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Rechercher : un pastelliste heureux

  • Genèse de l'impressionnisme

    13. Auguste Renoir – Ma période impressionniste : 6. La danse

     

     

     

     

    JE SOUHAITE DÉDIER CET ARTICLE À MON AMIE LORRAINE ICI QUI NOUS A QUITTÉ HIER MATIN.

    CETTE GRANDE POÉTESSE AIMAIT PROFONDÉMENT LES PEINTRES IMPRESSIONNISTES. LE 22 OCTOBRE 2017 SON DERNIER COMMENTAIRE ME DISAIT : « MONET OU RENOIR ME METTENT LE CŒUR À LEUR CADENCE ».

    JE PENSE QUE LORRAINE M'AURAIT PERMIS D’ILLUSTRER LA TOILE DE RENOIR « DANSE À LA VILLE », À LA FIN DE CET ARTICLE, PAR SON BEAU POÈME DE FÉVRIER 2010 QUI ÉTAIT ACCOMPAGNÉ DE CE MÊME TABLEAU.

    AU REVOIR LORRAINE ET MERCI

     

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    Auguste Renoir – Danse à Bougival, 1883, Museum of arts, Boston

     

         En 1883, Renoir peindra trois panneaux de même format sur le thème de la danse qui comptent parmi ses plus belles œuvres. Son ami Paul Lhôte semble être le danseur masculin des trois toiles. Aline Charigot, compagne du peintre, posera uniquement pour « La danse à la campagne ». Suzanne Valadon, modèle et peintre, mère de Maurice Utrillo, posera pour les deux autres « La danse à Bougival » ci-dessus et  « La danse à la ville » à la fin de l’article.

        Je réédite cette nouvelle qui permet de réunir les trois toiles. Ces œuvres font partie des plus connues de l’artiste dans le monde entier.

         Ce sera le dernier article consacré à Pierre-Auguste-Renoir de ma série consacrée à la genèse de l’impressionnisme.

     

     

     

         La guinguette se nichait, à l’abri des regards, dans un bois d’acacias proche de l’eau. Des tables étaient disséminées sous les arbres. Sur un large espace aménagé au centre, quelques danseurs tournaient lentement. Un jeune serveur nous guida vers une table éloignée. Il y avait encore peu de monde. Je remarquai que l’orchestre était composé d’un piano, d’un violon tenu par une jeune femme un peu triste, et d’un piston. Les trois musiciens, habillés de maillots rayés à manches, façon canotier, jouaient une valse molle.

        - Je vous conseille le cidre fabriqué dans la région. Il est un peu aigre mais, bien frais, il est agréable à boire, dit Alice en s’asseyant.

        Nous commandâmes du cidre. C’est Alice qui avait insisté pour que je vienne malgré mes refus répétés. Je dansais si mal. Rose, son amie, l’accompagnait. Elles étaient journalières toutes les deux et travaillaient dans des fermes voisines. Elles venaient tous les jeudis dans cette guinguette des bords de l’Oise. La musique leur faisait oublier la dureté de leur condition.

         Je surmontai ma timidité et lançai un regard malicieux à Rose.

         - Alice m’avait dit que vous étiez jolie ! C’est mieux que cela… Ce prénom vous va à ravir ! Une rose fraîchement éclose qui ne demande qu’à s’épanouir… Allez-vous ouvrir vos pétales pour nous ce soir, charmante demoiselle ?

       - Je n’ouvre pas mes pétales au premier venu, répondit-elle d’un ton sec. Et n’oubliez pas, monsieur, que la rose a des piquants. Et les miens peuvent parfois laisser des traces profondes.

         Mon humour lui déplaisait. J’adressai une grimace à Alice.

        La guinguette se remplissait. Les consommateurs s’interpellaient de table en table. Toute la jeunesse des environs venait se divertir ici : des ouvriers, des employés des chemins de fer, des artisans et beaucoup de cultivateurs que l’on reconnaissait à leur peau tannée. Une tablée se mit à taper violemment sur la table en hurlant : « Une polka… une polka… une polka… »

         Le rythme de la musique augmenta. Rose posa sa main sur mon bras.

         - On y va, monsieur ? Montrez-moi ce que vous savez faire !

       Elle sentit la crispation qui montait dans mon bras. Je ne connaissais pas le moindre pas de cette danse. Alice avait dû renseigner son amie de mes appréhensions. Elle voulait me tester.

        - Ne craignez rien ! La polka est facile ! Tout le monde apprécie cette danse pleine d’entrain.

         Elle m’entraîna derrière elle sans me laisser le temps de réfléchir.

         - Je vous montre d’abord ! Vous lancez votre pied droit en avant, suivez ensuite par deux pas saccadés du pied gauche marqué par un double appel du talon, et vous repartez en tournant rapidement.

       La jeune femme décomposa le mouvement plusieurs fois pour que je m’en imprègne. Elle dirigea ensuite ma main droite sur ses hanches, m’attrapa par le cou et serra fermement ma main libre.

         - Allez-y ! Répétez le geste plusieurs fois… lentement. Je vous suis en imprimant la bonne cadence.

        Je la laissais diriger la manœuvre. Je ne possédais aucune souplesse et cela se voyait. Elle me tirait, tournait, accentuait le pas exprès. Je n’arrivais pas à sautiller au même rythme que cette musique trop rapide pour moi. Plusieurs fois, en tentant de virer sur un appel de pied mal engagé, j’accrochai la pointe des chaussures de Rose qui eut un rictus d’agacement. Le souvenir de ma première danse à 15 ans dans ce bal de village, me revint en mémoire. Mon sabot avait failli casser le tibia de la malheureuse jeune paysanne qui était devant moi. J’en avais encore honte aujourd’hui.

         - Si vous continuez à ne pas suivre mes conseils, je vous laisse tomber, monsieur ! Détendez-vous ! Vous connaissez le pas maintenant. Et bien, laissez-vous aller, vos jambes suivront naturellement le rythme de l’orchestre !

        Progressivement, je finis par me laisser gagner par la gaîté et la vigueur de la musique. Je sentais la chaleur du corps de Rose près du mien. Je serrai ses hanches un peu plus fort tout en évitant de penser à mes pas. Son regard ne lâchait pas le mien et me donnait confiance. J’étais bien contre elle. Mes jambes devinrent moins raides, plus dociles. J’appréciais le plaisir, nouveau pour moi, de tourner avec une femme. La musique s’accéléra. Emporté dans l’ambiance, j’arrivais à suivre le rythme endiablé.

         L’orchestre s’arrêta. Les danseurs essoufflés retournèrent à leurs tables. J’étais en eau. Rose était aussi fraîche qu’une fleur cueillie du matin. Elle me regarda, satisfaite de son nouvel élève.

         - Vous voyez, monsieur, il suffisait de suivre la musique !

       Elle tourna son joli nez pointu vers un convive installé à une autre table et lui envoya des signes amicaux.

     

     

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    Auguste Renoir – La danse à la campagne, 1883, musée d’Orsay, Paris

     

         La violoniste et le pianiste attaquèrent une valse. Je ne m’étais pas trop mal tiré de la polka, mais la valse ce n’était pas pour moi. Cela tournait trop. Et puis, les valseurs dégageaient une grâce que je n’avais pas.

        Rose vida son verre de cidre et s’apprêtait, faute de cavalier, à valser avec Alice, lorsqu’un homme élégant, en costume sombre et canotier, la barbe bien taillée, s’approcha de notre table. Il était brun, beau garçon, les traits plus fins que les gars de la région. Il sourit à Rose.

         - Vous m’accordez cette valse, mademoiselle ?

         - Euh… Oui… dit-elle, surprise.

         Elle se leva, intimidée par la prestance de l’homme. Il lui prit la main et elle le suivit vers le centre de la piste.

        L’homme était un bon danseur. Le couple tournait lentement en décomposant le mouvement avec élégance. Les pas s’emboîtaient sans à coup. Rose avait gardé son éventail dans la main droite. Le garçon lui tenait la main très haute en l’air, son autre main lui enveloppant le dos pour la maintenir contre lui. La jeune femme agrippait l’épaule du garçon et se laissait emporter, les yeux fermés. Sa capeline rouge accrochée à son cou par un ruban jetait des reflets chauds sur ses joues. Sa robe blanche pailletée de fleurs roses, collée contre le costume bleu foncé de son cavalier, envoyait des reflets argentés.

         La violoniste haussa le rythme de la valse, ce qui eut pour effet d’éliminer les plus mauvais danseurs qui retournèrent s’asseoir. Ils allaient de plus en plus vite, le corps bien droit, lovés l’un contre l’autre, ne formant plus qu’un. Les pieds serrés tourbillonnaient, leur donnant l’apparence d’une toupie humaine incontrôlable. Ils volaient littéralement, sans presque toucher le sol. On ne voyait plus qu’eux, voltigeant indéfiniment. C’était un couple superbe. La valse les emportait dans un univers de solitude. Le canotier de l’homme roula sur le sol. Tout le monde les regardait. Lorsque l’orchestre s’arrêta de jouer, j’applaudis spontanément.

         Ils revinrent s’asseoir à notre table. Les pommettes colorées de Rose avaient viré au rouge bonbon.

         - Vous avez été magnifiques, dis-je, excité par ce spectacle somptueux ! Lorsqu’elle atteint un tel niveau la danse est un art. Je vous envie. Vous voguiez sur une autre planète.

        L’homme, inconsciemment, tenait encore la main de Rose dans la sienne. Leur osmose avait été si grande qu’ils ne s’étaient pas séparés. Ils refirent surface progressivement, déçus de ne pouvoir rester dans ces nuages qui leur appartenaient. Il lâcha la main de la jeune femme et se leva pour appeler le serveur. Il commanda la fameuse friture de goujons de la maison avec un vin de chablis sec. Il m’apostropha :

         - Vous n’avez pas été tenté par la valse, monsieur ? Dommage pour vous… Votre amie est une merveilleuse partenaire. Elle est d’une telle légèreté… Ce ne sont pas des pieds qui la portent, mais des ailes…

         Le serveur déboucha la bouteille. Le vin avait une belle couleur dorée. La friture, croustillante juste comme il faut, accompagnée de tranches de pain bis recouvertes du beurre de la région, était un régal. Le sourire béat de Rose indiquait qu’elle planait encore dans une atmosphère irréelle. Je lui servis un verre de vin blanc dont elle but une gorgée.

         - Je m’appelle Rose, lança-t-elle au garçon qui la regardait avec tendresse…

                                                                                                        

                          

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    Auguste Renoir – Danse à la ville, 1883, musée d’Orsay, Paris

     

     

    AVEU

    Poème écrit par Lorraine, le mercredi 10 février 2010

     

     

    Je ne vous dirai pas ce que j’aurais du dire

    En ce soir de gaîté où vous vîntes vers moi

    Vous m’avez invitée, la danse en son délire

    M’a plus que de raison enserrée dans vos bras

     

    En ce soir de gaîté où vous vîntes vers moi

    Vous étiez un ami avec qui j’aimais rire

    L’imperceptible émoi, le son de votre voix

    M’ont soudain alertée . En vos yeux je pus lire…

     

    Vous étiez un ami avec qui j’aimais rire

    Mais c’était un amour qui enlaçait sa proie

    La valse m’emportait. Avant qu’elle n’expire

    L’étrange envoûtement m’enveloppait, sournois

     

    C’était donc un amour qui enlaçait sa proie

    Je m’enfuis de la valse avant qu’elle n’expire

    L’étrange envoûtement s’évaporait, sournois

    Vous ne saurez jamais ce que j’aurais pu dire…

     

     

  • Courbet, le maître d'Ornans

     

    Projet

     

     

    peinture, Courbet, Ornans, correspondance

    Gustave Courbet – Autoportrait, 1852, British Museum, Londres 

     

     

         L’année dernière, j’avais pris beaucoup de plaisir à publier dans le blog quelques extraits de l’exceptionnelle correspondance de Vincent Van Gogh. Mon attention avait essentiellement porté sur les lettres rédigées durant les deux années de son séjour en Provence de 1888 à 1890. 

         J’ai eu envie de renouveler l’expérience en profitant de cet été mi-figue mi-raisin sur un plan météorologique pour lire la correspondance du peintre français Gustave Courbet. Présenté comme le père de la peinture réaliste au 19ème siècle, sa correspondance couvre une quarantaine d’années, depuis son entrée à 18 ans au collège de Besançon dans le Doubs jusqu’à son décès en Suisse.

     

     

         Notre homme débarque à Paris au début des années 1840. Orgueilleux, il écrit à ses parents : « Nous sommes sur le point de constituer une école nouvelle de laquelle je serai le représentant en peinture. » Puis, à nouveau : « J’entends la peinture en plus grand […] ce qui est sûr c’est qu’il faut qu’avant cinq ans j’aie un nom dans Paris. »  Devenir un grand peintre, telle est son ambition. Il y parviendra jusqu’à devenir un artiste de réputation internationale que certains considéreront comme un symbole de la liberté et de la contestation politique et intellectuelle.

         Rarement un peintre ne suscite autant de polémique. Provocateur, il la recherche. Attraction et répulsion animent ses contemporains. Scandaleux, excentrique dans son allure, son accent franc-comtois et ses coups de gueules sont une aubaine pour les caricaturistes. Admirée, rejetée, critiquée, sa peinture paraît insaisissable pour beaucoup. Elle devient un enjeu pour l’art et les fidèles se regroupent autour de l’homme qui se considère médiatiquement comme le « maître d’Ornans » sa ville natale. Celui-ci refuse toute récupération vis-à-vis de l’Etat Napoléonien du second Empire et se vautre dans une allure de bravade et un mépris de l’autorité. Cela lui coûtera cher plus tard…

         Malgré son peu de respect pour l’orthographe qui le fait passer pour un crétin manquant de culture, la correspondance de Courbet nous montre un vocabulaire riche, des descriptions pittoresques, de vraies qualités littéraires. Certaines de ses lettres furent d’ailleurs reprises dans les écrits de certains auteurs comme Pierre-Joseph Proudhon et un bon nombre d’entre elles furent publiées de son vivant dans la presse.

         Même si je n’ai pas retrouvé dans sa correspondance le lyrisme qui m’avait séduit dans celle de Vincent Van Gogh, celle-ci m’a intéressé et, surtout, permis de découvrir l’homme et le peintre que je connaissais mal.

         Comme je l’avais déjà fait pour Van Gogh, je me propose, dans de prochains articles, de présenter des extraits choisis de la correspondance de Gustave Courbet couvrant sa période parisienne, depuis ses débuts artistique dans la capitale en 1840 jusqu’à l’année 1871 et la terrible commune de Paris dans laquelle le peintre fut fortement impliqué. Je passerai sur les dernières lettres de l’artiste exilé en Suisse où il décédera à l’âge de 57 ans.

         Afin de donner plus d’intérêt à ces extraits de lettres, de les mettre en valeur et de combler certaines lacunes laissées par les écrits, je rajouterai quelques commentaires personnels puisés à la fois dans ma documentation et dans la représentation que je me suis faite de la personnalité de l’artiste. L’ordre chronologique de l’envoi des lettres sera respecté.

         Je souhaite que ces extraits permettent d’appréhender la curieuse personnalité de Gustave Courbet et de mieux comprendre et apprécier sa peinture.

     

    Je donne,ci-dessous, l'essentiel des ouvrages qui ont nourri mon travail :

     

    BIBLIOGRAPHIE

    - Correspondance de Courbet : Petra Ten-Doesschate-Chu, 1992, Edit. Flammarion

    - Gustave Courbet : Catalogue de l'exposition du 13 octobre 2007 au 28 janvier 2008 au Grand Palais, paris - RMN 2007

    - Courbet, Fou de peinture au Grand Palais : Télérama hors série 2007

    - Tout l'oeuvre peint de Courbet : Pierre Courthion, 1987, Les classiques de l'Art, Edit. Flammarion

     

     

     

     

     

  • Souvenir de Lorraine

     

    « La poésie est la petite personne inaperçue dans la foule des éloquences qui se pavanent.

    Elle touche ceux qui peuvent écouter en silence l’écho d’une fontaine et le chant d’un oiseau. »

    Lorraine, le 12 septembre 2014

     

         Je n’ai pas oublié la superbe poétesse que j’ai eu l’honneur de connaître par nos blogs respectifs. Son livre de poème commandé chez TheBookEdition.com « Le cahier du soir » m’avait enchanté.

         J’ai envie de la faire revivre un instant. Elle en serait heureuse.

         Elle avait certainement, autrefois, dansé à Bougival.

     

     Renoir

    Auguste Renoir – Danse à Bougival, 1883, Museum of Fine Arts, Boston

     

     

    BAL À BOUGIVAL

     

    Tu descends du tableau, je suis figée d’émoi
    Ta jupe balancée empoussière mes yeux
    A l’instant tu dansais dans ce cadre de bois
    Puis tu t’es envolée d’un petit saut gracieux

    Belle de Bougival, captive de Renoir
    Ta beauté le troubla en ce soir bienheureux
    Il t’immortalisa en gardant la mémoire
    De ton corps alangui entre des bras fougueux

    Tableau qui m’ensorcelle jusqu’à la déraison
    D’une infime musique j’entends encor la voix
    Le bal de Bougival me donne l’illusion
    D’entrer dans la guinguette où jadis on t’aima

    Le temps s’est arrêté. Du bout de son pinceau
    Renoir a esquissé l’ébauche d’un roman
    D’un léger coup de reins la belle en son tableau
    A retrouvé la pose, le rythme et le galant

    Et sur ma rêverie tombe comme un rideau
    Qu’il était beau le temps des cannes à pommeau !

     

     

         Peut-être était-ce à Bougival qu’elle avait connu l’homme qui avait fait vibrer son cœur et partagé son existence, au point de lui faire cet aveu :

     

     

    AVEU

     

    Je ne vous dirai pas ce que j’aurais du dire

    En ce soir de gaîté où vous vîntes vers moi

    Vous m’avez invitée, la danse en son délire

    M’a plus que de raison enserrée dans vos bras

     

    En ce soir de gaîté où vous vîntes vers moi

    Vous étiez un ami avec qui j’aimais rire

    L’imperceptible émoi, le son de votre voix

    M’ont soudain alertée. En vos yeux je pus lire…

     

    Vous étiez un ami avec qui j’aimais rire

    Mais c’était un amour qui enlaçait sa proie

    La valse m’emportait. Avant qu’elle n’expire

    L’étrange envoûtement m’enveloppait, sournois

     

    C’était donc un amour qui enlaçait sa proie

    Je m’enfuis de la valse avant qu’elle n’expire

    L’étrange envoûtement s’évaporait, sournois

    Vous ne saurez jamais ce que j’aurais pu dire…

     

     

         J’espère qu’un jour le talent de cette poétesse et amie lui permettra d’accéder à une plus grande reconnaissance encore auprès des éditeurs et lecteurs passionnés de poésie.

     

         Merci Lorraine

     

     

     

  • Le poète de Noël

     

    peinture, Van Gogh, roman Que les blés sont beaux

    Vincent Van Gogh – Portrait d’Eugène Boch, août 1888, Musée d’Orsay, Paris

     

     

         Le 18 août 1888, dans une lettre à Théo, Vincent Van Gogh lui parle d’un ami belge, le peintre Eugène Boch, qu’il a rencontré à Arles :

    « Je voudrais faire le portrait d'un ami artiste, qui rêve de grands rêves, qui travaille comme le rossignol chante, parce que c'est ainsi sa nature. Cet homme sera blond. Je voudrais mettre dans le tableau mon appréciation, mon amour que j'ai pour lui. Je le peindrai donc tel quel, aussi fidèlement que je pourrai [...]. Derrière la tête, au lieu de peindre le mur banal du mesquin appartement, je peins l'infini, je fais un fond simple du bleu le plus riche, le plus intense, que je puisse confectionner, et par cette simple combinaison la tête blonde éclairée sur ce fond bleu riche, obtient un effet mystérieux comme l'étoile dans l'azur profond ».

         Le 31 août, il rajoute dans une lettre :

    « Eh bien, grâce à lui, j’ai enfin une première esquisse de ce tableau, que depuis longtemps je rêve – le Poète. Il me l’a posé. Sa tête fine au regard vert se détache dans mon portrait sur un ciel étoilé outremer profond, le vêtement est un petit veston jaune, un col de toile écrue, une cravate bigarrée. Il m’a donné deux séances dans une seule journée. »

         Ce portrait est, à mes yeux, le plus beau du peintre.

     

     

         Je remercie tous ceux d’entre vous qui ont gentiment répondu à mon appel, et cela me touche, en achetant ma récente publication QUE LES BLÉS SONT BEAUX dont les bénéfices seront reversés, comme je le mentionne dans le livre, à l’association RÊVES venant en aide aux enfants malades.

       Noël approche… Il est toujours possible de passer commande en cliquant sur l’image du roman en haut du blog.

         En ces veilles de fêtes, je sais que les romans historiques sont très recherchés : les choix se portent essentiellement sur les auteurs célèbres que tout le monde connaît et qui monopolisent cette rubrique Amazon dans laquelle l’art n’est guère représenté. Je vous suis donc d’autant plus reconnaissant de votre geste car je suis l’un des très rares auteurs de romans dont le récit est consacré essentiellement à un peintre.

         Je ne peux me retenir de mentionner une courte partie des très belles phrases qui m'avaient été adressées à l'occasion de la première version numérique du livre il y a presque deux ans :

     

    « Alain n’existait plus. J’imaginais Vincent, narrant au fil des jours son retour de Provence, sa première journée auprès de Théo. J’entendais leurs rires près du portrait du Facteur Roulin. J’étais sans doute une petite souris cachée pas loin et qui rêvait des amandiers en fleurs qui ouvraient ce premier chapitre.

    J’ai entendu déjà des historiens de l’art présenter des tableaux… ils savaient tout, ou presque, de leurs auteurs, de leur style, de ce et ceux qui pouvaient leur être comparés. Mais je n’avais jamais vu le peintre leur tenir la main, les guider dans leur analyse jusqu’à les remplacer.

    Et si les larmes sont venues à la page 229, et que je les ai laissé couler, c’est que comme Alain, alors qu’il déposait le point final sur la dernière page du journal de Vincent, je venais de perdre un ami. »

         Encore merci Quichottine. Quel beau commentaire cela ferait sur le site Amazon du livre !

     

     

    TRÈS HEUREUSES FÊTES DE FIN D’ANNÉE À TOUS AVEC UN SAPIN CROULANT DE CADEAUX

     

     

  • Cendrine a lu QUE LES BLÉS SONT BEAUX

     

         Cendrine m’a fait le plaisir de publier un superbe article sur son blog LA CHIMÈRE ÉCARLATE. J’espère qu’elle ne m’en voudra pas de reprendre en partie le texte qu’elle m’a offert.

     

    peinture, van gogh, la chimère écarlate

    Vincent Van Gogh – Champ de blés avec cyprès, 1889  (version de la National Gallery à Londres)

     

     

    ALAIN YVARS, QUE LES BLÉS SONT BEAUX...

    31 MARS 2019

    Rédigé par Cendrine et publié depuis Overblog

     

     

    Les blés, c'est l'or des moissons, le souffle du vent qui déshabille la peau et attise des plaisirs aromatiques sur les lèvres... C'est une symphonie enivrante d'impressions fugitives et ô combien délicieuses...

     

    Des blés d'inspiration parent la couverture d'un très joli livre, celui de mon aminaute  Alain Yvars.

     

    Des blés qui nous chuchotent à l'oreille, dans leurs crépitements soyeux, l'histoire d'un irrépressible talent: celui d'un être d'exception qui s'appelait Vincent Van Gogh (1853-1890).

     

     

    Ces blés fusent en un florilège de couleurs ardentes, comme un feu d'artifice d'émotions!

     

    Alors si vous aimez prendre le temps de savourer, de goûter en profondeur la beauté des choses qui vous entourent. Si vous aimez l'art et souhaitez aborder la vie d'un homme qui peignait avec une incroyable énergie, je vous conseille ce livre qui traduit la sensibilité flamboyante d'Alain envers l'un de nos plus grands artistes.

     

    Le style est riche, subtil, enveloppant. L'écriture se déguste comme des papillotes épicées de mille nuances au coin de l'âtre et les images défilent, avec bonheur et fougue, au creux de l'esprit. C'est vraiment un beau travail de passionné, merci Alain !

     

    Lien pour vous procurer le roman si vous le désirez:

    Que les blés sont beaux: L'ultime voyage de Vincent Van Gogh

    https://www.amazon.fr/Que-bl%C3%A9s-sont-beaux-Lultime-ebook/dp/B07KXWM16G

     

     

    Alain fait « parler » Van Gogh, tous les personnages de l'oeuvre sont très vivants, vous apprécierez sûrement...

     

    « Les toiles peintes durant la semaine luisaient, humides, serrées les unes contre les autres. La fenêtre donnant sur l'arrière de l'auberge les éclairait en biais, favorisant un contre-jour qui raffermissait les couleurs : paysages de champs trouvés aux alentours, les pittoresques maisons d'Auvers, quelques études de plantes et fleurs sauvages. Des coquelicots rouges réchauffaient une luzerne qui apparaissait comme éclaboussée de gouttelettes de sang.

    Le vent soufflait fort lorsque j'avais peint cette petite toile montrant des épis de blés jaunes tenus par des tiges bleu vert enroulées de liserons roses. Pour n'avoir pas pris soin de fixer mon chevalet, comme je le faisais en Provence sous le mistral, j'avais dû courir après ma toile sous la bourrasque. »

     

    J'invite les amoureux de la peinture à se promener sur son blog intitulé Si l'art était conté.

     

    Les artistes y prennent vie, avec générosité et simplicité, bien loin de considérations ampoulées...

     

    peinture, van gogh, la chimère écarlate

    Vincent Van Gogh – Champ de blés avec cyprès, 1889 (version du Metropolitan Museum à New York)

     

         Mille fois merci, Cendrine, pour cette très belle et fine analyse d'un roman écrit à deux : Vincent Van Gogh qui me racontait son histoire ; moi qui buvais ses paroles et tentais de les mettre en forme.

     

     

     

  • Claude Monet est amoureux

     

    peinture, claude monet, camille monet, impressionnisme

     

    Claude Monet est amoureux. Il peint sa femme, Camille, avec une ombrelle : « l’artiste pense qu’il est en train de réaliser la plus belle des images de sa compagne : instant fugace d’un regard de peintre qui s’attarde à contempler l’indiscrétion du souffle de l’air dans la voilette de sa femme et son hardi mouvement de hanche. »
    Cannetille, chroniqueuse sur Babelio m’a offert la belle critique ci-dessous :
     
     
    Cannetille
    17 novembre 2023
    En couverture dans le tableau La promenade, elle semble avoir soudain pris conscience de notre présence et, dans un mouvement vif, se retourne pour nous fixer, comme par-delà le temps. Claude Monet l'a saisie il y a un siècle et demi en ce bref instant suspendu : va-t-elle ensuite poursuivre son chemin, sa silhouette dansante s'amenuisant peu à peu dans le lointain, ou nous attendra-t-elle pour nous donner le bras le temps d'un bout de chemin en sa compagnie ? Alain Yvars a pris les devants. C'est lui qui nous convie à une promenade auprès de l'ombre fugace de Camille, le temps de retracer son parcours d'épouse et de muse du grand peintre, comme l'on feuilletterait un album dont les photographies ne seraient autres que les tableaux qu'elle inspira.


    D'emblée l'émotion est au rendez-vous, avec pour première image Camille peinte sur son lit de mort, ombre déjà floutée par les tonalités pâles et bleutées du tableau, tout enveloppée d'un flot de tulle comme une mariée. Nous voilà ramenés au cycle de toute vie humaine, qui finit là où elle a débuté, avec cette universelle question : « se pouvait-il qu'un grand bonheur puisse s'envoler, cesser d'exister ? » Dès lors, le récit s'engage dans une rétrospective intime, remontant là où tout a commencé, quand Camille n'avait que dix-huit ans et rencontrait Monet, balayant une décennie conjugale ponctuée de deux enfants et de bien davantage de chefs d'oeuvre picturaux, et revenant boucler le cycle avec les obsèques de la jeune femme, morte à trente-deux ans d'un cancer.
     



    Hormis les tableaux où elle figure, peints par Monet mais aussi par Renoir et Manet, presque rien ne subsiste de Camille Doncieux, la jalousie d'Alice Hoschedé, la seconde épouse Monet, ayant mené à la destruction des lettres, photos et documents la concernant. Mais quels plus beaux souvenirs que cette série d'innombrables portraits, où elle paraît d'ailleurs parfois sous plusieurs personnages à la fois, et qui jalonnent l'essor artistique d'un peintre dont elle ne cessa de soutenir le génie trop novateur pour leur éviter la misère. Peintre lui-même, passionné éclairé et solidement documenté, Alain Yvars fait revivre le couple Monet aussi bien dans son intimité que face à son siècle, analysant avec sensibilité cette peinture du fugitif et de l'instantané qui fut une si grande révolution et qui nous restitue si bien la vie au travers de ses motifs.


    Après Que les blés sont beaux, Conter la peinture et Deux petits tableaux, l'auteur nous régale à nouveau d'un ouvrage aussi intéressant qu'émouvant, luxueusement illustré de reproductions sur papier photo, pour une immersion si naturelle dans l'univers de Camille et Claude Monet qu'elle nous fait oublier l'immense travail de documentation qui la rend possible.


    Bravo à Alain, alias Jvermeer, pour cette belle réalisation et un grand merci pour son partage.

    Lien : https://leslecturesdecanneti..
     
    Merci Nadine
     
     
  • Peinture et poésie

     

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    Johannes Vermeer – Autoportrait présumé dans L'Entremetteuse (détail ),1656, Gemäldegalerie, Dresde

     

         J’ai déjà parlé dans ce blog de la grande exposition consacrée au peintre Johannes Vermeer qui se tint en 1996 au musée du Mauritshuis à La Haye. Elle rassemblait la presque totalité des oeuvres peu nombreuses de Johannes Vermeer : 23 sur environ 35 connues. Je vous avais fait parcourir en ma compagnie, pas à pas, les petites salles, et m’était arrêté devant chacune des toiles pour mieux vous les présenter.

         Il se trouve que je viens de tomber sur une friandise littéraire, ces petits bonbons que l’on suçait autrefois, patiemment, avec délice, dans les salles de cinéma. Je possédais depuis longtemps le livre de Sylvie Germain « Patience et songe de lumière » qui se planquait dans ma bibliothèque. Comment l’avais-je oublié ? En le feuilletant, j’ai cru me retrouver une deuxième fois au Mauritshuis. L’auteure parlait des mêmes toiles du peintre. Avec d’autres mots.

         Je lisais un long poème qui distillait des fragments de vision de cette peinture trop limpide, fascinante, du « Maître de Delft »…

     

     

         Un épais rideau s’ouvre sur L'atelier du peintre. Vermeer, assis sur un tabouret, est en train de peindre :

     

    peinture,johannes vermeern« Il est le maître des couleurs et dicte à chacune son rôle dans le grand jeu du visible pour mieux en révéler la mission au sein de la dramaturgie de l’invisible.»

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Johannes Vermeer – L’atelier du peintre, 1666, Kunsthistorisches Museum, Vienna

     

         Le peintre nous conduit à son modèle Clio, la muse de l’histoire, qui pose devant lui, le front ceint d’une couronne de laurier :

     

    « Malgré sa position en recul, le modèle occupe en fait une place essentielle ; tout en effet conduit l’attention peinture,johannes vermeervers la jeune fille : la lumière qui la nimbe, la lourde oblique du rideau, la direction devinée du regard du peintre. (…) Clio est une chaste fiancée qui attend que le peintre l’unisse à la splendeur du visible, qu’il lui révèle le secret de la lumière, qu’il l’intronise épouse de l’invisible. Car c’est lui seul, le peintre, qui préside ici à la cérémonie des noces entre la poésie et la peinture, entre le chant et la lumière, entre la beauté et les couleurs. »

     

     

     

     

         Puis, Clio pénètre dans une pièce où une Liseuse est penchée sur une lettre devant les carreaux plombés de la fenêtre ouverte qui l’éclaire :

     

    peinture,johannes vermeer« Et si la lettre (…) n’en était pas une ? S’il s’agissait d’une page arrachée au livre à couverture safran que tient Clio au creux de son bras satiné d’azur et de brume lunaire ?  »

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Johannes Vermeer – Femme lisant une lettre devant la fenêtre ouverte, 1659, Gemäldegalerie Alte Meister Dresde

     

        Une autre liseuse La jeune femme en bleu est installée devant une carte géographique :

     

    « Son ventre porte un enfant, un nouvel être, un inconnu. Son ventre recèle la forcepeinture,johannes vermeer du dehors dans le dedans le plus clos de sa chair, il abrite un étranger dans son intimité. »

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Johannes Vermeer – Femme lisant une lettre, 1663, Rijksmuseum ,Amsterdam

         

    Les nombreuses femmes de Vermeer sont transfigurées, seules, méditatives :

     

    peinture,johannes vermeer« Les doigts égrènent, des notes, des mots, des fleurs de dentelle, des gouttes de lait, des perles. Des doigts d’orantes qui caressent des rosaires de lumière. » ; « Leurs corps sont des fléaux d’invisibles balances où se pèsent le grain de la lumière ; leurs visages sont des masques de claire résonnance où tinte une parole à jamais à venir. »

     

     

     

     

     

    Johannes Vermeer – Jeune fille au collier de perles 1663, Gemäldegalerie, Berlin

     

    Pendant ce temps, quelques hommes travaillent. 

     

    L’Astronome :

     

    « Chez Vermeer c’est la clarté qui découpe les ombres, leur assigne leur place, et qui,peinture,johannes vermeer lorsqu’elle monte à l’aigu, blanchit les couleurs et allègent les formes. La lumière du dehors vient mettre de l’ordre dans l’obscur chaos du dedans, elle est un éclairage tantôt doux, presque poudreux, solaire ou bien lunaire, tantôt violent, acide même, qui frappe choses et personnages. »

     

     

     

     

     

     

    Johannes Vermeer – L’Astronome, 1668, Louvre, Paris

     

         Un Géographe est penché sur une carte :

     

    peinture,johannes vermeer« Et l’on songe cette fois à Spinoza, compatriote et exact contemporain de Vermeer. (…) Spinoza, le solitaire polisseur de verres d’optique, l’artisan-philosophe dont la vision du monde et l’oeuvre qui en émane font écho à celle de Vermeer ; un écho de cristal, sec, net et limpide. »

     

     

     

     

     

     

    Johannes Vermeer – Le Géographe, 1669, Städel Museum francfort

     

         La jeune femme assoupie somnole sur un rebord de table :

     

    « Elle dort la lumière. Il ne faut pas la réveiller. Ses yeux seraient insoutenables depeinture,johannes vermeer Beauté. »

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Johannes Vermeer – la jeune fille endormie ,1657, Metropolitan Museum, New York

     

         Vers la fin du livre, Marcel Proust intervient. Dans son roman « La Prisonnière » il envoie Bergotte aller admirer à une exposition la Vue de Delft :

     

    « Pris d’étourdissements, il fixe son regard sur un détail du tableau. Il se répétait : « Petit pan de mur jaune avec un auvent, petit pan de mur jaune. » Une indigestion. Le jaune l’éblouit tellement. Il s’écroule sur un canapé et meurt. »

     

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    Johannes Vermeer – Vue de Delft, 1650, Mauritshuis, La Haye

     

     

         Cette Vue de Delft, baignée dans une lumière dorée, termine le parcourt poétique :

     

    « La Vue de Delft est un voyage dans l’immensité close au cœur de l’apparence, une lente dérive dans les remous de l’immobilité, un embarquement de l’instant pour l’absolu et pour l’éternité. »

     

        Il existe une troublante relation entre la peinture et l’écriture, deux arts s’influençant mutuellement. Sylvie Germain en fait une éclatante démonstration poétique dans ce livre succulent qui ne parle plus de peinture mais d’art : pureté… apparence… beauté… vie…

     

    « Toutes l’œuvre de Vermeer est un arrêt au bord de l’extrême du visible, de la lumière et des couleurs ; à la lisière de l’invisible et de la nuit. »

     

         Vous comprendrez facilement les raisons qui m’ont fait aimer le livre de Sylvie Germain.

     

     

  • Genèse de l'impressionnisme

     

    12. Auguste Renoir – Ma période impressionniste : 5. Le Déjeuner des Canotiers

     

     

     

     

         J’étais à Chatou et l’automne débutait. Le balcon du restaurant Fournaise n’attendait plus que ses invités.

     

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    Balcon du restaurant de la maison Fournaise à Chatou – photo Alain Yvars

     

     

         Mes nombreuses esquisses ne m’avaient pas satisfaisait… Pouvais-je retarder plus longtemps le grand projet qui m’obsédait depuis que je fréquentais la maison Fournaise ?

         Je me faisais vieux pour un travail de cette importance… En serais-je encore capable plus tard ?

        La toile représentant Alphonsine Fournaise, peinte l’année dernière sur la terrasse du restaurant, n’avait fait que me conforter dans l’idée de cette grande composition que je souhaitais réaliser sur cette même terrasse. Je voulais reprendre le thème joyeux de mon Bal au Moulin de la Galette réalisé à Montmartre quatre années auparavant. Le plaisir de peindre ces danseurs dans un décor et une ambiance de fête avait été si intense... j’en tremblais encore en y pensant.

       « Renoir, vous devriez cesser d’exposer avec vos amis impressionnistes… Les critiques sont acerbes… On se moque de vous… ».

         Émile Zola, critique d’art influent, m’avait conseillé d’aller au Salon officiel : « On peut garder son indépendance dans ses œuvres, on n’atténue rien de son tempérament, mais ensuite on livre bataille en plein soleil, dans des conditions plus favorables à la victoire. », m’avait-il dit. « Les artistes impressionnistes ne devraient plus se contenter d’exposer seulement des esquisses peintes en plein air mais des toiles ambitieuses, réfléchies, tirées de la vie moderne » avait-il ajouté.

         J’avais gambergé longtemps avant de suivre les conseils de l’écrivain, puis je m'étais décidé. Dans ma technique et mes sentiments je me sentais toujours pleinement « impressionniste » mais, n’obtenant aucun succès, je ne participais plus depuis trois ans aux expositions de mes amis, préférant envoyer une ou deux toiles chaque année au Salon.

         Cette fois, j’étais sûr du succès…

        J’étais persuadé que la grande composition que j’allais entreprendre, sorte d’adieu à mes tableaux de canotiers et de canotières, m’obtiendrait enfin la reconnaissance de la profession. Le succès obtenu au Salon de l’année passée avec le portrait de Madame Charpentier et de ses enfants, ne pouvait que m’encourager à utiliser un autre style de peinture à la touche nouvelle et assagie, aux contours affinés.

     

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    Auguste Renoir – Madame Charpentier et ses enfants, 1878, Metropolitan Museum of Art, New York

     

     

     

        Le thème de la toile était ambitieux : au bord de l’eau, par une belle journée ensoleillée, deux tables sont installées sur la terrasse du restaurant. Une dizaine de jeunes femmes et jeunes gens de la bourgeoisie aisée s’amusent autour d’un déjeuner ; le repas se termine. 

      

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    Auguste Renoir – Le déjeuner des canotiers, 1880, Phillips Collection, Washington

     

     

        Il me restait à trouver les modèles parmi mes amis et les nombreuses connaissances qui fréquentaient l’établissement. Le baron Barbier, un habitué, passionné de canotage, habitait Chatou. Il m’avait aidé à trouver les modèles qui manquaient.

        Durant tout l’automne, le restaurant Fournaise et son balcon allaient devenir mon nouvel atelier en plein air.

      Quatorze personnes composaient le tableau. Le choix et l’emplacement des personnages étaient le plus laborieux à réaliser.

        Une grande table, couverte d’une nappe blanche, était placée au premier peinture,renoir,fournaise,chatou,impressionnismeplan. Des fruits, bouteilles et verres se dressaient sur la nappe, superbe nature morte par laquelle j’avais commencé mon travail en premier. Un grand plaisir de peinture… Mes personnages principaux entouraient la table. Ceux-ci composaient un premier groupe, les plus en vue.

     

         De part et d’autre de ce groupe principal, en pendant, j’avais placé deux hommes, des canotiers sportifs, en chemise de plaisancier blanches à manches courtes, coiffés de chapeaux de paille.

         Sur la gauche, debout, immense, Alphonse, le fils Fournaise, dominait de ses braspeinture,renoir,fournaise,chatou,impressionnisme puissants et sa haute stature le fleuve derrière lui. Son chapeau de paille allait jusqu’à toucher la tenture orangée et jaune.

     

     

     

     

     

     

         Une place de choix dans le motif avait été réservée à mon ami Gustave Caillebotte, peinture,renoir,fournaise,chatou,impressionnismepeintre lui-même, riche mécène des impressionnistes, qui m’avait acheté souvent des tableaux pour m’aider financièrement. Je l’avais installé dans le coin droit de la toile, assis à califourchon sur une chaise, le regard dirigé vers la femme au petit chien lui faisant face. Ses bras étaient aussi musclés que ceux d’Alphonse. Grand sportif, il naviguait avec des bateaux qu’il construisait lui-même.

     

     

     

     

     

         Le personnage principal du tableau était ma compagne, Aline, la tête encadrée danspeinture,renoir,fournaise,chatou,impressionnisme le torse d’Alphonse. On la remarquait au premier coup d’oeil dans le tableau. Elle faisait la moue à un petit chien griffon hirsute assis sur la table. J’adorais lorsqu’elle minaudait ainsi ! J’avais particulièrement soigné sa robe bleue bordée d’un col rouge et d’un décolleté blanc à volants. Les orangés et rouges intenses de son élégant bonnet décoré de fleurs violettes et rouges se reflétaient sur ses joues de porcelaine. Son visage accrochait si bien la lumière... Je gardais un très mauvais souvenir du petit chien dont la pose avait constamment ralenti mon travail. Cet animal n’en faisait qu’à sa tête et s’échappait subitement lorsque qu’Aline le prenait pour jouer. Je m’étais promis de ne plus repeindre d’animaux. Une vraie souffrance…

     

         Trois autres personnes faisaient partie du premier groupe.

         L’actrice Angèle Legault, une habituée du Moulin de peinture,renoir,fournaise,chatou,impressionnismela Galette, dans une jolie robe bleue claire, portait un chapeau blanc avec un liseré bleu. Une broderie rouge et blanche encadrait son décolleté. Elle discutait avec mon excellent ami le journaliste Maggiolo à moitié écroulé sur elle, le regard très intéressé par la jeune femme.

     

     

     

     

         De dos, au centre de la toile, apparaissait le baron Barbier avec un chapeau melon marron. Cet ancien officier de cavalerie, était un grand amateur de vin et de femmes qu’il poursuivait sans cesse. Un obsédé cet homme ! Il était le danseur vedette et l’animateur des soirées Fournaise avec l’écrivain Paul Lhote. A la fin des repas, les deux hommes chahutaient constamment Adeline en la faisant tournoyer sans fin sur un air de valse au son du piano joué par Alphonsine Fournaise.

     

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         La belle Alphonsine… L’âme du restaurant, en robe blanche bordée de rouge, nonchalamment accoudée sur la balustrade, était coiffée d’un chapeau de paille jaune peinture,renoir,fournaise,chatou,impressionnismeà bordure bleue semblable à celui de son grand gaillard de frère. Elle buvait les paroles du baron assis face à elle. A l’époque du tableau, elle était très amoureuse d’un jeune peintre habitant Chatou, Maurice Réalier-Dumas, qui fréquentait la maison Fournaise depuis peu. Ce garçon peignait au rez-de-chaussée du restaurant une fresque amusante intitulée « Les Quatre Ages de la Vie ». Comment pouvait-elle résister ! Ce grand et bel homme, au regard bleu très clair, avait immédiatement séduit Alphonsine qui ne cessait de venir voir l’avancement des fresques, ce qui l’intéressait beaucoup plus que l’avancement de mon tableau.

     

         La composition du premier groupe me satisfaisait. Au cours de l’automne, j’avais commencé à croquer rapidement les autres personnages du tableau, puis avais décidé de laisser reposer la toile quelques jours, fidèle à ma maxime préférée qui était : « Il faut savoir flâner en peinture ». Il m’arrivait ensuite de remarquer, longtemps après, des choses importantes que je n’avais pas perçues aux premiers coups de brosses.

     

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           Le temps passait. Il me fallait avancer dans mon travail. 

        Différents modèles choisis parmi mes relations ou les habitués du restaurant se tenaient debout au fond de la toile : Charles Ephrussi en haut de forme causant avec le poète Jules Laforgue ; en-dessous de lui, assise, portant un chapeau à fleurs, un de mes modèles préférés, l’actrice Ellen Andrée, également modèle favori de Degas, portait son verre à ses lèvres, le regard dans le vague.

         Dans le coin droit, Paul Lhote et mon ami d’enfance Lestringuez flirtaient avec la célèbre actrice parisienne Jeanne Samary ajustant son chapeau. J’appréciais cette comédienne de talent depuis que ses parents me l’avaient présentée : « Si vous avez besoin d’un modèle… Jeanne vous admire tant ». Tout le monde doutait de moi à l’époque. Je n’avais pas hésité et venais la peindre à la Comédie-Française où elle jouait les soubrettes. Je fis de nombreux portraits de cette jolie femme.

         Mon Déjeuner me plaisait. Il ne me restait plus qu’à peaufiner le paysage de fond du tableau. Brossée par petites touches, une fenêtre de nature ouvrait sur un grand espace donnant sur les arbres, la rivière, quelques voiles, et le pont de chemin de fer au loin.

     

         Ce tableau fut un de mes combats les plus rudes depuis mes débuts en peinture : un véritable duel qui m’avait vu harceler le motif comme un amoureux bousculant une fille qui se défend avant de succomber. Mais j’étais patient et, au bout de plusieurs semaines, le motif avait fini par céder pour laisser la place à l’impression visuelle que j’espérais obtenir : une atmosphère de bonheur et de joie de vivre. Le résultat final d’une œuvre était toujours une révélation émerveillée pour moi. Ma volupté de peintre devenait une volupté d’homme.

         A mes yeux, il était important qu'un tableau soit une chose aimable, joyeuse, et jolie. Pourquoi la grande peinture ne serait-elle pas joyeuse, pensais-je souvent ? Bon Dieu, il y avait assez de choses ennuyeuses dans la vie pour ne pas en fabriquer d’autres !

     

        Ce travail marqua un tournant dans mon oeuvre. Malheureusement, mon marchand Durand-Ruel ne tint pas compte de mes nombreuses demandes et me permit uniquement d’exposer la toile à l’exposition du groupe des indépendants de l’année 1881, et non au Salon Officiel comme je l’aurais souhaité.

        Cette époque des bords de Seine, des canotiers, et de la joie de vivre, se terminait.

       Après le Déjeuner, je sentais que j’avais tout dit en matière d’impressionnisme. 

       Etais-je encore un véritable impressionniste ?

     

     

        Je m’aperçois que cette longue étude consacrée à l’impressionnisme et ses années de jeunesse atteint déjà le douzième chapitre. Ce n’était pas vraiment prémédité lorsque je me suis lancé dans cette aventure. Et voilà ! Comme souvent, je me suis laissé emporter par ce thème qui me tenait à cœur, mélangeant récits inédits, comme celui d’aujourd’hui, et d’autres plus anciens réédités.

         Le pire est que je sens, au risque de lasser, que je ne suis pas encore au bout de mon idée sur ce thème qui est si vaste. Je vais devoir encore le poursuivre quelque temps.

         Mon prochain article, le dernier sur Auguste Renoir, rééditera un récit inspiré des trois merveilleux tableaux consacrés à la thématique de " la danse " peints par l'artiste peu de temps après " Le Déjeuner des canotiers " .

         On continue ?

     

  • Genèse de l'impressionnisme

    14. Guy de Maupassant – Un écrivain canotier

     

     

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    Anthony Morlon – Les canotiers de la Seine, 1865, musée Fournaise, Chatou

     

         En cette fin de 19ème siècle, le grand divertissement des parisiens est le canotage sur les cours d’eau parisiens comme la Seine et la Marne.

         A partir des Années 1873, jusqu’à son décès en 1893, Guy de Maupassant était un fervent adepte de ce sport-divertissement. Il fait construire plusieurs canots. Il gare souvent ceux-ci chez Fournaise à Chatou. Il écrira plusieurs nouvelles sur le canotage et les canotiers dans lesquelles il croque ce petit monde des bords de l’eau, la Grenouillère et le restaurant Fournaise : Mouche, Yvette, La Femme de Paul, Sur l’eau

     

         29 juillet 1875 – Maupassant fait part à sa mère de son intention d’écrire plusieurs nouvelles sur le canotage :

    « Ma chère Mère,

    … Il fait aujourd’hui une chaleur torride et les derniers parisiens vont bien certainement se sauver. Quant à moi, je canote, je me baigne, je me baigne et je canote. Les rats et les grenouilles ont tellement l’habitude de me voir passer à toute l’heure de la nuit avec ma lanterne à l’avant de mon canot qu’ils viennent me souhaiter le bonsoir. Je manoeuvre mon gros bateau comme un autre manoeuvrerait une yole et les canotiers de mes amis qui demeurent à Bougival sont supercoquentieusement esmerveillés quand je viens vers minuit leur demander un verre de rhum. Je travaille toujours à mes scènes de canotage dont je t’ai parlé et je crois que je pourrai faire un petit livre assez amusant et vrai en choisissant les meilleures histoires de canotiers que je connais, en les argumentant, brodant, etc… »

     

         Dans une lettre, il est sermonné par Gustave Flaubert : « Il faut, entendez-vous, jeune homme, il faut travailler plus que ça. J’arrive à vous soupçonner d’être légèrement caleux. Trop de putains ! Trop de canotage ! Trop d’exercice ! Oui, monsieur ! (…) Vous êtes né pour faire des vers, faites-en ! Tout le reste est vain ».

     

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    Charles Edouard de Beaumont – gravure Le Charivari, 19e, musée Fournaise, Chatou

     

          En 1887, à Chatou, Maupassant allait recevoir des amis pour une partie de canotage.

    « Je suis bien entrainé, il y a de la force là-dedans et c’est naturel. J’ai tant canoté et tant fait d’exercices physiques de toutes sortes ! Malgré cela, mes mains ne sont pas développées, mais cela n’empêche pas la force… Dans ma poitrine aussi, il y a du souffle et de la résistance, choses que n’ont pas tous ces canotiers d’occasion… »

     

        Maupassant aime recevoir ses amis et ses amies à Chatou chez Fournaise. Il fréquente l’établissement jusqu’en 1889, avant que sa santé ne commence à décliner. Il écrit :

    « Je vous emmène demain à Poissy, où j’ai fait transporter mes bateaux ; car, à Chatou, ce n’était plus tenable à cause du voisinage. Il y avait trop de demi-mondaines. Je le regrette pour Alphonse et Mme Papillon (les enfants Fournaise) qui ont toujours été très gentils pour moi et prenaient grand soin de mes bateaux ».

     

     

     

    Extraits de nouvelles de Guy de Maupassant sur le canotage et ses plaisirs :

     

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    Anthony Morlon – Les canotiers de la Seine, 1865, musée Fournaise, Chatou

     

    MOUCHE

     

    « Ma grande, ma seule, mon absorbante passion, pendant dix ans, ce fut la Seine. Ah l la belle, calme, variée et puante rivière pleine de mirage et d’immondices. Je l’ai tant aimée ; je crois, parce qu’elle m’a donné, me semble-t-il, le sens de la vie. Ah les promenades le long des berges fleuries, mes amies les grenouilles qui rêvaient, le ventre au frais, sur une feuille de nénuphar, et les lis d’eau coquets et frêles, au milieu des grandes herbes fines qui m’ouvraient soudain, derrière un saule, un feuillet d’album japonais quand le martin-pêcheur fuyait devant moi comme une flamme bleue ! Ai-je aimé tout cela, d’un amour instinctif des yeux qui se répandait dans tout mon corps en une joie naturelle et profonde.

    Comme d’autres ont des souvenirs de nuits tendres, j’ai des souvenirs de levers de soleil dans les brumes matinales, flottantes, errantes vapeurs, blanches comme des mortes avant l’aurore, puis, au premier rayon glissant sur les prairies, illuminées de rose à ravir le cœur ; et j’ai des souvenirs de lune argentant l’eau frémissante et courante, d’une lueur qui faisait fleurir tous les rêves. »

     

     

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    Victor Geruzez dit Crafty – dessin de La Grenouillère de l’île de Croissy, Le Monde Illustré ,1869

     

     

    LA FEMME DE PAUL

     

    «  (…)

    L’immense radeau, couvert d’un toit goudronné que supportent des colonnes de bois, est relié à l’île charmante de Croissy par deux passerelles dont l’une pénètre au milieu de cet établissement aquatique, tandis que l’autre en fait communiquer l’extrémité avec un îlot minuscule planté d’un arbre et surnommé le « Pot-à-Fleurs », et, de là, gagne la terre auprès du bureau des bains.

    Le bras de la rivière (qu’on appelle le bras mort), sur lequel donne ce ponton à consommations, semblait dormir, tant le courant était faible. Des flottes de yoles, de skifs, de périssoires, de podoscaphes, de gigs, d’embarcations de toute forme et de toute nature, filaient sur l’onde immobile, se croisant, se mêlant, s’abordant, s’arrêtant brusquement d’une secousse des bras pour s’élancer de nouveau sous une brusque tension des muscles, et glisser vivement comme de longs poissons jaunes ou rouges.

    (…)

    Dans l’établissement flottant, c’était une cohue rieuse et hurlante. Les tables de bois, où les consommations répandues faisaient de minces ruisseaux poisseux, étaient couvertes de verres à moitié vides et entourées de gens à moitié gris. Toute cette foule criait, chantait, braillait. Les hommes, le chapeau en arrière, la face rougie, avec des yeux luisants d’ivrognes, s’agitaient en vociférant par un besoin de tapage naturel aux brutes. Les femmes, cherchant une proie pour le soir, se faisaient payer à boire en attendant ; et, dans l’espace libre entre les tables, dominait le public ordinaire du lieu, un bataillon de canotiers chahuteurs avec leurs compagnes en courte jupe de flanelle.

    (…)

    Ce lieu sue la bêtise, pue la canaillerie et la galanterie de bazar. Mâles et femelles s’y valent. Il y flotte une odeur d’amour, et l’on s’y bat pour un oui ou pour un non, afin de soutenir des réputations vermoulues que les coups d’épée et les balles de pistolet ne font que crever davantage. 

    (…)

    C’est, avec raison, nommé la Grenouillère. À côté du radeau couvert où l’on boit, et tout près du « Pot-à-Fleurs », on se baigne. Celles des femmes dont les rondeurs sont suffisantes viennent là montrer à nu leur étalage et faire le client. Les autres, dédaigneuses, bien qu’amplifiées par le coton, étayées de ressorts, redressées par-ci, modifiées par-là, regardent d’un air méprisant barboter leurs sœurs.

    Sur une petite plate-forme, les nageurs se pressent pour piquer leur tête. Ils sont peinture,canotiers,la grenouillère,maupassant,fournaiselongs comme des échalas, ronds comme des citrouilles, noueux comme des branches d’olivier, courbés en avant ou rejetés en arrière par l’ampleur du ventre, et, invariablement laids, ils sautent dans l’eau qui rejaillit jusque sur les buveurs du café. »

     

     

     

     

     

      

     

    19e – lithographie : Voici l’agent de change, c’est le moment de piquer une tête pour faire sa connaissance

     

     

    YVETTE

     

    « (…) En face de la demeure, l’île de Croissy formait un horizon de grands arbres, une masse de verdure, et on voyait un long bout du large fleuve jusqu’au Café flottant de la Grenouillère caché sous les feuillages. 

    Le soir tombait, un de ces soirs calmes du bord de l’eau, colorés et doux, un de ces soirs tranquilles qui donnent la sensation du bonheur. Aucun souffle d’air ne remuait les branches, aucun frisson de vent ne passait sur la surface unie et claire de la Seine. Il ne faisait pas trop chaud cependant, il faisait tiède, il faisait bon vivre. La fraîcheur bienfaisante des berges de la Seine montait vers le ciel serein.

     

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    Eugène Courboin – Embarque!, 19e, musée Fournaise, Chatou

     

    (…)

    Ils arrivèrent à la partie de l’île plantée en parc et ombragée d’arbres immenses. Des couples erraient sous les hauts feuillages, le long de la Seine, où glissaient les canots. C’étaient des filles avec des jeunes gens, des ouvrières avec leurs amants qui allaient en manches de chemise, la redingote sur le bras, le haut chapeau en arrière, d’un air pochard et fatigué, des bourgeois avec leurs familles, les femmes endimanchées et les enfants trottinant comme une couvée de poussins autour de leurs parents.

    Une rumeur lointaine et continue de voix humaines, une clameur sourde et grondante annonçait l’établissement cher aux canotiers.

    Ils l’aperçurent tout à coup. Un immense bateau, coiffé d’un toit, amarré contre la berge, portait un peuple de femelles et de mâles attablés et buvant ou bien debout, criant, chantant, gueulant, dansant, cabriolant au bruit d’un piano geignard, faux et vibrant comme un chaudron.

    De grandes filles en cheveux roux, étalant, par devant et par derrière, la double provocation de leur gorge et de leur croupe, circulaient, l’œil accrochant, la lèvre rouge, aux trois quarts grises, des mots obscènes à la bouche.

    D’autres dansaient éperdument en face de gaillards à moitié nus, vêtus d’une culotte de toile et d’un maillot de coton, et coiffés d’une toque de couleur, comme des jockeys.

    Et tout cela exhalait une odeur de sueur et de poudre de riz, des émanations de parfumerie et d’aisselles.

    Les buveurs, autour des tables, engloutissaient des liquides blancs, rouges, jaunes, verts et criaient, vociféraient sans raison, cédant à un besoin violent de faire du tapage, à un besoin de brutes d’avoir les oreilles et le cerveau pleins de vacarme.

    De seconde en seconde un nageur, debout sur le toit, sautait à l’eau, jetant une pluie d’éclaboussures sur les consommateurs les plus proches qui poussaient des hurlements de sauvages.

    Et sur le fleuve une flotte d’embarcations passait. Les yoles longues et minces filaient, enlevées à grands coups d’aviron par les rameurs aux bras nus, dont les muscles roulaient sous la peau brûlée. »

     

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    Henri Guydo – dessin A la Grenouillère, 1902, journal Le Rire

     

     

  • Eugène DELACROIX écrivain

     

    La mort de Sardanapale

     

     

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    Eugène Delacroix – La mort de Sardanapale, 1827, musée du Louvre, Paris

     

     

         L’artiste reprend son journal en 1847, après l’avoir abandonné durant 23 ans. J’ai donné des extraits du premier journal de l’année 1847 dans mon précédent article. Durant cette période sans journal, nous n’avons pas d’écrits, ce qui est regrettable à mes yeux pour un tableau important « La mort de Sardanapale » peint au cours de l’année 1827.

        Avant de poursuivre le journal dans un prochain article, j’ai voulu aujourd’hui m’arrêter un instant sur cette toile qui ne passa pas inaperçue au Salon de 1827.         

     

     

     

        L'artiste n’a que 29 ans lorsqu’il peint La mort de Sardanapale, peu d’années après ses grandes toiles de jeunesse : Dante et Virgile aux enfers ; Scènes des massacres de Scio, qui avaient déjà sérieusement perturbé les visiteurs et les critiques des Salons annuels. Ceux-ci n’avaient pas de mots assez durs…

       Pour peindre Sardanapale, Delacroix s’est inspiré d’un drame écrit par le poète anglais Lord Byron, l'un des écrivains phare du romantisme, qui avait publié en 1821 en Angleterre un drame — Sardanapalus — traduit en France dès 1822. La scène représentée raconte l’épisode dramatique de la mort de ce souverain légendaire d’Assyrie qui, voyant le pouvoir lui échapper à la suite d’une conspiration, choisit, lorsqu'il se rend compte que sa défaite est inéluctable dans sa capitale assiégée, de se suicider en compagnie de ses esclaves, de sa favorite Myrrha, une esclave ionienne, et de ses autres favorites, après avoir brûlé sa ville pour empêcher l'ennemi de profiter de son bien.

     

        Lorsque je vis cet immense tableau de 4 mètres sur 5 mètres pour la première fois au Louvre, je m’étais beaucoup interrogé.

       J’étais surpris devant la toile car, avant de venir au musée, j’avais lu la critique positive de Victor Hugo : « Ne croyez pas que Delacroix ait failli. Son Sardanapale est une chose magnifique et si gigantesque qu’elle échappe aux petites vues […] » Fort de cette appréciation de notre grand homme, je m’étais déplacé pour voir.

        Décrété chef de file du courant romantique, Delacroix, comme il le faisait depuis ses premières œuvres de jeunesse, et encore plus avec Sardanapale, balayait le classicisme. Ingres, la star du moment avec la pureté de ses lignes, semblait écrasé… L’artiste n’ayant pu finir sa toile à l’ouverture du Salon en novembre 1827, celle-ci n’était arrivée qu’en janvier 1828, avec deux mois de retard. Cette peinture avait été immédiatement qualifiée « d’ouvrages bizarres » ; de « tartouillade » ou d’une « erreur de peintre » par le puissant critique de l’époque Jean Delécluze. Un autre critique parla également : « d’amalgame incompréhensible d’hommes, de femmes, de chiens, de chevaux, de bûches, de vases, d’instruments de toute espèce, de colonnes énormes, de lit démesuré, jetés pêle-mêle, sans effet, sans perspective, et ne posant sur rien ».

       Franchement, j’en étais désolé pour le peintre, lors de ma première vision de l’oeuvre, je n’étais pas loin de penser comme les critiques de l'époque… Je ne comprenais pas cet enchevêtrement dans un espace pictural restreint, la ville brulant au loin emportant le palais, de corps de femmes, de soldats, d’esclaves, de chevaux, objets divers, bijoux, sous le regard indifférent d’un homme habillé en blanc contemplant le spectacle. Il n’y avait plus aucune logique dans la hiérarchie de genre et de rang… Une scène d’holocauste charriant un magma de vie et de mort …

       Je n’arrivais pas à trouver une unité à cette composition perturbée par les distorsions des formes et la perspective.

         En exposant son œuvre, Delacroix lui-même avait donné quelques explications sur ce suicide collectif  qu’il venait de terminer :  

        « Les révoltés l’assiégèrent dans son palais... Couché sur un lit superbe, au sommet d’un immense bûcher, Sardanapale donne l’ordre à ses eunuques et aux officiers du palais d’égorger ses femmes, ses pages, jusqu’à ses chevaux et ses chiens favoris ; aucun des objets qui avaient servi à ses plaisirs ne devait lui survivre. »

         Par dérision, le peintre avait qualifié son œuvre de « massacre n° 2 » en souvenir du désastre critique des ses Scènes de massacres de Scio du Salon de 1824, trois ans plus tôt.

     

        Pensif, je m’étais assis tranquillement sur un banc à distance de la toile pour tenter de faire le point. Il fallait prendre son temps. Je voulais observer la scène, reconstituer les détails un par un. Pourquoi avais-je pensé à l’Olympia, cette prostituée étendue dans le tableau d’Edouard Manet peint 33 ans plus tard ? Je ressentais la même sensualité. Pourtant le thème n’avait rien à voir avec la toile de Manet ?… Etait-ce le modelé des corps dans Sardanapale paraissant en proie à une sorte de spasme sensuel ? Peut-être était-ce l’allure de cet homme étrange en blanc dominant la scène du haut de son Olympe ?

         Je repris chacun des détails en tentant de les isoler.

     

     

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         Tout en haut de l’œuvre, le roi allongé placidement semble contempler le désastre avec plaisir.

     

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         A ses pieds, sa favorite Myrrha, git le dos nu, la tête et les bras écartés sur le lit.

     

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         De l’autre côté du lit, un garde s’apprête à frapper de son épée une esclave aux épaules dénudées.

         Sur la droite, dans le prolongement du couple royal, un garde enfonce son épée peinture,delacroix,louvre,sardanapaledans la poitrine d’une esclave, la plus voluptueuse, nacrée et dorée.

         Le peintre utilisait beaucoup de modèles. Il peint l’esclave poignardée à moitié nue comme il la voit dans son atelier.

     

     

     

     

     

     

     

         Au premier plan, un esclave noir tire un cheval qui paraît coupé en deux.peinture,écriture,delacroix,louvre,sardanapale

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

        Après avoir décomposé méthodiquement les différentes scènes de ce drame atroce, j'avais commencé petit à petit à ressentir la toile autrement.

     

     

        Aujourd’hui, j’ai trouvé les réponses à mes interrogations anciennes. La toile m’apparaît bien différente de la première impression confuse qui m’avait dérangé. J’interprète mieux l’immense suicide collectif que l’artiste avait certainement peint avec délectation.

         En ce début de 19e siècle, Delacroix n’avait pas voulu choquer. Il s’était juste permis quelques audaces comme tout jeune artiste qui veut s’affirmer. Une réussite dans l’immodestie : il avait volontairement bafoué les règles de la composition confondues dans un ensemble totalement désordonné, un fourmillement de couleurs dominées par les ors et les rouges transpercés par endroit de blancs nacrés. La couleur dominait, la luminosité était éclatante. Les rouges profonds passaient graduellement aux roses sur lesquels se détachait la chair laiteuse des torses.

        Le jeune peintre, chef de file de l’école romantique, voulait montrer son savoir faire, son habilité, le talent de son pinceau. Pour cela, il avait empilé sur une même toile tout ce qu’il avait appris et travaillé dans les nombreuses études de ses débuts dans le métier.

         L’inspirations littéraire du tableau correspondait aux déclarations du peintre : Ce qu’il y a de réel pour moi, ce sont ces illusions que je crée avec ma peinture. Ainsi, il s’était laissé emporter par l’effervescence de la création. Il dira plus tard qu’il avait cédé aux facilités de la brosse qui s’égarait.

         A son époque, ce tableau se voulait comme un manifeste dans la querelle entre la peinture romantique représentée par Delacroix et le classicisme ou le néoclassicisme représenté par Ingres. Ainsi Delacroix mettait en avant dans son œuvre ce relâchement des conventions formelles : ce n’était plus les formes et les sujets que l'artiste mettaient en valeur, mais davantage l'intensité des couleurs, des contrastes et de la lumière. Le peintre juxtaposait des taches de couleur qui présentaient une forme uniquement lorsque l’on reculait. Je repensais à l’univers des pointillistes comme Seurat ou Signac, plus tard. Il fallait regarder le tableau à bonne distance pour que le mélange des tons s’effectue dans l’œil du spectateur. Alors l’harmonie éclatait : les contrastes d’ombres et de lumières se répartissaient admirablement et les couleurs vibraient intensément.

     

         La Mort de Sardanapale m’apparaît comme la toile la plus romantique de Delacroix ». 

     

     

     

  • Van Gogh écrivain : Arles - 6. 1er au 15 août 1888

     

    CORRESPONDANCE - EXTRAITS CHOISIS

      

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    Vincent Van Gogh – Campement de forains avec caravanes, août 1888, musée d’Orsay, Paris

     

          Le manque de modèles cause des soucis à Vincent qui souhaiterait faire des portraits. Il a fait la connaissance d’un curieux facteur dont la femme vient d’accoucher. « Le bonhomme n’acceptant pas d’argent, était plus cher mangeant, buvant avec moi ». Il fait plusieurs portraits de l’homme, de sa femme et du bébé.  

     

    Lettre à Théo – vers le 1er août 1888

     

    Comme le dit notre soeur, du moment que les gens n’y sont plus, on ne se souvient que de leurs bons moments et bonnes qualités. Il s’agit pourtant surtout de chercher à les voir pendant qu’ils y sont encore. […] Si la vie avait encore un second hémisphère, invisible il est vrai, mais où l’on aborde en expirant. A ceux qui font cet intéressant et grave voyage nos meilleurs voeux et nos meilleures sympathies.

     

    Lettre à sa sœur Willemien – vers le 1er août 1888 (traduite du néerlandais)

     

    Il fait beaucoup de vent, un vent tout à fait furieux et redoublant : le mistral, le plus souvent assez gênant ; quand il faut que j’aille peindre où il souffle, il m’arrive d’être obligé de poser ma toile à plat sur le sol et de travailler à genoux, mon chevalet ne pouvant tenir debout.

    J’ai une étude de jarpeinture,van gogh,arlesdin d’un mètre de large ; à l’avant-plan, des coquelicots et d’autres fleurs rouges dans du vert, puis un grand morceau de clochettes bleues. Puis, encore, un morceau d’œillets d’Inde, orangés et jaunes, ensuite des fleurs blanches et jaunes, et enfin, à l’arrière plan, du rose, du lilas, et des tournesols, un figuier, un laurier-rose, et une vigne. Tout au fond, des cyprès noirs sur un fond de maisons blanches, basses, aux toits orangés, et une bande de ciel délicat, bleu vert.

    Je sais bien que pas une des fleurs n’est dessinée, que ce ne sont que touches de couleur : rouges, jaunes, orangées, vertes, bleues, violettes ; mais l’impression de toutes ces couleurs l’une près de l’autre, se retrouve bien dans le tableau comme dans la nature. Je me figure toutefois que cela te décevrait, te paraîtrait laid, si tu le voyais. L’oncle Cor a vu plus d’une fois mon travail, il le trouve affreux.

      

    Vincent Van Gogh – Jardin fleuri, juillet 1888, collection particulière

     

     En ce moment, je suis en train de faire le portrait d’un facteur en uniforme bleu foncé,peinture,van gogh,arles avec du jaune. Une tête un peu comme celle de Socrate, presque pas de nez, un grand front, le crâne chauve, de petits yeux gris, des joues pleines, hautes en couleur, une grande barbe poivre et sel, de grandes oreilles. L’homme est un terrible républicain et socialiste ; il raisonne très bien et sait beaucoup de choses. Sa femme a accouché aujourd’hui, et il n’est pas peu fier ; il rayonne de satisfaction. […] J’espère obtenir aussi de pouvoir peindre le bébé qui est né aujourd’hui.

     

     

     

     

     

     

    Vincent Van Gogh – Portrait du postier Joseph Roulin, août 1888, Institute of Arts, Détroit

    […]

    Je trouve l’été ici magnifique, la verdure est très dense, très riche, le ciel clair, étonnamment transparent. Pourtant, si la couleur n’était pas si différente, l’étendue ferait souvent penser à la Hollande, vu qu’il n’y a presque pas de montagnes et de rochers. Ce qui me plaît beaucoup, ce sont les vêtements bigarrés. Les femmes et les fillettes sont vêtues d’étoffes bon marché, toutes simples, mais vertes, rouges, roses, jaunes, havane, violettes, bleues, à pois ou rayées. Des tissus blancs, des parasols rouges, verts, jaunes. Un soleil vif comme du soufre luit par là-dessus ; un grand ciel bleu. Tout est parfois aussi formidablement joyeux que la Hollande est triste. Dommage que tout le monde n’est pas les deux !

     

    Lettre à Emile Bernard – vers le 1er août 1888

     

    Ce qui me navre au Louvre, c’est de voir leurs Rembrandt se gâter et les crétins de l’administration abîmer beaucoup de beaux tableaux.

    […]

          Longue réflexion sur la peinture de Frans Hals et Rembrandt.

    Parlons de Frans Hals. Jamais il n’a peint de christ, d’annonciations aux bergers, d’anges ou de crucifixions et résurrections, jamais il n’a peint de femmes nues voluptueuses et bestiales. Il a fait des portraits, rien que cela : Portraits de soldats, réunions d’officiers, portraits de magistrats assemblés pour les affaires de la république, portraits de matrones à peau rose ou jaune, de blancs bonnets coiffées, de laine et de satin noir habillées, discutant le budget d’un orphelinat ou d’un hospice. Il a fait le portrait de bons bourgeois en famille, l’homme, la femme, l’enfant. Il a peint le buveur gris, la vieille marchande de poisson en hilarité de sorcière, la belle putain bohémienne, les bébés au maillot, le crâne gentilhomme bon vivant, moustachu, botté et éperonné. Il s’est peint lui et sa femme, jeunes, amoureux, dans un jardin, sur un banc de gazon, après la première nuit de noce. Il a peint les voyous et les gamins riants, il a peint les musiciens et il a peint une grosse cuisinière.

     

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    Frans Hals – La bohémienne, 1630, musée du Louvre, Paris

     

    Il n’en sait pas plus long que cela ; mais cela vaut bien le Paradis du Dante et les Michel-Ange et les Raphaël, et les Grecs même. C’est beau comme Zola, et plus sain et plus gai, mais aussi vivant, parce que son époque était plus saine et moins triste.

    […]

    Mais, je t’en supplie, suis bien ce raisonnement droit que je m’efforce de te présenter d’une façon fort simple.

    Fourre-toi dans la tête ce Maître, Frans Hals, peintre de portraits divers, de toute une république crâne et vivante et immortelle. Fourre-toi dans la tête le non moins grand et universel maître peintre de portraits de la république hollandaise : Rembrandt Harmensz van Rijn, homme large et naturaliste, et sain autant que Hals lui-même. Et après nous verrons de cette source, Rembrandt, découler les élèves directs et vrais : Vermeer de Delft, Fabritius, Nicolas Maes, Pieter de Hooch, Bol, et les influencés par lui, Potter, Ruysdaël, Ostade, Ter Borg.

     

    Lettre à Théo – vers le 9 août 1888

     

    Je dois aller travailler. J’ai encore vu une chose fort calme et bien belle l’autre jour, une jeune fille à teint café au lait – si je me souviens bien – cheveux cendrés, yeux gris, corsage d’indienne rose pâle sous lequel on voyait les seins droits, durs et petits. Cela contre la verdure émeraude des figuiers. Une femme bien rustique, grande allure virginale.

    Pas complètement impossible que je l’aie à poser en plein air ainsi que la mère – jardinière – couleur de terre qui était alors en jaune sale et bleu fané.

    Le teint café au lait de la jeune fille était plus foncé que le rose du corsage. La mère était épatante, la figure jaune sale et bleu fané se détachait en plein soleil sur un carré de fleurs éclatant blanc de neige et citron. Donc un vrai Van der Meer de Delft. C’est pas laid le midi.

     

    Lettre à Théo – vers le 13 août 1888

     

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    Vincent Van Gogh – Quai avec des hommes déchargeant des péniches de sable, août 1888, Essen Museum Folkwang

     

     Je travaille dans ce moment à une étude comme ceci des bateaux vu d’en haut d’un quai, les deux bateaux sont d’un rose violacé, l’eau est très verte, pas de ciel, un drapeau tricolore au mât. Un ouvrier avec une brouette décharge du sable. (Dans une autre lettre, il rajoute : "C'était de l'Hokousaï pur")

    […]

    Je crains que je n’aurai pas un bien beau modèle de femme. Elle avait promis, puis elle a - à ce qui paraît - gagné des sous en faisant la noce et a mieux à faire.

    Elle était extraordinaire, le regard était comme celui de Delacroix, et une tournure bizarre primitive. Je prends les choses avec patience, faute de voir d’autres moyens de les supporter, mais c’est agaçant cette contrariété continuelle avec les modèles. J’espère faire de ces jours-ci une étude de lauriers roses. Si on peignait lisse comme Bouguereau, les gens n’auraient pas honte de se laisser peindre, mais je crois que cela m’a fait perdre des modèles, qu’on trouvait que c’était “mal fait”, ce n’était que des tableaux pleins de peinture que je faisais. Alors les bonnes putains ont peur de se compromettre et qu’on se moquera de leur portrait. Mais il y a de quoi se décourager presque, quand on sent qu’on pourrait faire des choses si les gens avaient plus de bonne volonté. Je ne peux pas me résigner à dire “les raisins sont verts”*, je ne m’en console pas de ne pas avoir plus de modèles. Enfin il faut patienter et en rechercher d’autres.

    * tiré de la fable « Le renard et les raisins » de Jean de la Fontaine

    […]

    Ce qui me frappe le plus au coeur dans L’oeuvre de Zola, c’est cette figure de Bongrand-Jundt.

    C’est si vrai ce qu’il dit : « Vous croyez, malheureux, que lorsque l’artiste a conquis son talent et sa réputation, qu’alors il est à l’abri ? Au contraire, alors il lui est défendu désormais de produire une chose pas tout à fait bien. Sa réputation même l’oblige à soigner d’autant plus son travail que les chances de vente se raréfient. Au moindre signe de faiblesse toute la meute jalouse lui tombe dessus et démolit justement cette réputation et cette foi, qu’un public changeant et perfide momentanément a eue en lui. »

    Plus fort que cela est ce que dit Carlyle :

    « Vous connaissez les lucioles qui au Brésil sont si lumineuses, que les dames le soir les piquent avec des épingles dans leur chevelure. C’est très beau la gloire, mais voilà, c’est à l’artiste ce que l’épingle de toilette est à ces insectes. Vous voulez réussir et briller, savez vous au juste ce que vous désirez ? »

     

     Lettre à Théo – vers le 15 août 1888

     

          Vincent a trouvé un style : la peinture de voyou…

    Maintenant j’ai gardé le grand portrait du facteur, et sa tête ci jointe est une seule séance. Eh bien, voilà mon fort, faire un bonhomme rudement dans une séance. Si je me montais, mon cher frère, davantage le cou, je ferais toujours ainsi, je boirais avec le premier venu et je le peindrais, et cela non à la peinture à l’eau, mais à l’huile, séance tenante à la Daumier. Si j’en faisais cent comme ça, il y en aurait des bons dans le nombre. Et je serais plus Français et plus moi, et plus buveur. Cela me tente tant, non pas la boisson, mais la peinture de voyou.

     

     

  • Blog en hibernation forcée

     

     

     

     

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         Mon ordinateur n’a pas voulu goûter aux délices d’une retraite bien méritée. Un beau matin, des cris intempestifs, un halètement suspect d’agonisant, m’ont contraint à constater l’évidence : celui-ci rendait l’âme sans même esquisser un dernier signe d'adieu.

         Pour remplacer mon compagnon disparu, je me suis laissé tenter par un Mac, machine séduisante et innovante. Pouvais-je savoir ce qui m’attendait ? : nombreux logiciels nouveaux à découvrir, prise en main laborieuse, appareil incompatible avec mon imprimante multifonctions récente qu'il faut également changer… J’allais oublier : j’étais obligé de constater que ma dernière sauvegarde de fichiers trop tardive m’obligeait à reprendre beaucoup de travail perdu…

         Les joies de l'informatique !

         Evidemment, le blog, et Gustave Courbet dont la correspondance était pourtant bien engagée, vont devoir attendre des jours meilleurs pour reprendre une activité régulière.

         

         A bientôt.