bec de gaz. Le ciel est bleu vert, l’eau est bleue de roi, les terrains sont mauves. La ville est bleue et violette, le gaz est jaune et ses reflets sont or roux et descendent jusqu’au bronze vert. Sur le champ bleu vert du ciel, la Grande Ourse a un scintillement vert et rose, dont la pâleur discrète contraste avec l’or brutal du gaz.

    Deux figurines colorées d’amoureux à l’avant plan.

     

    peinture,van gogh,arles

    Vincent Van Gogh – La nuit étoilée sur le Rhône, sept. 1888, Musée d’Orsay, Paris

     

     

     

  • La nuit, puis le jour - Odilon REDON (1840-1916)

     

     

    Mes expositions « coups de cœur » de l’été 2011

     

     

          C’est l’histoire d’une surprise, puis d’un émerveillement, le mien…

     

          L’exposition Odilon Redon se tient dans l'imposant Grand Palais proche des Champs-Elysées et ferme ses portes le 20 juin prochain. J’étais venu insouciant en cet après-midi de début juin, sans idées préconçues, dans un esprit de découverte d’un peintre moderne que l’on disait symboliste.

          Je savais que cet artiste avait vécu l’aventure impressionniste puisqu’il avait participé à la dernière exposition du groupe en 1886. Etrangement, je ne connaissais que son nom et ignorais son œuvre. On le disait discret, renfermé, singulier dans son travail…

          Je gardais précieusement dans ma bibliothèque un vieux bouquin « Peints à leur tour », daté de 1948, écrit par Thadée Natanson, important critique d’art, fondateur et rédacteur en chef de la Revue Blanche à la fin du 19e. Il avait bien connu Odilon Redon. Avant de venir, j’avais relevé quelques phrases concernant ce peintre :

          « Pour donner de formes sensibles, mais aussi de cheminements abstraits, une expression toujours purement plastique, […] personne n’aura trouvé de moyens plus simples, mais plus efficaces et plus originaux. »

          « Dans le royaume lointain du lithographe, […] les noirs d’Odilon Redon, qui sont parmi les plus noirs qui aient été tirés, réalisent sur le papier les ténèbres. Monsieur Degas, connaisseur difficile, disait son admiration de ces noirs. »

          « Les créations de Redon ne ressemblent qu’à elles-mêmes. Tantôt grâce à une sagacité de l’inachevé, tantôt par un très personnel accent de tristesse. »

          Thadée Natanson avait surnommé Odilon Redon le « prince du rêve ». Ses phrases m’avaient intrigué.

     

     

          En entrant dans la première salle, silencieuse, je ne vois que des petites œuvres accrochées l’une après l’autre dans la pénombre. Il est indiqué que les dessins et pastels supportent mal la lumière.

          Dessins au fusain, eaux-fortes, gravures. Noir… Je lis sur un mur que l’essentiel de l’œuvre du peintre, jusque vers sa cinquantième année, reste de façon presque exclusive dans le noir.  

          « Le noir est en somme la couleur la plus essentielle, n’est-ce pas ? disait Redon à Emile Bernard. »

          La plupart des gravures de Redon qu’il avait publiées dans une douzaine de recueils lithographiques, sont exposées : Dans le rêve, A Edgar Poe, Les origines, Hommage à Goya, La tentation de Saint Antoine, A Gustave Flaubert, Les fleurs du mal, Les songes

          Je prends le temps d’examiner chaque gravure. Une grande liberté anime le travail de cet artiste original. Tous les sujets ont retenu l’attention du dessinateur : visages, corps, chevaux, arbres, fleurs, paysages. L’univers de Redon, exprimé sur un mode intimiste à la façon d’un Gustave Moreau, est sombre, fantastique, énigmatique :

          peinture,redon

     

     

     

    Un œil sous la forme d’un  ballon se dirige vers l’infini

     

     

     

     

     

     

     

    Odilon Redon – Grand ballon captif, 1878, BNF, Paris

         peinture,redon

     

     

     

    Une tête sans corps repose sur un plateau

     

     

     

     

     

    Odilon Redon – Tête de martyr posée sur une coupe, 1877, Kröller-Müller Museum, Otterlo

         peinture,redon

     

     

     

     

    Une fleur sort des marécages, face d'enfant aux traits pensifs

     

     

     

     

     

     

    Odilon Redon – Tête sur une tige, 1885, The Art Institute of Chicago

           peinture,redon

     

     

     

     

    Un homme cactus s’hérisse de piquant

     

     

     

     

     

     

    Odilon Redon – L’homme cactus, 1882, The Ian Woodner Family Collection, New York

          peinture,redon

     

     

     

     

    Un œuf, enfoncé jusqu’au yeux dans son coquetier, semble épouvanté

     

     

     

     

     

     

    Odilon Redon – L’œuf, 1885, Musée National, Belgrade

         peinture,redon

     

     

     

     

    Une étrange araignée à tête humaine nous sourit

     

     

     

     

     

     

     Odilon Redon – L’araignée qui sourit, 1881, Musée du Louvre, Paris

          peinture,redon

     

     

    Un homme ailé marche à tâtons dans une ambiance bleutée. 

     

     

     

     

     Odilon Redon – L’homme ailé, 1880, Musée des Beaux-Arts, Bordeaux

     

          Un petit tableau est accroché seul au milieu de la salle. Une vision en bleu et or surprend dans le noir environnant. L'image rappelle les peintres primitifs, tout en étant d’une grande modernité.

     

    peinture,odilon redon

    Odilon Redon – La cellule d’or, 1892, The British Museum, Londres

     

          La première partie de l’exposition se termine. Résonance intime de l’âme de Redon… Emerveillement et angoisse de la petite enfance… Les yeux d’enfants de Redon exploraient-ils ses origines ?

          « L’art est une fleur qui s’épanouit librement, hors de toute règle ; il dérange singulièrement, ce me semble, l’analyse au microscope de savants esthéticiens qui l’expliquent. »

     

          La couleur jaillit… Le jour succède soudainement à la nuit…

          Un sentiment d’espace métaphysique, de légèreté, de joie simple, transfigure les toiles qui m’entourent. Les murs présentent une symphonie musicale dont les couleurs chatoyantes sont les notes.

          Odilon Redon a 50 ans en 1890. Jusqu’à son décès en 1916, le peintre va travailler sur la couleur, avec une préférence pour la technique du pastel, qu’il épouse définitivement. Son art est ravivé. Il écrit à Emile Bernard en 1895 : « Je délaisse de plus en plus le noir. Entre nous, il m’épuisa beaucoup, il prend, je crois, sa source aux endroits profonds de notre organisme. »

          Les yeux clos, daté de 1890 par l’artiste lui-même, est l’œuvre qui semble faire la transition du noir vers la couleur. La figure surgit dans l’aube grise comme émergeant de l’eau, sorte d’image christique de la résurrection. 

     

    peinture,odilon redon

    Odilon Redon – Les yeux clos, 1890, Musée d’Orsay, Paris

     

          Venant à la suite des premières salles sombres, cette lumière éclatante m’éblouit… Je repense à ces levers de soleil qui trouent la nuit à l’aurore et envahissent d’un coup le ciel de lueurs flamboyantes.

          Des motifs divers m’apparaissent :

          peinture,odilon redon

     

     

     

     

     

    Des portraits d’Arï, le fils du peintre, né tardivement après la perte d’un premier enfant

     

     

     

     

     

     

    Odilon Redon – Arï Redon au col marin, 1897, Musée d’Orsay, Paris

     

     

          peinture,odilon redonSon épouse : le passage du temps...peinture,odilon redon

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Odilon Redon – Portrait de madame Redon, 1911, Musée d’Orsay, Paris

    Odilon Redon – Madame Redon brodant, 1880, Musée d’Orsay, Paris

     

     

           Des femmes

    peinture,odilon redon

    Odilon Redon – Portrait de Marie Botkin, 1900, Musée d’Orsay, Paris

    peinture,odilon redon

     Odilon Redon – Portrait de la baronne Robert de Domecy, 1900, Musée d’Orsay, Paris

      peinture,odilon redon

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Odilon Redon – Portrait de jeune femme au bonnet bleu, 1898, Musée d’Orsay, Paris

     

     

          peinture,écriture,odilon redon 

     Une Jeanne d'Arc nimbée de rouge apparaît

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

  • VAN GOGH écrivain : Arles - 3. Mai 1888

     

    CORRESPONDANCE - EXTRAITS CHOISIS

     

    peinture,van gogh,arles

    Vincent Van Gogh – La maison jaune, 1888, dessin aquarellé, Van Gogh Museum, Amsterdam

     

          Vincent habite dorénavant dans une petite maison louée place Lamartine à Arles. Il occupe la partie de la maison avec les volets verts. Sur la gauche, apparaît le restaurant où il prend habituellement ses repas.

          Il souhaite ardemment que ses amis peintres le rejoignent pour travailler dans une même communauté d’esprit.

     

     

     Lettre à Théo – vers le 1er mai 1888

     

    Cher Théo. Tu trouveras un croquis hâtif sur papier jaune, une pelouse dans le square qui se trouve à l’entpeinture,van gogh,arlesrée de la ville, et, au fond, une bâtisse à peu près comme ceci.

     Eh bien, j’ai aujourd’hui loué l’aile droite de cette construction, qui contient quatre pièces, ou plutôt deux avec deux cabinets.

    C’est peint en jaune dehors, blanchi à la chaux à l’intérieur, en plein soleil. Je l’ai loué à raison de 15 francs par mois.

    Maintenant mon désir serait de meubler une pièce, celle du premier étage, pour pouvoir y coucher.

    Cela restera l’atelier, le magasin pour tout le temps de la campagne ici dans le midi, et alors j’ai mon indépendance des chicanes des hôtelleries, qui sont ruineuses et m’attristent. […] J’espère être bien tombé cette fois-ci, tu comprends, jaune en dehors, blanc en dedans, en plein soleil, je verrai enfin mes toiles dans un intérieur bien clair.

    […] Je pourrai à la rigueur rester à deux dans le nouvel atelier, et je le voudrais bien. Peut-être Gauguin viendra-t-il dans le midi.

    […] L’atelier est trop en vue pour que je puisse croire que cela puisse tenter aucune bonne femme et une crise juponnière pourrait difficilement aboutir à un collage.

      

    Lettre à Théo – Vers le 4 mai 1888

     

    Je crois qu’il y aurait quelque chose à faire ici pour le portrait. Si les gens sont d’une ignorance crasse en tant que quant à la peinture en général, ils sont bien plus artistes que dans le Nord pour leur propre figure et leur propre vie. J’ai vu ici des figures certes aussi belles que des Goya et des Vélasquez. Elles savent vous ficher une note rose dans un costume noir, ou bien confectionner un habillement blanc, jaune, rose, ou encore vert et rose, ou encore bleu et  jaune, où il n’y a rien à changer au point de vue artistique. Seurat trouverait ici des figures d’hommes très pittoresques, malgré leurs costumes modernes.

    […]

    J’étais sûrement sur le droit chemin d’attraper une paralysie quand j’ai quitté Paris. Ça m’a joliment pris après ! Quand j’ai cessé de boire, quand j’ai cessé de tant fumer, quand j’ai recommencé à réfléchir au lieu de chercher à ne pas penser, mon Dieu quelles mélancolies et quel abattement ! Le travail dans cette magnifique nature m’a soutenu au moral, mais encore là au bout de certains efforts les forces me manquaient.

    […]

    Pourtant si nous voulons vivre et travailler, il faut être très prudent et nous soigner. De l’eau froide, de l’air, nourriture simple et bonne, être bien vêtu, être bien couché, et ne pas avoir des embêtements. Et pas se laisser aller aux femmes, et à la vraie vie, dans la mesure qu’on serait porté à désirer. 

     

     Lettre à Théo – vers le 5 mai 1888

     

    Les arlésiennes dont on parle tant n’est ce pas, sais tu ce qu’en somme j’en trouve ?

    Certes elles sont réellement charmantes, mais ce n’est plus ce que ça doit avoir été. Et voilà, c’est plus souvent du Mignard que du Mantegna, parce qu’elles sont en décadence. N’empêche que c’est beau, bien beau, et ici je ne parle que du type dans le caractère romain – un peu embêtant et banal. Que d’exceptions!

    Il y a des femmes comme des Fragonard, et comme Renoir. Et ce que l’on ne peut pas caser dans ce qui a déjà été fait en peinture ?

     Le meilleur que l’on pourrait faire, cela serait à tous les points de vue de faire des portraits de femmes et d’enfants. Seulement il me semble que ce ne sera pas moi qui ferai cela, je ne me sens pas un monsieur assez « Bel ami » pour cela. […]  

    Mais serais rudement content […] si en peinture il nous venait un homme à la Guy de Maupassant pour peindre gaiement les belles gens et choses d’ici. Pour moi, je travaillerai, et par-ci, par-là, il y aura de mon travail qui restera, mais ce que Claude Monet est dans le paysage, cela dans la figure peinte, qui est-ce qui fera cela ? Pourtant tu dois sentir comme moi que cela est dans l’air.

    Mais le peintre de l’avenir c’est un coloriste comme il n’y en a pas encore eu *. Manet l’a préparé, mais tu sais bien que les impressionnistes ont déjà fait de la couleur plus forte que celle de Manet.

    Ce peintre de l’avenir, je ne puis me le figurer vivant dans de petits restaurants, travaillant avec plusieurs fausses dents, et allant dans des bordels de zouaves comme moi.

    Mais il me semble être dans le juste, lorsque je sens que cela viendra dans une génération plus loin, et que pour nous, il faut faire ce que nos moyens nous permettent dans cette direction, sans douter et sans broncher. 

     

          * Vincent ne se doutait pas, à ce moment, que ce peintre de l’avenir «  un coloriste comme il n’y en pas encore eu » ce serait lui…

      

    Lettre à Théo – vers le 12 mai 1888

     

    J’ai deux nouvelles études : tu as un dessin déjà, d’une ferme au bord de la grande route dans les blés.

    Une prairie pleine de boutons d’or très jaune, un fossé avec des plantes d’iris aux feuilles vertes à fleurs violettes, dans le fond la ville, quelque saule gris, une bande de ciel bleu. »

     

    peinture,van gogh,arles

    Vincent Van Gogh – Arles, croquis d’une ferme dans un champ de blé, 1888

     

     Lettre à Théo – vers le 20 mai 1888

     

     Et voilà, si nous croyons à l’art nouveau, aux artistes de l’avenir, notre pressentiment ne nous trompe pas.

     Lorsque le bon père Corot * disait quelques jours avant sa mort : « J’ai vu cette nuit en songe des paysages avec des ciels tout roses », eh bien ne sont-ils pas venus ces ciels roses, et jaunes et verts par-dessus le marché, dans le paysage impressionniste ? Ceci pour dire qu’il y a des choses que l’on sent dans l’avenir et qui arrivent réellement.

      […] Cette « Espérance » * de Puvis de Chavannes est une telle réalité. Il y a dans l’avenir un art, et il doit être beau, et si jeune, que vrai si actuellement nous y laissons notre jeunesse à nous, nous ne pouvons qu’y gagner en sérénité.

     

            * Jean-Baptiste Corot, mort en 1875, peintre précurseur de l’impressionnisme, était très apprécié des peintres avant-gardistes.

           * Tableau d’une jeune fille assise sur un tertre, tenant un brin d’olivier. L’aube se lève au loin. La jeune fille symbolise une ère nouvelle pleine de promesse.

     

     Lettre à Emile Bernard – vers le 22 mai 1888

      

           Le peintre Emile Bernard était de 15 annnées plus jeune que Vincent. Très amis, ils s’étaient connus à Paris pendant l’hiver 1886. Vincent lui écrivait sur un ton familier, en utilisant souvent des expressions humoristiques et, parfois, de corps de garde, courantes entre vieux copains.

     

      Je viens de lire un livre – pas beau et pas bien écrit d’ailleurs – sur les « Iles Marquises », mais bien navrant lorsqu’il raconte l’extermination de toute une tribu d’indigènes – anthropophages dans ce sens que, disons une fois par mois, on mangeait un individu - qu’est ce que ça fait !

     Les blancs, très chrétiens, etc., pour mettre fin à cette barbarie (?) réellement peu féroce… n’ont pas trouvé mieux que d’exterminer et la tribu des indigènes anthropophages et la tribu avec laquelle la première guerroyait (pour se procurer ainsi, de part et d’autre, les prisonniers de guerre mangeables nécessaires).

     Ensuite, on a annexé les deux îles, qui sont devenus d’un lugubre !!! Ces races tatouées, ces nègres, ces indiens, tout, tout, tout disparaît ou se vicie.

     Et l’affreux blanc avec sa bouteille d’alcool, son porte-monnaie et sa vérole, quand donc l’aura-t-on assez vu ? L’affreux blanc avec son hypocrisie, son avarice et sa stérilité.

     Et ces sauvages étaient si doux et si amoureux ! 

     […]

     Les femmes de notre boulevard, d’habitude couchent seules la nuit, car elles tirent cinq ou six coups dans la journée ou le soir et très tard. C’est cet honorable carnivore, leur maquereau, qui vient les chercher et les reconduire, oui, mais il ne couche pas avec (que rarement). La femme, éreintée et défaite, se couche seule d’habitude et dort d’un sommeil de plomb. Mais avec deux ou trois lignes de refaites, cela y sera. 

     Qu’est ce que tu as peint maintenant ? J’ai fait, moi, une nature morte avec, une cafetière en fer émaillé bleu, une tasse et soucoupe bleu de roi, un pot au lait carrelé cobalt pâle et blanc, une tasse avec dessins orangés et bleus sur fond blanc, un pot en majolique bleu avec fleurs et feuillages verts, bruns, roses. Tout cela sur une nappe bleue sur un fond jaune. Avec ces poteries 2 oranges et trois citrons. C’est donc une variation de bleus, égayée par une série de jaunes qui vont jusqu’à l’orangé. 

     

    peinture,van gogh,arles

    Vincent Van Gogh – Arles, croquis nature morte avec pot de café, 1888

     

     

     

  • Genèse de l'impressionnisme

    18. Berthe Morisot – 1886, huitième et dernière exposition impressionniste

     

     

    peinture,  berthe morisot, impressionnisme,

    Edouard Manet – Portrait de Berthe Morisot étendue, 1873, musée Marmottan, Paris

     

     

          Ma longue étude sur la genèse de l’impressionnisme commencée le 22 octobre 2017 se termine par ce 18ème et dernier chapitre.

          En cette année 1886, les artistes ont vieilli, leur technique ainsi que leur vision sur la peinture ont évolué séparément, des dissensions se sont installées au sein du groupe. Des jeunes peintres de talent s’apprêtent déjà à prendre leur place…

        Cette huitième exposition sera la dernière du groupe des impressionnistes, et ne les verra pas tous réunis. Leur propre conception de l’art va les emmener sur des routes différentes.

     

     

         Lettre imaginaire de Berthe Morisot, peintre, à sa sœur Edma, au sujet de la dernière exposition des peintres impressionnistes de 1886 dont elle faisait partie. L’artiste aurait fort bien pu avoir écrit ce courrier rédigé sur un ton mélancolique…

     

     

    25 septembre 1886              (Berthe Morisot – peintre)

     

    Très chère Edma

     

         Je profite d’un moment de calme pour enfin t’écrire. Tu devais penser que je t’oubliais.

         Eugène fait la sieste. Il est très fatigué et tousse constamment. Notre été dans la villa que nous avions louée à Jersey s’est mal passé pour lui. Ce foutu climat anglo-normand…

         Je suis triste petite soeur. Je ne quitte plus le noir du deuil. Ces dernières années ont été bien cruelles pour la famille Manet. Comme tu le sais, en l’espace de trois ans, j’ai perdu ma belle-mère et mes deux beaux-frères, Edouard et son jeune frère Gustave. Je garde toujours une place secrète dans mon cœur pour Edouard Manet. Je lui dois tant ! Je ne cesse de me battre pour la réhabilitation de sa peinture. Un jour, ce grand artiste entrera au Louvre…

         Eugène, à son tour, est touché par la maladie. Ses dernières forces il les a utilisées pour m’aider à préparer notre exposition des « impressionnistes » qui s’est tenue avant notre départ pour Jersey du 15 mai au 15 juin dernier. Nous avions loué un local rue Laffitte, au-dessus du restaurant de La Maison Dorée. Dommage que tu ne sois pas venue… Enfin, cela va me permettre de te conter dans le détail ce qui s’y est passé.

        Comme le temps passe vite ! C’était la 8ème exposition de notre groupe. Te souviens-tu de notre première exposition il y a douze ans dans les locaux du photographe Nadar ? Jeunes fous, nous nous engagions dans un mouvement pictural qui n’avait pas de nom. Nous étions les peintres du plein air, de l’instant, de la lumière changeante et des émotions troubles. Aujourd’hui, nous sommes devenus officiellement des « impressionnistes » et notre peinture commence à être reconnue.

         Contrairement aux autres membres du groupe, je n’ai manqué aucune exposition malgré les critiques et les phrases ironiques. Aujourd’hui, je ne regrette pas cette aventure dans laquelle je m’étais engagée par goût et par défi. J’étais la seule femme et tous ces hommes m’impressionnaient. J’ai ouvert la voie car deux autres femmes m’ont rejointe à partir de 1879 : Marie Bracquemond que tu connais, la femme du graveur, et Mary Cassatt. Cette américaine est devenue une grande amie. Elle peint le plus souvent, comme moi, des portraits de femmes et d’enfants.

     

    peinture,cassatt, impressionnisme,

    Mary Cassatt – Un coin de loge, 1879, collection privée

     

    peinture,cassatt, impressionnisme

    Mary Cassatt – Un baiser pour le bébé, 1897, collection privée (je n'ai pu résister à rajouter ce superbe tableau)

     

         Tu me manques Edma ! Rappelle-toi ces journées où nous peignions côte à côte, unies dans un même amour de l’art. Maman nous envoyait des regards courroucés. Elle ne comprenait guère pourquoi ses filles ne s’intéressaient qu’à la pratique de la peinture. C’est si loin aujourd’hui…

          Quel désordre ma petite sœur ! Notre groupe d’artistes était sur le point de gagner. La critique se faisait molle. Nous étions devenus des frères et sœurs de pensée. Nous parlions le même langage. Devine… Aujourd’hui, nos amis sont en train de se disperser. Nous ne sommes plus capables de nous entendre. On se bagarre au sein de la même famille. Dissensions, divisions, règlements de comptes, jalousies… L’air devient irrespirable. Eugène et moi, passons notre temps à tenter de les réconcilier. En vain…

        Le résultat de ces chicanes est que les meilleurs d’entre nous n’ont pas voulu participer à notre exposition. Monet, Renoir, Sisley, Caillebotte étaient absents. Cézanne aussi, mais lui c’est un solitaire. Tu parles d’un vide ! Leur amour-propre ne supportait pas la présence de Gauguin toujours prêt, celui-là, à jouer les dictateurs.

         Le tempérament irascible de Degas n’a pas arrangé les choses. Ses colères étaient fréquentes. Tu connais l’admiration que je porte à son talent, son caractère entier, son intransigeance. C’est un homme terrible. Pourtant, avec moi il est adorable. Je bavarde et ris souvent avec lui. Lorsqu’il approuve une de mes toiles, je suis comblée. Chaque vision de ses danseuses pastellées m’enchante...

     

    peinture,impressionnisme,degas

    Edgar Degas – Danseuses, 1884, musée d’Orsay, Paris

    peinture,impressionnisme,degas

    Edgar Degas - Danseuse assise, 1879, musée de l’Hermitage, Saint Pétersbourg

     

        Je crains que cette 8ème exposition ne soit la dernière exposition des impressionnistes. Trop de pagaille et de désaccords…Tous ces hommes ont un caractère de cochon ! Les femmes n’ont pas ces emportements, ces entêtements et cette violence.

         Notre vieil ami Camille Pissarro, lui, est venu. Figure-toi qu’il a changé de style récemment. Il peint comme ces jeunes gens qui exposent avec nous cette année. Cherchait-il à se rajeunir ? Mon mari et Degas ne souhaitaient pas la présence de ces jeunes peintres. J’ai dû parlementer longtemps, soutenue par Pissarro, pour qu’ils consentent à accueillir ces peintres rebelles. Ils ont nom Georges Seurat, Paul Signac, Charles Angrand et quelques autres.

         Edma, il faut que je te parle de cette nouvelle façon de peindre. Ces gamins disent qu’ils veulent révolutionner l’impressionnisme. Ils n’ont peur de rien. On vient à peine d’arriver et ils veulent déjà prendre notre place !... Ils ont repris nos théories sur la lumière et la touche fragmentée mais, ce qui est curieux, cette touche est devenue chez eux… des points. Des points sur toute la toile posés l’un contre l’autre avec une grande minutie et une patience infinie. Du cousu main comme tes broderies !

        Le clou de l’exposition a été une très grande toile peinte par leur chef de file Georges Seurat : Un dimanche à la grande Jatte.

     

    peinture,impressionnisme,seurat,

    Georges Seurat – Un dimanche  après-midi à la Grande Jatte, 1886, Art Institute of Chicago

     

         L’île de la Grande Jatte est un lieu de loisir parisien au bord de la Seine. Ce tableau, qui se voulait un manifeste de cette nouvelle école, captait l’attention des critiques et du public. Imagine-toi une toile de 3 mètres sur 2 mètres couverte de minuscules points scientifiquement répartis. Les gens se bousculaient dans la petite salle. Ils se moquaient, parlaient de « pluie de confettis », de personnages raides ressemblant à des « poupées de bois ». Les critiques lançaient les mots « divisionnisme », « pointillisme ». Les quolibets montaient… C’était pire que lors de notre première exposition impressionniste en 1874 !

        Je vais t’amuser... J’ai lu cette semaine dans La Vogue un article publié par le critique Félix Fénéon au sujet de cette nouvelle école. Je ne peux résister à t’en donnerpeinture,,impressionnisme,seurat, quelques extraits. Il parle d’une « méthode néo-impressionniste ». Il tente de justifier les choix techniques de ces peintres en proposant de nombreuses descriptions très drôles de leur style : « versicolores gouttes », « tourbillonnantes cohues de menues macules », « fourmillement de paillettes prismatiques », « menues taches pullulantes ». Je t’en passe… Même Eugène, fatigué, s’est déridé à cette lecture.

         J’ai vu récemment Renoir. Il ne veut pas entendre parler de cette technique. « Ils s’essouffleront rapidement, m’a-t-il dit d’un ton péremptoire. »

      

          Et bien moi Edma, j’aime cette peinture !

        Je te décris brièvement le tableau de Seurat. Les personnages représentés sont de peinture,impressionnisme,seuratmilieux sociaux divers et sont venus sur l’île pour profiter d’une belle journée. Ils paraissent effectivement un peu figés. Mais l’essentiel n’est pas là… Les contrastes d’ombres et de lumières sont admirablement répartis. Les couleurs, soucieuses les unes des autres par le principe des complémentaires que tu connais bien, vibrent intensément. Il faut regarder le tableau à bonne distance pour que le mélange des tons s’effectue dans l’œil du spectateur. Lorsque notre rétine a effectué le travail de recomposition des couleurs, l’harmonie éclate. C’est lumineux !

         Dans le même style que Seurat, son ami Paul Signac est très doué. J’ai apprécié de lui un superbe paysage de neige à Paris ainsi que des modistes originales. Charles Angrand m’a réjouie également avec sa Seine, le matin envahie de brouillard. Tous ces garçons sont des adeptes du « pointillé » et me paraissent promis à un bel avenir.

     

     

    peinture,impressionnisme,signac

    Paul Signac : Boulevard de Clichy, la neige 1886, The Mineapolis Institute of Arts, Mineapolis     

     

         Ces jeunes gens sont également de joyeux lurons. Signac est passionné de canotage. Il possède une embarcation qu’il a appelé le « Hareng saur épileptique ». Certains jours, à l’exposition, il se déguisait en canotier avec chapeau en paille, maillot rayé, manches courtes et biceps saillants. Il venait vers moi et insistait avec forces gestes et paroles pour que je vienne barrer sa yole le lendemain matin sur la Seine. Tu sais, soeurette, que les barreuses sont très recherchées par les canotiers. J’acceptais devant le public amusé. Il faisait également le pitre devant Mary Cassatt qui faillit même, tordue de rire, faire tomber son délicieux tableau Jeune fille au jardin qu’elle s’apprêtait à accrocher. Ces hommes…

         Personnellement, j’ai exposé une dizaine d’œuvres cette année dont peinture,berthe morisot,impressionnisme,le jardin de Bougival et une jeune fille à son bain se coiffant.

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

      

    Berthe Morisot - Le bain, 1885, Sterling and Francine Clark Art Institute, Williamstown  

     

         Comme d’habitude, toutes les toiles présentées par ce vaurien de Degas me plaisaient. Ce vieux célibataire endurci est un coquin ! Il adore peindre les femmes. Toujours des femmes du peuple : blanchisseuses, modistes, lavandières, couturières. Il les peint dans des poses plutôt scabreuses… Il a exposé un pastel Le tub qui montre une femme accroupie se nettoyant le dos avec une éponge. La pudeur bourgeoise était choquée.

  • Van Gogh, l'étincellement

     

    peinture, van gogh, frédéric pajak, égyptomusée

     

         L’écrivain Frédéric Pajak a publié en 2016 une biographie sur Vincent Van Gogh. Une de plus me direz-vous, mais celle-ci présente de l’intérêt comme le mentionne Richard Lejeune – Blog ÉGYPTOMUSÉE qui l'a lue. Comme moi, il a également vu récemment l’émission sur ARTE « La Grande Librairie » dans laquelle l’écrivain était invité.

       Voici le message que j’ai reçu de Richard :

     

     

    Comme je te l'avais signalé, je me suis offert le dernier opus de Frédéric Pajak, « Manifeste incertain », volume 5, intitulé « Van Gogh, l'étincellement ». Parce que c'était Van Gogh, évidemment, mais aussi parce que c'était Pajak dont j'aime le concept d'associer le mot au dessin, tout en n'étant nullement une BD dans laquelle phylactères et images sont consubstantiels, les unes illustrant les autres. Ici, tout au contraire, concept totalement novateur au sein de ses 5 ouvrages, il y a volonté de mettre en parallèle deux langages artistiques différents qui ne se soutiennent pas mais s'accompagnent. En outre, son dessin monochrome constitué parfois de non négligeables plages de noir intensif me plaît beaucoup.

     

    En revanche, à la différence d'un précédent volume dédié au philosophe Walter Benjamin, ici, avec Van Gogh, je n'ai rien appris de neuf par rapport à ce que je connaissais déjà grâce à mes études, mes lectures et aussi à toi, bien évidemment, qui as remis beaucoup de choses en place dans mon esprit vieillissant.

     

    Sur Auvers, il consacre seulement une vingtaine de pages des 253 que comporte le livre ; sur la fin tragique de Vincent, il résume le texte d'Adeline Ravoux que tu nous as présenté tout dernièrement et sur la thèse de Steven Naifeh  et Gregory White Smith qu'aussi tu nous as proposée assortie de tes réfutations personnelles, seulement 16 lignes.

    Il ne prend pas parti : il cite, simplement. 

     

    Ce qui m'a paru très intéressant dans ce cinquième "Manifeste incertain", c'est dans le dernier chapitre intitulé "Vincent", (pp. 251-2), chapitre de seulement deux pages qu'il aurait pu nommer "conclusion", dans lequel il donne son propre ressenti, ce passage qu'il m'eût plu de te voir commenter si tu avais été invité l'autre jeudi pour ton Van Gogh à toi, « Que les blés sont beaux »,  à La Grande Librairie, de François Busnel : 

     

    "Vincent n'a pas peint des tableaux : il a peint des "études". Études, c'est-à-dire essais, tentatives de voir l'invisible. Car Vincent croyait en une réalité cachée dont le peintre serait le révélateur. Il se moquait d'être malhabile, d'être indigne des canons académiques que pourtant il admirait. Il ne savait pas dessiner, et peindre encore moins. Qu'importe : il fit de ses déficiences une arme, une arme qu'il a eu à cœur de toujours brandir. Malgré l'indifférence. Malgré l'animosité." 

     

     

     

     

         Une ligne, une seule, dans la conclusion de Frédéric Pajak m’a totalement interloqué :

         « Il se moquait d'être malhabile, d'être indigne des canons académiques que pourtant il admirait. Il ne savait pas dessiner, et peindre encore moins. »

         Comment pouvait-on dire cela ?

       Je repensais à ma dernière visite, il a quelques années, au Van Gogh Museum à Amsterdam.

       Ma première rencontre avec Van Gogh au musée d’Orsay n’avait pas été un franc succès. Etonnante Eglise d’Auvers difforme et grimaçante sous un ciel plombé ! Je ne détestais pas… ce style me déroutait. Trop de couleurs. Des touches hachurées posées en pâte épaisse. Une peinture directe, sans fioritures. Je ne percevais pas sa singularité. Moi, j’aimais les impressionnistes qui étaient finesse, subtilité, lumière. Lui était force et couleur.

         Ce jour là, j’étais venu au Van Gogh Museum pour tenter de trouver une explication car l’essentiel de l'œuvre de l'artiste se trouvait dans ce musée : à peine dix années de peinture de 1880 à 1890 et un nombre étonnant de toiles peintes par ce forçat de travail…

        Van Gogh m’avait bluffé ! Je n’avais rien compris à Paris… Assis sur la balustrade faisant face au dernier tableau de la collection : Champ de blé aux corbeaux, j’avais fixé, incrédule, les blés torturés de hachures orangées et ocres, verticales au premier plan, horizontales à l’horizon. Un chemin tortueux s’éclatait en trois branches agressives. Le ciel sombre, orageux, terrifiant, écrasait les blés. Un vol de corbeaux noirs donnait un aspect hallucinant à ce paysage de désolation.

         Les mains crispées sur la balustrade où j’étais assis, un visiteur, les yeux écarquillés rivés sur les blés, semblait atteint du même mal que moi.

    - C’est d’une tristesse ! dis-je à voix basse.

    - It’s wonderful… Isn’t it ?

    - Je n’ai jamais aimé les corbeaux. Ce sont des oiseaux de malheur…

    - What a worrying sky !

         Noyés dans notre rêve personnel, nous conversions inconsciemment dans deux langues différentes et nous nous comprenions… Le langage de l’art n’a pas de frontières…

         Je quittai la balustrade. Mon voisin continuait de parler… seul… Ses doigts crispés sur la balustrade tremblaient légèrement.

        Mon opinion était faite… Plus de doute, ce peintre était de la race des meilleurs ! Deux siècles après l’âge d’or hollandais, avec une technique complètement différente, son œuvre était du niveau d’un Rembrandt et même… pourquoi pas… de Vermeer ?

         Je saisissais à présent pourquoi les toiles de Van Gogh me dérangeaient autant à Paris. Cette technique toute en force maîtrisée donnait l’impression qu’un fauve s’était jeté sur la toile pour y planter ses griffes ? Ce Champ de blé aux corbeaux peint en juillet 1890 à Auvers-sur-Oise, sur une toile d’un format de 100 centimètres sur 50 centimètres, était un des derniers tableaux de l’artiste avant son geste désespéré.

         Tout au long du parcours dans le musée, j’avais vu des toiles étonnantes de fraîcheur (Branches d’amandier en fleurs, Le verger rose, Poirier en fleurs), des coloris somptueux (La mer près des Saintes-Marie-de-la-Mer, Bateaux de pêche sur la plage des Saintes-Maries, La moisson), de la poésie naïve (Promenade au bord de la seine, près d’Asnières), et puis des autoportraits étonnants (… en chapeau de paille, … en chapeau de feutre, … au chevalet), des vases de fleurs aux vives tonalités (Glaïeuls, Iris, Les tournesols).

         Une explosion de couleurs… En Arles, sous le soleil de Provence, le style si personnel de l’artiste s’était définitivement installé. Le passage éclair de Gauguin et la fameuse scène de l’oreille coupée, l’avaient perturbés, mais il avait continué sa route, seul, critiqué, incompris, mais… lui-même… unique.

         Un très grand peintre… Un génie…

         En quittant le musée, j’arborais le même regard ébloui que les autres visiteurs s’en allant à regret.

         Je crois que si Frédéric Pajak avait été avec moi ce jour là, il aurait changé la fin de sa biographie…

     

    « Je voudrais, tu vois, je suis loin de dire que je puisse faire tout cela mais enfin j'y tends, je voudrais faire des portraits qui un siècle plus tard aux gens d'alors apparussent comme des apparitions. » 

     

    peinture,van gogh,van gogh museum,

    Vincent Van Gogh - Bateaux de pêche sur la plage des Saintes-Maries, 1888, Van Gogh Museum, Amsterdam

     

    « Je cherche maintenant à exagérer l’essentiel, à laisser dans le vague exprès le banal…

    J’ai compris qu’il ne fallait pas dessiner une main, mais un geste, pas une tête parfaitement exacte mais l’expression profonde qui s’en dégage, comme celle d’un bêcheur reniflant le vent quand il se redresse fatigué… »

     

    peinture,van gogh,van gogh museum,

    Vincent Van Gogh – Le semeur, 1888, Van Gogh Museum, Amsterdam

     

     

  • Edgar Degas vu par Paul Valéry

     

     Degas, Valéry

    Edgar Degas – Autoportrait, 1858, Sterling and Francine Clark Institute or Art, Williamstown

     

    « Un personnage singulier, grand et sévère artiste, essentiellement volontaire, d’intelligence rare, vive, fine, inquiète, qui cachait sous l'absolu des opinions et la rigueur des jugements, je ne sais quel doute de soi-même et quel désespoir de se satisfaire » - Paul Valéry

     

         Paul Valéry ne pense pas trop de bien des biographies. Le livre « Degas Danse DegasDessin » écrit par l’écrivain est un long monologue intellectuel sur un peintre qui était mort depuis une vingtaine d’années lorsque le livre est publié en 1938 chez Gallimard, après une édition précédente par Amboise Vollard. Pour donner de l’épaisseur à l’ouvrage, l’éditeur a rajouté de nombreuses photos d’archives, parfois prises par le photographe qu’était Edgar Degas. Des tableaux en noir et blanc sans grand intérêt ne sont là qu’à titre d’informations : peut-on apprécier les magnifiques pastels de Degas sans la couleur ?

     

     

     

         Edgar Degas a 60 ans, l’écrivain 23 ans, lorsque le jeune homme se présente au 37 rue Victor Massé à Paris, demeure du peintre, dans les années 1893 ou 94.

         Difficile de faire un résumé plus précis et plus juste du personnage Degas :

         « Tous les vendredis, Degas, étincelant, insupportable, anime le dîner chez Henri Rouart. Il répand l’esprit, la terreur, la gaieté. Il perce, mime, il prodigue les boutades, les apologues, les maximes, les blagues. Il abîme les gens de lettre, l’Institut, les faux ermites, les artistes qui arrivent ; cite Saint-Simon, Proudhon, Racine et les sentences bizarres de Monsieur Ingres… Son hôte, qui l’adorait, l’écoutait avec une indulgence admirative, cependant que d’autres convives, jeunes gens, vieux généraux, dames muettes, jouissaient diversement des exercices d’ironie, d’esthétique ou de violence du merveilleux faiseur de mots. »

     

      

         Sans être un biographe ni un spécialiste de l’art pictural, Paul Valéry, de part son intimité avec l’artiste jusqu’à sa mort en 1917, permet aux lecteurs, à travers de nombreuses anecdotes et réflexions personnelles, de découvrir et connaître l’homme Degas, ses relations, ses conceptions sur l’art, ses techniques de travail, ses thèmes favoris.

     

    degas

    Edgar Degas – La répétition sur scène, 1874, The Metropolitan Museum of Art, New York

     

         Le peintre des danseuses : Degas aimait se glisser dans les coulisses de l’opéra pour les croquer en mouvement. Il les traquait, les capturait, les modelait.


    degas   

     

         La grâce de sa « Petite danseuse de quatorze ans » ne cesse de nous enchanter.

     

     

     

     

     

     

     

     

    Edgar Degas –La petite danseuse de quatorze ans, 1880, musée d'Orsay, Paris 

     

         Paul Valéry nous offre dans un texte une merveilleuse comparaison érotique de danseuse :

    degas,valéry« Jamais danseuse humaine, femme échauffée, ivre de mouvement du poison de ses forces excédées, de la présence ardente de regards chargés de désir, n’exprima l’offrande impérieuse du sexe, l’appel mimique du besoin de prostitution, comme cette grande Méduse, qui, par saccades ondulatoires de son flot de jupes festonnées, qu’elle trousse et retrousse avec une étrange et impudique insistance, se transforme en Éros ; et tout à coup, rejetant tous ses falbalas vibratiles, ses robes de lèvres découpées, se renverse et s’expose, furieusement ouverte. »

     

         Le peintre aimait aussi représenter les femmes du peuple et leurs mimiques dans leur activités quotidiennes : modistes, repasseuses, blanchisseuses, femmes aux terrasses des cafés ou occupées à leur toilette.

    degas

    Edgar Degas -  Après le bain,1899, musée d'Orsay, Paris

     

         « Le cheval marche sur les pointes. Nul animal ne tient de la première danseuse, de l’étoile du corps de ballet, comme un pur-sang en parfait équilibre. »

    La recherche des formes poussait Degas vers les champs de course où, comme pour les danseuses, il ne cessait de reproduire les mouvements des chevaux.

     

    degas

    Edgar Degas - Avant la course, 1882, Sterling and Francine Clark Institute, Williamstown

     

         Admirateur de la ligne et du dessin d’Ingres, Degas se sentait totalement étranger aux tentatives de ses confrères et amis impressionnistes de jeter des impressions sur la toile et recueillir la vibration de l’éphémère. Paul Valéry considérait également que l’abus du paysage menait à la diminution de la partie intellectuelle de l’art, en éloignant le peintre moderne des anciens idéaux sur l’art pictural.

     

        Degas a laissé une vingtaine de remarquables sonnets. Le travail du poète lui paraissait comparable au travail du dessinateur tel qu’il le concevait. « Quel métier ! criait Degas, j’ai perdu toute ma journée sur un sacré sonnet, sans avancer d’un pas… Et cependant, ce ne sont pas les idées qui me manquent… J’en ai trop… » Le poète Stéphane Mallarmé dinant avec lui chez Berthe Morisot lui répondit : « Mais, Degas, ce n’est point avec des idées que l’on fait des vers… c’est avec des mots. » Il aurait pu faire un poète remarquable pensait Valéry.

     

         Des souvenirs d’Ernest Rouard, fils d’Henri Rouard sont divertissants sur la manie du peintre lorsqu’il retrouvait une de ses œuvres anciennes : il voulait la remanier, et, souvent, la reprenait et l’on ne la revoyait pas, ou même, parfois, il la détruisait.

    « Il avait un amour de la gravure où il s’amusait fort. Là aussi, il avait imaginé certains procédés dont il aurait certainement tiré un parti extraordinaire si on l’avait encouragé dans cette voie.

    degas

    Edgar Degas - Mademoiselle Bécat au café, 1885 (pastel sur lithographie), The Morgan Library and Museum

     

         Degas était fou de photographie, que ce soit pour des chevaux sur le champ de courses, ou pour ses amis qui enduraient le supplice pour des poses longues. Auprès d’un grand miroir, on y voit Mallarmé appuyé au mur, Renoir sur un divan assis en face. Dans le miroir, à l’état de fantômes, Degas et l’appareil, madame et mademoiselle Mallarmé se devinent. Neuf lampes à pétrole, un terrible quart d’heure d’immobilité pour les sujets, furent les conditions de cette manière de chef-d’œuvre. J’ai là le plus beau portrait de Mallarmé que j’aie vu : il dut, pendant quantité de séances, poser presque collé à un poêle et grillant sans oser se plaindre. Le résultat valut ce martyre. Rien de plus délicat, de plus spirituellement ressemblant que ce portrait.

     

    degas

    Edgar Degas – Photographie D'auguste Renoir et Stéphane Mallarmé, 1895

     

         Une dernière réflexion de Paul Valéry après la mort de son grand ami qui s’éteignit en 1917 pratiquement aveugle correspond bien à ce qu’était ce grand artiste :

    « Degas s’est toujours senti seul, et l’a été dans tous les modes de la solitude. Seul par le caractère ; seul par la probité ; seul par l’orgueil de sa rigueur, par l’inflexibilité de ses principes et de ses jugements ; seul par son art, par ce qu’il exigeait de soi. »

     

     

  • Je sais poser, monsieur Monet, je m’appelle Camille…

     

    MONET Claude - Déjeuner sur l’herbe, 1865, musée d'Orsay, Paris

     

     

         Il fait chaud en cet été 1865. Claude Monet est installé à l’ombre des feuillages en lisière de la forêt de Fontainebleau, à Chailly non loin du petit village de Barbizon. Un ruban de ciel éclaire le chemin en diagonal, lui donnant une sensation de profondeur. L’artiste étudie le contraste offert par les verts et bruns des arbres que cette coulée de lumière azurée renforce.

         Il la voit arriver de loin. Elle s’avance vers lui sans hésiter.

         - Vous êtes monsieur Monet ? Un de vos amis de l’atelier Gleyre m’a fait savoir que vous cherchiez un modèle pour un tableau de plein air. « Avec ce beau temps, allez au pavé de Chailly, il y sera, m’a-t-il dit ! »

         - Vous êtes modèle ?

        - Oui, monsieur ! Je suis arrivée récemment de Lyon avec ma famille. Mon physique plait aux peintres… Et puis j’aime ça !

         La jeune femme se tourne vers la toile que l’artiste peint.

         - C’est beau ce que vous faites ! Moins sombre que vos amis. Quelle clarté !

         Elle parlait d’une petite voie d’adolescente. Pendant qu’elle examinait le tableau, le regard de Claude Monet s’attardait sur elle. Elle était ravissante avec ses cheveux bruns relevés en chignon, la taille bien prise, un nez droit planté dans un visage à l’ovale parfait et une bouche fine qui s’ourlait discrètement de carmin. Charmante, pensa-t-il !

         - Je cherche des modèles pour un projet de composition à plusieurs personnages grandeur nature pique-niquant dans la forêt. L’esquisse de la toile est bien entamée mais il me manque un personnage féminin. Je souhaite m’inscrire pour le Salon en mars de l’année prochaine… mais je crois que j’ai vu trop grand… J’en deviens fou !

         Cheveux longs tirés en arrière, le peintre approchait de ses 25 ans. La demoiselle lui paraissait bien jeune. Il remballa son matériel.

         - Si vous êtes libre demain matin, venez à l’atelier que je partage avec mon ami peintre Frédéric Bazille, rue Fürstenberg à Paris. Nous ferons quelques essais de pose.

         - Je viendrai. Je serais heureuse d’être votre modèle monsieur Monet. Je n’ai que 18 ans mais je sais poser. Je m’appelle Camille.

         Monet trouvait les yeux de la jeune fille magnifiques. Ceux-ci s’éclairaient de reflets verts dorés lorsque le soleil s’y mirait. 

     

         Pour Camille, les séances de pose allaient commencer dans les jours qui suivirent leur première encontre.

         Monet travaillait pour le Déjeuner sur l’herbe, une œuvre immense de 27 m2. Les amis de l’atelier Gleyre, Renoir et Sisley, ne souhaitant pas servir de modèle, le grand Bazille parti en province fut sommé d’accourir par Monet afin de poser pour certaines figures.

     

     

    peinture,monet,impressionnisme,camille 

    Claude Monet – Déjeuner sur l’herbe, fragment central, 1865, musée d’Orsay, Paris

     

         Courbet venu voir le travail émit, comme toujours, quelques critiques : « Cela manque de peinture,monet,impressionnisme,camillenus, mon ami. Copiez le scandaleux Manet ! ». Néanmoins, il propose de poser : « Je serai le personnage de gauche avec une moustache en pointe, dit-il avec son fort accent franc-comtois ».

         Boudin, grand ami du peintre, de passage, est admiratif en voyant l'importance de l'œuvre et s’exclame : « Cette énorme tartine va te coûter les yeux de la tête ! ».

         Camille est représentée plusieurs fois au côté de la haute silhouette déhanchée de Frédéric Bazille en chapeau melon qui remplit toute la hauteur de la composition : dans la partie centrale de la toile, elle est la femme en robe de toile bleue cachant son visage par un mouvement des bras pour retirer son chapeau. A gauche de la toile, elle pose en robe mexicaine grise à ceinture rouge, jupons et festons assortis.

     

     

     

     

     

     

     

     

    Claude Monet – Déjeuner sur l’herbe, fragment de gauche, 1865, musée d’Orsay, Paris

     

         Monet, satisfait de son nouveau modèle, la peint également dans une étude plus petite en robe grise ornée de broderies noires, coiffée d’un chapeau de la même teinte que la robe.

    peinture,monet,impressionnisme,camille

    Claude Monet – Les promeneurs, 1865, National Gallery of Art, Washington

     

     

         Le tableau, par ses effets lumineux nouveaux, l’utilisation de couleurs pures, est un enchantement pour l’œil. Malheureusement, le projet est trop imposant et la date d’inscription au Salon de 1866 trop proche pour être prêt dans les délais. A contrecoeur, au début de l’année, l’artiste renonce à terminer la toile.

        L’allure et la grâce de son nouveau modèle, Camille, lui ont plu. Il souhaite présenter au salon un portrait de femme élégante et demande l’aide de la jeune femme, ce qu’elle accepte dans un sourire.

         Elle apprécie la peinture de ce jeune artiste. Et sa présence…