13. Auguste Renoir – Ma période impressionniste : 6. La danse
JE SOUHAITE DÉDIER CET ARTICLE À MON AMIE LORRAINE ICI QUI NOUS A QUITTÉ HIER MATIN.
CETTE GRANDE POÉTESSE AIMAIT PROFONDÉMENT LES PEINTRES IMPRESSIONNISTES. LE 22 OCTOBRE 2017 SON DERNIER COMMENTAIRE ME DISAIT : « MONET OU RENOIR ME METTENT LE CŒUR À LEUR CADENCE ».
JE PENSE QUE LORRAINE M'AURAIT PERMIS D’ILLUSTRER LA TOILE DE RENOIR « DANSE À LA VILLE », À LA FIN DE CET ARTICLE, PAR SON BEAU POÈME DE FÉVRIER 2010 QUI ÉTAIT ACCOMPAGNÉ DE CE MÊME TABLEAU.
AU REVOIR LORRAINE ET MERCI
Auguste Renoir – Danse à Bougival, 1883, Museum of arts, Boston
En 1883, Renoir peindra trois panneaux de même format sur le thème de la danse qui comptent parmi ses plus belles œuvres. Son ami Paul Lhôte semble être le danseur masculin des trois toiles. Aline Charigot, compagne du peintre, posera uniquement pour « La danse à la campagne ». Suzanne Valadon, modèle et peintre, mère de Maurice Utrillo, posera pour les deux autres « La danse à Bougival » ci-dessus et « La danse à la ville » à la fin de l’article.
Je réédite cette nouvelle qui permet de réunir les trois toiles. Ces œuvres font partie des plus connues de l’artiste dans le monde entier.
Ce sera le dernier article consacré à Pierre-Auguste-Renoir de ma série consacrée à la genèse de l’impressionnisme.
La guinguette se nichait, à l’abri des regards, dans un bois d’acacias proche de l’eau. Des tables étaient disséminées sous les arbres. Sur un large espace aménagé au centre, quelques danseurs tournaient lentement. Un jeune serveur nous guida vers une table éloignée. Il y avait encore peu de monde. Je remarquai que l’orchestre était composé d’un piano, d’un violon tenu par une jeune femme un peu triste, et d’un piston. Les trois musiciens, habillés de maillots rayés à manches, façon canotier, jouaient une valse molle.
- Je vous conseille le cidre fabriqué dans la région. Il est un peu aigre mais, bien frais, il est agréable à boire, dit Alice en s’asseyant.
Nous commandâmes du cidre. C’est Alice qui avait insisté pour que je vienne malgré mes refus répétés. Je dansais si mal. Rose, son amie, l’accompagnait. Elles étaient journalières toutes les deux et travaillaient dans des fermes voisines. Elles venaient tous les jeudis dans cette guinguette des bords de l’Oise. La musique leur faisait oublier la dureté de leur condition.
Je surmontai ma timidité et lançai un regard malicieux à Rose.
- Alice m’avait dit que vous étiez jolie ! C’est mieux que cela… Ce prénom vous va à ravir ! Une rose fraîchement éclose qui ne demande qu’à s’épanouir… Allez-vous ouvrir vos pétales pour nous ce soir, charmante demoiselle ?
- Je n’ouvre pas mes pétales au premier venu, répondit-elle d’un ton sec. Et n’oubliez pas, monsieur, que la rose a des piquants. Et les miens peuvent parfois laisser des traces profondes.
Mon humour lui déplaisait. J’adressai une grimace à Alice.
La guinguette se remplissait. Les consommateurs s’interpellaient de table en table. Toute la jeunesse des environs venait se divertir ici : des ouvriers, des employés des chemins de fer, des artisans et beaucoup de cultivateurs que l’on reconnaissait à leur peau tannée. Une tablée se mit à taper violemment sur la table en hurlant : « Une polka… une polka… une polka… »
Le rythme de la musique augmenta. Rose posa sa main sur mon bras.
- On y va, monsieur ? Montrez-moi ce que vous savez faire !
Elle sentit la crispation qui montait dans mon bras. Je ne connaissais pas le moindre pas de cette danse. Alice avait dû renseigner son amie de mes appréhensions. Elle voulait me tester.
- Ne craignez rien ! La polka est facile ! Tout le monde apprécie cette danse pleine d’entrain.
Elle m’entraîna derrière elle sans me laisser le temps de réfléchir.
- Je vous montre d’abord ! Vous lancez votre pied droit en avant, suivez ensuite par deux pas saccadés du pied gauche marqué par un double appel du talon, et vous repartez en tournant rapidement.
La jeune femme décomposa le mouvement plusieurs fois pour que je m’en imprègne. Elle dirigea ensuite ma main droite sur ses hanches, m’attrapa par le cou et serra fermement ma main libre.
- Allez-y ! Répétez le geste plusieurs fois… lentement. Je vous suis en imprimant la bonne cadence.
Je la laissais diriger la manœuvre. Je ne possédais aucune souplesse et cela se voyait. Elle me tirait, tournait, accentuait le pas exprès. Je n’arrivais pas à sautiller au même rythme que cette musique trop rapide pour moi. Plusieurs fois, en tentant de virer sur un appel de pied mal engagé, j’accrochai la pointe des chaussures de Rose qui eut un rictus d’agacement. Le souvenir de ma première danse à 15 ans dans ce bal de village, me revint en mémoire. Mon sabot avait failli casser le tibia de la malheureuse jeune paysanne qui était devant moi. J’en avais encore honte aujourd’hui.
- Si vous continuez à ne pas suivre mes conseils, je vous laisse tomber, monsieur ! Détendez-vous ! Vous connaissez le pas maintenant. Et bien, laissez-vous aller, vos jambes suivront naturellement le rythme de l’orchestre !
Progressivement, je finis par me laisser gagner par la gaîté et la vigueur de la musique. Je sentais la chaleur du corps de Rose près du mien. Je serrai ses hanches un peu plus fort tout en évitant de penser à mes pas. Son regard ne lâchait pas le mien et me donnait confiance. J’étais bien contre elle. Mes jambes devinrent moins raides, plus dociles. J’appréciais le plaisir, nouveau pour moi, de tourner avec une femme. La musique s’accéléra. Emporté dans l’ambiance, j’arrivais à suivre le rythme endiablé.
L’orchestre s’arrêta. Les danseurs essoufflés retournèrent à leurs tables. J’étais en eau. Rose était aussi fraîche qu’une fleur cueillie du matin. Elle me regarda, satisfaite de son nouvel élève.
- Vous voyez, monsieur, il suffisait de suivre la musique !
Elle tourna son joli nez pointu vers un convive installé à une autre table et lui envoya des signes amicaux.
Auguste Renoir – La danse à la campagne, 1883, musée d’Orsay, Paris
La violoniste et le pianiste attaquèrent une valse. Je ne m’étais pas trop mal tiré de la polka, mais la valse ce n’était pas pour moi. Cela tournait trop. Et puis, les valseurs dégageaient une grâce que je n’avais pas.
Rose vida son verre de cidre et s’apprêtait, faute de cavalier, à valser avec Alice, lorsqu’un homme élégant, en costume sombre et canotier, la barbe bien taillée, s’approcha de notre table. Il était brun, beau garçon, les traits plus fins que les gars de la région. Il sourit à Rose.
- Vous m’accordez cette valse, mademoiselle ?
- Euh… Oui… dit-elle, surprise.
Elle se leva, intimidée par la prestance de l’homme. Il lui prit la main et elle le suivit vers le centre de la piste.
L’homme était un bon danseur. Le couple tournait lentement en décomposant le mouvement avec élégance. Les pas s’emboîtaient sans à coup. Rose avait gardé son éventail dans la main droite. Le garçon lui tenait la main très haute en l’air, son autre main lui enveloppant le dos pour la maintenir contre lui. La jeune femme agrippait l’épaule du garçon et se laissait emporter, les yeux fermés. Sa capeline rouge accrochée à son cou par un ruban jetait des reflets chauds sur ses joues. Sa robe blanche pailletée de fleurs roses, collée contre le costume bleu foncé de son cavalier, envoyait des reflets argentés.
La violoniste haussa le rythme de la valse, ce qui eut pour effet d’éliminer les plus mauvais danseurs qui retournèrent s’asseoir. Ils allaient de plus en plus vite, le corps bien droit, lovés l’un contre l’autre, ne formant plus qu’un. Les pieds serrés tourbillonnaient, leur donnant l’apparence d’une toupie humaine incontrôlable. Ils volaient littéralement, sans presque toucher le sol. On ne voyait plus qu’eux, voltigeant indéfiniment. C’était un couple superbe. La valse les emportait dans un univers de solitude. Le canotier de l’homme roula sur le sol. Tout le monde les regardait. Lorsque l’orchestre s’arrêta de jouer, j’applaudis spontanément.
Ils revinrent s’asseoir à notre table. Les pommettes colorées de Rose avaient viré au rouge bonbon.
- Vous avez été magnifiques, dis-je, excité par ce spectacle somptueux ! Lorsqu’elle atteint un tel niveau la danse est un art. Je vous envie. Vous voguiez sur une autre planète.
L’homme, inconsciemment, tenait encore la main de Rose dans la sienne. Leur osmose avait été si grande qu’ils ne s’étaient pas séparés. Ils refirent surface progressivement, déçus de ne pouvoir rester dans ces nuages qui leur appartenaient. Il lâcha la main de la jeune femme et se leva pour appeler le serveur. Il commanda la fameuse friture de goujons de la maison avec un vin de chablis sec. Il m’apostropha :
- Vous n’avez pas été tenté par la valse, monsieur ? Dommage pour vous… Votre amie est une merveilleuse partenaire. Elle est d’une telle légèreté… Ce ne sont pas des pieds qui la portent, mais des ailes…
Le serveur déboucha la bouteille. Le vin avait une belle couleur dorée. La friture, croustillante juste comme il faut, accompagnée de tranches de pain bis recouvertes du beurre de la région, était un régal. Le sourire béat de Rose indiquait qu’elle planait encore dans une atmosphère irréelle. Je lui servis un verre de vin blanc dont elle but une gorgée.
- Je m’appelle Rose, lança-t-elle au garçon qui la regardait avec tendresse…
Auguste Renoir – Danse à la ville, 1883, musée d’Orsay, Paris
AVEU
Poème écrit par Lorraine, le mercredi 10 février 2010
Je ne vous dirai pas ce que j’aurais du dire
En ce soir de gaîté où vous vîntes vers moi
Vous m’avez invitée, la danse en son délire
M’a plus que de raison enserrée dans vos bras
En ce soir de gaîté où vous vîntes vers moi
Vous étiez un ami avec qui j’aimais rire
L’imperceptible émoi, le son de votre voix
M’ont soudain alertée . En vos yeux je pus lire…
Vous étiez un ami avec qui j’aimais rire
Mais c’était un amour qui enlaçait sa proie
La valse m’emportait. Avant qu’elle n’expire
L’étrange envoûtement m’enveloppait, sournois
C’était donc un amour qui enlaçait sa proie
Je m’enfuis de la valse avant qu’elle n’expire
L’étrange envoûtement s’évaporait, sournois
Vous ne saurez jamais ce que j’aurais pu dire…